Ferdinand GAUTIER (1838-1908)


Gautier, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1860). Ingénieur civil des mines.


Publié dans le Bulletin de l'Association des anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris, février 1909.

Notre Association vient de perdre un de ses membres les plus distingués, les plus sympathiques et les plus dévoués : notre excellent camarade Ferdinand Gautier vient de mourir à l'âge de 70 ans, à Constantine où il avait été demander, il y a quatre ans, au climat de l'Algérie, le rétablissement de sa santé.

Dès sa sortie de l'École, en 1863, Gautier fut attaché à la Compagnie des Forges de Terrenoire, d'abord à Bessèges, puis à Terrenoire, où il joua un rôle important dans les découvertes métallurgiques qui rendirent cette usine fameuse à cette époque. Puis il vint à Paris en 1874 et ne quitta cette Compagnie que pour devenir secrétaire du Comité des Forges de France, fonctions qu'il occupa avec distinction pendant quelque temps. Mais cette situation officielle ne suffisant pas à son activité, il reprit son indépendance pour fonder dans le Pays de Galles, dans les usines de la Pyle Works Company limited, à Blaina et à Pyle, la métallurgie du ferro-manganèse, inconnue jusque-là en Angleterre.

Pendant ce temps, Gautier ne cessa pas ses travaux, il se livra spécialement à l'étude des perfectionnements qui, depuis quarante ans, ont révolutionné l'industrie du fer et de l'acier, par l'accession dans les alliages du manganèse, du silicium, du chrome, au métal principal auquel ils communiquaient des qualités nouvelles.

De fréquents voyages en Russie, en Suède, en Angleterre, en Allemagne, avaient permis à notre camarade d'étudier sur place les progrès réalisés à l'Étranger dans ces questions. C'est ainsi que, chose rare pour un ingénieur français, il eut l'occasion de visiter l'usine Krupp, peu après la guerre ; il eut la satisfaction de voir alors que l'industrie métallurgique de nos vainqueurs n'était pas supérieure à la nôtre.

Il a publié, outre un grand nombre d'articles très remarqués, divers opuscules sur ces nouveaux alliages, et on se souvient du rapport très intéressant qu'il rédigea, avec une compétence indiscutée, sur l'industrie du fer et de l'acier à l'Exposition de Dusseldorf.

En 1891, Gautier partit pour le Brésil, où, après avoir inspecté diverses usines de l'État de Sao Paulo, il dirigea, d'abord à Rio de Janeiro, la Compania Industriel, puis à Esperança (État de Minas Geraes), les hauts fourneaux de la Compania Forjas e Estaleiras.

Après trois ans de séjour dans ce pays, notre camarade se rendit au Chili et en Bolivie. Il en visita les principales mines d'or, d'argent, de cuivre, d'étain, etc.. Il fit sur la géologie de ces pays, sur leur développement industriel et sur leur avenir économique, des études consciencieusement documentées, dont quelques articles ont paru dans nos bulletins, et qui se trouvent réunies et exposées d'une façon remarquable dans son livre Chili et Bolivie, publié en 1906.

C'est pendant son séjour au Chili qu'il fut amené par ses études Sur les petits métaux (l'or, l'argent, le cuivre, l'étain, etc.), à connaître l'existence d'un nouveau procédé métallurgique qu'un Anglais, M. W. L. Austin, venait d'inventer aux États-Unis et qui est connu sous le nom de « pyritic smelting ».

Avec une rare clairvoyance, il saisit toute l'importance de cette méthode élégante et simple, qui, par une fusion oxydante, utilisant la chaleur dégagée par la combustion du fer et du soufre contenus dans les minerais pyriteux et cuprifères, donnait en une seule opération une matte susceptible d'être affinée, dans le sélecteur David, par exemple. Auparavant, on était obligé de procéder à un grillage suivi d'une fusion réductrice, d'où résultaient des manipulations coûteuses et une consommation plus élevée en combustible. Pour appliquer ces idées nouvelles, Gautier se rendit en Bolivie où il fit, en collaboration avec son fils, des essais couronnés de succès, à Potosi, puis à Poopo.

Je ne vous parlerai pas des grandes difficultés qu'ils eurent à surmonter pour réussir cette métallurgie délicate dans une région aussi primitive qu'étrange, à quatre mille mètres d'altitude, avec des ouvriers inexpérimentés, appartenant à la race des Incas.

Après la réussite de ces essais, qui eurent pour consécration la délivrance d'un privilège exclusif, de la part du gouvernement bolivien, notre camarade se rendit avec son fils aux États-Unis, en traversant le Pérou et le Guatemala, pour étudier ensemble les derniers perfectionnements qui avaient pu être apportés à cette métallurgie nouvelle, dans ses applications pratiques. Ils restèrent un mois dans ce pays si intéressant au point de vue de l'industrie des mines et de la métallurgie et, tentés par le voisinage relatif du vieux continent, ils rentrèrent en France, après avoir visité le Canada et Terre-Neuve.

Là, presque aussitôt, Gautier trouva l'occasion d'appliquer aux mines de cuivre d'Allah Verdi, de la Société industrielle et métallurgique du Caucase, les connaissances qu'il venait d'acquérir dans des pays si lointains et au prix de tant d'efforts. La mise en marche de ce procédé eut lieu en 1898-99 et je crois qu'il y fonctionne encore.

De retour en France, il ne cessa pas de s'occuper des questions de métallurgie et de mines ; il fit encore un voyage de mission au Brésil, dans l'état de Rio-Grande do Sul, en 1900, puis il continua à s'intéresser aux affaires minières qu'il avait étudiées dans l'Amérique du Sud ; jusqu'au moment où sa santé, ébranlée par les fatigues d'une vie si bien occupée, lui conseilla le repos.

Mais, même en Algérie, il ne perdit pas son activité ; il suivait avec intérêt les travaux et les recherches minières de son fils, formé à son école et qui marche sur ses traces, dans notre colonie d'Afrique. C'est dans cette retraite de Constantine qu'il put achever de publier son étude sur le Chili et la Bolivie.

Avec notre camarade s'éteint une haute intelligence ; à la fois géologue, métallurgiste compétent, ingénieur distingué et fin lettré, parlant plusieurs langues, Gautier avait conservé le caractère aimable grâce auquel il n'avait que des amis; rares sont ceux de son temps qui lui survivent, mais ils ne pourront l'oublier, non plus que ses cadets, auxquels il donnait ses conseils avec tant de bienveillance.

Pour ma part, je perds avec Gautier un collaborateur des bonnes années et un ami de tous les temps.

F. VALTON.