Charles SAINTE-CLAIRE DEVILLE (1814-1877)

Frère de Henri SAINTE-CLAIRE DEVILLE (1818-1881).
Oncle et beau-père de Emile SAINTE-CLAIRE DEVILLE (promotion 1866 de l'Ecole des mines de Paris) qui avait épousé Adèle Cécile Blanche SAINTE-CLAIRE DEVILLE, fille de Charles.
Oncle de Charles Etienne SAINTE-CLAIRE DEVILLE (1857-1944 ; X 1876, général de division qui mit au point des canons) et de Henry Félix SAINTE-CLAIRE DEVILLE (1843-1907 ; X 1863 ; dir. manufact. de l'Etat)

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1836 : il entre aux cours préparatoires le 6/7/1835 et est admis au cycle d'ingénieurs le 24/11/1836 ; il passe en 2ème année le 26/5/1837 classé 7 et en 3ème année le 12/6/1838 classé 6 ; il démissionne en septembre 1838). Il n'a donc pas obtenu le diplôme d'Ingénieur civil des mines


Publié dans la Notice historique sur le troisième fauteuil de la section de minéralogie lue dans la séance publique annuelle du 17 décembre 1928 par Alfred LACROIX, Secrétaire perpétuel.

Dufrénoy mourut à Paris le 20 mars 1857; sa succession [au 3ème fauteuil de la section de minéralogie de l'Académie des sciences] échut à Charles SAINTE-CLAIRE DEVILLE (28 décembre 1857), géophysicien plus encore que minéralogiste.

De la famille créole française Deville, établie depuis longtemps aux Antilles danoises, naquirent à Saint-Thomas en 1814 (26 février) et en 1818 (11 mars) deux fils, Charles et Henri, qui devaient faire honneur à la science française, bien qu'avec un éclat inégal. Cas unique dans l'histoire de l'Académie, ils y siégèrent pendant de longues années ensemble et dans la même section.

Unis par la plus étroite des affections et par une commune passion pour les recherches expérimentales, les deux frères étaient, par ailleurs, aussi différents que possible. Charles, petit, blond, aux yeux bleus, nerveux, « impétueux, frémissant, levant au ciel des mains agitées par la joie et protestant, l'oeil en feu, contre l'iniquité » ; Henri, grand, « brun, aux yeux noirs, pleins de vivacité et de malice; ferme, calme et sceptique ».

Dès leur première jeunesse, ils furent envoyés en France pour faire leurs études; Charles, malgré des aptitudes et une culture littéraires très prononcées, entra à l'École des mines en qualité d'élève externe ; Henri se dirigea vers l'Ecole de médecine avant de devenir l'un des plus illustres chimistes de son temps.

A l'Ecole des mines, Charles Deville suivit avec enthousiasme les cours de Dufrénoy et d'Elie de Beaumont ; il se passionna pour les théories de ce dernier et particulièrement pour celles relatives aux volcans. Aussi, après un voyage d'études en Auvergne, à la fin de 1889, s'embarqua-t-il, pour les Antilles, le cerveau rempli par un vaste programme d'exploration géologique des nombreuses îles volcaniques de son pays d'origine.

A la suite d'une rapide exploration du nord-ouest de l'Archipel, en 1841, il s'attaque à la Guadeloupe, mais il est arrêté aussitôt par l'absence de carte topographique. Qu'à cela ne tienne, il est ingénieur des mines, il se met à l'oeuvre et pour qui connaît la topographie accidentée de la Basse-Terre, nom donné à la partie montagneuse de l'île, recouverte par l'épaisse forêt tropicale, la carte au 1/160000, dressée par lui, doit être considérée comme une oeuvre méritoire dont l'exécution fut hérissée de difficultés.

En 1842, une occasion se présente à lui d'aller visiter Ténériffe, aux Canaries, Ténériffe qui joua un si grand rôle dans l'élaboration des idées de Leopold von Buch sur les cratères de soulèvement. Contrairement à ce que l'on eût pu penser, la description qu'en fit Deville fut purement objective et non point un plaidoyer pour les idées de son maître Elie de Beaumont. Il visita ensuite, et avec le même succès, l'île basaltique de Fogo, dans l'archipel du Cap-Vert, et il fut le premier à la décrire.

