TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.II (1988)

Kenneth L. TAYLOR
Les Lois Naturelles dans la Géologie du XVIIIème siècle : Recherches Préliminaires

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO)

(séance du 24 février 1988)

Introduction.

Je voudrais souligner d'emblée le fait qu'en parlant historiquement des lois naturelles dans la géologie du 18ème siècle, j'entends discuter l'ambition de quelques hommes de science d'établir un nombre de vérités générales dans le domaine particulier de la géologie. J'essaierai de vous persuader de l'existence d'une motivation assez forte, au sein de la recherche géologique du 18ème siècle, pour tenter d'organiser les connaissances de la Terre sous forme de généralisations ou de lois. Bien que ceci puisse paraître à quelques-uns une thèse évidente et banale, il me semble qu'en tenant compte de ses conséquences on puisse entrevoir un peu plus clairement le cadre conceptuel dans lequel raisonnaient bon nombre de personnages qui s'intéressaient à des questions géologiques. Et quoiqu'il s'agisse en ce moment d'une étude préliminaire sur ce sujet, je prétendrai que, même si la plupart de ces efforts pour découvrir des faits généraux ont échoué, il ne s'ensuit pas que ces tentatives manquent d'intérêt historique.

Ainsi, je n'entreprends pas la tâche de trouver des liaisons entre la préhistoire de la géologie et la "loi naturelle" : cette pensée ne me serait même pas venue à l'esprit si la question ne m'avait été posée depuis peu par notre Président, F. Ellenberger. Du reste, je n'ai pas l'intention, non plus, d'examiner la perception, au 18ème siècle, de l'application des lois naturelles des sciences physiques aux questions géologiques. En ce qui concerne cette seconde exclusion, il convient cependant d'ajouter que le prestige des lois universelles dans le corpus de la philosophie naturelle a certainement joué un rôle important dans la formation des idées contemporaines sur les lois particulières de la géologie. Premièrement, ces lois naturelles et universelles, témoins du succès de la nouvelle philosophie, servaient d'exemple méthodologique à tous ceux qui voulaient participer à la continuation du renouvellement des sciences, sujet d'orgueil intellectuel au siècle des lumières. En second lieu, les théoriciens de la Terre, les géologues et minéralogistes du 18ème siècle, comme d'ailleurs pratiquement de toute époque, se voyaient généralement dans l'obligation d'accorder leurs prétentions aux lois naturelles admises en sciences physiques et d'éviter des thèses en contradiction avec les principes physiques établis.

Une dernière remarque préliminaire : je n'insiste pas trop sur le mot loi car je ne veux pas lui donner un sens très strict ou technique. Les savants du 18ème siècle dont je m'occupe se servent le plus souvent de termes tels que régularités, et conditions générales ou constantes par allusion aux permanences des entités et des opérations observables qu'ils étudient et qu'ils essayent d'expliquer. J'aurais pu facilement intituler cette communication "Les Régularités de Disposition dans la Géologie du 18ème siècle", ou peut-être même mieux "La Recherche" ... de telles régularités. Mais pour l'instant je garde le mot loi, cela pour quelques raisons concrètes. Je crois en effet que la connaissance des dispositions régulières, imaginées ou véritables, a joué d'une certaine façon essentiellement le rôle de lois particulières en géologie. On voit même l'usage qui est fait du mot loi, pris dans ce sens, dans certains textes de l'époque ; il ne s'agit pas d'une pure invention de ma part (1). Non moins important est le poids méthodologique dont est chargée l'expression loi naturelle, sensiblement plus que ne le sont les termes régularité ou constance. Or, je me propose de traiter aujourd'hui des questions de méthode de la géologie du 18ème siècle. Nous allons certes trouver des liens entre ces questions de méthode et des propositions substantielles. Mais sur une grande échelle, les occupations des géologues du ISème siècle, développées à travers la foi dans les règles ou dans les lois spéciales à la géologie, peuvent avoir une signification historique principalement méthodologique. C'est-à-dire que la forme de la recherche peut parfois compter davantage que le contenu concret du résultat. C'est sur cette orientation formelle de la géologie du 18ème siècle, sous-tendue par l'espoir de découvrir des lois valables, que je désire attirer votre attention pour suggérer qu'elle est digne de notre considération historique.

Les Régularités de Buffon.

Nous commencerons par examiner un trait remarquable de la Théorie de la Terre publiée par Buffon en 1749. C'est bien connu, je crois, que très tôt, dans ce discours, Buffon choisit d'opposer le désordre apparent et superficiel de la Terre, et son organisation plus profonde et significative (2). Si cette facette de sa rhétorique est largement reconnue, j'ai l'impression que l'inventaire des détails de cette organisation soutenue par Buffon l'est moins. Comme il me semble qu'on trouve dans la Théorie de la Terre de Buffon une fascination très claire pour les régularités naturelles, je le prends comme point de départ. J'ai essayé de dresser un tableau synoptique des cas principaux d'ordre présentés par Buffon dans cet ouvrage, c'est-à-dire dans la Théorie et les Preuves accompagnantes. Ce sommaire, quoique incomplet, peut donner une idée de la volonté de Buffon de trouver dans les relations constantes, et surtout dans les régularités de lieu ou de disposition, les clés pour la compréhension de la Terre (3).

Permettez-moi de vous signaler que la taxonomie manifestée dans cet inventaire provisoire est la mienne, et n'appartient pas à Buffon (toutefois, il y a quelque ressemblance entre la classification que j'utilise, et celle rencontrée chez Louis Bourguet, avant Buffon (4)). En partie pour en discuter convenablement, j'ai divisé les régularités énumérées par Buffon en quatre catégories. On a tout d'abord les grands traits de la répartition des continents et des mers. Buffon voit en grand les positions des massifs continentaux et des océans, leurs mesures et leurs orientations sur le globe, et les points communs de leurs formes. Il pense y trouver des exemples abondants d'ordre naturel trop marqué pour être le résultat du hasard. Les axes de chacune des grandes masses continentales, par exemple -les axes des plus grandes longueurs- ne sont pas exactement Mord-Sud, mais présentent une obliquité d'environ 30 degrés. Ces axes, divisent de manière précise les superficies de chaque côté, Est et Ouest. Et chaque masse continentale est décalée par rapport à l'équateur, d'une valeur de 16 à 18 degrés, l'ancien continent (l'Europe, l'Asie et l'Afrique) vers le Nord et l'Amérique vers le Sud.

Dans mon tableau, la seconde espèce de régularité s'applique aux parties des continents et des mers qui composent les grands traits du terrain et du fond de la mer. C'est-à-dire les montagnes, les vallées, les emplacements des fleuves, et les profondeurs des mers. Ici, comme ailleurs, on doit remarquer que certaines relations se présentent seulement comme des tendances -par exemple que les montagnes se situent généralement vers le milieu des continents-tandis que d'autres s'approchent beaucoup plus de l'état de règles invariables.

La troisième catégorie comprend les régularités entre les unités constitutives de la Terre, à des niveaux que nous reconnaîtrions comme stratigraphique, petrologique, ou minéralogique. Ce sont par exemple les couches, les matériaux dont elles sont composées, leurs fentes, et les caractères physiques ou chimiques de ces matières.

Finalement, la quatrième classe se compose de régularités non d'objets ou de matières mais de processus, d'opérations visibles sur la Terre. Ce sont par exemple les mouvements des eaux, surtout des eaux marines, mais sans exclusion des eaux des pluies, des fleuves ; et aussi les actions des vents.

Des Régularités ... de Disposition, et d'Opération.

Pour gagner du temps, au lieu de déballer tout le contenu de cette liste, que vous pouvez parcourir à discrétion, je me permets de faire quelques remarques.

Il est bien sûr impossible de commenter à fond tout ce qu'on trouve dans une liste si longue de propositions. Pour la plupart, je vais laisser de côté les usages particuliers que Buffon fait d'un grand nombre de ces régularités - sa certitude de l'ancien séjour de la mer au-dessus des continents actuels, le façonnement des inégalités topographiques par les courants sous-marins, et la migration des continents et des mers autour du globe, vers l'Ouest, au moyen de l'action des marées et des vents. Ces usages, certes, ne sont pas sans importance. En général, il ne manque pas à Buffon, sûr de lui-même, d'explication d'un phénomène ou d'interprétation de sa présence. L'usage le plus important est peut-être de constater que des effets réguliers témoignent de causes également constantes (5). Mais je crois à propos de remarquer qu'il y a des occasions où Buffon signale franchement qu'il ignore la signification particulière de quelques-unes de ces régularités. Il fait savoir, par exemple, concernant les dispositions des continents, que "Ces rapports peuvent tenir à quelque chose de général que l'on découvrira peut-être, & que nous ignorons" (6). Cela revient à indiquer que les régularités ont une valeur presque en elles-mêmes : on doit les chercher, les collectionner dans l'attente d'en pouvoir déduire un jour des relations cachées, des compréhensions secrètes révélées.

