Gonzague Ernest Marie Joseph BOSQUILLON de JENLIS (1915-2000)

Fils de André Marie Anatole BOSQUILLON de JENLIS, directeur dans une compagnie d'assurances, et de Madeleine BOREL de BRETIZEL.
Né le 9 février 1915 à Amiens (Somme). - Décédé le 31 juillet 2000
Marié le 12 août 1941 à Suzanne TRINIAC (1920- 8/8/2016), fille de Jacques TRINIAC et de son épouse née FAURES, et propriétaire du château du CHASSAN.
Père de :

En avril 2013, on dénombre 46 arrière-petits-enfants.

Etudes à Amiens, puis classes préparatoires au lycée Sainte-Geneviève à Versailles. Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1936, sorti classé 58e/231 élèves). Corps des ingénieurs de l'aéronautique.

Ingénieur à l'établissement d'études et de recherches en aéronautique à Toulouse (à partir de 1943), actif dans la Résistance.
A partir de 1950 : chef de section statistiques et expertises au service de la production aéronautique.
1958-1964 : sous-directeur des marchés et de la production aéronautique, chargé des productions franco-allemandes
1964-1966 : responsable de la section armement du CHEAr
1er mars 1966 : ingénieur général de 2ème classe de l'Air
1er août 1969 : ingénieur général de 1ère classe de l'Air (grade équivalant à un général de division)
1966 : directeur de Sup Aéro, qu'il déménage de Paris à Toulouse.
1970-1974 : directeur de l'ENSTA, qu'il crée en fusionnant 5 Ecoles existantes qui formaient des ingénieurs de l'armement. Simultanément, de 1971 à 1974, membre du conseil d'administration de l'Ecole polytechnique.
1974-1976 : chargé de mission à la délégation générale de l'armement.
1976 : retraité.

Distinctions : officier de la Légion d'honneur, commandeur de l'Ordre national du mérite, chevalier des Palmes académiques.


Gonzague de Jenlis vers 1940.
Suzanne raconte que son mari paraissait tellement jeune qu'il fut arrêté par des gendarmes pour présomption de port illégal d'uniforme.



Un exemple : la vie de Gonzague de Jenlis au service des autres »

par le Général Pierre-Marie Gallois

Monsieur André de Jenlis meurt alors que son fils Gonzague, dernier d'une famille de cinq enfants n'a, lui-même, que cinq ans. Très tôt il connaîtra la vie austère du collège des Jésuites d'Amiens, de surcroît, au lendemain de la Première Guerre mondiale et des ravages qu'elle a exercé dans le nord-est de la France. La sollicitude de sa mère doit être partagée entre ses frères et soeurs mais il eût pour exemples ses grands-pères maternel et paternel, l'un amiral, l'autre diplomate, tous deux oeuvrant au service de l'Etat. D'où une enfance studieuse, inspirée par le sens du devoir, mais aussi une extrême sensibilité qu'une éducation dispensée plus longuement par un père eût sans doute quelque peu atténuée et qui fut peut-être entretenue par l'affection de l'oncle et de la tante Molliens.

Restaient donc les études et un plaisir physique, le cheval, exercice dans lequel il excelle, gagnant à 20 ans le concours hippique des grandes Ecoles.

Après les Jésuites d'Amiens, le voici à 17 ans, à Ginette, demi-pensionnaire. Là commença le véritable apprentissage de la vie au contact de nombreux camarades d'origine, d'éducation et de comportements divers. Une grande facilité intellectuelle lui permit de réussir aux examens et cela sans efforts particuliers apparents, avec une souriante indolence qui masquait son avidité de savoir, le désir d'apprendre pour mieux servir.

N'entre pas qui veut à l'X. Gonzague de Jenlis en réussit le concours d'entrée et, de 1936 à 1938 y démontra à la fois ses grandes capacités intellectuelles et ce sens de l'humain qui le désigneront à l'attention du gouvernement pour la présidence des grandes écoles où se forme l'élite scientifique de la nation.

Les témoignages de ses camarades de l'Ecole Polytechnique sont éloquents : « Toujours calme et serein, il supportait sans impatience les bavardages, voire le tapage ou les farces de ses voisins... son ardeur au travail était parfois fluctuante, mais il pigeait vite », écrira l'un d'eux. « Souriant, tu l'es toujours resté malgré les tracasseries, avanies et petites agressions que je t'ai fait subir pendant nos deux années de cohabitation. Ma nature taquine me faisait rechercher le moyen de te mettre en colère, espoir diabolique qui se brisait toujours sur ta patience inlassable et ton indestructible bonne humeur », écrira un autre. Gonzague de Jenlis avait eu la sagesse de prendre l'humanité telle qu'elle est, de respecter autrui sachant amoindrir les effets du mal qui est en chacun de nous pour exalter le bien que nous portons également, et cela au bénéfice de tous.

La formation de l'ingénieur se poursuivit dans l'enceinte de la prestigieuse Ecole tandis que commençait à gronder l'orage planétaire et qu'en France, en écho, l'agitation sociale paralysait la nation, accroissant ses faiblesses. Raisons de plus pour Gonzague de Jenlis pour choisir l'aviation, de faire succéder l'Ecole Supérieure de l'Aéronautique à l'X. Ayant obtenu, à l'entrée à la grande école comme à la sortie, un excellent rang, il fut en mesure de choisir entre les grands corps de l'état, tel le Génie maritime, l'Aéronautique, l'Artillerie navale... Comme sept ou huit de ses camarades il opta pour l'Aéronautique, trois d'entre eux, Vialatte, Richardfoy et Pomaret, rejoignant Gonzague de Jenlis y firent toute leur carrière. Mais les événements internationaux - par exemple la crise de Munich en 1938 - modifièrent le cours normal de l'enseignement supérieur, d'où l'envoi des futurs «ingénieurs - aviateurs à Villacoublay pour y passer les épreuves du brevet d'« observateurs ». Les hostilités ayant été déclenchées contre l'Allemagne, le jeune sous-lieutenant de Jenlis fut affecté à l'une des deux escadrilles de groupe aérien d'observation 4/551 (GAO 551) destiné aux missions de reconnaissance effectuées au profit de la 2eme Division légère mécanique déployée sur le front du nord-est. Il y rencontrera de vieux professionnels de l'air, tels Réginensi et Japy que des raids aériens avaient consacrés et aussi le père Bougerol, truculent franciscain que le rédacteur de ces lignes avait, aussi, bien souvent rencontré sur les aérodromes militaires qu'il fréquentait assidûment. A l'inaction forcée de la « drôle de guerre » succédèrent les courtes semaines d'opérations, la défaite, l'armistice, et le reflux en zone libre. Replié à Salon-de-Provence, Jenlis servit deux mois sous les ordres du général Tétu, ancien commandant de l'aviation française en Afrique du nord - et spécialiste du bombardement - avant d'être envoyé à Toulouse y suivre les cours d'application des deux années de l'Ecole Supérieure d'Aéronautique. S'il fallait retourner sur les bancs de l'Ecole c'est que ces jeunes officiers avaient bien le brevet d'observateur en avion, mais ils n'avaient pu achever le parcours universitaire réglementaire si bien qu'ils devaient revenir à leur Ecole d'application, c'est-à-dire à l'Ecole Supérieure de l'Aéronautique y achever leur formation scientifique et technique.

Pendant les deux années de Sup-Aéro, deux promotions de l'X, la 36 et 37, avaient été regroupées, rejointes par les étudiants civils entrés en ayant réussi les épreuves du concours direct. Si ces derniers bénéficiaient de vacances scolaires, en revanche, les X, d'ailleurs peu nombreux, considérés comme des militaires, recevaient une solde et étaient envoyés « en vacances » soit à Uriage à l'Ecole des Cadres, cela jusqu'à ce que les Allemands envahissent la zone sud, soit à « Jeunesse et Montagne » avant que l'occupation allemande conduise à la « dispersion dans la nature » de toute cette jeunesse, l'Ecole des Cadres que dirigeait Pierre Dunoyer de Segonzac : « Former des hommes, leur faire donner le meilleur d'eux-mêmes alors qu'ils provenaient d'un milieu, où enfants de ¡'après Première Guerre mondiale, ils avaient été ultra-protégés, la réussite scolaire et mondaine primant parfois sur la force de caractère, telle était la leçon de l'Ecole d'Uriage », écrira bien plus tard Madame de Jenlis. A Uriage Jenlis rencontrera Delouvrier, Beuve-Méry, Vedel et retrouvera ses camarades de l'X : Dupré, Lamy, Lecamus, Pomaret, Vialatte, Stauff qui, formeront les cadres de l'industrie aéronautique française, la reconstruisirent après les années d'occupation et la portèrent au pinacle durant les décennies 50 et 60. Encore à Uriage, et deux mois avant de gagner Toulouse, Gonzague de Jenlis épousera en août 1941, à Faverolles (Cantal), Suzanne Triniac donnant au mot « famille » son sens le plus beau et le plus noble.