Il va ensuite reprendre ses travaux aux Antilles, mais il est surpris à la Dominique par le terrible tremblement de terre du 8 février 1843, dévastateur de la Guadeloupe. La métropole de cette colonie, Pointe-à-Pitre, est renversée ; comme de coutume en semblable catastrophe, l'incendie parachève la destruction due au séisme; 2000 personnes y trouvent la mort et, parmi elles, se trouve l'oncle de Charles Deville; avec lui, il perd ses papiers, ses dessins, la plus grande partie de ses collections.

Épuisé par tant d'efforts et tant d'émotions, atteint d'une grave ophtalmie, souffrant d'un rhumatisme articulaire qui devait le torturer pendant toute sa vie, il rentre en France gravement malade et à demi aveugle. Les soins attentifs de son frère n'allaient pas tarder à lui faire recouvrer la santé. Aussitôt il se remet au travail dans le laboratoire de J. B. Dumas. De cette époque datent ses travaux de minéralogie chimique.

La Révolution de 1848 lui ouvrit les portes de l'enseignement. Sous les auspices de Jean Reynaud, de Carnot et de Vaulabelle, avait été créée l'École d'administration, destinée à la formation de fonctionnaires instruits. Son recrutement était très large, englobant des jeunes gens de culture scientifique et d'autres, à affinités littéraires. Ëlie de Beaumont y enseignait la géologie; il prit Charles Deville comme aide. Mais cette école sombre en 1849; grâce à J. B. Dumas, Deville est chargé alors officiellement de l'étude des eaux minérales de France. Dans un long rapport daté de 1851, il s'est efforcé d'établir des relations entre le gisement de ces eaux et leur composition chimique.

Peu après, il fut choisi par Elie de Beaumont pour suppléant de son cours d'histoire naturelle des corps inorganiques au Collège de France. Il remplit cette suppléance pendant 21 ans et ne fut titularisé qu'en 1875, de telle sorte qu'ayant professé pendant 23 ans au Collège de France, il n'y a enseigné pour son propre compte que durant dix-huit mois. Ses dernières leçons furent consacrées à l'oeuvre de son maître et à l'histoire de la géologie; elles ont été publiées par les soins de F. Fouqué, son élève depuis l'École d'administration, son collaborateur, enfin son successeur.

Voyons maintenant ce que fut l'oeuvre de notre confrère. A sa rentrée des Antilles, il entreprit l'étude chimique des roches sauvées du désastre de Pointe-à-Pitre, et, notamment de celles de Ténériffe, de Fogo et de la Guadeloupe. Il fit quelques analyses complètes des laves de cette dernière île et démontra l'existence inattendue de cristaux de quartz dans certaines d'entre elles. Mais il s'attacha surtout à la détermination de leurs feldspaths. On avait cru pendant longtemps que les seuls feldspaths existant, comme éléments essentiels des roches, étaient le feldspath potassique, l'orthose, et le labrador. Abich venait de montrer la présence dans les roches des Andes d'un feldspath intermédiaire entre le labrador et l'albite; il l'a appelé andésine. Deville, à son tour, découvrit l'oligoclase dans les trachytes de Ténériffe. C'était la voie ouverte aux recherches modernes, d'où est sortie la preuve que tous les feldspaths sont susceptibles d'entrer dans la constitution des roches éruptives. Deville extrayait ces minéraux par des procédés mécaniques et il en faisait l'étude cristallographique et chimique.

Dans les fumerolles sulfhydriques, si actives au sommet de la Soufrière de la Guadeloupe, il avait observé avec intérêt la formation des cristaux de soufre. Peu de régions volcaniques permettent de mieux suivre les détails de ce phénomène si attachant. Je me souviens de mon émerveillement, en voyant, pour la première fois, les éclatantes cristallisations jaunes qu'un coup de pioche faisait surgir d'un sol tourbeux des flancs du volcan dont la végétation venait à peine d'être détruite par une fumerolle en voie de déplacement. Des observations de ce genre ont conduit Charles Sainte-Claire Deville à entreprendre, dans le laboratoire, l'étude de ce singulier élément : elle lui a fourni des résultats remarquables. Polymorphe entre tous, à l'inverse de tout autre, le soufre, une fois liquéfié, s'épaissit quand s'élève la température et une lois solidifié, il se présente, soit à l'état dur et fragile, soit mou.