Même si nous avouons que, selon l'opinion personnelle de Buffon, il existe beaucoup moins d'obscurités que n'en admettrait honnêtement un observateur moderne des mêmes faits (Buffon ne néglige guère de considérations qu'il pense pouvoir utiliser à l'appui de son système (7)), il est également vrai que l'interprétation et la réalité, de bon nombre de ces régularités étaient contestées. Le fait capital que je souhaite souligner, c'est, au milieu du 18ème siècle, l'existence dans le langage de la théorie de la terre -de la géologie- d'un certain nombre de régularités prétendues, c'est-à-dire d'un fonds commun d'idées à débattre par le monde géologique.

D'un certain point de vue, tout ceci paraît peut-être conventionnel. N'est-il pas vrai que tout lecteur moderne de la Théorie de la Terre de Buffon est frappé, comme je me souviens de l'avoir été lors de ma première lecture, par le fait que Buffon s'y montre manifestement actualiste ? Qu'il y met l'accent sur les opérations en principe visibles, les processus et les agents naturels qui agissent en général lentement et sont responsables de l'organisation aussi bien que des inégalités de la Terre ? C'est vrai. Et ce n'est pas mon propos de diminuer l'intérêt de cette observation. Mais permettez-moi d'attirer votre attention sur le fait que, parmi les quatre catégories de mon tableau synoptique des régularités de Buffon, il n'y en a qu'une consacrée véritablement aux opérations. A part celle-ci (la quatrième) les trois autres ne concernent pas les processus, mais les régularités entendues comme des conséquences de certaines opérations, peut-être même dans quelques cas des opérations pas encore découvertes ou comprises. Et je pense qu'il est remarquable que la plupart de ces conséquences ou régularités soient des régularités de disposition : tous les exemples des deux premières catégories le sont, et presque tous ceux de la troisième. Ce sont des observations prétendues concernant des rapports de situation, de position spatiale fixe parmi telle ou telle classe d'entités géographiques, géologiques ou rainéralogiques. Peu importe, au moins pour l'instant, si ces régularités sont vraies ou fausses. Ce serait à mon avis une erreur de négliger le fait que la plus grande partie des régularités signalées par Buffon sont celles de disposition statique, accessibles en principe à la perception empirique. Ce sont des constances qu'on peut distinguer des opérations.

C'est sur ces rapports de disposition que je vais me concentrer dans le reste de cette communication. On peut s'apercevoir qu'en soulignant de tels rapports, le théoricien de la Terre se met en position de remonter des effets et de la situation actuelle aux causes et aux états du passé, ces derniers n'étant pas susceptibles (comme les effets) d'observation directe ; ainsi le théoricien répond-il aussi au credo, cher aux savants des lumières, que la science vraie ne dérive que des sensations empiriques et ne s'exprime que par des règles générales.

Si cette prédilection pour les dispositions générales n'était qu'une propriété particulière aux écrits de Buffon, ce ne serait sans doute qu'une curiosité historique. Mais tout en admettant que Buffon représente un cas exceptionnel d'amateur acharné de régularités, je pense que cette préoccupation a été assez répandue et durable, au moins dans les milieux francophones. Si cela est vrai, on peut se poser quantité de questions. D'où vient cette habitude intellectuelle, et comment a-t-elle été perpétuée ? Quelle est sa signification historique ? Quels étaient les rapports entre l'attachement aux régularités et les autres éléments du raisonnement et de l'activité géologique ? Quelles étaient les variantes de cette manière de penser, et quels changements et développements a-t-elle subis ? Si on peut parler d'une tradition de dispositions constantes et de régularités, quel était son destin historique ?

Evidemment, il n'est pas possible de répondre ici à toutes ces questions. Je dois renoncer à présent à examiner les commencements de cette préoccupation, pour m'occuper un peu de la seconde moitié du 18ème siècle. Entre 1750 et 1800, environ, on voit reculer peu à peu la théorie de la terre face à de nouvelles façons de faire la géologie, et il me semble possible que la prédisposition à parler de régularités y prenne part. La tâche historique engage, entre autres choses, à montrer que cette habitude était réellement répandue, et à suggérer comment elle peut avoir joué un rôle dans la métamorphose de l'exercice de la géologie.

Bourguet.

Je ne peux pas me refuser, pourtant, un seul regard rétrospectif vers Bourguet. Il serait possible de plaider la cause de Bourguet comme exemple paradigmatique du rôle central des régularités dans le raisonnement géologique. Le principe des saillants et rentrants qu'il annonce en 1729 est certainement parmi les prétendants les plus discutés au statut de loi de disposition géologique au 18ème siècle. Buffon n'a pas caché qu'il était redevable envers cet auteur huguenot, même si l'usage fait par Buffon de cette règle de correspondance n'est pas fidèle aux intentions de Bourguet (8). Mais Buffon est loin d'avoir été le seul à exploiter ou commenter l'idée de saillants et rentrants constants. J'avoue que c'est cette règle, discutée par Desmarest et tant d'autres dans la seconde moitié du siècle, qui, en premier lieu, m'a fait remarquer la force curieuse des régularités dans la littérature géologique de l'époque. Il m'a paru étrange, mais peut-être est-ce un indice d'un élément obscurément significatif, d'observer la poursuite obstinée d'un débat autour d'un principe maintes fois réfuté par la plupart des commentateurs (9). S'ils n'y ont pas cru, pourquoi n'ont-ils pas tout simplement gardé le silence à ce sujet ?

Etant donné que la règle putative de la correspondance des saillants et rentrants jouissait d'un intérêt mal proportionné au nombre de ses adhérents, je voudrais ajouter deux observations avant de quitter Bourguet. En admettant la domination du principe des correspondances parmi les régularités de Bourguet, dans son précis d'une Théorie et dans sa réputation ultérieure, nous devons tenir compte du fait que, chez Bourguet, il y a bon nombre de régularités, et que la plupart reparaissent chez Buffon (celles de Bourguet qui sont reprises par Buffon -soit sans changement, soit légèrement modifiées- sont marquées par un astérisque sur l'annexe que j'ai préparée). Dautre part, Bourguet s'exprime de manière assez formelle sur l'extension des "règles de la Méchanique & de la Géométrie" à la structure du globe, et sur la façon de perfectionner la théorie de la Terre par la comparaison d'observations avérées, par exemple, "sur les hauteurs des Montagnes, sur la disposition de leurs différens Strata, sur l'inclinaison de ces Strata ou Lits 4 l'horizon, sur la pesanteur (sic) spécifique des matériaux donts ils sont composés, ..." et ainsi de suite (10).

Soit dit en passant, cette allusion à la pesanteur spécifique des couches rappelle l'Essai sur l'histoire naturelle de la Terre de John Woodward, qui en fait grand cas (11). Le problème du degré de présence de telles règles dans les théories de la terre depuis la dernière partie du 17ème siècle exige une enquête approfondie, mais j'ose suggérer qu'une tendance à la formulation des régularités de disposition est plutôt naturelle que fortuite dans ces théories. Cette tendance, il me semble, est entièrement compatible avec (et peut-être même demandée par) le caractère fondamental des théories de la Terre, défini et interprété par notre collègue J. Roger (12). Et c'est peut-être le moment de préciser que je suis entièrement d'accord avec un point souligné dans le nouvel ouvrage de Rachel Laudan sur les fondations de la géologie, à savoir qu'à partir de la fin du 17ème siècle le problème n'était pas de choisir entre la théorie et les faits, mais de reconnaître les rapports propres entre la théorie et les faits (13). En tout cas, je crois qu'en étudiant la destinée éventuelle de la préoccupation pour les régularités, nous suivons le devenir d'un trait caractéristique des théories de la Terre, et d'une certaine façon de rechercher des relations justes entre les faits et leur compréhension théorique.

Boulanger.

