Pierre-Léon COSTE (1805-1840)

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1823) et de l'Ecole des mines de Paris. Corps des mines.

Coste était un sympathisant des idées Saint-simoniennes et abonné au Journal Le Globe.


Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME III p. 127

COSTE (Pierre-Léon), né à Chalon-sur-Saône, le 5 mars 1805 ; mort à Lyon, le 11 novembre 1840. De Saône-et-Loire, Coste était allé diriger, pendant un an, en 1834, les établissements de Decazeville dans l'Aveyron. En 1835, il était chargé de la direction du chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon. Il mourait épuisé, âgé à peine de 35 ans, après une carrière particulièrement remplie de services éminents dans toutes les situations qu'un Ingénieur des Mines pouvait occuper.

En juin 1833, au Creusot, la Compagnie anonyme qui exploitait alors des établissements encore rudimentaires, mais destinés à une si grande prospérité, venait de tomber en faillite. 2000 ouvriers, formant une population de 4000 âmes, ne recevaient depuis longtemps leurs salaires qu'en bons. Les fournisseurs lassés menaçaient de ne plus les accepter. Une révolte était imminente. Coste, chargé du Service ordinaire, avait été envoyé sur place pour assurer l'épuisement des mines pendant l'interruption du travail qu'on prévoyait. Après examen de la situation, il crut devoir faire mieux. Il résolut de faire marcher l'entreprise, et il réunit à cet effet, sous sa garantie personnelle, les premiers fonds nécessaires. Quinze jours après, les ouvriers, ramenés à l'usine par tant d'autorité, recevaient leurs salaires en numéraire, ce qu'ils n'avaient pas vu depuis longtemps. Quatre mois plus tard, en septembre, Coste remettait aux syndics de la faillite, des ateliers en plein roulement, ayant reconquis leurs débouchés; et tous frais payés, cette courte gestion laissait des excédents en caisse. Un mois auparavant le Gouvernement avait reconnu tant de résolution, de maîtrise et d'habileté, en décorant un Ingénieur qui n'avait pas encore vingt-huit ans, à une époque où l'on n'était pas prodigue de pareilles distinctions.

Le chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon, que Beaunier n'avait pu obtenir et sur lequel les Seguin devaient réaliser, en 1832, avec la traction à vapeur et le service des voyageurs, une double innovation si capitale pour la France, un autre Ingénieur des Mines dut venir pour le sauver d'une ruine imminente. Sa situation était, en effet, particulièrement critique. Les souterrains, ébranlés parles travaux des mines voisines, menaçaient ruine, les rails étaient usés, le matériel de transport insuffisant, les actionnaires ne recevaient aucun dividende. Coste, qui avait marqué sa valeur exceptionnelle au Creusot en 1833, ainsi que nous l'avons rapporté, fut appelé comme directeur pour remettre les choses en l'état. Après les cinq années pendant lesquelles il resta au service de la Compagnie, les souterrains étaient consolidés; sans interrompre un seul jour le service des voyageurs, il avait fait reconstruire en grande partie les tunnels à une voie de Couzon et de Terrenoire ; il avait mis à deux voies celui de la Mulatière ; les rails avaient été renouvelés sur toute la ligne et de sages mesures avaient permis de développer le service des voyageurs, en obtenant une meilleure utilisation du matériel. De 1835 à 1840, le nombre des voyageurs s'éleva de 182000 à 420000 et le nombre de tonnes de houille transportées de 350000 à 580000.

En même temps qu'il reconstituait l'ancienne ligne, Coste s'occupait d'accroître sa vitalité en l'étendant. La navigation sur le Rhône étant sujette à de fréquentes interruptions entre Lyon et Vienne, par suite des brouillards, il étudia un embranchement de Givors à Vienne. De concert avec quelques capitalistes de ses amis, il proposa à la Compagnie de s'en charger, à ses risques et périls, sous la seule condition qu'elle garantirait pendant un certain nombre d'années un minimum d'intérêt de 4 pour 100. La Compagnie, mal inspirée, repoussa ce projet. Coste, épuisé par son travail de direction et par les fatigues exceptionnelles d'une défense de la ligne contre les inondations du Rhône, mourait en 1840, avant que la Compagnie eût eu le temps de revenir sur sa détermination. Il disparaissait à 35 ans, après une vie pleine d'oeuvres fécondes, emportant prématurément une force dont la valeur eût été plus particulièrement appréciée dans la grande ère des chemins de fer qui allait s'ouvrir.