Dans ses études sur le soufre, notre confrère a été le premier à employer une méthode préconisée par Regnault, et qui a fait fortune dans les travaux de métallurgie scientifique, l'analyse thermique.

Il a trouvé que les variétés de soufre refroidies brusquement ou ayant subi une trempe, comme le soufre en fleurs et le soufre mou, laissent un faible résidu quand on les dissout dans le sulfure de carbone; ainsi était découverte une nouvelle forme moléculaire de ce corps simple; il détermina toutes les propriétés de ce soufre insoluble dont l'intérêt devait être augmenté encore quand, peu après, Schrötter décrivit une forme analogue du phosphore.

En même temps que Pasteur, Deville observa qu'une solution de soufre dans le sulfure de carbone laisse déposer non seulement des cristaux orthorhombiques, mais encore des cristaux de la forme monoclinique considérée jusqu'alors comme ne pouvant être obtenue qu'à haute température, mais il alla plus loin en faisant voir que le soufre dissous dans la benzine donne l'une et l'autre, ou bien l'une ou l'autre, de ces formes suivant la température et il précisa celle-ci.

Le soufre fondu l'a conduit à des expériences d'un grand intérêt pour la lithologie; dans de nombreuses expériences, il constata que les roches transformées en verre par fusion possèdent une densité beaucoup plus faible que lorsqu'elles sont formées de cristaux, la densité d'une roche est donc d'autant plus grande que sa cristallinité est plus élevée. Ces résultats confirmaient une observation antérieure de Bischoff, mais Deville voulut plus de précision, il opéra sur des minéraux purs et vit qu'en général, dans l'acte de la cristallisation, il s'opère une condensation de la matière. Il a insisté sur l'importance de la dilatation que la silice subit en passant de la forme cristallisée à l'état de verre et constaté enfin que, contrairement à la plupart des corps cristallins, certaines substances, telles que les métaux, le corindon, le sel marin, une fois fondues, donnent par refroidissement non pas un verre, mais des cristaux.


Ces travaux minéralogiques furent sutout l'oeuvre de la jeunesse de Charles Deville. Bien vite, il se spécialisa dans diverses directions de la physique du globe.

Mais auparavant il avait entrepris une grande publication consacrée aux Antilles, à Ténériffe et à Fogo ; elle comprend ses observations très complètes sur ces dernières îles. Malheureusement il fut bien vite arrêté dans la description des Antilles par la perte d'une partie de ses documents et ce livre est resté inachevé. On y trouve seulement des études sur le tremblement de terre de la Guadeloupe, sur la climatologie des Antilles, sur les courants marins du golfe du Mexique et les nombreuses mesures d'altitude de tous les points visités par lui.

Son oeuvre capitale réside dans de longues recherches expérimentales consacrées aux produits volatils émanés des volcans. Avant lui, l'on croyait que chaque volcan était caractérisé par un ensemble spécial de gaz et de vapeurs, que, par exemple, l'anhydride sulfureux dominait à l'Etna, le gaz chlorhydrique au Vésuve, l'anhydride carbonique dans les volcans des Andes.

Deville montra péremptoirement qu'il n'en est rien, que tous ces gaz sont émis par tous les volcans, mais en proportions diverses dans les différentes phases de leur activité et ceci reste acquis.

Boussingault et Bunsen avaient étudié, l'un dans les Andes et l'autre en Islande, les dégagements de gaz volcaniques à la fin de l'activité eruptive. Le premier, Charles Sainte-Glaire Deville suivit le phénomène dans toutes les phases d'une éruption, depuis son paroxysme jusqu'à son déclin.

Il a mis en évidence, une relation liant la composition des fumerolles à leur température dans le temps et dans l'espace; dans le temps, c'est-à-dire depuis le paroxysme jusqu'à la fin de l'éruption; dans l'espace, c'est-à-dire en fonction de la distance des fumerolles au centre d'émission.