Revenons à la seconde moitié du 18ème siècle. Je me suis mis dans l'obligation de montrer la présence plus ou moins continue et générale d'un intérêt géologique pour les dispositions régulières. C'est un engagement que je crains de ne pouvoir satisfaire que médiocrement, non seulement par manque de temps mais aussi parce que je n'ai pas encore réussi à revoir et à relire de ce point de vue un nombre suffisant de textes de l'époque. Permettez-moi cependant d'essayer de résumer sommairement quelques résultats de mes recherches.

Commençons avec Nicolas-Antoine Boulanger. Je confie à votre attention un ouvrage peu connu de cet ingénieur, sa Nouvelle Mappemonde publiée en 1753 avec un Mémoire (14). On trouve ici un écho d'une variation des perspectives bien larges de Buffon sur les positions des continents et des mers. Boulanger pense reconnaître que notre monde est divisé naturellement en deux parties, l'une essentiellement continentale et l'autre océanique. Le centre naturel du planisphère continental se trouve, par un heureux hasard, non loin de Paris, à 45 degrés Nord sur le méridien de Paris. Voici un fragment de son commentaire sur la carte elle-même :

"La régularité où (sic) même l'espèce d'affectation avec laquelle les grands continens de l'Amérique et de l'Asie cotoyent le cercle qui les sépare des mers de l'Hémisphère opposé, est telle que l'on ne peut gueres la regarder comme un pur effet du hazard, mais plus-tot comme une disposition conséquente de quelque loy Physique, et de quelques uns de ces faits de la Nature que nous ignorons. C'est ainsi un nouveau Problême dans la Théorie de la Terre que cette Mappemonde offre aux Physiciens de nos jours, dont la solution ne peut être que fort intéressante" (15).

Le Mémoire sur une nouvelle mappemonde explique un peu plus amplement l'assurance ressentie par Boulanger que l'attention portée aux régularités était en train de produire des connaissances sans précédent sur la Terre et son passé. Ceci passe par l'étude de

L'évidence est recherchée plus particulièrement

Boulanger utilise à peu près le même langage dans un écrit peut-être encore plus obscur, un article sur les "Antiquités et curiosités naturelles" en Touraine. Son bref exposé démontre une manière de penser semblable en constatant le fondement de l'accord commun, entre savants de toutes convictions, de l'ancien "séjour des mers sur les continens" : c'est le fait que les "antiquités naturelles" que sont "les trésors de la mer ... sont distribuées par toute la terre avec une uniformité & une régularité si grande dans la position des lits & des couches de pierres & de sables qui les contiennent" (17).

Et la partie de l'article "Déluge" de l'Encyclopédie qui est due à Boulanger discute la forme des "angles alternatifs ... qui se correspondent avec une si parfaite régularité ...". Il conclut que

Le fait que, dans ces publications modestes, Boulanger tire de ces dispositions des conclusions différentes de celles de l'action de ses prédécesseurs tels que Bourguet et Buffon (souplesse de l'écorce terrestre ; des "épouvantables dégradations" au lieu de courants sous-marins pour former la topographie) est d'une certaine façon hors de propos.

Les écrits géologiques inédits de Boulanger étant plus importants que ces courtes publications, la question se pose naturellement de savoir si, dans le manuscrit des Anecdotes de la nature, Boulanger ne montre pas une orientation différente (19). Je vous demande pardon de ne pas répondre maintenant. Je n'ai jusqu'ici que jeté un coup d'oeil au lieu de faire une vraie relecture du manuscrit. Il est vrai que Boulanger paraît y mettre plutôt l'accent sur les irrégularités.

Desmarest.

Un autre personnage chez lequel nous trouvons le fil de cette idée de régularités de disposition, d'un bout à l'autre de sa longue carrière, est Nicolas Desmarest. Le cas de Desmarest, qui m'a occupé un temps plus long que je n'aime parfois l'admettre, est intéressant à plus d'un titre. Sans vouloir vous encombrer ici de trop de détails, je crois pouvoir confirmer que Desmarest a acquis assez tôt un point de vue favorable aux régularités, et cela nettement avant de commencer à faire lui-même des observations géologiques. Il me paraît clair également qu'il adopte cette opinion au moins en partie au nom d'un phénoménalisme newtonien. Cela se voit le mieux dans ses longs commentaires pour la traduction française des Expériences physico-méchaniques de l'anglais Hauksbee, en 1754 (20). Le trait fondamental de ce phénoménalisme est de louer la connaissance des rapports naturels, qu'on établit de façon empirique, sans être obligé d'en connaître les causes. L'article de Desmarest sur la "Géographie physique" dans l'Encyclopédie est rempli de cet esprit (21). Et peu après, dans son introduction à l'étude des faits géologiques sur le terrain, Desmarest saisit immédiatement l'occasion de mettre à l'épreuve quelques régularités qu'il a peut-être apprises de la lecture de Buffon et de Boulanger, peut-être aussi par les leçons de Guillaume-François Rouelle et les promenades d'histoire naturelle de Bernard de Jussieu. Les traces sont conservées dans des manuscrits de quelques voyages d'histoire naturelle datant de 1761 et 1762 (22).

Desmarest s'occupe, par exemple, d'observer les plans inclinés et bords escarpés des rives dans les sinuosités des cours d'eau. Ces caractères de la structure transversale des fleuves et de leurs rivages -c'est à Boulanger que Desmarest peut avoir emprunté cette notion-, lui paraissent témoigner des causes actuelles et lentes de la formation des vallées. Les premières recherches géologiques de Desmarest sur le terrain sont guidées, au moins en partie, par l'espoir de confirmer et peut-être d'étendre quelques rapports, qui lui sont venus, je pense, par un certain aspect des théories de la terre. De cette manière les théories de la terre peuvent avoir encouragé des expériences empiriques en plein air. Et il me semble que la transformation de Desmarest, de scientifique de cabinet en chercheur sur le terrain, est liée à la présence d'une conception qui le portait à croire à l'avance qu'il faut surtout avoir l'oeil ouvert aux régularités.

Trois, quatre, même cinq décennies plus tard, le même souci, de fonder une véritable science de géographie physique sur des données sûres, souvent sous forme de dispositions générales, est évident dans les derniers ouvrages de Desmarest, parmi lesquels l'immense collection sur la Géographie Physique dans l'Encyclopédie méthodique (23). Il est vrai que les exploits de Desmarest les plus mémorables, en Auvergne, sont communiqués au cours des années 70 dans un langage moins expressément marqué par cette préoccupation. Néanmoins, les signes ne sont pas absents. Il nous dit que c'est par la distribution, la correspondance régulière et la disposition des matières volcaniques qu'il se trouve en état de constater l'origine volcanique des basaltes en colonnes et d'établir la distinction entre trois époques de volcanisme (24). A mon avis, il n'est pas excessif de considérer la participation de Desmarest à une tradition de régularités de situation comme un élément majeur de ses réussites géologiques.

Lavoisier.

Ecoutons maintenant Antoine-Laurent Lavoisier, voué aux études géologiques dans sa jeunesse et revenu à ce sujet dans ses dernières années.

Ce passage se poursuit en distinguant des montagnes dont la disposition des couches diffère. En général les fragments et les divers articles de Lavoisier consacrés à la géologie mettent l'accent sur l'arrangement et l'homogénéité des unités intéressantes, aussi bien que sur la volonté de mesurer leurs hauteurs, leurs épaisseurs, et leurs limites, et d'affirmer la constance de leur ordre.

Lavoisier obtient un succès éclatant, en raisonnant sur l'alternance régulière due à des causes différentes de deux espèces de bancs ; et l'explication qu'il révèle lui donne l'espoir de "parvenir à déterminer les principales loix qu'a suivi la nature dans l'arrangement des couches horizontales" (26). Son examen détaillé des bancs pélagiens et littoraux (distinction qu'il emprunte à Rouelle, et qui dépend elle-même d'une disposition régulière de caractères témoignant de conditions différentes) le conduit à imaginer minutieusement les résultats de l'action d'une mer qui, au lieu d'être sédentaire, "sort de son lit pour y rentrer, qui se déplace suivant de certaines loix, et sur-tout en vertu d'un mouvement très-lent" (27). Or, les effets ainsi conçus correspondent précisément aux dispositions étudiées par Lavoisier. L'esprit de régularités ne peut guère se montrer mieux justifié.

De Saussure, James Hutton, et Deluc.