Au début du mois de novembre 1941, revenus à Faverolles pour la Toussaint et alors qu'ils se promenaient aux alentours, les Jenlis trouvèrent dans les genêts un tract lancé par les avions de la R.A.F., un « Courrier de l'air », démentant la propagande allemande. C'était aussi le cas de la revue « La France Libre », éditée en petit format et dans laquelle les Français de Londres « écrivaient » aux Français de la métropole occupée par un implacable ennemi. Faute de disposer de moyens de reproduction, le tract fut tapé en plusieurs exemplaires à l'évêché de Toulouse que Gonzague de Jenlis distribua dans les boîtes aux lettres des aviateurs repliés dans la région. Apporté à l'abbé Garail, à Toulouse, rejoint dans la résistance par le cardinal Saliège et l'abbé Naurois, ce « Courrier de l'air » venu de Londres fut aussi distribué par lui. « Il faut informer les Français ; accepteriez-vous de distribuer des journaux de les mettre dans les boîtes aux lettres et faire cela discrètement ? », dira, plus tard, le bon abbé à Madame de Jenlis qui, naturellement, s'employa aussitôt à le faire. De même, en 1943, les Jenlis abritèrent des militaires britanniques parachutés et, à plusieurs reprises des enfants juifs sauvés par une soeur de charité qui s'en remettait à Madame de Jenlis du soin de mettre à l'abri ses petits protégées.

Cependant, dans le cadre de l'enseignement dispensé à Sup-Aéro de Toulouse, Gonzague de Jenlis avait été envoyé, avec ses anciens camarades de l'X, ayant choisi l'aéronautique, à l'Atelier Industriel de l'Air de Clermont-Ferrand y passer un CAP de fraiseur (douze heures debout sur une fraiseuse !), puis d'ajusteur. Suzanne de Jenlis s'installa provisoirement à Clermont-Ferrand tenant popote pour les X en stage avec son époux. Toujours discret, se gardant de mettre en avant ses activités au service de la nation, Gonzague de Jenlis, au printemps 1944, souhaita que son épouse aille chercher refuge chez des amis, les Marignan au château de la Pescadoure, lui-même craignant d'être arrêté par la milice. Mais c'est là, au début de juin 1944 que des argousins de la milice firent irruption, maltraitant Madame de Jenlis, brutalisant Hubert de Marignan, le menottant et l'emmenant avec eux à Toulouse où il fut encore tabassé l'accusant de dénonciation.

Même agression, au cours du mois de juin, cette fois à Toulouse Gonzague de Jenlis et l'un de ses amis Henry de Castelet étant menottés et livrés à la Gestapo à Toulouse par des miliciens français. Jetés dans une fosse où ils réussirent à manger et à avaler les lettres qu'ils détenaient et qui étaient destinées au maquis de la Montagne Noire : n'ayant pas été fouillés à temps, les deux hommes furent relâchés après avoir été menacés d'être fusillés sans jugement. Après quelques jours de repos, Gonzague de Jenlis reprit son travail au bassin des Carènes et à la soufflerie d'études aérodynamiques. Mais si Toulouse sera très vite libérée des Allemands, les « résistants » prirent le commandement et l'ingénieur général Champsaur fut remplacé par un contre-maître, les FTP instaurèrent dans la région une sorte de loi martiale qui leur permit de commettre les pires excès. A l'appel de Pierre Berteaux, commissaire de la République, et piloté par le capitaine Laurent, le général de Gaulle se rendra à Toulouse y rétablir l'ordre républicain.

En mars 1945, l'Allemagne capitula et grâce au général de Gaulle, la France, hier vaincue est à nouveau au rang des vainqueurs. Aussitôt le gouvernement provisoire envoie des missions de techniciens outre Rhin y récupérer une part du pillage des ressources françaises et aussi étudier les restes de l'armement du IIIème Reich. Le jeune ingénieur de l'aéronautique Gonzague de Jenlis fait partie de ces missions. C'est ainsi, par exemple, que sera découvert et amené en France le train-bureau d'étude où travaillaient les ingénieurs motoristes de l'équipe du professeur Oestrich, concepteur des prototypes qui donneront naissance à la famille des réacteurs Atar lesquels équipèrent durant un demi-siècle les avions de combat français.

Affecté au Ministère de l'armement, boulevard Victor à Paris, Gonzague de Jenlis rejoint le service des Marchés et la section Expertises et Prix de la production industrielle pour être, ensuite nommé sous-directeur du Service du Matériel et de la production aéronautique. Cette affectation au Ministère de l'Air, devenu plus tard le Secrétariat d'Etat à l'Air lui permit de pratiquer le vol à voile aux Mureaux et, surtout, d'obtenir le brevet de pilote militaire après des séances d'entraînement à Brétigny-sur-Orge et à Villacoublay. Il eût Guillaume comme moniteur qui, en même temps enseignait le vol et la voltige à Jacqueline Auriol. De surcroît, le samedi, les Jenlis allaient à Buc ou à Guyancourt voler sur des avions légers, Pipper-Cup ou Stampe. Mais toujours avide de nouvelles connaissances Gonzague de Jenlis suivit également, durant cette période, les cours du Centre de Préparation aux Affaires. Pendant sa carrière, Gonzague de Jenlis, avec son épouse et ses enfants, consacrait la moitié de ses permissions, en montagne à former des jeunes gens pour qu'ils affrontent avec la force d'âme nécessaire les rigueurs de la société, cela dans des conditions de confort précaires mais fort salutaires pour leur mise en bonne condition physique et morale. Ils ont fait, depuis, leur chemin et n'ont pas oublié les « stages Jenlis ». Ces stages durèrent quatorze ans. A ses obsèques, nombreux de ceux qu'il aida ainsi sont venus, de toute la France, lui témoigner leur reconnaissance...

Après des années d'efforts, l'adoption du Plan Quinquennal aéronautique, en 1950, qui fondait la renaissance de l'industrie aéronautique française sur de nouvelles bases, la France était redevenue une puissance avec laquelle le monde de l'aviation devait compter. Ses ingénieurs proposèrent de fructueuses opérations de coopération à la Grande-Bretagne et à l'Allemagne notamment. C'est ainsi qu'avec Bonn et dans le cadre de l'alliance atlantique la France mit sur pied le programme d'un avion-cargo de plus gros tonnage que le Noratlas du début des années 50. Ce fut l'avion Transall, à construire avec l'Allemagne qui devait en équiper ses formations de transport aérien en parallèle avec la France. Gonzague de Jenlis fut chargé de travailler à l'organisation des études et des fabrications. De même, il fut associé à l'opération franco-britannique Concorde, Sud aviation dessinant la cellule et les Britanniques les réacteurs.

Mais c'est à partir de 1966, lorsque le 1er mars Gonzague de Jenlis est nommé Ingénieur Général de 2ème classe de l'Air et directeur de l'Ecole Nationale Supérieure de l'Aéronautique, que le gouvernement, reconnaissant ses mérites et percevant le parti qu'il pouvait tirer de son humanisme, lui confie la formation des élèves d'une grande école nationale d'ingénieurs, que Jenlis va pouvoir donner toute sa mesure, dépassant la technicité pour bâtir des intelligences et rassembler des connaissances placées au service du pays.