A la suite de ses observations au Vésuve lors des éruptions de 1855 et de 1861, il a défini quatre types successifs de fumerolles caractérisés par les limites extrêmes de leur température et par la nature de leurs produits gazeux. Les fumerolles qu'il qualifiait de sèches dont la caractéristique réside dans la production de chlorures et de sulfates alcalins; ce sont les plus chaudes, leur température dépasse 800° C. Les fumerolles acides, contenant de la vapeur d'eau, du gaz chlorhydrique, de l'anhydride sulfureux, du chlorure de fer; leur température est supérieure à 400° C. Les fumerolles alcalines ou faiblement acides, riches en vapeur d'eau, en chlorhydrate d'ammoniac et contenant de l'hydrogène sulfuré; leur température minimum est voisine de 100°C, et, dans ce cas, elles déposent des cristaux de soufre. Enfin, les fumerolles à vapeur d'eau prédominante, les moins chaudes, caractéristiques de la période de décrépitude du volcan ; elles renferment parfois des carbures d'hydrogène associés à de l'anhydride carbonique.

Il faudrait signaler encore des observations particulières sur ces divers types de fumerolles, telle, la découverte, dans certaines d'entre elles, de l'hydrogène libre qui n'avait pas été rencontré encore dans les volcans italiens.

Ces travaux ont été effectués en collaboration avec Félix Leblanc, puis avec F. Fouqué, non seulement au Vésuve, mais aussi dans les îles Ioniennes, dans les lagoni de Toscane. Ils ont été continués dans les mêmes régions, puis à l'Etna, à Santorin et aux Açores par Fouqué qui les a complétés en montrant, par exemple, que les fumerolles à haute température sont souvent humides et que les divers types, passant du reste progressivement les uns aux autres, se distinguent non point par l'apparition d'éléments nouveaux, mais par la disparition successive de certains d'entre eux, au fur et à mesure que la température s'abaissant, les réactions qui les déterminent deviennent impossibles.

De telles recherches présentent des difficultés et des dangers considérables. Il faut, au cours des éruptions, s'ingénier à atteindre la lave incandescente ou très chaude pour en extraire des gaz, en s'efforçant de les soustraire à la contamination de l'air atmosphérique, mais aussi en s'exposant aux risques de graves brûlures ou d'irréparables asphyxies.

L'interprétation de toutes ces observations présente-t-elle le degré de généralité que leur prêtaient leurs auteurs? Des expérimentations nouvelles ont été effectuées depuis quelques années par MM. Arthur L. Day et E. S. Shepherd au Kilauea, dans des conditions encore difficiles, mais bien plus favorables. Elles ont apporté de précieuses acquisitions pour la connaissance des gaz volcaniques.

Là, en effet, se trouve un vaste lac permanent de lave beaucoup plus fluide que celle du Vésuve et de l'Etna et d'où il a été possible de faire, à l'aide de puissants moyens matériels et d'une technique appropriée, de nombreux prélèvements de gaz.

Les savants américains ont constaté d'abord que, contrairement à une opinion sensationnelle émise peu auparavant et conformément aux remarques des observateurs anciens, la vapeur d'eau existe et même prédomine dans les émanations partant de la lave fluide. Ils ont constaté que les proportions relatives des divers gaz recueillis varient constamment d'un point à un autre et qu'en un même point, elles ne sont pas les mêmes d'une bulle à une autre. De ces faits et de la nature des gaz coexistants, il fa ut conclure que ceux-ci ne sont pas en équilibre; ils réagissent les uns sur les autres et c'est la chaleur dégagée par ces réactions qui contribue à maintenir aussi élevée la température de la lave expérimentée. D'ailleurs, des mesures répétées ont montré que cette température, elle-même, n'est pas constante et ainsi s'explique pourquoi la surface du lac de lave du Kilauea est tantôt incandescente et tantôt partiellement obscurcie par la formation d'ilôts de lave solide, soutenus à la surface du bain incandescent par des bulles gazeuses. Ces variations de température ne sont pas dues à un afflux de magma plus chaud venant de la profondeur, car le niveau du lac est resté le même pendant les observations; elles résultent de l'irrégularité du dégagement des gaz. Ces conclusions ont été confirmées par les mesures de M. Jaggar; elles ont prouvé que la température est plus élevée à la surface, c'est-à-dire là où se produisent les réactions gazeuses, qu'à quelques mètres au-dessous de celle-ci.