A l'égard des dispositions générales, le cas de Horace-Bénédict de Saussure est instructif. Cet observateur estimé des montagnes nous dit que, dans ses premières tournées, il cherchait des rapports généraux, et qu'il avait même publié un "discours sur la structure des montagnes" fondé sur de telles relations (28). Ses investigations ultérieures l'ont en revanche conduit à devenir plus sceptique envers l'existence de rapports constants et réguliers dans les montagnes. Malgré cette conclusion, de Saussure produit tout de suite plusieurs observations générales qu'il pense être valables, parmi lesquelles on voit quelques points de ressemblance avec l'appareil de régularités avancé par Buffon (29). Désillusionné et probablement frustré dans ses espoirs de voir sortir d'un assemblage d'observations générales une théorie solide et convaincante de la Terre, de Saussure ne peut échapper à ce même cadre de raisonnement. Il semble avoir cru toute sa vie que les montagnes sont l'endroit par excellence pour faire des observations permettant de distinguer les divisions naturelles du globe, en examiner les structures, les situations, les directions, l'ordre et las liaisons (30). De Saussure insiste -et ce n'est pas un point tout à fait banal- sur l'observation du normal et de l'ordinaire et non de l'insolite (31). Il présente ses conseils à d'autres observateurs sous forme d'un Agenda, qui est surtout un inventaire de choses, d'objets à regarder afin d'en découvrir les liaisons (32).

Le contraste avec son contemporain écossais James Hutton est intéressant. Hutton, qui, d'ailleurs, cite longuement de Saussure étudie lui-même les lois avec ténacité (33). Mais pour lui ce sont des lois relatives aux processus, plutôt qu'à la disposition des unités matérielles de la Terre. La grande majorité des régularités qu'il signale, et qu'il développe tout au long de sa "Théorie de la Terre", s'adressent en priorité aux actions et aux opérations terrestres. On pourrait dire qu'au lieu de se concentrer sur des questions de distribution des matières, la clé est pour lui de se demander comment se font les changements. La route choisie par Hutton est nettement différente de celle développée par de Saussure. L'écossais a fait le pari, pour ainsi dire, sur les régularités de ma quatrième classe, celles des opérations. Tandis que de Saussure, avec un grand nombre d'autres sur le Continent, a préféré, il me semble, incliner vers l'autre choix.

Jean-André Deluc, le compatriote de de Saussure (mais qui alla s'établir en Grande-Bretagne au milieu de sa longue et prolifique carrière), participe peut-être moins à la tradition des dispositions générales. Il s'intéresse néanmoins à tout ce qui concerne la terre et son histoire, y compris parfois les régularités. Deluc se méfie de l'idée par laquelle Woodward a été "séduit", à savoir le rapport entre l'ordre des couches et leurs pesanteurs spécifiques (34). Mais en examinant les strates pour réfuter cette notion, il se sent aidé à bien voir "quel est le vrai phénomène qu'il faut expliquer" (35). Et Deluc commence à soupçonner quelques régularités concernant, entre autres choses, l'ordre des couches et les coquilles fossiles qu'on y trouve (36).

Vers une géologie stratigraphique.

Nos collègues, F. Ellenberger et G. Gohau qui ont brillamment montré l'influence des travaux de Deluc sur les idées de Cuvier et de Brongniart, ont formulé dans leur article consacré à ce sujet l'observation suivante :

A mon avis on pourrait ajouter à ce propos très judicieux qu'un aspect formel de ce fil conducteur était déjà entre les mains de ces prédécesseurs de Brongniart et Cuvier, prédécesseurs qui leur ont légué une certaine partie de leur nouvelle démarche.

Il me paraît intéressant que Brongniart et Cuvier, tout en omettant de mentionner Deluc dans leur premier "Essai sur la géographie minéralogique des environs de Paris", se réfèrent à plusieurs auteurs, parmi lesquels Lamanon et Desmarest (38). C'est Lamanon qui a constaté la présence régulière de vestiges d'organismes d'eau douce dans certaines couches gypseuses, et ainsi la "formation lacustre" de celles-ci (39). Et c'est Desmarest, s'intéressant de sa manière caractéristique aux couches de Montmartre pour les distinguer selon leur constitution, leur disposition, et leur configuration, qui a fourni le cadre des divisions de ces couches, auxquelles Cuvier et Brongniart ont apporté l'instrument discriminatif des fossiles et l'idée de les traiter de manière historique (40). Dès qu'on sait qu'ils profitent des travaux antérieurs de Lamanon, Desmarest, et Deluc (entre autres), qui étaient convaincus de l'importance capitale des dispositions générales, on n'est pas surpris de trouver dans l'Essai de Cuvier et Brongniart des paroles qui retentissent des mêmes régularités :

Conclusions

Il ressort de l'exposé précédent les conclusions générales suivantes :

1. Un élément important des traditions de recherches géologiques au 18ème siècle est la préoccupation de reconnaître des régularités ou des lois naturelles. Cette préoccupation prend naturellement place dans l'entreprise générale de la théorie de la Terre, mais elle est capable d'en être détachée, pour s'appliquer à des études limitées. Elle reflète l'empirisme habituel de l'époque, aussi bien que la grande valeur accordée à la réduction de tout savoir en termes généraux. Elle peut répondre aussi à un phénoménalisme de style newtonien. Dans le monde savant francophone, au moins, la recherche des régularités perceptibles paraît une façon attrayante et circonspecte de poursuivre une connaissance empirique de la Terre, évitant l'écueil des conjectures insuffisamment disciplinées.

2. On peut distinguer deux sortes de lois ou généralités putatives, l'une des dispositions et l'autre des opérations. Au 18ème siècle, on est libre de s'intéresser à toutes les deux en même temps. Probablement, personne ne néglige totalement l'une ou l'autre. Mais il n'est pas surprenant qu'il existe souvent une inclination vers l'une ou l'autre. A la différence d'un Hutton (ou, je crois, d'un Lamarck, qui partage le goût pour les processus), on remarque chez quelques autres notables de la géologie entre 1750 et 1800 une certaine préférence pour les dispositions (42).

3. La naïveté de quelques-unes des régularités géologiques proposées au 18ème siècle peut nous amuser, sans doute. Il est plus avantageux, du reste, de tirer de cette naiveté apparente une conclusion concernant les rapports compliqués entre théorie et observation à l'époque où la science géologique est en train de se constituer. Une vue excessivement simpliste des sciences, mais pourtant assez répandue, tient à ce que l'observation se fait directement et sans problème, et que c'est la construction de théories destinées à expliquer les observation qui est difficile. Le phénomène historique du 18ème siècle concernant le goût pour les régularités nous rappelle, il me semble, que l'établissement d'une science de la terre posait des problèmes à la fois de théorie et d'observation. Les espèces d'observations étant théoriquement en nombre infini, il fallait essayer de choisir ou de définir des observations prioritaires ; et il s'agit là d'une action où les facultés empiriques et théoriques ne se démêlent pas facilement. Un grand nombre de savants de bonne foi de l'époque constatent que la théorie de la terre demeure toujours inachevée et sont en outre désagréablement conscients du fait que personne ne peut identifier avec certitude les observations géologiques importantes. Les régularités répondent aux besoins d'un groupe d investigateurs scientifiques pour lesquels les solutions sont problématiques parce que les questions ne sont pas entièrement clarifiées.

4. Dans le monde scientifique de la seconde moitié du 18ème siècle, la détection des régularités de disposition offre souvent l'occasion de tirer des conclusions concernant l'état passé du globe (ou de quelques-unes de ses parties). Les régularités dans l'arrangement des effets visibles, témoins de changements d'un passé qui est forcément inaccessible à nos sens, constituent des données pour des essais répétés d'établissement des connaissances sur les conditions et les changements passés, sur un plan tantôt limité, tantôt général (43).

5. Chez quelques géologues francophones du 18ème siècle l'espoir de formuler ou de découvrir des lois ou généralités de disposition semble avoir encouragé les recherches sur le terrain -le fieldwork si cher aux géologues depuis deux siècles. Comme notre collègue G. Gohau nous le montre dans son excellent livre récent, cela peut paraître défier la logique : si on a des lois, à quoi sert de se donner la peine de voyager et de regarder minutieusement (44) ? Mais ces régularités ne sont pour la plupart pas assez certaines pour engendrer automatiquement l'adhésion. Elles demandent plutôt à être confirmées ou réfutées, ou étendues. En tout cas, dans la seconde moitié du 18ème siècle, la recherche des régularités paraît avoir participé à l'organisation d'une tradition salutaire de recherches sur le terrain. C'est le reproche que je fais, d'ailleurs, au nouveau et très stimulant livre de Rachel Laudan, qui ignore cette tradition, en affirmant que la base empirique de la géologie à la fin du 18ème siècle se situait dans la chimie (45).