Gonzague de Jenlis accueille le ministre des armées, Michel Debré, boulevard Victor
dans les locaux de SupAéro qui deviennent ceux de l'ENSTA après le déménagement de SupAéro à Toulouse

« C'est en plein vol et sans aucune double commande que j'ai dû prendre le manche de cette prestigieuse école... que vous avez si profondément transformée. J'y ai trouvé la confiance et le total dévouement d'un encadrement scolaire et administratif... il était indispensable que ce haut enseignement ne sacrifie pas tout à la spécialisation... il importe que cette spécialisation s'amorce au bon moment... pour ne pas constituer un obstacle à une compréhension de plus vastes problèmes et qu'une large et solide culture de base libère l'homme des étroites limites du seul savoir spécialisé ». Telles furent les paroles prononcées par Gonzague de Jenlis lors de sa prise de fonctions et en saluant le départ de son prédécesseur, l'Ingénieur général Pierre de Valroger.

Mais, le 21 octobre 1966, Pierre Messmer, ministre des armées posait la première pierre des futures installations de l'Ecole nationale supérieure de l'Aéronautique transférée à Toulouse. L'I.G. Jenlis aura pour mission d'assurer le transfert dans de bonnes conditions. « La première année d'enseignement portera donc sur 1969. Il faut bien admettre, d'ailleurs, comme le disait le ministre à Toulouse, que l'école y gagnera en superficie, en confort et, surtout en installation, ces dernières s'étendront en effet sur une trentaine d'hectares, nous avons 7000 mètres carrés actuellement », déclara, à la revue Entreprise, Gonzague de Jenlis justifiant ainsi cette délocalisation.

Ancien directeur des études à Sup-Aéro, l'ingénieur général Jean Chinal témoigne comme suit de l'oeuvre de Gonzague de Jenlis... « (il) a ouvert à une conception large de la discipline aéronautique, c'est-à-dire comportant à la fois les spécialités «intrinsèques» (comme l'aérodynamique) et les disciplines «coopérantes » (comme l'électronique ou la gestion) consolidant et développant ces dernières (électronique) et même favorisant de toute son autorité le lancement de programmes de formation complètement nouveaux... et en complément facultatif aux formations de base de l'école (automatique, informatique)... Un deuxième axe, à Sup-Aéro, était un travail de réflexion permanent sur ce que représentaient les formations aéronautiques étrangères... Grâce à son initiative des contacts ont été pris avec des pays européens voisins et de technologie avancée dans ce domaine ».

Passionné par le problème de la formation des cadres de la nation, Gonzague de Jenlis résumait comme suit sa pensée :

Ainsi, sera réussi le passage de la formation à la pratique industrielle et commerciale après avoir uni dans un même effort l'université et les grandes Ecoles.

C'est bien ce que précisera l'ingénieur général Jean Chinal lorsqu'il évoquera l'action de Gonzague de Jenlis, directeur de l'Ecole Nationale Supérieure des Techniques avancées et chargé de mission pour l'ensemble des deux Ecoles (ENSTA et ENSA). Tâche bien difficile pour Gonzague de Jenlis que de réussir à regrouper toutes les Ecoles d'application en une seule formation enseignante homogène. Sortant de l'X les quelques jeunes ingénieurs désirant se former aux exigences techniques et scientifiques de l'armement pouvaient choisir le Génie maritime, les Poudres, l'Artillerie navale, etc. et ces grandes écoles d'application tenaient à leur spécificité et s'élevaient contre tout changement. L'ENSTA est la création de Gonzague de Jenlis. Il en a établi les statuts avec l'idée d'y « ouvrir des passerelles » vers les formations extérieures aux Ecoles d'ingénieurs. « Il a lancé et concrétisé très tôt une autre idée, celle de l'admission d'ingénieurs de type non universitaire en France et aussi une autre idée, celle de l'admission directe en seconde année.... d'élèves issus, sous certaines conditions, de formations scientifiques universitaires »... « Il a certainement joué un rôle de précurseur à cet égard » (Jean Chinal).

Entre temps le gouvernement a fait encore appel à l'I.G. de Jenlis pour le transfert de l'Ecole Polytechnique à Palaiseau et l'a chargé de présider la Commission spécialement créée à cet effet.

Gonzague de Jenlis a étudié et décrit l'évolution de la formation intellectuelle et pratique des hommes formant l'élite directrice et constructive de la nation. Il a rappelé d'abord, que depuis la Renaissance jusqu'au milieu du XVIIIème siècle, les Universités ont été le « réceptacle » de toutes les connaissances et de la diffusion, à un milieu restreint, de la culture. Mais, mise à part la médecine, les Universités estimaient qu'il était de leur mission de se tourner vers les applications et les techniques corollaires de leur savoir. Or, avec les prémisses de l'ère industrielle, le gouvernement avait besoin que l'on sache construire des ponts, des canaux, des bateaux, des canons et les Universités ne fournissaient pas les ingénieurs nécessaires, assez spécialisés et assez orientés vers la réalisation de produits, pourtant à portée de leurs connaissances générales. D'où la création de Centres de formation indépendants des Universités. Et c'est ainsi qu'est née l'Ecole des Ponts et Chaussées (1740 ou 1747 ?), l'Ecole du Génie Maritime (1765), l'Ecole Polytechnique (1794), l'Ecole des Mines (1783), les développements de l'ère industrielle augmentant et accélérant le processus de spécialisation scientifique et technique. Ainsi, suivirent l'Ecole Centrale (1840), l'Ecole Supérieure d'électricité (1894), l'Ecole Supérieure aéronautique (1909) et, plus récemment, l'Ecole Nationale Supérieure des techniques avancées (1974). Cette dernière grande école répondant notamment au besoin nouveau créé par la notion de « système d'armes ». A la conception d'armes spécifiques à chaque armée, et particulièrement aux vecteurs qui leur sont nécessaires, a succédé la notion de « système d'armes », l'ingénieur devenant le directeur d'un programme intégrant des composants nombreux et scientifiquement et techniquement différents les uns des autres.

C'est M. Blancard, Délégué ministériel à l'Armement, qui demanda à l'I.G. de Jenlis d'étudier la fusion des écoles dont disposait la Délégation ministérielle à l'Armement, (la DMA) et de la réaliser.

Gonzague de Jenlis a résumé comme suit les étapes de l'entreprise :

Aussi était-il normal que Jenlis devint membre du Conseil d'administration de l'X aux côtés de Giraud, Guillaumat, Schwartz et qu'il présida la Commission des titres d'ingénieurs.

En novembre 1973 Gonzague de Jenlis présenta au ministre Achille Fould, l'Ecole Supérieure Aéronautique transférée à Toulouse et aussi l'Ecole Nationale Supérieure des techniques avancées demeurée à Paris, « ces deux Ecoles vivant en étroite collaboration ... presque comme deux soeurs siamoises », ajouta Jenlis. Et, en mai 1974, c'est à M. Delpech, délégué ministériel, que Gonzague de Jenlis exposa l'origine, le fonctionnement et les objectifs de l'Ecole Nationale Supérieure des techniques avancées. A la fin de la même année, Gonzague de Jenlis adressait dans les termes qui suivent ses voux aux enseignants et aux élèves réunis : ... « L'ENSTA ce n'est pas une usine, une unité de production, nos élèves ne sont pas des produits, mais des hommes - et des femmes, il y en a quelques unes - comme nous tous... le climat, l'ambiance de notre Ecole est l'élément fondamental pour que soit remplie correctement notre mission. L'esprit d'équipe, la compréhension mutuelle, les services rendus réciproquement, voilà ce qui est essentiel... c'est l'esprit et non la lettre stricte qui compte... ». Toujours la même hauteur de vues et la part faite à l'humain au dépens du dogme et de la forme.

A la création de l'ENSTA, Gonzague de Jenlis fit une large place lors d'un dîner-débat au groupe X-Air-Espace qui eut lieu en décembre 1978.