Il faut remarquer que cette irrégularité dans le dégagement des gaz de la lave incandescente n'est pas spéciale au Kilauea. Elle avait été déjà formellement observée par Fouqué dans la lave de l'Etna, lors de l'éruption de 1865.

« Même quand la lave est encore entièrement liquide, a-t-il écrit, certains points des courants donnent seulement quelques légères fumées diaphanes, tandis que d'autres sont couverts d'un nuage épais qu'on aperçoit d'une grande distance. Ici, la matière en fusion s'agite et bouillonne tumultueusement; là, elle présente une surface tranquille qui semble être le siège exclusif des phénomènes de volatilisation. »

Une telle constatation rend encore plus souhaitable que des recherches soient reprises dans les volcans méditerranéens avec les ressources que fournit la science moderne, et en multipliant les prélèvements de gaz en un même point, ce que n'ont pu faire Deville et Fouqué. Mais il est à craindre que les conditions présidant aux épanchements de ces volcans ne permettent pas d'ici longtemps d'aller au delà des limites atteintes par d'aussi habiles expérimentateurs. En tous cas, leurs observations restent. Elles constituent l'une des bases de nos connaissances sur les gaz volcaniques. C'est une belle oeuvre.

En 1852, avec l'aide de MM. Bravais et d'Antoine d'Abbadie, Charles Deville avait fondé la Société météorologique de France dont il fut le premier secrétaire et aux travaux de laquelle il prit une part toujours active, souvent prépondérante. C'était là un retour aux premières recherches faites par lui aux Antilles; il devait y user les dernières années de sa vie aux dépens de sa santé et aussi de sa tranquillité, car la météorologie n'est pas une science de tout repos, il est de son domaine d'étudier les orages, elle en soulève aussi parfois, et de violents, autour d'elle; son histoire respire la bataille.

Avant d'aborder ce point de vue, en ce qui concerne Charles Sainte-Claire Deville, quelques mots sont nécessaires sur son oeuvre personnelle; elle montre combien de difficultés entourent le développement des études météorologiques. Ce fut à coup sûr un excellent et méticuleux observateur auquel on doit d'avoir fait progresser les connaissances sur plus d'un point. Il a été l'un de ceux qui ont remarqué la régularité relative des variations barométriques dans les régions tropicales; il a étudié ses relations avec les variations de la température et du rayonnement solaire. Plus tard, cette étude fut continuée dans nos régions, mais sans pouvoir le conduire à des conclusions d'une certaine généralité. Il a fort bien montré, et cela était certainement utile, qu'il ne fallait pas se borner à des moyennes, mais aussi, et surtout, considérer la marche détaillée des phénomènes; mais les observations directes étaient seules possibles de son temps et cela était une cause de faiblesse ; on voit aujourd'hui combien a été féconde pour ce genre de recherches l'introduction des appareils enregistreurs.

Beaucoup d'efforts ont été dépensés par lui dans l'espoir d'arriver à débrouiller les relations complexes des phénomènes naturels entre eux; il a cru, par exemple, mettre en évidence une période de dix jours et d'autres encore en groupant les jours de l'année par quatre, à trente jours d'intervalle. Il a voulu aussi chercher des relations entre les orages terrestres et les orages magnétiques, puis entre les étoiles filantes et la température. Des résultats définitifs n'ont été obtenus pour rien de tout cela.

Ses tentatives d'organisation des études météorologiques en France ont été plus heureuses, mais c'est là qu'il devait rencontrer la tempête.

A la suite de l'exposition de 1867, la ville de Paris avait acquis et fait transporter dans le parc de Montsouris la réplique du palais du Bardo, siège de l'exposition du bey de Tunis. Charles Sainte-Claire Deville obtint que ce monument fût consacré à un Observatoire dont il avait rêvé de faire le centre d'un grand service national d'observations météorologiques.