6. Avec moins de certitude, je propose un lien historique entre la préoccupation des dispositions générales et la naissance de la nouvelle géologie stratigraphique au commencement du 19ème siècle.
J'aimerais ne pas être mal compris -il serait absurde de prétendre que cette habitude de penser régularité puisse directement et toute seule faire naître un programme d'exposition des successions de formations. Je propose quelque chose de beaucoup moins simple, et de plus modeste. Le jeu des régularités ne pouvait être qu'un seul élément d'un développement complexe. Mais ce jeu permettait, voire encourageait la prise de conscience de différentes sortes d'organisation et de constance, et peut avoir contribué à la reconceptualisation de la géologie au 19ème siècle.

7. Si cette analyse a quelque valeur, elle pourrait permettre d'aider à clarifier la transition de la théorie de la Terre à la nouvelle géologie. Et nous pourrions également découvrir que, dans la seconde moitié du 18ème siècle, la dimension méthodologique de la géologie était un peu plus riche que nous ne l'avions pensé (46).

ANNEXE.

Buffon, Théorie de la Terre (1749)
REGULARITES ET TENDANCES
1. Grands traits de la répartition des continents et des mers.

*  a)-Organisation des continents et des océans du Nord au Sud (la
      Terre "divisée d'un pôle à l'autre par deux bandes de terre & deux bandes de mer")
     (Preuves, art. VI).

   b)-Orientations angulaires des masses continentales, selon leurs plus grandes longueurs ; 
      obliquités spécifiques des axes par rapport à l'equateur (Preuves, art. VI).

   c)-Symétries remarquables des masses continentales, considérées dans leurs positions :
     -vieux système des continents déplacé vers le Nord, 
      nouveau système des continents déplacé vers le Sud,
      par rapport à l'equateur, chacun  d'environ 16 à 18 degrés ; 
     -parties des superficies continentales égales de chaque côté
      des axes de longueur maximales (Preuves, art. VI).

   d)-Une Méditerranée dans chaque masse continentale ; 
      interruption au centre de chaque masse (Preuves, art.XI).

   e)-Les détroits importants généralement orientés Est-Ouest (Preuves, art. XIX).

   f)-Plusieurs grandes parties continentales de forme pointue vers le Sud ; 
     souvent avec détroit, île (Preuves, art.XI).

2. Régularités et tendance de disposition des traits des terres et des mers.
*  a)-Hauteurs des montagnes plus grandes vers l'equateur, moins
     grandes loin de l'equateur (OP, 47, 50 ; Preuves, art. IX).

*  b)-Montagnes situées à l'intérieur des continents (OP,  48 ;
     Preuves, art. X).

   c)-Hauteurs des montagnes en proportion du nombre et de l'importance des fleuves y prenant source 
     ("...points de partage ... pour la distribution des eaux") (Preuves, art.IX, X).

*  d)-Orientations régulières des chaînes de montagnes  ; tendance
     Est-Ouest dans l'ancien continent, Nord-Sud dans le nouveau monde 
     (OP, 47 ; Preuves, art.IX, X).

   e)-Réseaux des chaînes de montagnes ; continuité des chaînes de montagnes, 
     surtout à l'intérieur d'un continent (OP, 54 ; Preuves, art. IX, XI).

*  f)-Angles correspondants des vallées ; règle des saillants et
     rentrants (OP, 47-48 ; Preuves, art. V, VII, IX, XIII ; Concl.).

   g)-Collines opposées de même hauteur de part et d'autre des vallées d'angles correspondants (OP, 48 ; Preuves, art. VII, IX).

   h)-Tendances des fleuves à être parallèles aux montagnes, vers leurs sources ; 
     mais perpendiculaires aux côtes vers leurs embouchures (OP, 48 ; Preuves, art. X).

   i)-Tendance du cours des fleuves à être droit vers les sources et sinueux vers les embouchures (Preuves, art. X).

*  j)-Position des rivières par rapport aux versants : au milieu
     lorsque les pentes sont égales, sinon près de la pente plus raide, en proportion de la différence de pente (Preuves, art. X).

   k)-Profondeur des mers le long des côtes, en proportion des hauteurs des terres adjacentes ;
     les inégalités les plus grandes étant situées près de l'équateur (Preuves, art. IX, XIII).

   l)-Volcans placés dans les montagnes, jamais dans des vallées ou des plaines ;
     foyers des volcans près des sommets, au-dessus du niveau des plaines environnantes ;
     communications souterraines des volcans possibles (OP, 48, 60).

3. Régularités des structures et des matériaux composant la surface et l'écorce terrestres.
   a)-Parallélisme, épaisseur constante des couches (OP, 48, 49, 50, 53, 54 ; Preuves, art. IV, VII, IX, XIII).

   b)-Correspondance des caractères minéralogiques des matériaux, à travers vallées entre montagnes,
     ou à travers détroits entre massifs de terrains (0p, 48 ; Preuves, art. VII, IX, XIII).

   c)-Présence de vestiges fossiles d'organismes marins, dans les roches sédimentaires,
     dans toutes les parties du monde (OP, 48 ; Preuves, art. IV, VIII).

   d)-Coquilles fossiles couchées à plat, parallèles aux couches (Preuves, art. VIII).

*  e)-Similitude entre roche matrice et matière remplissant les fossiles (Preuves, art. VIII).

   f)-Quelques corrélations (faibles) entre roches et sortes de fossiles présents (Preuves, art. VIII).

   g)-Fentes perpendiculaires dans les roches,notamment dans les roches stratifiées (OP, 48, 58 ; Preuves, art. VIII, IX, XVII ; concl.).

   h)-Correspondance exacte des deux côtés des fentes (OP, 59).

   i)-Distances entre fentes variables selon la nature des roches ; orientations des fentes variables selon le caractère des roches 
     (OP, 58 ; Preuves, art. IX, XVII).

   j)-Corrélation générale entre forme topographique et structure stratigraphique : 
     les figures des montagnes suivent les pentes des couches 
     (Preuves, art. VII).

*  k)-Aucune relation directe entre l'ordre des couches et leurs
     pesanteurs spécifiques (contraire à l'opinion de Whiston, Woodward)       (Preuves, art. II, IV, VII, VIII).

4. Régularités des processus, des opérations perceptibles.
*  a)-Mouvement général des eaux des mers, par le flux et reflux,
     de l'Est vers l'Ouest (OP, 51, 55 ; Preuves, art. XII).

   b)-Effet croissant de ce mouvement en approchant de l'équateur ; mouvement des eaux vers l'équateur (OP, 50)

   c)-Comportement semblable des vents : d'Est en Ouest, plus forts vers l'équateur 
     -augmentant l'effet du mouvement des eaux (OP, 52, 54 ; Preuves, art. XIV, XIX).

   d)-Les mouvements de la mer ne sont pas simplement superficiels :
     transmission de l'agitation à des profondeurs considérables (OP, 52 ; Preuves, art. XIX).

   e)-Erosion des continents par les eaux fluviales (OP, 55, 61).

   f)-Régularités des mouvements des eaux des fleuves :
     -la vitesse d'un fleuve dépend plutôt de la quantité d'eau en amont que de la pente ;

     -la vitesse d'un courant varie selon la profondeur : la vitesse la plus grande se produit aux profondeurs moyennes ; 

     -la hauteur de la surface de l'eau courante varie selon la vitesse (qui réduit l'effet de la pesanteur) ;
      dans un courant rapide, l'eau centrale qui coule plus vite a un niveau plus élevé que celle qui s'écoule vers les bords 
      (Preuves, art. X).
OP = Oeuvres Philosophiques de Buffon, éd. J. Piveteau (Paris, 1954) (ne comporte pas toutes les preuves)
* = cette régularité, ou une variante, se trouve chez Bourguet.

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier mes collègues du COFRHIGEO, de ra'avoir accordé un accueil si amical, et particulièrement M. François Ellenberger et M. Jacques Roger, tous deux très généreux de leurs connaissances, et de leurs livres et documents historiques.