« Le schéma - définissant la future ENSTA - que j'ai, en son temps, proposé au Délégué ministériel et qui fut accepté par lui, résultait de mon expérience acquise à Sup-Aéro et aussi de toutes les concertations, les rencontres très élargies avec les autres Directeurs techniques, les Universitaires et, surtout, avec les employeurs potentiels de nos élèves... Voilà 5 ans qui se sont écoulés depuis la création de l'Ecole... une évolution est sans doute souhaitable. Quelques dilemmes se sont présentés. Ils s'en posent à tous ceux qui s'occupent de formation. Ce furent, par exemple : la durée des études, la part respective du généraliste et du spécialiste, l'importance à accorder à la formation non scientifique et technique, la forme évolutive de la pédagogie, la nature et la durée des stages, la nature du projet de fin d'études etc... Ce sont là quelques réflexions que m'inspire le métier passionnant qui fut le mien. Passionnant parce que notre « produit » était des hommes, avec leur sensibilité, leurs dons, leurs défauts, leur environnement, la sclérose ou l'épanouissement d'une formation antérieure, desséchante ou entraînante, selon les individus ». Et l'Ingénieur Général poursuivait ainsi : « Vous tous, ici, qui êtes pères ou grands-pères d'ingénieurs, d'élèves, garçons ou filles transitant de l'adolescence à l'adulte, vous savez combien nos jeunes pur-sangs souhaitent vivre et prendre le grand large, combien, aussi, il est nécessaire de canaliser leur enthousiasme, mais sans l'inhiber et leur en donner, s'ils en manquent... en peu de mots, mieux les connaître pour mieux les servir et, par la même, contribuer au plan national au meilleur investissement à moyen terme qui est de former des hommes dignes de leurs aînés... ». Gonzague de Jenlis exprimait de cette manière sa double passion : former la jeunesse française pour la placer au service de la collectivité nationale.

Quatre ans auparavant, en octobre 1974, il avait traité de l'ouverture du département des techniques nucléaires au sein de l'ENSTA. « Vous avez, comme moi, suivi les débats parlementaires de la semaine dernière sur la 3eme loi-programme militaire. Et vous avez remarqué... l'accent très marqué, mis sur le nucléaire. Pour les 5 années à venir (1971 -1975) figurent les autorisations de programme (AP) 82 milliards, soit plus du tiers des crédits doivent aller à l'arme nucléaire (à l'époque la France, encore souveraine, pouvait se donner l'armement de son indépendance). Cet effort, voulu par le gouvernement donne un relief particulier à l'ouverture d'un Département de techniques nucléaires au sein de la nouvelle ENSTA... Ce département résulte d'un accord entre l'Administrateur Général du CEA et le Délégué ministériel à l'Armement. Mais il va sans dire que si l'ENSTA apporte sa contribution sur le plan matériel, c'est essentiellement le CEA qui l'anime... Le Conseiller du Département auprès de M. Blancard et de moi-même est le professeur Debiesse... A ce Département est rattaché d'une part, les cours donnés dans l'ancien CSAN (cours supérieur d'armes nucléaires) et, d'autre part, les enseignements relatifs aux questions atomiques qui font maintenant partie de la formation générale des ingénieurs.... Et les structures très souples de l'ENSTA se prêtent bien à ce schéma ». Et c'est ainsi que Gonzague de Jenlis fut chargé de la formation complémentaire des ingénieurs du Génie nucléaire.

Dès le mois d'octobre 1970 Gonzague de Jenlis avait salué en ces termes l'intégration à l'ENSTA du cours supérieur d'armes nucléaires, le CSAN : « L'effort voulu par le gouvernement n'est pas sans donner un relief particulier à l'ouverture d'un Département des Techniques Nucléaires au sein de la nouvelle ENSTA... il s'agit d'une création car nous avons supplanté le cycle habituel d'une formation monolithique par des structures construites autour de plusieurs Départements dans lesquelles les élèves ou les auditeurs vont puiser le schéma de formation correspondant, soit à leur goût, soit à celui de leurs futurs utilisateurs ». Aussi la France doit à Gonzague de Jenlis la réorganisation et le fonctionnement améliorés et adaptés aux exigences du temps de l'enseignement scientifique et technique supérieur de la nation. Indirectement mais fermement il a préparé des milliers de jeunes talents à servir la science, l'économie, l'industrie créatrice du pays. Ce fut sa passion et dans ces exposés dans les cénacles officiels il ne manquait pas de le dire.

Mais l'administration et les missions officielles n'ont pas épuisé son ardeur au service de son prochain. A sa retraite, il s'impliqua dans diverses activités au service des autres à travers les demandes diverses de l'évêché du Cantal : financement et gestion d'asiles d'handicapés et gestion financière des écoles libres et de l'évêché du Cantal.

Le vendredi 4 août 2000, à Faverolles, l'Ingénieur Général de l'armement Jean-Pierre Crestin lui rendit un dernier hommage :











Obsèques de Monsieur l'Ingénieur Général de l'armement Gonzague de Jenlis

Discours du Général Gallois

Château du Chassan, 5 Août 2000

Tout ce que je puis dire, et du fond du coeur, ne peut être à la mesure de l'homme que nous pleurons.

Je fus son compagnon d'armes. Il m'accorda plus que l'amitié : une indulgente confiance.

Confiance que lui fit la communauté scientifique et aéronautique qu'il illustra par son intelligence, son savoir et aussi sa bonté.

Gonzague de Jenlis est entré dans la vie active au moment où la France, en fête, avec légèreté, se comportait comme si elle ignorait les rigueurs de l'Histoire. Après avoir contribué à sa réhabilitation il nous quitte, alors qu'à nouveau, se pose la question du destin national.

Mais en 1936, jeune polytechnicien il entendit gronder l'orage et il se donna pour mission de servir la Science et la Patrie, avec gloire, selon la devise de sa prestigieuse Ecole.

La défaite des armes de la France le surprit à la frontière belge, en escadrille de reconnaissance, où il était observateur. Gagnant la zone libre Jenlis rejoint Aix-en-Provence où il sert sous les ordres du général d'armée aérienne Tétu, qui fut aussi mon chef trois ans plus tôt en Afrique du nord.

Il comprend que pour mieux servir un pays en profond désarroi, il lui faut apprendre encore et toujours, si bien qu'à ses solides connaissances scientifiques il décide d'ajouter l'enseignement de l'Ecole Supérieure d'Aéronautique ; l'aviation sera sa destinée. A Toulouse, il est pris dans les griffes de la gestapo.

Le territoire libéré, l'ennemi à terre, le Ministre de l'Armement confie aussitôt à l'Ingénieur en Chef de Jenlis une délicate mission : rivaliser avec nos alliés recherchant, en Allemagne, les équipes d'ingénieurs qui se rallieraient aux vainqueurs, leur communiquant leur savoir.

Et c'est ainsi que fut conduit, en France, le train, transformé en bureau d'études itinérant, dans lequel travaillaient l'ingénieur Oestrich et ses spécialistes de la propulsion par réaction. En liaison avec la Société Nationale d'Etudes et de Constructions de Moteurs d'Aviation, la SNECMA, Oestrich contribua à la mise au point des réacteurs ATAR qui équiperont les milliers d'avions « Mirage » de l'Armée de l'Air française et d'une vingtaine d'aviations militaires étrangères.

De gauche à droite : Pierre Messmer, Serge Dassault, Gonzague de Jenlis.

Cette photo a été prise à l'occasion du Bal de l'X (bal annuel des polytechniciens, traditionnellement organisé à l'Opéra de Paris), dont Gonzague de Jenlis fut le principal organisateur en 1971.

Généreux dans toute négociation parce que sa nature et le Service de l'Etat le voulaient ainsi, l'Ingénieur en Chef de Jenlis n'en fut pas moins habile et rigoureux lorsque l'intérêt de la nation le commandait. Aussi, le gouvernement lui confia-t-il des taches difficiles.

Au début des années soixante, déjà, son rayonnement dépasse nos frontières. Les Etats-Unis l'invitent au Commandement de leur aviation stratégique, à Omaha, où ils lui confèrent l'accès aux documents secrets et l'entretiennent de certains de leurs projets.

Ce qui n'empêche point l'Union soviétique de l'accueillir dans un Centre spatial, lui montrer ses réalisations, tenir compte de ses appréciations. Belgrade et aussi Tel-Aviv lui soumettront leurs interrogations respectives sur la gestion de leur appareil d'armement.

Ces visites, ces activités si diverses, l'analyse des comportements nationaux spécifiques incitent l'Ingénieur général de Jenlis à veiller à l'âme, à la conscience des hommes qui conçoivent et réalisent les armes de la nation.

Il perçoit d'autant plus intensément les dangers de l'époque luciférienne qui est la nôtre, qu'il sait que ses propres pouvoirs mettent l'homme en péril.

