Gustave Salomon LÉON (1863-1916)


Gustave Léon, élève de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique

Fils de Alexandre LÉON, négociant, et de Emilie CAHEN. Sa fille épouse le 1/7/1924 M. Niewengloski (1880-1978, corps des mines).

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1881, entré major et sorti classé 3ème sur 218 élèves), et de l'Ecole des Mines de Paris. Corps des mines. Il fut promu inspecteur général de 2ème classe le 30 décembre 1915, peu avant son décès, le 24/7/1916.


Publié dans Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines, juillet-août-septembre 1919 :

Lorsque la nouvelle de la mort de Gustave Léon nous arriva soudainement à Paris, dans le courant du mois de juillet 1916, ce fut, dans le cercle de ses amis et de ses collègues et dans le monde de l'industrie, une consternation générale. Nous le savions à Londres occupé à l'organisation d'un des plus importants services que la guerre ait nécessités : celui de la fourniture à la France des charbons anglais dont elle avait besoin. La confiance du ministre des travaux publics de l'époque, M. Sembat, lui avait valu ce poste, d'une importance primordiale, qu'il était admirablement préparé a occuper. Il s'y était donné tout entier, ne ménageant ni son temps, ni ses efforts pour improviser, avec le minimum de tâtonnements, le fonctionnement de cet organe de liaison voulu par les deux gouvernements.

C'est en plein labeur qu'il tomba, après trenle-huit heures de souffrance, terrassé par une angine de poitrine qui l'enleva à l'affection des siens, le 24 juillet 1916. Il mourait à cinquante-trois ans en pays étranger, après une vie toute de droiture et de travail, frappé à son poste comme tant d'autres Français qui payaient de leur vie, a cette époque tragique, le salut de la Patrie.

Né le 20 mars 1863, Gustave Léon, dès son plus jeune âge, manifeste des dispositions studieuses d'abord dans une petite école de Saint-Mandé, puis, à partir de neuf ans, comme interne à Vanves, où son souvenir s'est toujours conservé. Entré ensuite comme interne au lycée Louis-le-Grand, il récolte dans cet établissement succès sur succès. Le prix de l'sociation des anciens élèves du lycée lui est décerné en 1881, au moment où il se faisait recevoir à la fois à l'Ecole polytechnique avec le n° 1 et à l'Ecole normale (sciences). Il avait obtenu, auparavant, au concours général, en 1880, le premier prix de physique et chimie de la classe des mathématiques élémentaires et, en 1881, le premier prix de physique et le deuxième prix de chimie de la classe de mathématiques spéciales.

C'est dans la même année qu'il recevait la Médaille d'encouragement de l'Association scientifique de France fondée par Le Verrier et celle de la Société Amicale des anciens élèves de l'Ecole polytechnique.

A sa sortie de l'Ecole polytechnique, en 1883, il passe brillamment les licences es sciences physiques et mathématiques.

Nommé ingénieur au corps des Mines le 1er janvier 1887, il fut détaché, sans traitement, de 1886 à 1891, au laboratoire de M. Fouque à l'Ecole des hautes études, tout en poursuivant à la Sorbonne, au laboratoire de M. Lippmann, des études de physique, de chimie et d'électricité. Il suivait en même temps les cours de M. Henri Poincaré à la Sorbonne sur la physique mathématique et les notes prises par lui à cette occasion furent reconnues par le maître si claires et si parfaitement coordonnées qu'elles servirent à la rédaction du cours. Il avait préparé au laboratoire de M. Lippmann et sur les indications de ce savant une thèse très étudiée sur l'ohm, qui était complètement terminée lorsque, sur les conseils de M. Fouqué, il se décida à suivre sa carrière d'ingénieur des mines et à demander un poste en province.

C'est dans ces conditions qu'il est appelé, en mai 1891, au poste d'ingénieur ordinaire des mines à Albi. Il y demeure jusqu'au 1er avril 1895, époque à laquelle, sur sa demande, il est nommé ingénieur du sous-arrondissement minéralogique de Valenciennes, poste qu'il occupa pendant huit ans. Les recherches et dosages de grisou dont il eut à s'occuper l'amenèrent à étudier l'emploi d'un grisoumètre électrique dont la description figura dans les Annales des Mines de juillet 1902. Enfin, il est appelé en juin 1903 à succéder à M. Fèvre, dans le poste d'ingénieur en chef de l'arrondissement minéralogique d'Arras. C'est dans ce poste qu'il eut le triste privilège de procéder à l'organisation des travaux de sauvetage dans les catastrophes de Courrières (1906) et de la Clarence (1912) encore présentes à tous les esprits. Dans ces terribles conjonctures, il se dépense sans compter, restant une fois jusqu'à trente-six heures dans la mine, à Courrières, où il est victime d'une intoxication qui met ses jours en danger. A la Clarence, Gustave Léon fait preuve du même courage. Plusieurs explosions se produisent au cours du sauvetage, pendant qu'à la tête d'une équipe il explore les galeries de la mine : la violence du coup le projette, ainsi que ses compagnons, à terre, lampes éteintes. La mort les épargna toutefois, tandis que, malheureusement, une équipe explorant un étage supérieur succombait tout entière.

