DISCOURS PRONONCÉ le 10 juin 1875,
PAR M. DUPONT, INGÉNIEUR EN CHEF DES MINES, INSPECTEUR DE L'ÉCOLE DES MINES,
SUR LA TOMBE DE M. CALLON,
Inspecteur général des mines, professeur à l'École des mines, décédé à Paris, le 8 juin 1875.

Messieurs,

Au milieu de la douleur publique, qui sert de cortège à celui que nous pleurons, et avant que cette tombe se ferme, qu'il me soit permis de payer une double dette d'in-génieur et d'ami.

L'inspecteur général des mines CALLON fut un vaillant ingénieur; il a noblement payé sa dette à son pays.

L'ingénieur au corps des mines fut trente-six ans professeur ou directeur aux trois écoles où l'art des mines est enseigné en France, à Saint-Etienne, à Alais et à Paris.

L'ingénieur civil a conseillé ou dirigé, avec les plus éclatants succès, des exploitations de mines de première importance, en France, en Belgique et en Espagne.

Je dois à cette circonstance, d'avoir passé vingt-sept ans de ma carrière aux trois écoles où la vie officielle de CALLON s'est écoulée, le douloureux honneur d'exprimer, sur cette tombe, les regrets de l'École des mines. Les éminents services et la vie si remplie de mon collègue me rendront la tâche difficile, mais l'amitié me donnera des forces pour l'entreprendre; l'indulgence de mes camarades fera le reste.

Pierre Jules CALLON naquit le 9 décembre 1815, au Houlme, dans le voisinage de Rouen, d'un père ingénieur.

Son grand-père, d'origine anglaise, avait été ingénieur lui-même et en voyant, autour de cette tombe, le savant professeur de l'École centrale, dont je dois respecter la modestie, et le jeune élève ingénieur des ponts et chaussées, qui a de si nobles exemples à suivre dans ses deux familles paternelle et maternelle, je ne puis pas taire néanmoins que, dans la famille des CALLON, on naît ingénieur, et l'on fait honneur à sa carrière.

Après des études sérieuses au collège Charlemagne, Jules CALLON entra second à l'École polytechnique en 1834; il sortit, second encore, de cette école en 1836, pour entrer à l'École des mines, comme élève ingénieur.

Deux ans d'études persévérantes, fécondées par une aptitude exceptionnelle, lui valurent d'être déclaré élève ingénieur hors de concours en juin 1838, et de sortir le premier de l'École des mines.

Un voyage de deux cents jours, qu'il fit en Belgique et dans l'Allemagne du Nord, avec son collègue Le Chatelier, lui permit d'étudier avec soin les exploitations les plus importantes de ces pays classiques de l'art des mines.

Deux de ses mémoires de voyage, l'un sur les mines et usines à zinc de la haute Silésie, l'autre sur les usines à fer du Hartz, obtinrent les honneurs de l'insertion aux Annales des mines, en 1840.

Les goûts et l'aptitude de CALLON le portaient vers l'enseignement technique, et, le 18 mai 1839, à peine âgé de vingt-trois ans, il était nommé professeur d'exploitation des mines et de mécanique à l'École des mineurs de Saint-Etienne, où il resta six années.

L'enseignement correct et fécond du professeur d'exploitation et de mécanique lui avait déjà acquis une réputation exceptionnelle dans l'enseignement technique de l'art des mines; aussi, dans l'année 1845,lorsque l'adminiatration supérieure, encourageant l'initiative généreuse de la ville d'Alais et du département du Gard, voulut organiser, en fait, l'École des maîtres-ouvriers mineurs d'Alais, instituée, en principe, par l'ordonnance du 22 septembre 1843, c'est au jeune et judicieux professeur de Saint-Étienne qu'elle songea pour créer et diriger l'école nouvelle.

Un arrêté ministériel, du 26 février 1845, chargea CALLON des fonctions de directeur de l'École des maîtres-mineurs d'Alais; c'était lui imposer une oeuvre difficile, une vraie création.

Les détracteurs ne manquèrent pas à l'oeuvre projetée. " On ne fera que de faux ingénieurs, » disaient les uns ; « on découragera les bons ouvriers mineurs, » disaient les autres. CALLON eut le courage d'engager la lutte, et il réussit.

" L'École d'Alais est mon enfant, » disait-il volontiers.

Trois ans lui avaient suffi pour la fonder, et pour donner à cet établissement d'instruction professionnelle la direction féconde qu'il suit encore avec succès.