Je remercie également M. Jean Gaudant d'avoir veillé à débarrasser cet exposé de ses erreurs et de ses maladresses linguistiques. Celles qui subsistent sont, bien entendu, de ma propre responsabilité.

NOTES.

1. P.S. Pallas, par exemple, fait allusion dans ses Observations sur la formation des montagnes et des changements arrivés au globe (St. Pétersbourg : De l'imprimerie de l'Académie Impériale des Sciences, 1777) à la liaison présumée des montagnes à travers le pôle arctique, une "continuation qui devient probable par sa conformité aux loix, que la Nature semble observer dans la continuité des chaînes montagneuses du globe .." (p. 12). Selon Pallas, qui cherche dans l'orientation et l'organisation des montagnes des lumières sur les changements que la Terre a subis, "On entrevoit de certaines loix, à l'égard de l'arrangement respectif de cet ordre secondaire d'anciennes roches, par tout les systèmes de montagnes qui appartiennent à l'Empire russe" (p. 27). Lavoisier, aussi, parle des loix de l'arrangement des bancs (voir ci-dessous, notes 25 à 27). Buffon, par contre, fait usage de ce mot dans le sens de règles gouvernant les actions qui façonnent le globe :

La correspondance des angles alternativement opposés est une conséquence "fondée sur les loix du mouvement des eaux & l'égalité de l'action des fluides ..." (p. 451 des Preuves de la théorie de la Terre, même volume).
Les courants de la mer doivent être regardés "comme de grands fleuves ou des eaux courantes, sujettes aux mêmes loix que les fleuves de la terre..." (Preuves, p. 452).
Un langage semblable est repris par l'historien de l'Académie des Sciences, en rapportant une nouvelle découverte, près de Paris, de bancs remplis de coquilles fossiles : "Il est important de multiplier les observations de ce genre ; ce n'est que par une connoissance exacte & détaillée du Globe, qu'on peut parvenir à se former une idée des révolutions qu'il a éprouvées, des causes des changemens qu'on y observe, & des loix suivant lesquelles ces causes ont agi" (Histoire de l'Académie Royale des Sciences, 1779 (1782), p. 12).

2. Théorie de la Terre, pp. 68-69 :

Le paragraphe suivant, par contre, évoque les conditions stables et harmonieuses de la vie sur ces ruines,

3. Voir l'Annexe, à la fin du texte.

4. Bourguet, Lettres philosophiques sur la formation des sels et des crystaux ... Avec un mémoire sur la théorie de la Terre (Amsterdam : Chez François L'Honoré, 1729). Les catégories de régularités chez Bourguet sont au nombre de trois :

5. Buffon dit notamment :

Et un peu plus loin : 6. Preuves, article VI, p. 209. Cette déclaration est précédée de ces phrases :

7. L'une des voix les plus éloquentes pour défendre le principe de l'empirisme, Buffon, n'acquiert toutefois pas lui-même la réputation d'observateur géologique précis. Quelques-uns de ses contemporains considèrent qu'il est victime d'une des faiblesses traditionnelles de la théorie de la Terre, celle du jugement prématuré sur la signification des phénomènes.

8. Bourguet, "Mémoire sur la théorie de la terre", pp. 175-220 de ses Lettres philosophiques (voir n°4). Voir la notice biographique sur Bourguet par François Ellenberger, Dictionary of Scientific Biography, t. XV, (Supplément I), pp. 52-59 (New York, Charles Scribner's Sons, 1978). Tout en critiquant la théorie générale de Bourguet, Buffon loue celui-ci à plusieurs reprises pour sa découverte de la correspondance des angles (notamment dans les Preuves, pp. 193, 321, 324). Buffon déclare même que la correspondance des angles et des hauteurs des collines opposées lui a servi de clé intellectuelle : "... c'est par des observations réitérées sur cette régularité surprenante & sur cette ressemblance frappante, que mes premières idées sur la théorie de la Terre me sont venues..." (Preuves, p. 457).

9. Kenneth L. Taylor, "Natural Law in Eighteenth-Century Geology : The Case of Louis Bourguet", XlIIth International Congress of the History of Science, Proceedings, t. VIII (Moscou, Editions Nauka, 1974), pp. 72-80. Voir aussi l'article récent par Marguerite Carozzi, "From the Concept of Salient and Reentrant Angles by Louis Bourguet to Nicolas Desmarest's Description of Meandering Rivers", Archives des Sciences, t. XXXIX (1986), pp. 25-51.

10. Bourguet, "Mémoire sur la théorie de la terre", pp. 189-190.

11. John Woodward, An Essay toward a Natural History of the Earth (London, Printed for Rie. Wilkin, 1695), en particulier la première partie, pp. 75 et suiv.

12. Jacques Roger, "La théorie de la terre au XVIIème siècle", Revue d'histoire des sciences, t. XXVI (1973), pp. 23-48. Voir aussi, du même auteur, "The Cartesian Model and Its Rôle in Eighteenth-Century 'Theory of the Earth'", in Problems of Cartesianism, éd. Thomas M. Lennon, John M. Nicholas, et John W. Davis, McGill-Queen's Studies in the History of Ideas, n°l (Kingston & Montréal, McGill-Queen's University Press, 1982), pp. 95-125. Selon J. Roger, la théorie de la Terre représente une manière de penser 1) qui dépend en partie du regard post-Copernicien sur la Terre, comme objet autonome, et non plus comme région cosraologique ; 2) qui répond aussi au prestige croissant des sciences physiques et surtout de la nouvelle philosophie mécanique, comportant des principes explicatifs auxquels doit être soumise la Terre dans son ensemble et son histoire ; et 3) qui tend à incorporer les mouvements d'une sensibilité historique, ou plutôt d'un intérêt concernant la génération des choses. Cette analyse pénétrante nous donne trois critères fondamentaux pour une théorie de la Terre : elle doit traiter la Terre comme une entité ou un système cohérent ; elle doit viser aux principes, lois, ou processus principaux auxquels la Terre est assujettie, et qui représentent donc sa nature ; et elle doit rendre raison, de quelque manière, du développement de la Terre ou de ses changements.

13. Rachel Laudan, From Mineralogy to Geology : The Foundations of a Science, 1650-1830 (Chicago, London, University of Chicago Press, 1987), p. 8.

14. (Nicolas-Antoine Boulanger), Nouvelle mappemonde, dédiée au progrès de nos connoissances (Paris, Chés R. J. Julien ; Nuremberg, Au Bureau des Héritiers d'Homann, 1753). Voir l'étude par Paul Sadrin, Nicolas-Antoine Boulanger (1722-1759), ou avant nous le déluge, t. 240 des Studies on Voltaire and the Eighteenth Century (Oxford, The Voltaire Foundation, 1986).

15. Boulanger, Nouvelle mappemonde, texte sur la carte. Le texte intégral est reproduit par Paul Sadrin dans les notes de son édition de L'Antiquité dévoilée par ses usages, par Boulanger, en deux volumes, Annales littéraires de l'Université de Besançon, n° 215 (Paris, Les Belles Lettres, 1978), t. II, p. 43.

16. (Boulanger), Mémoire sur une nouvelle mappemonde (S.l. : 1753), pp. 3-4.

17. Boulanger, "Antiquités et curiosités naturelles", Almanach historique de Touraine pour l'année 1755 (Tours, Chez François Lambert, 1755), sans pagination (4 p.). Je remercie Rhoda Rappaport de m'avoir suggéré la consultation de ces ouvrages de Boulanger.

18. "Déluge", Encyclopédie, t. IV (1754), p. 797b. Ceci est un "Article où tout ce qui est en guillemets est de M. Boulanger" (p. 802a).

19. Boulanger, Anecdotes physiques de l'histoire de la nature, MS 869 de la Bibliothèque du Muséum National d'Histoire Naturelle.