Il faut guider les jeunes ingénieurs, faire de leur passion d'innover un sacerdoce, les alerter sur les perspectives d'un monde, où, à côté d'exploits scientifiques et techniques prodigieux, règne aussi le désordre et le mal, élargir leur culture, leur donner aussi le sens de l'universel, de ses exigences morales.

Aussi, avec le général Aubinière (1912-2001 ; X 1933) fonda-t-il le CHEAr, Centre de formation continue des ingénieurs de l'Armement. Il accepte de diriger l'Ecole Supérieure Aéronautique afín que la formation qui y est dispensée ajoute à la science la force puissante de la morale.

La grandeur du service de l'Etat exige aussi des facilités matérielles. Ce sera le déplacement de l'Ecole Polytechnique du Quartier latin aux belles installations de Saclay auquel, aussi, préside Gonzague de Jenlis. Tout y sera rassemblé pour que s'y forme, harmonieusement, le génie scientifique et technique futur de la nation. Celle-ce lui doit, une part au moins, de l'enrichissement de ce précieux capital.

Après la Nation, après la Patrie, c'est-à-dire aussi la continuation de l'oeuvre de nos grands devanciers, Gonzague de Jenlis s'est consacré à la famille, noyau vital de la société. A la sienne, qui vient de l'entourer d'une inaltérable affection. Dans la mesure où je puis parler au nom de tous ceux qui ont admiré et aimé Gonzague de Jenlis, je me permets de prendre part à leur immense peine. Je sais que vous vous êtes préparés de longue date à l'inéluctable exigence du temps et que vous vous êtes soumis à une autre volonté que celle des hommes.

Mais la grandeur d'âme de celui qui vient de nous quitter, reconnue et proclamée, sera pour les siens une forme de réconfort!

Bien respectueusement je vous dis la gratitude de tous ceux qui l'ont connu et, j'ose dire, du pays, pour l'exemple que nous a donné l'ingénieur général, Gonzague de Jenlis, mon ami.

PIERRE M. GALLOIS








Quelques mots de l'Ingénieur Général de l'armement Jean-Pierre Crestin (X 1961)

Vendredi 4 août 2000

Madame,

Je voudrais, si vous le permettez, au nom du délégué général pour l'armement qui n'a pu être présent aujourd'hui et m'a demandé de le représenter, et en mon nom propre, comme ancien collaborateur de votre mari, témoigner du grand serviteur de l'Etat et de la Défense que fut l'Ingénieur Général de Jenlis.

Les multiples aspects d'une carrière qui fut en tous points exemplaire ont été évoqués ici par d'anciens collaborateurs de votre mari. Aussi je ne parlerai pas de ce qui fut sa dernière oeuvre au service de la délégation générale pour l'armement et à laquelle j'ai eu la chance exceptionnelle de participer sous sa direction, oeuvre dont nous pouvons constater aujourd'hui la réussite remarquable.

L'Ingénieur Général de Jenlis était vers la fin des années 60 directeur de l'école nationale supérieure de l'aéronautique, plus souvent appelée SUPAERO. Le ministère de la défense décida alors et Monsieur de Jenlis fut l'un des principaux initiateurs de cette décision, de regrouper toutes ses écoles de formation d'ingénieurs de l'armement, hors SUPAERO, pour créer l'ENSTA, école nationale supérieure des techniques avancées, et de transférer SUPAERO à Toulouse, capitale de l'industrie aéronautique française.

Ce fut fort justement l'Ingénieur Général de l'armement de Jenlis qui fut désigné pour accomplir cette double tâche simultanée. Débuté en 1968, le transfert de SUPAERO, était achevé en 1972, les autres écoles regroupées à cette même date dans les anciens locaux de SUPAERO, boulevard Victor, les équipes étaient en place, les élèves au rendez-vous, les laboratoires de recherche créés, et les deux écoles prêtes à se développer avec de nouvelles ambitions et à prendre place parmi les toutes meilleures institutions mondiales d'enseignement supérieur de leurs domaines, ce qu'elles sont devenues aujourd'hui 30 ans plus tard, et je suis bien placé pour en témoigner, exerçant actuellement la tutelle du ministre de la défense sur ces deux écoles.

Il convient d'ajouter que cette grande mutation s'est déroulée dans le calme et la bonne humeur, car l'Ingénieur Général de Jenlis avait, outre ses qualités scientifiques et de manager, de grandes qualités humaines ; il savait mieux que quiconque porter son attention sur ses collaborateurs, les motiver pour qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes, tout ceci en usant toujours de la plus exquise gentillesse.

J'ai eu la chance de travailler avec un homme aussi remarquable, je crois aussi qu'il m'honorait de son amitié, et je pense qu'un des sens de sa vie est de nous encourager à poursuivre dans la même voie que lui. Son départ est une grande perte pour nous tous. Acceptez, Madame et toute votre famille, au nom du délégué général pour l'armement et de tous ses anciens collaborateurs, l'expression de mes condoléances les plus sincères. »


Jean-Pierre Crestin (X 1961), ici photographié lorsqu'il était élève à l'Ecole polytechnique. Crestin fit l'une des premières thèses d'informatique en France (1973). Il fut responsable du Comité de la Recherche en Informatique, un organisme qui venait d'être créé par Michel Monpetit au sein de l'IRIA pour financer la recherche civile en informatique.
Par la suite, il dirigea l'ENSEEIHT à Toulouse.
(C) Archives de l'Ecole polytechnique.








TEMOIGNAGES

Bernard de Molliens (X 1936)

« Nos pensées se tournent vers vous, chère Suzanne, en ce moment si proche du douloureux anniversaire du départ de Gonzague. Mais après les peines, les joies, puisque la vie est ainsi faite et vous devez être heureuse du mariage prochain de votre petit fils. Nous vous assurons des voux que nous formons pour le jeune ménage et vous adressons nos sincères salutations, Gonzague bénira cette union qui perpétue son souvenir. Par union de prières nous serons avec vous samedi prochain.

Du plus loin que puisse remonter ma mémoire, je me souviens de Gonzague petit garçon. C'était dans les années 1920. Il devait avoir 6 ou 7 ans. C'était notre première rencontre ou je ne me souviens plus des antérieures s'il y en eut. Un soir, il était costumé en négrillon, et jouait sa partie à la fête du village de Molliens. Sur les tréteaux de l'école, Gonzague chantait « Sur les bords de l'Ohio oh. oh. » et obtenait un réel succès. Il faut dire que c'était un enfant délicieux et sage qui, à Molliens, à la campagne, était dans son élément. Orphelin de père très tôt après sa naissance, il avait été pratiquement adopté ainsi que ses frères et soeurs par le ménage de mon oncle Louis de Molliens. Pour ma tante Cécile, Gonzague, ce bel enfant blond était son soleil. Pour moi, assez espiègle et taquin, Gonzague, d'après ma tante, devait toujours être le modèle à imiter. Il faut dire qu'il se plaisait beaucoup à Molliens, d'abord avec son âne et sa petite voiture ensuite, plus tard, avec la vie à la campagne, la chasse et les amis. Quand nous avions la joie de nous retrouver pendant une quinzaine à Molliens pendant les grandes vacances, Gonzague était pour moi comme mon frère. Cela n'arrivait malheureusement pas assez souvent, à peu près tous les deux ans, je ne me souviens plus exactement, car Rodez était alors éloigné de la Picardie et les déplacements de vacances passablement onéreux.

Pour que je fasse de même, on me donnait en exemple la sagesse studieuse de Gonzague et le travail de l'écolier sérieux au collège de la Providence à Amiens. Et ainsi, de loin en loin, nous nous retrouvions à Molliens pour quelques jours trop vite passés. Ce qu'enfant j'ai toujours trouvé chez lui, c'est sa gentillesse souriante et le fait qu'il était toujours disponible.