Appelé, le 19 novembre 1848, à succédera CALLON, dans la direction de l'École d'Alais, que j'ai conservée pendant douze années, je suis compétent pour dire le bien qu'il y a fait : c'est mon droit, c'est aussi mon devoir; j'avais été proposé, à mon insu, par CALLON lui-même, pour être son successeur à Alais, et je suis fier de l'estime qu'il m'a témoignée en cette circonstance.

Pendant les douze années que j'ai passées à Alais, j'ai suivi le sillon tracé par mon vaillant prédécesseur.

L'École des maîtres-mineurs d'Alais est un succès avéré dans l'histoire de notre industrie minérale; la gloire en revient à CALLON.

La création et la direction de l'École des maîtres-mineurs ne suffisaient pas à son activité intelligente : l'industrie des mines tentait à la fois ses aptitudes et son savoir; un homme éminent, qui vivait alors à ses côtés, comprit la portée que l'industrie minérale de la France pourrait tirer de son concours. Cet homme, un des grands ingénieurs des temps modernes, c'est celui qui a créé la Grand-Combe et le chemin de fer de la Méditerranée, et qui aura une place dominante dans l'histoire de l'industrie nationale : j'ai désigné M. Paulin Talabot. Dans cette même année 1846, M. Talabot appelait CALLON à la direction des mines de la Grand-Combe, et Audibert au service de la compagnie du chemin de fer de Lyon à Avignon. Le grand ingénieur se connaissait en hommes.

Un arrêté ministériel, du 9 juin 1846, autorisait M. CALLON, ingénieur des mines, directeur de l'École des maîtres-mineurs d'Alais, à se charger, concurremment avec ses fonctions, de la direction des travaux des mines de la Grand-Combe.

Cette décision officielle, insérée aux Annales des mines, et émanant d'un ministre libéral, à vues élevées, M. Dumon, fut un événement fécond dans la vie d'ingénieur de CALLON; elle fut le prélude des doubles fonctions qu'il a remplies jusqu'à sa mort, d'une façon si glorieuse pour le corps des mines, et si avantageuse pour notre industrie minérale.

Le 16 novembre 1848, une décision ministérielle, fixant la résidence de CALLON à Paris, l'attachait à l'Ecole des mines, comme professeur suppléant du cours d'exploitation et de machines ; et le 28 avril 1856, il était nommé professeur titulaire de ce cours, titre qu'il a conservé jusqu'à sa mort.

C'est donc pendant vingt-sept années que CALLON a rempli les fonctions de professeur à l'École des mines de Paris. Concurremment à ces fonctions de professeur, et fort avantageusement pour celles-ci, il remplissait celles d'ingénieur conseil ou directeur aux mines de la Grand-Combe, et à la régie d'Aubin, où il sut corriger par son habileté et sa prudence les dures conditions imposées à la compagnie d'Orléans pour l'acquisition de cet établissement; il les remplit aussi pendant des périodes diverses, aux houillères de Marles, de Ronchamp, de la Loire, de Layon-et-Loire, de Saint-Avold et de Decazeville, à la société anonyme des charbonnages belges, aux mines de houille de Belmez (Espagne), aux mines de Grotta Calda (Sicile), etc., etc.

Témoins de la régularité du professeur, les élèves de l'École ne pouvaient pas soupçonner que celui-ci pût faire, dans les intervalles des leçons, des excursions de mines souvent lointaines et toujours pénibles ; mais ils reconnaissaient néanmoins que CALLON était un véritable maître en l'art des mines.

Quand CALLON enseignait les méthodes de recherches minérales, les élèves avaient foi en lui ; ils savaient que leur professeur était bravement descendu sur le champ de bataille de la géologie pratique et industrielle, ils savaient que, le plus souvent, lorsqu'il avait dit dans sa vie d'ingénieur « la couche de houille doit être là », on avait reconnu que la couche de houille était là; ils savaient aussi qu'il avait pratiqué longuement les méthodes d'exploitation qu'il enseignait : leur confiance lui était acquise.

Et, d'autre part, quels immenses et nombreux services il a directement rendus comme ingénieur à l'industrie minérale de la France! Au nord, comme au midi, tous nos exploitants de mines le savent. Sa prudence et son jugement égalaient son intelligence et son savoir technique ; avare des deniers des actionnaires, il se refusait obstinément aux dépenses aventureuses, et il apportait dans la gestion des entreprises, trop souvent aléatoires, de l'industrie minérale, cette haute économie qui fait presque partie de la probité de l'ingénieur; aussi possédait-il la confiance entière des capitalistes sérieux qui exploitent les mines : ses arrêts d'ingénieur étaient souverains sur leur esprit, sa haute raison les charmait.

