Jules Antoine Marie Philippe AUBRUN (1881-1959)

Né le 23/10/1881 à Montluçon (Allier). Mort le 8/2/1959.
Fils de Philippe AUBRUN, inspecteur de l'enseignement primaire (mort en 1929), et de Marie Louise MOMIRON. Marié à Emma VIDOR, fille de M. VIDOR, armateur à Boulogne sur Mer, administrateur de la Banque de France, décédé en 1913.
Père de Witold, qui épouse Odette BAUDINET le 16/6/1931.
Marie-Charlotte, fille de Jules AUBRUN, épouse le 22/10/1938 Charles Paul Louis BALLING (X 1935 né en 1912, dont une fille a épousé Thierry de MONTBRIAL du corps des mines).
Une autre fille de Jules AUBRUN épouse François Pierre Marie René JACQUEMART de WISSOCQ (né en 1933 ; X 1953 ; ingénieur du corps des mines). Grand-père de 2 polytechniciens.

Jules AUBRUN fait des classes préparatoires au lycée Louis le Grand (Paris), il est reçu major à l'Ecole normale supérieure mais préfère devenir élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1900, entré classé 7 et sorti major sur 247 élèves), puis il entre à l' Ecole des Mines de Paris (sorti major en 1906) : Voir le bulletin de notes de Aubrun à l'Ecole des mines. Corps des mines.

Voir aussi : Des ingénieurs du corps des mines ayant fait carrière dans la sidérurgie, Thèse de Cécile Caillol (1992)


Publié dans Annales des Mines, mars 1959 :

Nous avons appris avec regret le décès, survenu à Paris, le 8 février 1959, de M. Jules Aubrun, président d'honneur de la Chambre syndicale de la Sidérurgie française.

Né en 1881, M. Jules Aubrun, ancien élève de l'École Polytechnique et de l'École supérieure des Mines de Paris, commença sa carrière dans le Corps des Mines.

Entre les deux guerres, il avait exercé les fonctions de directeur général des Établissements Schneider et d'ingénieur-conseil de la Banque Lazard.

Appelé, en 1940, à la présidence du Comité d'Organisation de la Sidérurgie, il fut élu, en 1945, président de la Chambre syndicale de la Sidérurgie française. Il était, depuis 1953, président d'honneur de cet organisme.

Il avait été également, en 1953, nommé président du Conseil d'administration de la Société lorraine de Laminage continu (SOLLAC).

M. Aubrun était également vice-président de la Banque de Paris et des Pays-Bas et administrateur de nombreuses sociétés.

Tous ceux qui ont connu M. Aubrun conserveront le souvenir d'un homme droit, courtois, attaché aux valeurs traditionnelles de notre pays.


Publié dans La Jaune et la Rouge, février 1960, #135, p. 32 :

Jules AUBRUN

par Alexis ARON (X 1897)

Rendre à la mémoire de Jules Aubrun l'hommage qui lui est dû, c'est évoquer un demi-siècle d'histoire de la Sidérurgie française.

Jules Aubrun est né le 23 octobre 1881 ; il fait ses premières études au Collège de Boulogne-sur-Mer et les termine à Paris, au lycée Louis-le-Grand. Reçu en 1900 à l'Ecole normale supérieure en même temps qu'à l'Ecole polytechnique, il opte pour cette dernière ; il en sort en 1902, major de la promotion et entre au corps des Mines.

Sa carrière administrative se déroule à l'Arrondissement minéralogique d'Arras ; il aimait à rappeler combien ces années de début, passées au centre du grand bassin houiller, au lendemain de la catastrophe de Courrières, avaient contribué à la maturité de son esprit, à sa connaissance des hommes, à sa prise de conscience des problèmes industriels. Sa puissance de travail, son intelligence lumineuse, le signalent à l'attention de deux maîtres éminents de la technique minière, Kuss et Fèvre ; il collabore avec eux à la refonte de leur traité d'exploitation des mines.

L'industrie privée ne tarde pas à faire appel à ses dons prometteurs. Mis en congé hors cadre en 1913, il entre au service de la Société des Forges et Aciéries du Donetz ; c'est son premier contact avec la Sidérurgie, à laquelle il va réserver désormais la majeure partie de son activité.