Notre intimité ne fut réelle qu'après le bachot lorsque nous nous sommes retrouvés à Versailles. Madame de Jenlis, une bien charmante dame, avait accepté d'être ma correspondante. Elle avait pris un petit appartement près de l'école Sainte G. et j'y retrouvais Gonzague et ensemble, nous augmentions nos connaissances mathématiques ou littéraires, ou dans les sciences physiques ou chimiques pour compléter l'enseignement qu'on nous dispensait à Ginette. Après les soins de l'esprit, venaient ceux du corps par le tennis ou la piscine ou autres occupations saines de potaches de 18 ans. A l'X ensuite, il était mon binôme c'est à dire que nous partagions la même salle d'étude et le même casernement. Je n'ai pas besoin de vous dire combien Gonzague y fut tout de suite, auprès de nouveaux collègues, le bon camarade joyeux, sérieux, serviable qui a laissé chez tous, le bon souvenir dont vous avez apprécié les effets ? Quand je me remémore les années de Versailles et de l'X, j'ai envie de dire comme Montaigne « parce que c'était lui, parce que c'était moi ». Peut-être nos caractères se complétaient-ils ? Mais je n'ai pas souvenir qu'il y eut le moindre heurt ou la moindre brouille entre nous. Etait ce flegme et nonchalance de ma part, était ce bonté et tolérance de la sienne ? Peut être tout cela en même temps mais c'est ainsi. Son caractère joyeux et ferme à la fois y était pour quelque chose.

Après ces années studieuses nos voies ont divergé avec quelques retrouvailles de loin en loin. En particulier à Toulouse pendant la guerre (1941) mais là, je ne raconte pas car vous figurez dans la distribution.

Tout cela est bien vieux, la page est maintenant tournée et il ne reste que des souvenirs. En ce qui me concerne ils sont tous émus et agréables. Et je me dis maintenant ma chère Suzanne, que vous avez eu bien de la chance de partager pendant un temps la vie d'un garçon comme Gonzague. C'est un peu prétentieux de ma part d'écrire cela. On ne juge pas complètement ses amis et Gonzague fut pour moi plus que cela. Et quand je vois l'amitié et l'affection que lui portaient ses proches camarades de l'X et beaucoup qui ensuite ont travaillé auprès de lui, je me dis que moi aussi comme vous j'ai eu de la chance.

Maintenant la vie continue. La famille s'agrandit. Les joies succèdent aux peines et les peines aux joies.

J'ai su que votre santé n'avait pas été parfaite cette hiver. J'espère qu'elle est maintenant rétablie et que vous avez retrouvé le Chassan avec ses joies familiales.

Je m'arrête, ma chère Suzanne, ma prose commence à divaguer à droite et à gauche et les lettres ne viennent plus normalement sous ma plume. Les années de jeunesse sont trop loin.

Heureux mariage dans l'Ain ! Je vous embrasse.









Jack Vattaire (X 1936)

Cher Gonzague,

Je m'adresse à toi directement, comme autrefois : pour moi je sais que tu es toujours présent et que tu m'entendras.

Je saisis cette occasion de te dire ce que je n'ai jamais réussi à formuler en ta présence comme je l'aurais aimé : tu as été pour moi un ami exceptionnellement chaleureux, bienveillant, patient, et mieux encore, indéfectiblement fidèle.

Même lorsque nous étions restés longtemps sans nous voir, j'avais la certitude de pouvoir à tout instant te retrouver comme si nous ne nous étions jamais quittés.

Ton image est pour moi associée à beaucoup de souvenirs, parmi les plus heureux.

Je nous revois vers la fin du mois de juillet 1938, accoudés tous deux à la fenêtre de notre casernement, en haut du Pavillon Joffre, alors que nous faisions notre balluchon pour quitter définitivement l'Ecole qui nous avait réunis pendant deux ans.

J'étais plein de mélancolie, pour ne pas dire d'amertume, à l'idée de quitter ce nid où, en grande partie grâce à toi, je m'étais senti bien au chaud pendant ces deux années. Toi tu étais, comme toujours, optimiste, confiant dans l'avenir, réconfortant, heureux ... Je n'ai pas souvenir de t'avoir vu autrement que souriant.

Souriant, tu l'es toujours resté malgré les tracasseries, avanies et petites agressions que je t'ai fais subir pendant nos deux années de cohabitation. Ma nature taquine me faisait rechercher le moyen de te mettre en colère, espoir diabolique qui se brisait toujours sur ta patience inlassable et ton indestructible bonne humeur.

Une fois, j'ai cru y parvenir : depuis une heure ou deux, j'essayais de susciter un geste d'irritation de ta part en te prenant inlassablement à partie sur quelques thèmes dérisoires comme la juste façon de coller au plafond une marionnette de papier ou de tailler un crayon. C'est finalement notre bon Maj., pourtant presque aussi patient et peu irascible que toi, qui a cédé à l'exaspération et lâché son propre crayon pour me prier vigoureusement de cesser ces insupportables tracasseries ...

Souriant aussi tu le demeurais lorsqu'approchait l'heure d'une interrogation orale que tu allais subir sans l'avoir préparée, sous le prétexte d'un penchant à la paresse dont tu avais la coquetterie de t'accuser.

En définitive, tu te débrouillais toujours pour ramener une note correcte : il eut fallu qu'un examinateur fût bien rustre pour n'être pas sensible à ta gentillesse nonchalante, et à ton aimable finesse.

Une fois même, toute notre Salle en a gardé le souvenir, tu avais demandé à notre bon Maj. (qui savait tout) de t'instruire, avant une épreuve, de la substance d'enseignements sur lesquels tu risquais d'être mis à la question. Tu le fus en effet et, ô miracle !, ta note fut ce jour là supérieure à celle qui fut attribuée, sur le même sujet, à notre Maj. lui-même, qui t'avait si bien instruit ! ...

Cette « paresse » dont tu te targuais si volontiers, cette nonchalance apparente, ce fatalisme souriant, n'étaient qu'un écran derrière lequel veillait un esprit toujours en alerte, toujours curieux et attentif, prompt à saisir l'essentiel d'une situation ou d'un personnage, à l'interpréter avec bienveillance, et à réagir comme il convenait.

Avec toi tout semblait facile, les aspérités étaient effacées, on pouvait se laisser glisser dans le confort d'une vision optimiste et humaniste de toutes choses ...

Surtout, on était certain de pouvoir à tout moment, dans les instants de doute ou de tristesse, trouver auprès de toi le réconfort d'une présence réelle, d'une amitié compréhensive, sincère et chaleureuse ...

Cher Gonzague, comme tu nous manques ! !


L'ingénieur en chef Gonzague de Jenlis est décoré par le général Soulier








Roger Loison (Major de la promo X 1936)

Gonzague et moi nous avons cohabité en Salle et en « casert » pendant les deux ans passés à l'X, ce qui fait environ 11 000 heures, si on déduit les vacances et les dimanches. Nous avons donc eu le temps de nous connaître et de nous apprécier, encore que, par timidité ou par discrétion, nous ne savions presque rien de nos vies hors de l'Ecole.

Il se trouve que les huit cocons de la Salle 38 (où nous atterîmes en première année) sont passés en bloc, sans défection ni addition d'éléments nouveaux, dans la Salle 18 en seconde année. Ces huit cocons sont donc restés pendant deux ans soit côte à côte dans les caserts, soit dos à dos dans les salles, lorsqu'ils étaient penchés sur leurs cours, soit bien souvent face à face dans les moments de détente où ils alternaient les discussions sérieuses, et les plaisanteries.

Ce passage en bloc d'éléments d'une année à l'autre, sans être exceptionnel n'était pas le cas général. Il suppose que régnait entre les huit cocons de la salle 38 une bonne harmonie, malgré la diversité de leur caractère et de leur éducation. Cette harmonie provient pour une large part du caractère et du comportement de Gonzague. Toujours calme et serein, il supportait sans impatience les bavardages voire le tapage ou les farces de ses voisins. Cela ne l'empêchait pas de participer activement aux séances de « mercatage » où nous discutions de tout et de rien. Il était à la fois tolérant et disponible aux autres.

La vie en groupe comporte forcément des moments où les petites manies des uns et des autres avec leur répétition de plaisanteries éculées provoquent un certain agacement. Le calme indéfectible de Gonzague à l'égard de tous contribuait largement à apaiser les tensions.