20. Francis Hauksbee, Expériences physico-mechaniques sur differens sujets, et principalement sur la lumière et l'électricité, produites par le frottement des corps. (Traduction de Brémond). Revues & mises au jour, avec un discours préliminaire, des remarques & des notes, par M. Desmarest. 2 vols. (Paris, Chez la Veuve Cavelier, 1754). Voir, par exemple, dans son "Discours historique et raisonné sur les principes & sur les expériences de M. Hauksbe" du t. I, les remarques de Desmarest aux pages xxi-xl ; et ses commentaires dans le t. II, pp. 80-89, 134-136. Desmarest dénigrait l'impulsionnisme cartésien, et admirait le net renoncement des attractionnistes newtoniens à connaître la cause fondamentale de cette force : "Si j'ai eu le bonheur de trouver un module général, auquel je puisse rapporter exactement les effets qui me frappent & qui m'intéressent, qu'importe que je connoisse l'essence & la cause de ce module" (t. II, p. 89). Desmarest donne ici une critique assez longue, d'ailleurs, de la prétention "que les différentes couches sont disposées suivant la pesanteur spécifique des substances" (t. II, pp. 548-555). Mais cela ne l'empêche pas d'accepter comme véritables d'autres régularités, dont la principale est l'existence dans la disposition des couches d'un "rapport si décidé, par rapport à leurs différentes sinuosités, qu'il doit être l'effet d'une cause uniforme" (t. II, p. 554).

21. Desmarest, "Géographie physique", Encyclopédie, t. VII (1757) pp. 613-626. Il affirme (p. 616) que "la vraie Philosophie consiste à découvrir les rapports cachés aux vues courtes & aux esprits inattentifs".

22. "Voyage dans une partie du Bordelois et du Périgord", Bibliothèque Municipale de Bordeaux, MS 721 ; "Remarques de Mr Desmarest (de l'Académie des Sciences) sur la géographie physique, les productions & les manufactures de la généralité de Bordeaux, lors de ses tournées depuis 1761 jusqu'en 1764", Archives Départementales de la Dordogne, MS 26. Le titre du second manuscrit est erroné, les voyages se terminant en 1762. Le contenu géologique de ce second manuscrit est plus intéressant que celui du premier.

23. Desmarest, Géographie-physique, 5 vols. (Paris, H. Agasse, an III (1794)-1828). Le cinquième volume, posthume, n'est pas le travail de Desmarest ; son dernier volume (t. IV) est daté de 1811. Il serait inutile d'essayer de dresser une liste complète d'articles, des quatre premiers volumes, où Desmarest fait appel aux régularités de disposition ; il est difficile de les feuilleter sans en trouver. Je me permets, toutefois, de signaler quelques dispositions générales maintenues par Desmarest dans le domaine des phénomènes des eaux courantes :
-Angles de confluences des rivières par rapport au volume, à la vitesse, et à la pente de leurs eaux ("Affluence", t. II, pp. 182-184 ; "Angle de confluence", t. II, p. 593 ; "Bec", t. III, pp. 99-100 ; "Confluences", t. III, pp. 450-451 ; "Confluens", t. III, p.451) ;
-Règles des changements de pente de rivières, selon la distance de l'origine ou de l'embouchure ("Bassins des rivières de France", t. III, pp. 68-73 ; "Fleuves", t. IV, p.176) ;
-Distribution méthodique des débris fluviaux de différentes dimensions ("Crémens du Rhône", t. III, pp. 544-546 ; "Eau", t. IV, p. 5).
Pour Desmarest, l'intérêt spécial de tels effets est justifié par un principe de méthode, par lequel on interroge le passé à l'envers, à partir des changements les plus récents. Ainsi :

24. Desmarest, "Mémoire sur l'origine & la nature du basalte à grandes colonnes polygones, déterminées par l'histoire naturelle de cette pierre, observée en Auvergne", Mémoires de l'Académie Royale des Sciences, 1771 (1774), pp. 705-775 ; "Mémoire sur le basalte. Troisième partie, où l'on traite du basalte des anciens ; & où l'on expose l'histoire naturelle des différentes espèces de pierres auxquelles on a donné, en différens temps, le nom de basalte", ibid., 1773 (1777), pp. 599-670 ; "Extrait d'un mémoire sur la détermination de quelques époques de la nature par les produits des volcans, & sur l'usage de ces époques dans l'étude des volcans", Observations sur la physique, t. XIII (1779), pp. 115-126.
Dans son premier mémoire, c'est dans la première partie que le vocabulaire de position est particulièrement visible (pp. 705-725). Dans la seconde partie de cet article, Desmarest développe plus largement sa conception de l'intégrité ancienne des traits physiographiques, avant leur dégradation, ceci très souvent exprimé de même en termes de régularités d'arrangement. Par exemple : "Sur les faces des coupures qui séparoient les collines, j'aperçus d'abord des lits de laves & des rangées horizontales de prismes, qui m'annoncèrent une correspondance très-frappante, par le grain semblable de la pierre, par les mélanges étrangers qu'elle renferraoit, par la forme & le module des prismes ; enfin, par le niveau & le nombre des étages ou des rangées horizontales de ces prismes" (p. 737). Dans la troisième partie, Desmarest pousse même plus loin des rapports entre les régularités de distribution et la connaissance du passé. Ainsi, "... il est aisé de voir dans la disposition générale & régulière de toutes ces couches, qu'elles sont pour ainsi dire, une superfétation postérieure aux laves, & qu'elles n'existoient pas lorsque les laves ont été fondues ..." (p. 645). Dans le vocabulaire de l'"Extrait", ou la disposition, la distribution et les limites des matières, Desmarest considère particulièrement les circonstances des roches, mot un peu ambigu qui paraît comprendre à la fois position et état ou degré d'altération.
Il est intéressant de voir, dans la première mention imprimée de l'origine volcanique du basalte, que Desmarest insiste sur l'orientation des prismes comme régularité indicative des proportions originales de la matière fondue : "De l'examen réfléchi de toutes ces dispositions combinées, M. Desmarest croit être autorisé à conclure que l'axe des prismes est toujours assujeti à la plus petite dimension d'une masse composée d'un assemblage de prismes, de sorte que les bases font partie des plus grandes surfaces de ces masses" ("Basalte d'Auvergne", Règne Minéral, Planche VII, in Encyclopédie, Recueil de planches, t. VI, 1768).

25. Oeuvres de Lavoisier, 6 vols., éd. J.-B. Dumas, E. Griraaux et F.-A. Fouqué (Paris, Imprimerie Impériale / Imprimerie Nationale, 1862-1393), t. V (1892), "Note de géologie", p. 12 (note manuscrite sans date, mais qualifiée par les éditeurs d'"écriture de jeunesse"). Sur l'oeuvre géologique de Lavoisier, voir les articles de Rhoda Rappaport, surtout "Lavoisier's Géologie Activities, 1763-1792", Isis, t. LVIII (1967), pp. 375-384, et "Lavoisier's Theory of the Earth", British Journal for the History of Science, t.VI (1973), pp. 247-260 ; aussi "The Geological Atlas of Guettard, Lavoisier, and Monnet : Conflicting Views of the Nature of Geology", in Toward a History of Geology, éd. Cecil J. Schneer (Cambridge, Mass., M.I.T. Press, 1969), pp. 272-287 ; et "The Early Disputes between Lavoisier and Monnet, 1777-1781", British Journal for the History of Science, t. IV (1969), pp. 233-244.

26. Lavoisier, "Observations générales, sur les couches modernes horizontales, qui ont été déposées par la mer, et sur les conséquences qu'on peut tirer de leurs dispositions, relativement à l'ancienneté du globe terrestre", Mémoires de l'Académie Rovale des Sciences, 1789 (an II), p. 352. Cette phrase suit de plusieurs lignes une autre invocation de lois géologiques : "L'examen des couches horizontales présente encore une autre singularité très-remarquable : le sable et les matières calcaires ne sont point communément mêlés ensemble, ou au moins ils ne le sont que dans les environs du point de contact, dans certains cas, et suivant de certaines loix. La plupart des sables, ceux qu'on nomme sablons, ne contiennent point de terre calcaire, et réciproquement la craie et la plupart des pierres calcaires, prises en plein banc, ne contiennent point de sable ni de terre siliceuse".