Il avait été nommé, le 26 janvier 1906, chevalier de la Légion d'honneur. Cité à l'ordre du jour du corps des mines à la suite de la catastrophe de la Clarence, il reçut la rosette d'officier de la Légion d'honneur le 25 février 1913.

La déclaration de guerre le trouva à Arras où il fut chargé, avec les fonctions de sous-intendant militaire, du service de ravitaillement en charbons. Mais l'avance de l'armée allemande et les bombardement ininterrompus subis par Arras, en octobre 1914, rendent le séjour de la ville intenable et nécessitent le transfert des services publics dans une autre ville du Pas-de-Calais moins exposée.

A partir du 30 octobre, les services de l'arrondissement minéralogique sont transférés à Boulogne-sur-Mer. Là, Gustave Léon reprend, à la tête de ce qui reste des arrondissements minéralogiques du Nord et du Pas-de-Calais, le service du ravitaillement en charbon au milieu de difficultés de toutes sortes créées par l'invasion allemande et les mouvements des armées française et britannique.

Le 12 août 1915, M. Marcel Sembat, ministre des travaux publics, fait appeler Gustave Léon, réclamé en Angleterre par sir Richard Redmayne, sous-secrétaire d'Etat au Home Office, pour lui donner la mission d'établir à Londres le système des licences de charbon. Le choix de Gustave Léon pour accomplir cette mission en Angleterre avait été particulièrement heureux. Il se justifiait par sa grande expérience des choses de l'industrie houillère, et par la connaissance de la langue et des mœurs anglaises dont il avait une longue pratique. Je puis en témoigner, car j'avais eu le plaisir, au cours de l'été de 1884, alors que nous étions tous deux élèves ingénieurs, de faire avec lui un voyage d'étude dans le Devonshire et le Pays de Galles. Ce fut un enchantement d'un bout à l'autre, grâce à l'excellent accueil que nous valut partout non seulement sa connaissance de l'anglais, mais aussi le tact parfait qu'il apportait dans toutes les relations que nous étions amenés à nouer, d'une façons bien éphémère cependant, avec les propriétaires ou les ingénieurs des établissements visités.

Après la catastrophe de Courrières, un grand nombre de savants et de spécialistes étrangers vinrent en étudier, sur place, les circonstances et les particularités. Parmi ces visiteurs, une mention spéciale est due à la délégation anglaise dont faisaient partie M. Atkinson, inspecteur des Mines, sir Cunyngham, sous-secrétaire d'Etat à l'intérieur, et M. Redmayne, directeur des Mines. Gustave Léon se multiplia non seulement pour faciliter à ces distingués visiteur leurs études et enquêtes qui furent tres minutieuses, mais encore pour leur laisser une bonne impression de l'hospitalité française. Il les convia à différentes reprises à son foyer et se prodigua de toutes façons pour leur être agréable.

Le souvenir de cet accueil fut pour beaucoup dans le succès immédiat qu'il obtint à Londres lorsqu'il y vint en mission en 1915.

Comment il y fut apprécié par les autorités anglaises, l'extrait suivant de la lettre adressée à sa veuve par le Président de la Commission internationale de ravitaillement, en témoigne éloquemment. Cette lettre dont nous respectons le style original constitue vraiment un titre d'honneur pour les siens, qui la conservent avec ferveur.

« India House, Kingsway, W.C.
25 th, July 1916.

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« Pendant la période bien courte que nous avons eu le privilège de nous entretenir avec M. Léon, il a vivement impressionné tous ses collègues de son caractère vigoureux et infatigable auquel ne manquait jamais une amabilité infaillible et parfaite. Il vous sera, sans doute même, une consolation précieuse que M. Léon est mort au service de la France, devoir auquel il a apporté un zèle et une capacité dont nous pouvons tous témoigner.

« Signé : Edmond Wylbore Smith. »

Telle fut brièvement résumée la carrière de l'ingénieur profondément attaché au devoir et toujours prêt à se dévouer pour ses semblables, dont nous déplorons aujourd'hui la mort prématurée. Au cours de ces années de service dans le Pas-de-Calais, Gustave Léon connut des heures terribles, mais du moins il eut la consolation de voir, dans ces heures tragiques, tous ses collègues, tous les professionnels de la mine, ingénieurs ou ouvriers, se joindre fraternellement à lui pour combattre le danger.