L'un des huit cocons, taquin et moralisateur, s'amusait à agacer jusqu'à mettre en colère ses camarades afin de leur former leur caractère. Il variait les moyens en fonction du caractère de la victime : par exemple allumer un journal sous la chaise de son voisin pendant que celui-ci était plongé dans l'étude d'un cours ; autre exemple : glisser une mince feuille de papier dans la doublure du bicorne afín d'en réduire le diamètre et de rendre douloureux le port du bicorne. Avec Gonzague, il avait bien essayé divers moyens mais en vain, il se heurtait à son calme inébranlable. Il en fut réduit pour arriver à ses frais, à utiliser des arguments de mauvaise foi, accusant Gonzague de lui avoir volé un crayon. C'est la seule occasion où je vis Gonzague commencer à se mettre en colère.

Son ardeur au travail était parfois fluctuante, mais il pigeait vite. S'il était en retard dans la préparation d'une colle, il lui arrivait souvent de me demander de l'aider car il connaissait mon goût à donner des explications aux autres (on disait : faire un amphi) ; c'est d'ailleurs un moyen efficace, pour bien posséder un sujet que de l'exposer aux autres, surtout lorsque l'autre comprend vite et pose des questions.

A ce point de vue, Gonzague était de loin, mon meilleur élève. Je me souviens d'une colle de géométrie, où il s'en est tiré avec une meilleure note que la mienne, alors que le gros de ses connaissances sur le sujet provenait d'un amphi que je lui avais fait la veille au tableau noir de la Salle 38. On ne saura qui fut le plus satisfait des deux : l'élève ou le professeur ?




Le général d'armée aérienne Michel Fourquet (1914-1992 ; X 1933), ancien chef d'état-major des armées, Mme Fourquet, Gonzague de Jenlis
Photo prise en 1971 à l'Opéra Garnier








Général Pierre Decorse (1913-2005 ; X 1933)

« Trois promos de l'X nous séparaient, c'est peu ! Soixante années ininterrompues de vie d'amitié, c'est une vie !

Il est banal de constater que toute guerre fait croiser et s'enchevêtrer les destins qui s'ignoraient hier encore.

C'est ainsi que nous devînmes, du jour au lendemain, compagnons d'arme au sein de l'escadrille 4/551, héritière de l'Hirondelle, dès les prémices de l'entrée en guerre en 1939. Celle-ci était justifiée par l'invasion simultanée de la Pologne par Hitler et Staline. Dès le début, notre conviction était acquise que l'attitude attentiste observée lors de « MUNICH » était d'un passé révolu.

Notre escadrille brassait un large éventail de professionnels de l'aviation militaire et de réservistes venus de tous les horizons, du père fransiscain BOUGEROL à l'ingénieur de haute technicité. Elle comptait aussi deux pionniers de l'aviation : REGINENSI et JAPY.

La vocation de notre escadrille, observation et reconnaissance, s'exerçait au profit de la 2eme Division légère mécanique, l'unité blindée la plus récente de notre armée. Elle impliquait des échanges très étroits entre notre unité et celles que nous devions appuyer.

Mais en quelques mois ce qui fut appelée la « drôle de guerre », puis les quelques jours de ce qui fut appelé « l'exode », vint la défaite.

C'est alors que nos destins divergent. Le mien, dès le 20 juin 1940 me conduisit outremer pour de très longues activités quatriournelles. Le tien, en France occupée fut plus raboteux. Tu vécus la dissolution de ce qui restait de notre escadrille. La dernière photo de celle-ci, prise à Limoges est la seule en ma possession, qui me restitue la jeune et brillante silhouette du sous-lieutenant de l'Armée de l'Air que je garde en mémoire.

Par la suite, j'ai ignoré totalement les activités de l'homme mûr si ce n'est que j'ai mesuré pleinement le bien fondé du choix dont tu avais été l'objet pour assumer de hautes responsabilités dans les domaines où l'homme prévalait sur la technique.

Lors d'occasions très espacées mais toujours très riches d'échanges notre amitié s'est affirmée et a bénéficié de la découverte au fil des ans de nos foyers respectifs.

Puis vinrent les épreuves de santé que tu dominas avec la force de caractère que je te connaissais.

J'ai vécu personnellement en rêve notre dernière rencontre. Dès mon réveil un certain matin de juin de 1998, j'écrivais : « J'étais dans mon bureau avec un collaborateur. Notre chef de service était GONZAGUE DE JENLIS. Je ne souffrais pas de cette subordination à l'un de mes conscrits de l'X parce que je reconnaissais l'ampleur de ses connaissances. Le rêve a rejoint la réalité ; Gonzague ancien Directeur de « l'école des techniques avancées » a toujours été le meilleur.











André Etesse (décédé en 2002 ; X 1939)

C'est en 1948, nommé à la Section Avion du Service des Marchés et de la Production Aéronautique, que j'ai rencontré Gonzague de Jenlis, alors à la tête de la prestigieuse Section « Expertises et Prix », seul juge de l'état de santé des industriels, tandis que les Trois Mousquetaires (Avions, Moteurs, Equipements) bataillaient dans l'arène en vue d'accords, toujours issus de compromis.

L'on pouvait assister, lors des réunions chez le Directeur, à des psychodrames : je notais la finesse de jugement de mon camarade, mais aussi ses réticences à dévoiler ses sources et à nous communiquer des éléments plus consistants pour éclairer nos négociations.

J'admirais en Gonzague, calme et serein, face à nos protestations indignées !

Cette finesse, jointe au respect de l'autre, marquait son sens de la conversation et de la discussion, car, tout naturellement le contact s'était établi entre les deux familles confrontées toutes deux aux problèmes de la vie.

C'est alors que j'ai pu mesurer une autre composante essentielle de son être : sa spiritualité et sa foi, se manifestant toujours avec tact et discrétion ; par exemple son action bénévole à l'heure de la retraite.

Certains événements ont scellé notre amitié : un voyage aux USA en 1954, une première équipée en Afrique du Nord avec une traversée tumultueuse de l'Espagne.

Si nos destins ont divergé, Gonzague a incarné pour moi le Haut-Fonctionnaire très apprécié sur les problèmes de formation et d'animation des jeunes.

De mon côté, plongé dans l'action et bien sûr le compromis, il est resté une référence.











Jean Chinal (X 1956, Directeur des études de Sup-aéro)

J'ai eu la chance de travailler avec l'Ingénieur Général de Jenlis à l'époque où il a été successivement Directeur de l'Ecole Nationale Supérieure de l'Aéronautique (ENSAe, « Supaéro »), puis, conjointement, Directeur de l'Ecole Nationale Supérieure des Techniques Avancées (ENSTA) et chargé de mission pour l'ensemble des deux écoles. Je l'ai rejoint à l'Ecole Nationale Supérieure de l'Aéronautique, comme Directeur des études, peu de temps après qu'il ait lui-même pris ses fonctions et j'ai travaillé sous son autorité directe dans la période avant et pendant le transfert de l'école à Toulouse (1967-1971). Ensuite, je suis resté en contact très étroit avec lui, ainsi qu'avec mon homologue, après sa prise de fonctions à l'Ecole Nationale Supérieure des Techniques Avancées (1971-1974).

Dans ces deux situations, j'ai été le témoin des initiatives qu'il a prises pour ouvrir sur l'extérieur les deux écoles d'ingénieurs, dont il avait la charge. Elles constituaient pour l'époque des innovations significatives, dans lesquelles ces deux écoles ont joué un rôle important. Ces initiatives se sont développées dans trois directions : l'encouragement en interne à la conception de nouveaux programmes de type post-diplôme, dans des disciplines ressenties comme destinées à former une partie intégrante de la compétence aéronautique future, l'ouverture internationale, et le développement des « passerelles » avec les autres formations scientifiques françaises.

La situation des deux écoles, était assez différente. l'Ecole Nationale Supérieure de l'Aéronautique était une école existante (depuis 1909), qu'il s'agissait de restructurer et d'augmenter quant à ses programmes, à l'occasion du transfert, alors que l'Ecole Nationale des Techniques Avancées, sous ce nom, était de création toute récente, assemblée en fait à partir d'écoles existantes de même niveau, également sous la tutelle du Ministère de la Défense, dont certaines héritières d'une longue tradition, comme l'Ecole Nationale Supérieure du Génie maritime, et qui avait à se doter d'une nouvelle identité. Dans les deux cas, il y avait amplement matière à innover.

