TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.III (1989)

Jacques SIGAL
Présentation d'ouvrage :
"Les recherches sur les Foraminifères fossiles en France des environs de 1930 à l'immédiat après-guerre ou : avant l'oubli".

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 22 novembre 1989)

(Société Géologique du Nord, Publication n.16, Villeneuve-d'Ascq, 1989, 107p.).

Cet ouvrage relate l'histoire des recherches effectuées par des spécialistes ou des géologues français au cours de la période de quinze années qui a pris fin avec le second grand conflit mondial. A vrai dire, l'idée première avait été, en 1984, celle d'une conférence à paraître dans les "Travaux" du COFRHIGEO ; mais très vite apparut que, sauf à n'exposer qu'un choix décousu et anecdotique, il y avait matière à une étude plus ample. De ce fait, celle-ci devenait trop volumineuse pour trouver place dans lesdits "Travaux" ; l'accueil chaleureux manifesté par nos collègues de l'Université de Lille et de la Société géologique du Nord a permis d'aboutir à la présente "Publication n°16".

La fin de la guerre se justifie comme date limite : l'intensification des recherches cartographiques et industrielles, l'augmentation donc des "demandeurs", le contact renoué avec la communauté internationale marquent en effet un tournant décisif. Les "environs de 1930" voient, quant à eux, l'achèvement ou la mise en train de thèses significatives signées de futurs "ténors" en ce domaine, alors qu'allait peu à peu se retirer celui, Henri Douvillé, qui y jouait un rôle dominant depuis près de 40 ans ; en outre l'irruption des "petits" Foraminifères va entraîner la constitution des premiers laboratoires industriels (Chérifienne) et universitaires (Strasbourg) spécialisés.

Les premières pages visent à reconstituer le cadre institutionnel et technique de ces recherches (ou, si l'on veut, le cadre dans lequel devait évoluer un jeune lycéen décidé à orienter sa carrière vers cette discipline paléontologique). Divers composants sont examinés : cadre universitaire ou scientifique, livresque (ouvrages, traités), technique (méthodes de préparation, de figuration), documentaire (revues, fichiers).

L'essentiel est ensuite bien entendu consacré aux acteurs (individus, mais aussi laboratoires spécialisés), que l'auteur a côtoyés, dans leur quasi-totalité, après la guerre et dont il a recueilli les témoignages. Ainsi est-il à même de meubler et d'animer ce cadre en puisant dans la biographie de ces acteurs les faits et gestes qui formèrent la trame de leurs recherches, depuis les raisons et les motivations de leurs spécialisations respectives jusqu'aux nouveautés ou obstacles que leur réservait l'état de la science du moment. La désignation des grands chapitres du texte reflète ce qu'ils furent en la matière : des spécialistes de métier, des spécialistes occasionnels (dont la notoriété venait d'ailleurs), des utilisateurs réguliers, des utilisateurs occasionnels (qui n'eurent à s'intéresser qu'accessoirement à ces fossiles).

La matière scientifique elle-même est analysée sous ses divers aspects et les rubriques sont donc de nature variée, ainsi qu'en témoignent les titres des paragraphes. Bien sûr, la chronostratigraphie est demeurée l'un des deux objectifs essentiels des recherches. Parallèlement se singularisent quelques thèmes généraux autour desquels s'ordonnèrent, souvent assortis de vives controverses, les travaux de certains chercheurs ; par exemple : les remaniements, la limite Crétacé-Tertiaire, les Alvéolines (turoniennes) et la Provence. A l'extrême, comme il a été dit, des thèmes plus modestes sont attachés au nom de tel ou tel géologue devenu occasionnellement un spécialiste et une formule lapidaire caractérisera son apport ; par exemple : Gaston Astre à la poursuite de formes primitives, Jacques Fromaget à la recherche d'une zonation, Yves Milon et les petits du Dévonien et du Carbonifère, Jean-Marie Payard et la redécouverte du Lias.

L'autre objectif essentiel fut évidemment d'ordre zoologique : les grands ensembles familiaux ou génériques, et pas seulement parmi les "grands" Foraminifères généralement plus connus, furent naturellement abordés par les spécialistes proprement dits ; il parait superflu de les citer ici. Mais les spécialistes occasionnels apportèrent là aussi leur contribution ; par exemple : Gabriel Lucas et les Lucaselles et Archiacines, Antoine Bonté et les Orbitammina.

La chronologie demeurant en toile de fond, l'analyse sédimentologique, alors en grand renouvellement, apparaît à plusieurs reprises comme une donnée destinée à devenir fondamentale pour l'étude des associations fossiles. Un chapitre particulier peut même être réservé à ce titre à Lucien Cayeux. Il faut ajouter qu'en retour, l'irruption massive des "petits" Foraminifères au côté des "grands", lesquels avaient jusqu'alors majoritairement attisé la curiosité des micropaléontologistes, a eu pour effet de conduire à voir sous un angle différent (ne fût-ce que parce que l'étude se faisait sur sédiments meubles et non plus sur sédiments figés et en plaque mince) le sédiment et le lien qui unissait celui-ci et son contenu fossile.

Par ailleurs, les découvertes d'ordre biologique, faites par des zoologistes ou des paléontologistes, qui ne firent que côtoyer les Foraminifères fossiles, mirent néanmoins parfois des données essentielles à la disposition des micropaléontologistes, que cela concerne les phases du cycle de reproduction ou l'écologie et les milieux de vie. On reconnaîtra là d'abord une allusion au rôle primordial d'un Jean de Calvez ; mais il ne fut pas seul : Georges Deflandre, Eugène Lacroix, ou encore Henri Derville et Louis Dangeard et les Foraminifères encroûtants ou enveloppants, Mme Lucienne Gauthier-Lièvre et la mer saharienne.

Enfin, l'activité des uns et des autres eut à s'exercer aussi bien dans les régions françaises que dans les territoires outre-mer ou les contrées étrangères. En faire l'analyse permet de compléter l'inventaire bibliographique qui a été l'un des objectifs poursuivis dans cet ouvrage à l'intention des stratigraphes.

Ces quinze années ne sont bien sûr qu'un moment du développement progressif de cette discipline. Mais si celle-ci hérite normalement du passé, déjà combien riche, elle doit être surtout vue en fonction de son devenir et de l'extraordinaire engouement qu'elle suscitera, après les hostilités, pour répondre au renouvellement des besoins, tant cartographiques qu'industriels. A ce titre, cette période est une charnière importante et cela se traduit par une augmentation très sensible du nombre des acteurs, aussi bien que de la variété des thèmes de recherches qui mirent à contribution les Foraminifères fossiles.