Par son double et éminent mérite de professeur et d'ingénieur praticien, CALLON a été ainsi un type remarquable, un grand exemple à citer, de l'heureuse et féconde conciliation des fonctions d'un ingénieur au corps des mines, professeur dans une École technique, avec les travaux libres d'un ingénieur civil.

Les fonctions officielles de CALLON ne se bornaient pas à l'enseignement donné à l'École des mines : le service des appareils à vapeur l'occupait également ; chargé, de 1850 à 1852, des appareils à vapeur de la Seine, il avait constamment rempli, depuis cette dernière époque, des fonctions actives et importantes à la commission centrale des machines à vapeur.

Son activité prodigieuse lui permettait enfin, malgré ses occupations multipliées, de pourvoir à des publications scientifiques ou techniques; c'est ainsi qu'il avait enrichi les Annales des mines d'une notice sur les différents modes de transports souterrains, parue en 1844 ; d'un mémoire sur la géologie et l'exploitation des mines de houille de la Grand-Combe, publié en 184t8, lequel est resté un modèle de géologie pratique, et sert encore de vade-mecum à tous les ingénieurs de la Grand-Combe. Je dois citer encore un mémoire, fort remarque, sur les progrès de l'exploitation des mines, publié en 1861, une Revue de l'exploitation des mines, qui parut en 1862, et différents rapports sur des explosions d'appareils à vapeur.

En dehors de ces publications techniques, CALLON avait fait paraître en 1851 des éléments de mécanique, à l'usage des candidats à l'École polytechnique.

La Société d'encouragement, dont CALLON faisait partie depuis 1851, comme membre titulaire du conseil d'administration (comité des arts mécaniques), a reçu le concours assidu de son savoir et de son travail: les nombreux rapports rédigés par lui et publiés au Bulletin de la Société en font foi.

Enfin les dernières expositions universelles de Paris et de Londres reçurent de lui le tribut efficace, que notre regretté collègue savait payer à toutes les oeuvres se rattachant à notre industrie nationale.

Membre du jury international à l'Exposition universelle de Paris en 1855, CALLON y remplit les fonctions de secrétaire de la classe de mines et de la métallurgie, et de rapporteur spécial sur les produits exposés.

A l'Exposition universelle de Londres, en 1862, où CALLON était également membre du jury international, il fut le rapporteur de la section relative aux machines à préparer et filer les fibres textiles, et son rapport remarquable, sur un sujet en dehors de ses études habituelles, fixa l'attention de tous les juges compétents.

A l'Exposition universelle de Paris, en 1867, CALLON fit un rapport magistral, à la section V de la classe 47, sur le matériel et les procédés de l'exploitation des mines.

Les travaux de l'ingénieur au corps des mines avaient reçu du gouvernement des récompenses méritées, auxquelles tout le corps applaudissait : chevalier de la Légion d'honneur dès le 15 décembre 1850, il avait été nommé officier le 15 août 1865; ingénieur en chef depuis le 30 août 1855, il avait été promu inspecteur général le 14 juin 1872.

Depuis trois ans, notre éminent camarade, profondément atteint par la maladie qui l'a si cruellement ravi à sa famille et au pays, avait obtenu un congé officiel pour une partie de ses fonctions; il ne faisait plus à l'École des mines son cours oral, mais on peut dire qu'il y faisait son cours écrit, car le malade, domptant le mal par sa volonté virile, usait ses forces et ses heures à publier ses deux cours d'exploitation de mines et de machines, qui seront, tout à la fois, un témoignage toujours vivant de sa science d'ingénieur, et un titre de gloire pour notre corps tout entier.

Deux volumes du Cours de machines ont déjà paru en 1873 et en 1875 ; le premier comprend des considérations générales sur les moteurs hydrauliques, sur la pneumatique et la théorie mécanique de la chaleur; le second traite des machines à vapeur.

Deux, volumes du Cours d'exploitation des mines ont paru en 1874 : le premier renferme des généralités, puis la description détaillée des procédés d'exécution des divers ou-souterrains; le second est consacré aux méthodes d'exploitation et aux procédés de transport, d'extraction, d'épuisement et d'aérage.