Dans le premier cas, celui de l'ENSAe, le travail que j'ai effectué directement sous son autorité avait pour objet la modernisation et l'adaptation de l'école aux besoins prévisibles, à une époque de développement important de l'industrie aéronautique et spatiale en France et dans la perspective du transfert ultérieur à Toulouse. Cette activité, qui me mettait en contact presque tous les jours avec lui, a été occasion de réflexions et d'échanges de vues, constants, intenses et très libres, sur ce qui pouvait être fait, à la fois dans ce contexte technique et industriel, mais également dans celui de la réflexion critique qui a suivi 1968. Les Grandes Ecoles, en effet, tout particulièrement celles de large notoriété comme Supaéro, étaient amenées à s'interroger plus qu'auparavant sur ce qui faisait leur identité, au plan français d'abord, par rapport aux universités, et au plan international ensuite, par rapport aux systèmes de formation étrangers.

C'est ainsi que l'Ingénieur Général de Jenlis, ouvert à une conception large de la discipline aéronautique, c'est-à-dire comportant à la fois les spécialités « intrinsèques » (comme l'aérodynamique) et les disciplines « coopérantes » (comme l'électronique ou la gestion) a oeuvré pour consolider, développer ces dernières (électronique) et même favoriser de toute son autorité le lancement de programmes de formation complètement nouveaux : des cycles de formation à part entière, d'une année scolaire, en complément facultatif aux formations de base de l'école (automatique, informatique). Ces filières, ouvertes soit aux ingénieurs de l'école, soit à des ingénieurs issus d'autres horizons, créées à l'occasion du transfert à Toulouse, ont connu un succès durable. De plus, par le fait qu'elles s'adressaient aussi à des ingénieurs diplômés d'autres écoles, elles ont certainement contribué au brassage des diverses formations existantes en France.


Jean Chinal, ici photographié comme élève de la promotion 1956 de l'Ecole polytechnique.
(C) Archives de l'Ecole polytechnique
Un deuxième axe à Supaéro était un travail de réflexion permanent sur ce que représentait les formations aéronautiques étrangères, et sur ce qui en faisait l'originalité éventuelle par rapport à la nôtre, sachant que la formation française, fortement mathématique et ne passant à la pratique que vers la fin des études, n'était pas forcément la seule susceptible de conduire à de bons résultats. Nos visites ultérieures à l'étranger ne firent du reste que confirmer la variété des approches qui existaient alors en matière de formation aéronautique. Son propos n'était pas seulement d'en tirer des idées utiles à l'évolution de nos propres méthodes, mais de voir si l'on ne pouvait pas coopérer au niveau des échanges d'étudiants, au cours des études ou pendant un projet. Ces idées, aujourd'hui fort répandues, depuis des années de programmes de l'Union Européenne comme Erasmus, l'étaient beaucoup moins à l'époque, à l'exception des formations aux Etats-Unis.

Grâce à son initiative, des contacts ont été pris avec des pays européens voisins, et de technologies avancées en ce domaine. C'est ainsi que nous avons effectué tous deux plusieurs missions de prises de contact et d'information auprès d'organismes en Grande-Bretagne (Cranfield) et en Allemagne (Universités d'Aix-la-Chapelle et de Stuttgart). Elles mettaient en évidence des différences qui ne manquaient pas de nous interpeller, habitués que nous étions au système français, fortement mathématique, avec une lente progression au cours des années d'études, des disciplines théoriques vers les connaissances appliquées . Je me souviens ainsi de notre surprise, lorsque nous nous trouvions en présence à Cranfield d'un projet d'avion de longue durée, regroupant toute une équipe d'élèves, dans des locaux où étaient en évidence des liasses impressionnantes de dessins, plutôt que des tableaux couverts d'équations ; ou lorsque nous pouvions contempler à Stuttgart, avec une certaine perplexité, une installation d'essais de moteurs d'avions, d'une ampleur quasi-industrielle, et pourtant située en plein milieu d'une université. C'était à chaque fois l'occasion de discussions intenses, où nous cherchions à nous assurer que nous avions bien compris correctement ce que nous avions vu et à en formuler les implications.

En ce qui concerne la phase de l'Ecole Nationale Supérieure des Techniques Avancées, à laquelle j'ai été associé de manière plus indirecte, comme indiqué plus haut, il me semble qu'une troisième forme d'action s'est dessinée, et qui mérite d'être soulignée : celle de l'ouverture de passerelles vers les formations extérieures aux Ecoles d'ingénieurs de type ENSTA. Mettant à profit la nouveauté de cette école, et de ses statuts (à la rédaction desquels il s'était intéressé de près), l'Ingénieur Général de Jenlis, qui en était le premier directeur, a lancé et concrétisé très tôt, et certainement parmi les toutes premières des écoles d'ingénieur de type non-universitaire en France, une autre idée, celle de l'admission directe en deuxième année (en plus de l'admission par concours en première année), d'élèves issus, sous certaines conditions, de formations scientifiques universitaires. Cela permettait ainsi d'étendre une pratique, qui n'était pas complètement inconnue, mais réservée jusque-là à des candidats en très petit nombre (surtout officiers) et qui en dernière analyse avaient déjà un diplôme d'ingénieur. Comme directeur de l'ENSTA, l'Ingénieur Général de Jenlis a certainement joué un rôle de précurseur à cet égard. Cette ouverture d'une école d'ingénieurs non universitaire aux universités, au niveau de la formation de base, s'est complétée par des actions menées à l'autre bout du cycle, au niveau des doctorats, lesquelles ont contribué de leur côté à améliorer les « passerelles » entre les formations traditionnelles des Grandes Ecoles et le monde de la recherche universitaire.

Il est à peine besoin de dire que j'ai bénéficier pendant toute cette période, et tout particulièrement celle de Supaéro, d'une grande liberté de réflexion et d'action sur les problèmes qui m'incombaient. C'était là certainement une marque de confiance, que peut apprécier toute personne qui a exercé une responsabilité, et je lui en suis reconnaissant, en tant que chargé à une certaine époque d'une activité, à laquelle j'ai tenté, au cours de plusieurs années, et à ses côtés, de consacrer tous mes efforts. Dans tous nos contacts, j'ai pu apprécier sa courtoisie et sa gentillesse à mon égard. Enfin aussi je garde un merveilleux souvenir de l'atmosphère de curiosité intellectuelle, de discussion inlassable et d'ouverture dans laquelle j'ai pu alors travailler.




L'Ecole polytechnique ("X") est une école militaire, sous l'autorité du Ministre des armées. En novembre 1971, le transfert de cette Ecole du 12 rue de la Montagne Sainte Geneviève, Paris 5ème, vers Palaiseau, est décidé par le gouvernement. Le ministre, Michel Debré, crée une direction de programme ainsi qu'une Commission de surveillance des travaux de transfert (architecture, construction de la nouvelle Ecole, etc.. Fort logiquement, la commission de surveillance des travaux de transfert est placée sous la présidence du "chargé de mission écoles" du ministère, à savoir Gonzague de Jenlis. Ce poste de "chargé de mission écoles" donnera également à l'intéressé la responsabilité d'organiser le transfert de SupAéro à Toulouse, ainsi que de rassembler 5 écoles d'ingénieurs militaires pour former l'ENSTA dont Gonzague de Jenlis sera le premier directeur.



De gauche à droite : Gonzague de Jenlis, Georges Pompidou (alors président de la République), Claude Pompidou, Suzanne de Jenlis.

Cette photo a été prise à l'occasion du Bal de l'X (bal annuel des polytechniciens, traditionnellement organisé à l'Opéra de Paris), dont Gonzague de Jenlis fut le principal organisateur en 1971.


Les médailles que Gagarine a personnellement offertes à Gonzague de Jenlis lors d'un voyage à Baïkonour.
Télégramme de Giscard d'Estaing (X44), ancien président de la République et président de la région Auvergne.

Le ministre de la Défense, Alain Richard, a également adressé un télégramme à l'occasion du décès, qui commence comme suit :
J'APPRENDS AVEC TRISTESSE LE DEUIL QUI VOUS FRAPPE - JE N'OUBLIE PAS LES SERVICES EMINENTS RENDUS AU PAYS PAR L'INGENIEUR GENERAL DE L'ARMEMENT GONZAGUE BOSQUILLON DE JENLIS - (suivi de "condoléances des armées").