Mobilisé en 1914 comme capitaine d'artillerie, il combat sur le front de l'Yser. La prolongation de la guerre pose à ce moment au pays des problèmes d'armement d'une exceptionnelle ampleur ; tous les efforts se concentrent dans les régions du Creusot, de la Loire et du Midi. Aubrun est affecté, en 1915, à la Poudrerie de Vonges, puis l'année suivante, au très important service de contrôle des fabrications, aux Etablissements Schneider ; il y demeura jusqu'à la fin des hostilités.

La Direction générale du Creusot, qui a pu apprécier la valeur du jeune capitaine, se l'attache à la démobilisation. Après deux années passées à la tête du département des Mines au Secrétariat général, il est promu, le 1er janvier 1921, à la Direction générale, rendue vacante par la mort tragique du regretté Fournier. Ces importantes fonctions se complètent de nombreuses charges d'administrateur, dans diverses filiales de France et de l'étranger : mines de fer, fonderies de tuyaux, sidérurgies lourde et fine, chantiers navals, construction électrique, etc... Rarement jeune chef d'industrie aura pu disposer d'un pareil champ d'action et d'observation.

En 1929, son activité s'oriente vers les problèmes d'ordre financier, en liaison avec l'expansion de notre économie. Son ami Frantzen, ancien ingénieur en chef des Mines, ingénieur conseil à la Banque Lazard Frères, quitte cette maison pour remplir d'importantes fonctions aux Etablissements Citroën. Sa succession est offerte à Aubrun, qui, pendant dix ans, va exercer en fait à la Banque un rôle de véritable associé.

Il continue, durant toute cette période, à apporter son concours, au niveau le plus élevé, à ses collègues de la Sidérurgie. A peine relevée des ruines de la première guerre mondiale, la profession connaît une crise d'une exceptionnelle gravité, qui frappe également les autres Sidérurgies de l'Europe Occidentale. De grands chefs d'entreprises d'Allemagne, Belgique, France, Luxembourg, comprennent la nécessité de mettre un terme à des luttes épuisantes ; ils conçoivent un régime d'entente, fonctionnant en pleine clarté, accepté par les gouvernements et conscient de la modération qui s'impose dans toutes les décisions.

Ainsi est née l'Entente internationale de l'Acier qui s'appuie, dans chacun des pays, sur des ententes nationales. Celles de France se créent sous l'égide du Comptoir Sidérurgique de France ; un des éléments essentiels de l'organisation sera la mise en oeuvre d'une procédure arbitrale, par les soins d'un collège de trois membres, chargé, en cas de désaccord entre adhérents, d'imposer le respect des droits et obligations de chacun, tout en ménageant les intérêts du consommateur. Pareilles fonctions ne peuvent être confiées qu'à des personnalités, dont le passé et l'indépendance sont garants de la sagesse de jugement ; Aubrun accepte de faire partie du premier collège, qui fonctionnera de 1932 à 1935. Les tenants les plus orthodoxes du principe de libre concurrence n'ont jamais relevé, dans le comportement des Comptoirs-Français, le moindre abus répréhensible et leur modération a pu être donnée en exemple à bien d'autres organisations similaires. Le mérite en, revient, pour la plus grande part, à la ferme autorité de Jules Aubrun, chef incontesté du collège arbitral.

Survient la deuxième guerre ; Aubrun avait alors 58 ans. Il est frappé à ce moment des premières atteintes du mal qui devait, dans les vingt dernières années, constituer pour lui une constante menace. Soutenu par sa dévouée compagne, secouru par les soins éclairés de son fils docteur, il fait face à l'épreuve. C'est ainsi qu'en novembre 1940, il est en état de répondre à l'appel pressant des Pouvoirs publics qui, dans la détresse générale, vont lui confier une tâche pleine de périls.

Les quatre années, 1940 à 1944, sont vraiment la période culminante de sa carrière, celle au cours de laquelle il va donner la pleine mesure de son courage et de sa haute conscience.