27. Ibid., p. 359. Lavoisier conçoit ainsi la possibilité de discerner des règles pour la formation des bancs littoraux : "Mais ce qui pourroit échapper au premier coup-d'oeil, et ce que l'on concevra facilement, cependant, par quelques instants de réflexions, c'est que les matières dont sont formés les bancs littoraux, ne doivent point être indistinctement mélangées, qu'elles doivent être au contraire arrangées et disposées suivant de certaines loix" (p. 356).
En 1766, Lavoisier songe à appliquer un principe chimique découvert par Rouelle à l'interprétation des changements arrivés au globe. En analysant les différentes espèces de gypses selon les distinctions établies par Rouelle, de différentes quantités d'acide dans leurs compositions, Lavoisier fait allusion à une série de masses géologiques qui correspondent aux bandes schisteuses et calcaires de Guettard, et qui diffèrent les unes des autres par un changement méthodique de conditions chimiques. "Nous tâcherons, dit-il, de faire voir que cette variété qu'on observe dans les gypses n'est point l'effet du hasard, qu'elle suit au contraire des lois constantes et invariables, et que cet arrangement même, si bizarre en apparence, tient au système physique de la terre" (p. 129 de "Sur le gypse", in Oeuvres de Lavoisier, t. III (1865) pp. 128-144 ; voir également "Extrait de deux mémoires sur le gypse", pp. 106-110, et "Analyse du gvpse", pp. 111-127).
Pour Lavoisier, l'étude chimique des eaux donne aussi des espérances de connaissances géologiques, d'après la correspondance présumée des eaux et des matières de leurs lieux d'origine: Sfil existe une loi constante, un rapport invariable entre la nature des terrains et celle des eaux qui en sortent, quel guide plus sûr pour le minéralogiste que l'examen des eaux ? N'est-ce pas un moyen de plus qu'il a pour deviner la nature, et tandis qu'elle travaille en secret et se cache soigneusement à nos yeux, les eaux qui découlent sans cesse de son laboratoire ne peuvent-elles pas quelquefois la trahir et nous déceler ses secrets ? ("De la nature des eaux d'une partie de la Franche-Comté, de l'Alsace, de la Lorraine, de la Champagne, de la Brie et du Valois", Oeuvres de Lavoisier, t. III, p. 146).

28. Horace-Bénédict de Saussure, Voyages dans les Alpes, précédés d'un essai sur l'histoire naturelle de Genève, 4 vols. (Neuchâtel, Chez Louis Fauche-Borel, 1779-1796), t. IV, p. 464.

29. Ibid., p. 465.

30. Comparer, dans Voyages dans les Alpes, le Discours préliminaire (t. I, p. i-xxiv) et l'Agenda du t. IV. Sur de Saussuree, voir la notice par Albert V. Carozzi, Dictionary of Scientific Biography, t. XII (New Yok, Charles Scribner's Sons, 1975), pp. 119-123.

31. "Agenda", in Voyages dans les Alpes, t. IV, p. 533.

32. "Agenda, ou tableau général des observations & des recherches dont les résultats doivent servir de base à la théorie de la terre", in Voyages dans les Alpes, t. IV, pp. 467-539. L'Agenda a été publié aussi séparément à l'époque.

33. James Hutton, Theory of the Earth, with Proofs and Illustrations, 2 vols. (London & Edinburgh, Printed for Messrs Cadell, Junior and Davies ; and William Creech, 1795). Hutton tend à citer Pallas, Doloraieu, et surtout de Saussure, et à vanter les mérites de leurs observations, tout en contestant leurs vues théoriques. Dans ses critiques également étendues de Deluc, il manque ce ton approbateur des observations de celui-ci.

34. Jean-André Deluc, Lettres physiques et morales sur l'histoire de la terre et de l'homme adressées à la reine de la Grande Bretagne, 5 vols., in 6 (La Haye, Chez De Tune, 1779), t. I, pp. 257, 276, 304.

35. Ibid., t. I, pp. 307-308.

36. Ibid., t. I, pp. 308-310 :

Du point de vue de Deluc, l'organisation des continents et des fleuves montre un ordre et un arrangement significatifs : "Il nous suffit de voir, que la régularité de la surface sèche de la Terre, exclut tout éboulement comme cause de son arrangement actuel" (t. I, p. 360).

37. François Ellenberger et Gabriel Gohau, "A l'aurore de la stratigraphie paléontologique : Jean-André Deluc, son influence sur Cuvier", Revue d'histoire des sciences, t. XXXIV (1981), p. 218.

38. Georges Cuvier et Alexandre Brongiiiart, "Essai sur la géographie minéralogique des environs de Paris", Annales du Muséum d'Histoire Naturelle, t. XI (1808), p. 294.

39. Robert de Paul de Laraanon, "Description de divers fossiles trouvés dans les carrières de Montmartre près Paris, & vues générales sur la formation des pierres gypseuses", Observations sur la physique, t. XIX (1782), pp. 173-194.

40. Desmarest, "Mémoire sur les prismes qui se trouvent dans les couches horizontales de plâtre et de marnes des environs de Paris, et sur leur analogie avec les prismes du basalte", Mémoires de l'Institut National des Sciences et Arts. Sciences mathématiques et physiques, t. IV (an XI, 1802), pp. 219-231 ; "Second mémoire sur la constitution physique des couches de la colline de Montmartre et des autres collines correspondantes", Ibid., t. V (an XII, 1803), pp. 16-54. Cuvier et Brongniart font allusion aussi aux "renseignements donnés par le même savant (Desmarest) sur le bassin de la Seine, dans l'Encyclopédie méthodique". C'est vrai qu'on trouve dispersées dans la Géographie physique de Desmarest, des descriptions et des discussions de l'écoulement de la Seine et ses affluents, et du sol de la région parisienne. Mais, comme le tome III de cette collection porte la date 1809, et le tome IV, 1811, il est à croire que Cuvier et Brongniart se rapportent aux articles publiés dans les deux premiers volumes (à moins qu'ils aient eu accès aux articles avant leur publication). Or, le tome I renferme des "Notes & observations tirées de l'ouvrage de Boulanger sur le cours de la Marne" (pp. 8-25) et, à l'article sur Buache, l'examen d'une "Carte physique du bassin terrestre de la Seine" (pp. 65-66). Et le tome II apporte, sur la région de Paris, les articles "Argenteuil" (pp. 780-782) et "Auteuil" (pp. 873-876), en plus de quelques renseignements dans les articles "Amas" (surtout p. 348), "Anecdotes de la nature et de l'histoire de la terre" (notamment pp. 543, 556, 557, 571), et "Arêtes" (pp. 765-767), et l'article "Aube" (pp. 857-358) n'est peut-être pas à négliger.

41. Cuvier et Brongniart, "Essai", pp. 307-308.

42. Depuis la présentation orale de cet exposé, l'idée m'est venue d'admettre une troisième sorte de régularité, celle de condition ou d'état. Cette régularité reconnaîtrait les cas où on allègue la présence de certains traits ou certaines caractéristiques à un phénomène, ces caractéristiques n'étant ni de position ni d'opération. Il me semble que cette troisième catégorie pourrait s'appliquer à l'exemple suivant, de la "Notice d'un voyage au Mont-Rose" de de Saussure (Observations sur la physique, t. XXXVII (1790), p. 8, n°1) : "Les pierres calcaires secondaires, ou celles qui ont été formées depuis la révolution à la suite de laquelle les mers ont été peuplées de poissons & de coquillages, sont presque toujours recouvertes de grès, de brèches, de poudingues, c'est-à-dire, des débris des rochers qui ont été rompus & broyés dans cette révolution. Ce sont les débris interposés entre les couches de roches primitives & celles de pierres secondaires qui forment les transitions que j'ai fréquemment observées, & spécialement au pied du Buet (Voyages, paragraphe 594). Les calcaires primitives, au contraire, ou celles qui ont existé avant cette révolution, ne présentent aucune transition, ou ce sont des transitions d'un tout autre genre. Cette distinction que je crois nouvelle me paroît importante pour la théorie de la terre".

43. Un exemple de cette espèce de déduction historique limitée serait la "Détermination de quelques époques de la nature" de Desmarest (1779), où les conséquences des recherches sont restreintes à quelques parties du développement d'une seule région. Une telle réserve est beaucoup moins évidente dans le passage suivant des Observations sur la formation des montagnes de Pallas (1777) :

44. Gabriel Gohau, Histoire de la géologie (Paris, Editions La Découverte, 1987), p. 137.

45. S'il me paraît que Rachel Laudan n'apprécie pas suffisamment les travaux sur le terrain des géologues du 18ème siècle, je ne dois pas manquer de reconnaître le grand mérite de ses arguments pour mettre en valeur les traditions chimiques, auparavant trop souvent négligées dans l'histoire de la géologie de cette époque.

46. François Ellenberger, "Trois aspects de la notion de lois dans les sciences de la terre du XVIIème au XIXème siècles", in Centre Interdisciplinaire d'Etude de l'Evolution des Idées, des Sciences et Techniques, Séminaires et tables rondes de l'année universitaire 1978-1979 (Orsay, C.I.E.E.I.S.T., 1980), pp. 83-87.