Les quatre volumes publiés ne sont pas un simple répertoire catalogué, plus ou moins complet, de procédés ou d'appareils connus: non, tel n'était pas le système de CALLON; il croyait devoir au lecteur son jugement d'ingénieur sur les appareils et sur les méthodes, et ce jugement se trouve toujours dans ses deux livres, accompagné d'aperçus fins et féconds.

Deux volumes restaient à faire pour remplir le plan de l'auteur, si cruellement enlevé à son oeuvre : un complément du Cours de machines devait comprendre la résistance des matériaux et la construction des machines. Le complément du Cours d'exploitation devait renfermer la préparation mécanique des minerais, et des généralités sur l'organisation et la direction des sociétés d'exploitation.

Au point avancé où ils sont parvenus, ces deux ouvrages ont déjà rendu des services éclatants. Offerts par CALLON à l'Académie des sciences, par la bienveillante entremise de M. Daubrée, ils tiennent une place honorable à la bibliothèque de l'Institut.

Ils sont consultés journellement dans les bibliothèques des Ecoles des mines; ils ont franchi les frontières de la France et même l'Atlantique, et on les trouverait sûrement dans les bagages de ces hardis pionniers qui explorent et exploitent en ce moment, avec tant d'ardeur, les richesses minérales de l'Amérique du Nord. Ils devront former désormais le fonds obligé de toute bibliothèque d'ingénieur ; on les trouvera dans tous les bureaux des directeurs de mines.

Si notre ami vivait, sa modestie ne lui permettrait pas de dire, avec le poéte, « Exegi monumentum » ; mais nous, ses camarades, nous devons le dire de son oeuvre ; et pourtant elle est incomplète encore, et il importe que le complément attendu ne tarde pas trop. Ce sera le pieux labeur de M. Georges Callon, et son premier travail d'ingénieur, de mener à bonne fin l'oeuvre remarquable de son digne père.

Depuis qu'il avait cessé de faire son cours, ni les souffrances de la maladie, ni la publication de ses deux livres n'ont empêché CALLON de remplir, jusqu'au dernier jour, ses utiles et importantes fonctions au conseil de l'École des mines et au conseil de perfectionnement; la sûreté de son jugement y était remarquée de tous, c'est pour l'administration de l'École un devoir d'en témoigner; sa mort fera dans ces deux conseils un vide bien douloureux.

C'est donc justice de le dire en face de cette tombe : jusqu'à sa dernière heure, CALLON a noblement rempli tous ses devoirs, il est mort debout ; le mal l'a terrassé.

Tel a été l'ingénieur, notre camarade.

Chez lui encore, le citoyen ne fut pas au-dessous de sa tâche. Resté à Paris, pendant le piège des Prussiens, notre collègue apporta à la défense le contingent de ses efforts.

Est-ce tout?

Non, Messieurs. Si la vie privée doit être murée, il faut l'entendre en ce sens, qu'un silence protecteur doit entourer les vies privées dont il n'y aurait aucun bien à dire. Mais, béni soit Dieu! tel ne fut point le cas de notre noble ami. CALLON fut, avant tout, un homme de bien, un homme doux et juste : ses hautes qualités morales, sa vie irréprochable et ses vertus bien connues de tout le monde ajoutaient une sanction d'estime à la juste influence qu'il a toujours exercée.

Il a enseigné le travail à ses deux jeunes fils, appelés à entourer de leur pieuse affection cette mère inconsolable qui fut l'ange du foyer de notre ami; tous les deux seront guidés dans leur vie laborieuse par l'exemple de leur père ; ils se souviendront, pour persévérer au labeur, de cette lampe qui a si souvent éclairé les travaux prolongés de CALLON dans le sanctuaire de la famille; mais ce n'est pas seulement le travail que CALLON enseignait à ses enfants : il leur a appris à croire en Dieu. Aussi Dieu a béni doublement notre ami : il l'a béni dans ses travaux, en lui accordant ce surcroit promis par les saintes Écritures à ceux qui cherchent le royaume de Dieu et sa justice; il l'a béni dans ses deux fils, qui sauront maintenir, l'un à la Cour des comptes, l'autre aux ponts et chaussées, les traditions d'honneur et de travail intelligent qui sont pour eux un patrimoine.

Et maintenant, Ô mon vieil ami, après l'adieu du camarade, je n'ai plus à te faire que l'adieu du chrétien : cet adieu sera la prière, pour laquelle je m'unis à tous ceux qui t'ont aimé, et à la pieuse famille qui te pleure.