Le Comité des Forges vient d'être dissous ; la Sidérurgie, comme les autres professions, doit se transformer en un organisme de forme corporative, dirigé par un Comité d'organisation professionnelle, le Corsid ; Aubrun en est le président, nommé par le gouvernement. L'équipe qui le seconde est digne du chef, et il convient - comme il le faisait lui-même en toute occasion - d'en rappeler ici les noms : le regretté Eugène Roy, Léon Daum, Jean Dupuis, Pierre Francou. Tous ces compagnons de lutte ont constamment tenu à s'effacer derrière celui qui a été l'âme véritable du Corsid, celui sur lequel se concentre la gratitude de la profession. De cette gratitude, le Président René Damien s'est fait l'éloquent interprète, le 20 février 1959, au Conseil de la Chambre syndicale ; on trouvera reproduit ci-dessous les divers passages de son allocution, qui évoquent l'oeuvre du Corsid :

« Les attributions des Comités d'Organisation leur donnaient des pouvoirs considérables, allant du recensement des entreprises, de l'outillage et des stocks, de la main-d'oeuvre, jusqu'à la proposition des prix de vente, en passant par les programmes de fabrication, la répartition des matières premières, l'emploi de la main-d'oeuvre et la régularisation de la concurrence...

« Mais à cette tâche de réorganisation de la Sidérurgie, s'ajoutait la tâche combien plus lourde et plus délicate des relations avec les autorités occupantes, et ce fut là une période capitale dans la vie de Jules Aubrun. Car il eut à prendre - et c'était bien lui personnellement qui était en cause - des responsabilités extrêmement lourdes ; par exemple, la décision qu'il imposa aux sidérurgistes de ne pas vendre d'installations de matériel sans l'autorisation du Corsid. Beaucoup d'entre vous se rappellent certainement combien nombreuses et pressantes étaient les demandes des autorités occupantes à ce sujet ; le cas le plus marquant fut celui du blooming de Mondeville ; par l'interdiction qu'il avait édictée, Jules Aubrun reportait la responsabilité du refus des sidérurgistes sur le Comité d'Organisation et sur lui-même.

« Autre exemple de courage personnel : il supprima aux usines de Meurthe-et-Moselle occupées les subventions qui étaient accordées aux autres usines françaises. Jules Aubrun, faisant état de ce que ces usines ne communiquaient pas leurs chiffres de production, refusa de leur accorder cette subvention.

« Enfin, il refusa toujours catégoriquement de donner les noms des officiers ingénieurs sidérurgistes prisonniers.

« La liste serait longue des risques qu'il a pris en convoquant aux délibérations corporatives des chefs de maison Israélites, en obtenant, par l'entremise dévouée d'Eugène Roy, la grâce des otages d'Auboué. »

Le 10 juillet 1947, le gouvernement décernait à Jules Aubrun la cravate de commandeur de la Légion d'honneur, il rendait ainsi un solennel hommage à celui qui, au péril de sa liberté, avait si magnifiquement défendu l'honneur de sa profession et sauvegardé son patrimoine, matériel et moral.

Reconstituée en décembre 1944, la Chambre syndicale de la Sidérurgie appelle Jules Aubrun à sa présidence ; il reprend en 1946, à la disparition de l'Office professionnel, la direction effective des Services généraux de la profession. Ce fut une époque d'une intense activité, consacrée à la réparation des ruines accumulées depuis 1940, à l'étude des grands problèmes nés de la guerre, à l'établissement et à la réalisation du premier programme de modernisation ; la forte personnalité d'Aubrun apporte dans toutes ces tâches le poids de son autorité et de son expérience.

En 1950, un événement capital soumet à une nouvelle épreuve sa conscience de grand responsable des destinées de la profession. La déclaration de mai 1950 du Président Schuman engage solennellement la France dans la voie d'une Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier. Jules Aubrun est trop clairvoyant pour ne pas comprendre qu'après les ébranlements des deux guerres, en face de deux blocs puissants qui se partagent la suprématie politique et économique du monde, il n'est plus possible aux autres pays de s'isoler dans la rigidité de leurs autonomies nationales. Mais il sait aussi que les théories les plus généreuses ne peuvent ignorer les exigences résultant de la diversité politique et sociale de chacun des Etats, et qu'à vouloir franchir trop rapidement les étapes nécessaires de transition, les expériences les plus hardies risquent de s'effondrer au choc brutal des réalités. Il ne peut taire ses appréhensions ; il les expose avec courage et dignité ; par contre, le Traité une fois ratifié par le Parlement, il ne cessera de recommander à la profession d'apporter sa collaboration entière à l'organisation nouvelle.