Sou cœur généreux trouvait dans cette communauté de dévouement non seulement un encouragoment mais une consolation. C'était le temps où, obéissant à une impulsion d'humanité et de solidarité professionnelle, une entreprise du la Ruhr venait offrir aux mineurs français le concours de son équipe de spécialistes sauveteurs et de son matériel spécial pour la lutte contre les gaz. Ceux qui connaissaient superficiellement les Allemands auront pu prendre cette manifestalion comme une preuve de générosité marquant le déclin définitif de leurs desseins guerriers et de leurs instincts destructeurs. Hélas ! peu d'années après, l'irruption violente dans notre bassin houiller des hordes ennemies qui devaient s'acharner, jusqu'à les anéantir totalement, sur nos entreprises industrielles, devait dissiper amèrement cette illusion si jamais elle avait pu naître chez quelqu'un de nous.

En voyant, peu de jours après la retraite des armées allemandes, les ruines accumulées par elles avec rage dans ces régions jadis si prospères, je me disais que les forces mauvaises de la nature, avec lesquelles le mineur est obligé de compter constamment, ne sont pas, à beaucoup près, aussi malfaisantes que celles dont l'organisation allemande s'enorgueillissait de nous imposer l'abominable contrainte. Ceux qui n'ont pas vu les dévastations commises systématiquement par les Allemands dans les mines et les usines du Nord de la France, n'ont aucune idée du degré d'horreur que l'âme la plus impartiale ne peut se dispenser d'éprouver devant les dépravations de la culture germanique. L'arbre se juge d'après ses fruits. Le système soi-disant civilisé qui aboutit à cela voue à une opprobre éternelle le peuple qui a poussé le sadisme dans le mal jusqu'à s'en délecter. (Schadenfreude !)

Tous ces champs de carnage qui s'étendent d'Arras à Valenciennes prouvent qu'il y a entre la science française, dont notre ami Léon pouvait se dire un des membres les plus fervents, et la science allemande qui a formé le manifeste des 93, un abîme infranchissable. Quelle douleur et quelle laideur que tout cela ! ! Comme il aurait été torturé notre cher disparu s'il avait vu ces crimes ! Lui dont l'âme était si irrésistiblement tournée vers le beau, le bon et le juste !

Nourri aux sources d'un pur enseignement classique, son esprit était familiarisé avec les grands penseurs et les grands poètes de tous les temps. Ses interlocuteurs étaient à tout propos émerveillés de l'entendre réciter dans l'intimité, avec une mémoire extraordinaire, des passages entiers de toutes les littératures, faisant alterner une citation de Shakespeare avec une page d'Homère ou de Virgile. Qu'il ait aimé passionnément la nature, lui, Parisien de vieille souche, c'est ce que certaines de ses distractions préférées montrent avec évidence. A Albi, il utilise ses loisirs à cultiver les abeilles et il se complaît à faire abonder, dans le voisinage de son rucher, les plantes qui lui donneront le miel le plus fin.

Je me souviens encore d'une lettre qu'il m'écrivait alors et dans laquelle, faisant allusion aux belles prairies qui couvrent le lias de la Franche-Comté où les hasards de la carrière administrative avaient fixé momentanément ma résidence, il disait m'envier les fleurs de ces prés éminemment favorables à l'apiculture.

Plus tard, à Arras, cherchant en vain à s'évader d'une douleur qui ne devait finir qu'avec ses jours, douleur causée par la mort d'un fils bien-aimé en qui il avait placé toute sa prédilection, il s'applique à chercher la reproduction artificielle de la perle. Par d'adroites synthèses, il parvint à obtenir sur des plaques de verre des dépôts d'aragonite possédant un orient superbe : et il put croire un instant qu'il touchait au but, mais il restait à trouver le moyen de donner à ces dépôts l'épaisseur et la cohésion nécessaires, ce que la mort, survenue trop tôt, ne lui a pas permis de faire.

Je me rappelle qu'un soir à Arras, à son foyer, après l'avoir beaucoup prié, car il était aussi modeste que savant, il consentait à me montrer des fragments de perles artificielles qu'il était parvenu à préparer récemment. J'étais charmé par l'irisation chatoyante de ces spécimens et je lui rappelais les recherches qu'il avait faites au début de sa carrière, dans le laboratoire du physicien Lippmann sur la constitution de la lumière. Les rayons doux et discrets de la lampe familiale qui venaient mourir et se décomposer sur la petite perle que nous examinions ensemble, entourés de sa compagne dévouée et de ses chères filles, ces rayons me paraissaient se confondre avec le rayonnement même de sa pensée si claire et si séduisante : et c'est ainsi, dans le cadre intime de ce tableau familial où il était en même temps que tout labeur, toute bonté et toute cordialité, que j'aime à me souvenir de lui.

François Villain.