Il se heurta à la violente hostilité de Le Verrier qui, dès 1854, avait fondé à l'Observatoire de Paris un service international d'avis météorologiques destinés aux ports. Deville eut cependant gain de cause, l'Observatoire de Montsouris fut fondé en 1870. Non sans peine, il le fit fonctionner pendant la guerre et la Commune, mais l'administration n'était guère le fait du savant, tous ses collaborateurs n'étaient pas sûrs. Il fut bientôt acculé à de terribles difficultés, administratives et autres, dont il ne pût sortir que grâce au dévoûment et au travail acharné, autant qu'anonyme, de Fouqué. Néanmoins, en 1872, il obtint le transfert à Montsouris du service des avertissements de l'Observatoire de Paris, mais bientôt une contre-attaque victorieuse de Delaunay, successeur de Le Verrier, faisait rattacher l'établissement de Montsouris à l'Observatoire de Paris; comme fiche de consolation, Charles Deville devenait inspecteur général des services météorologiques. Quelques semaines plus tard, Delaunay meurt, noyé en rade de Cherbourg, et aussitôt son adversaire de reconquérir l'indépendance de sa création. Mais cette victoire n'eût pas de lendemain. Redevenu directeur de l'Observatoire de Paris, Le Verrier exige la restitution du service des avertissements et l'Observatoire de Montsouris amputé devient, sous la direction de Marié-Davy, la station météorologique du département de la Seine.

En 1878, la section météorologique de l'Observatoire de Paris devait à son tour devenir indépendante, sous l'impulsion de Mascart, et constituer le Bureau central météorologique. Cet établissement fut une victime de la grande guerre; ses services purement météorologiques ont été absorbés par ceux de la météorologie militaire et de l'aviation pour former l'Office national météorologique actuel. Tout ce qui concerne le magnétisme terrestre, l'électricité atmosphérique et la sismologie a été rattaché à l'Université de Paris, puis complété, et c'est ainsi qu'après maints avatars l'enseignement de la physique du globe a été enfin introduit à la Faculté des Sciences.

Mais l'activité de Charles Sainte-Claire Deville ne s'était pas limitée à la France. Dès le début de la conquête de l'Algérie, l'autorité militaire y avait institué des observations météorologiques; après 33 ans d'existence, elles restaient sans coordination. En 1873, Deville entreprit de constituer un Service algérien de climatologie et de prévision du temps. Malgré l'état précaire de sa santé, il fit quatre voyages en Afrique et grâce au concours du général Chanzy, alors gouverneur général, il réorganisa les anciennes stations et en créa de nouvelles.

C'est presque mourant qu'à la fin de sa dernière inspection, notre confrère, l'amiral Mouchez, le recueillit à Tunis et le ramena en France, où il ne devait pas tarder à expirer, le 10 octobre 1877.


Charles Sainte-Claire-Deville (P 1836)
Membre de l'Institut fondateur de la volcanologie et de la météorologie.

par Bernard Geze, ancien président de la société géologique de France,
Professeur de géologie à l'INRA, Président de la section française de l'association internationale de volcanologie

Ce texte a été publié en 1964 dans le numéro du Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, à l'occasion du centenaire de la création de l'Association :

Charles Sainte-Claire-Deville, né le 26 février 1814 à Saint-Thomas, dans les Antilles aujourd'hui américaines, et mort le 10 octobre 1876 à Paris, fut l'un des grands naturalistes du siècle passé.

Membre de l'Institut, Professeur au Collège de France, Président de la Société géologique et de la Société météorologique, il peut être considéré comme l'un des fondateurs de la volcanologie moderne, ainsi que des services météorologiques ; aussi est-il profondément regrettable que son nom, ses nombreuses explorations et ses publications scientifiques soient presque oubliés actuellement.

Venu à Paris dès l'âge de cinq ans, il fit ses études classiques au collège Rollin, puis passa deux ans comme élève libre à l'Ecole polytechnique, avant d'entrer comme externe à l'Ecole des Mines où Elie de Beaumont enseignait la Géologie. C'est certainement l'influence de ce maître prestigieux, bien que trop dogmatique, qui fut le facteur déterminant dans l'orientation de Sainte-Claire-Deville. A sa suite, il se fit le défenseur de la théorie des « cratères de soulèvement » de Leopold von Buch et, pour en démontrer la vérité commença une très brillante carrière de volcanologue.