Son action dans ce domaine ne sera malheureusement que de courte durée ; son état de santé l'oblige de jour en jour à plus de ménagements. Il appelle à ses côtés, en 1952, Pierre Ricard, qui lui succède l'année suivante à la présidence de la Chambre syndicale ; le Conseil, à l'unanimité, retient Jules Aubrun à sa tête comme président d'honneur. La profession continuera ainsi à bénéficier pendant plusieurs années de ses précieux avis.

Cette dernière période n'a du reste été pour Aubrun qu'une demi-retraite. En septembre 1954, la Sollac, société constituée en vue de la construction et de l'exploitation en Moselle d'un train continu pour tôles en larges bandes, lui demande d'accepter de remplacer le Président Léon Daum, appelé à siéger à la Haute Autorité du Luxembourg. L'entreprise était conçue sous la forme audacieuse d'une coopérative, groupant les plus puissantes sociétés sidérurgiques de Lorraine ; une autorité aussi forte que celle d'Aubrun pouvait seule, dans ces premières années de fonctionnement, harmoniser et concilier les points de vue parfois différents des divers associés.

Il faudrait enfin mentionner son action au sein des nombreuses sociétés dont il a été soit président, soit vice-président, ou administrateur ; nous citerons entre autres, la Banque de Paris et des Pays-Bas, dont il fut administrateur à partir de 1944, puis vice-président depuis 1950, la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques, les Etablissements Citroën, etc...

Il s'est éteint le 8 février 1959, au lendemain d'une dernière journée de labeur ordinaire. La profession a pleuré ce jour-la non seulement un incomparable président, mais aussi l'un de ses meilleurs serviteurs.

L'homme était spécialement attachant par ses qualités intimes. Sa supériorité cherchait à s'effacer derrière une extrême simplicité et une attitude pleine de discrétion courtoise. Son regard pénétrant, la sobriété de ses paroles, marquées seulement de quelques pointes d'humour, pouvaient intimider dans les premiers instants ; mais le visiteur se rendait rapidement compte, à l'obligeance de l'accueil, qu'il avait tout loisir d'exposer à son gré ses inquiétudes ou des desiderata.

Au sein de nos réunions, attentif aux moindres interventions, il excellait dans l'art de résumer, avec une étonnante concision, les discussions les plus confuses ; quelques mots échappés de ses fines lèvres, toujours frappés au coin du plus rigoureux bon sens, suffisaient à tout clarifier et à entraîner la décision.

Sa bienveillance était à la hauteur de son intelligence ; obligeant pour tous, il l'était surtout pour ses collaborateurs, même les plus modestes.

Sa culture était universelle, servie par une mémoire infaillible. Passionné de musique et de peinture, lecteur infatigable, il nourrissait son esprit aux plus hautes sources, dans les littératures anciennes ou modernes. Son style était le reflet même de sa pensée, remarquable de vigueur et de précision, martelé à la Tacite.

Une foi ardente l'a animé pendant toute sa vie. Cette foi était agissante ; il devenait, en 1954, membre du Conseil des Régents de l'Institut catholique de Paris.

Son foyer, créé à la sortie de l'Ecole polytechnique, rayonnait de la flamme qu'une si noble nature savait entretenir autour d'elle. Son fils, sa fille, son gendre, ses petits et arrière-petits-enfants, l'ont entouré de leur tendresse ; mais au-dessus d'eux, la digne compagne qui, pendant près de 60 ans, a veillé sur lui, aura été pour lui l'associée de tous les instants.

On me permettra, en terminant, de laisser parler la voix discrète de l'amitié ; la fidélité à ses amis était pour Aubrun un culte sacré. Celui qui signe ces pages lui était uni par des liens de profond attachement ; nos deux existences se sont développées presque parallèlement. Cette amitié n'était pas simplement fondée sur une communauté de carrière et de sentiments ; elle est faite aussi, en ce qui me concerne, de profonde reconnaissance, due à celui dont l'intervention personnelle a été décisive, à certains jours sombres de l'occupation. L'hommage que je viens de rendre à une mémoire qui m'est chère n'est ainsi que l'expression, très imparfaite, d'une infinie gratitude.


En 1914, Jules AUBRUN avait été mobilisé comme capitaine d'artillerie à la poudrerie de Vonges (Côte d'Or).


Jules Aubrun élève de Polytechnique
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