Soulignons immédiatement que si ce fut bien cette théorie, en très grande partie fausse, qui fut à l'origine de ses travaux, Sainte-Claire-Deville ne s'en montra pas moins, tout au long de sa vie, un observateur extrêmement consciencieux, qui décrivit avec précision et rigueur les sites qu'il avait explorés et qui n'en tira ensuite que des conclusions modérées mais durables, sans aucune commune mesure avec les grandes hypothèses d'Elie de Beaumont, dont la plupart nous font aujourd'hui sourire. En un mot, devenu méfiant devant les généralisations brillantes mais hâtives, il accumula surtout des faits et énonça des vérités qui constituent maintenant des bases scientifiques solides, toujours en vigueur.

Ses campagnes de terrain débutèrent en 1839 dans les volcans d'Auvergne, puis de 1840 à 1842 dans les Petites Antilles qu'il visita presque en totalité, de Porto-Rico jusqu'à La Trinidad, mais avec une attention toute particulière pour les zones volcaniques de la Guadeloupe et de la Martinique. Il eut ensuite, en 1843, l'occasion d'explorer méthodiquement Ténériffe dans les Canaries et Fogo dans les îles du Cap Vert. La même année, il fut officiellement chargé de revenir à la Guadeloupe pour étudier les effets et tenter de découvrir les causes d'un terrible tremblement de terre qui venait de ravager les Antilles. En 1851, il se consacra à l'examen des gisements géologiques des eaux minérales de France et montra les raisons de leur composition chimique. En même temps, il commença des travaux, rapidement devenus classiques, sur les propriétés du soufre, son dimorphisme et ses transformations.

C'est d'ailleurs dans cette voie des études à la fois géologiques, minéralogiques et chimiques sur les produits émis par les volcans que Sainte-Claire-Deville obtint les résultats les plus marquants. On pensait avant lui que chaque volcan était caractérisé par un ensemble de gaz et de vapeurs qui lui étaient propres. Il prouva au contraire qu'un même volcan pouvait émettre des produits très variés suivant la phase d'activité dans laquelle on l'observait et aussi suivant la distance à laquelle se trouvait le point d'émission par rapport au foyer du volcan.

Il distingua ainsi quatre variétés de fumerolles volcaniques : celles produites à très haute température et caractérisées par la présence de sels de soude et de potasse ; celles dont la température est comprise entre 100 et 600 degrés, où dominent vapeur d'eau, acide chlorhydrique et acide sulfureux ; celles dont la température est supérieure à la normale du lieu mais inférieure à 100 degrés, formées de vapeur d'eau, hydrogène sulfureux et acide carbonique ; enfin celles qui constituent des dégagements gazeux d'acide carbonique et de carbures d'hydrogène, à la température moyenne de l'atmosphère ou à peine au-dessus.

Pour démontrer cette sorte de loi de répartition qui, à quelques retouches près, est partout admise aujourd'hui, Sainte-Claire-Deville poursuivit longuement des expériences délicates et dangereuses au Vésuve, à l'Etna, dans les Champs Phlégréens, les îles Lipari et les lagoni de Toscane. Son dernier voyage géologique le conduisit en 1867 aux Açores où venait de fonctionner un volcan sous-marin, ce qui lui donna l'occasion de parcourir tout cet archipel et notamment de gravir le cône de l'ile de Pico, point culminant de la région.

A côté de ses études volcanologiques, Sainte-Claire-Deville se passionna pour les problèmes météorologiques. Dès 1839, au cours de son voyage entre l'Europe et les Antilles, il notait plusieurs fois par jour les indications du thermomètre, du baromètre, la température de la mer et la direction des courants. Plus tard, il se dévoua au relèvement de la Société météorologique de France qui périclitait et lui consacra dix ans de son activité. Dans les dernières années de sa vie, il eut la satisfaction de la voir florissante à nouveau. Il fonda en outre l'observatoire de Montsouris et créa en Algérie tout un réseau de stations qui firent peu à peu connaître la climatologie de ce grand territoire.

Lors de son décès, la Société géologique de France et la Société minéralogique de France déclarèrent également que Charles Sainte-Claire-Deville était « l'un des savants qu'elles seront toujours fières d'avoir compté parmi leurs membres. »


A propos de Charles SAINTE-CLAIRE-DEVILLE, voir aussi : Leçon inaugurale de P. Fallot au Collège de France (1938)