Publié dans les Annales des Mines, 3eme série tome 20, 1841, pp. 627-636 :

Notice nécrologique
sur M. Coste, ingénieur des mines ;

par M. Michel CHEVALIER, ingénieur en chef des mines

Pierre-Léon COSTE naquit à Châlons-sur-Saône, le 5 mars 1805 , d'une des familles les plus honorables de cette ville. Après avoir fait ses études à Châlons, il fut reçu à l'Ecole polytechnique en 1823 ; deux ans après il en sortit, le douzième de sa promotion, pour entrer dans le service des Mines. Après avoir suivi les cours de l'Ecole d'application, il fut envoyé en Angleterre pour faire un de ces voyages de perfectionnement par lesquels se termine l'éducation des ingénieurs. Il s'y rendit avec un de ses amis, M. Auguste Perdonnet, ancien élève de l'Ecole polytechnique, qui avait suivi les cours de l'Ecole des mines. Les deux jeunes ingénieurs étudièrent en détail l'industrie métallurgique de la Grande-Bretagne et les chemins de fer, qui étaient loin encore des éclatantes destinées auxquelles ils sont aujourd'hui parvenus. A leur retour, ils publièrent deux écrits fort estimés : l'un sur les chemins de fer, sous le titre de Mémoire sur les chemins à ornières ; l'autre, intitulé : Voyage métallurgique en Angleterre. Ce dernier a eu , en 1837, les honneurs d'une seconde édition (L'éditeur l'a mis en un seul corps d'ouvrage, en deux volumes, avec le travail non moins remarquable de MM. Dufrénoy et Elie de Beaumont).

Nommé aspirant-ingénieur le 16 mai 1829, Coste fut chargé du service des deux départements de la Côte-d'Or et de l'Yonne. De là il passa dans le département de Saône-et-Loire, où il devait trouver, pour son début, une tâche difficile. Ce département renferme, sur les bords du canal du Centre, un vaste terrain houiller. Des concurrents en grand nombre s'en disputaient chacun des lambeaux. Il fallait en répartir la concession de manière à donner satisfaction à tous les intérêts sérieux, sans cependant y introduire le morcellement excessif, qui est encore plus funeste et plus incompatible avec un bon aménagement, à l'égard de la richesse minérale et surtout de la houille, que pour la culture du sol. Léon Coste donna, en cette circonstance, la mesure de son humeur conciliante, de sa fermeté sans hauteur et de son aptitude aux affaires. Il parvint à faire entendre raison à tous ces intérêts rivaux. Il imposa silence aux jalousies et aux prétentions extrêmes. Il décida même plusieurs des aspirants concessionnaires à réunir en une seule concession les lots qu'ils sollicitaient. A cette époque, le 4 juillet 1830, il fut promu au grade d'ingénieur ordinaire.

Quand la révolution de juillet éclata, Léon Coste vint à Paris comme l'un des délégués de Saône-et-Loire, avec M. Humblot-Conté, qui le chérissait. Au milieu de la fièvre de sollicitation qui se répandit alors en France et attira sur Paris une nuée de postulants fonctionnaires, Coste, qui comptait des amis chauds et nombreux parmi les hommes appelés aux affaires, s'effaça complètement. Il reçut même très-mal les ouvertures de quelques personnes qui songeaient à revendiquer pour lui un avancement prématuré dans le corps des mines.

Aux premiers jours du mois d'août il revint à son poste pour mettre la dernière main à la délimitation des concessions houillères. Cette opération compliquée était terminée, lorsqu'à la fin de juin 1833 la compagnie anonyme du Creusot et de Charenton tomba en faillite. En sa qualité d'ingénieur de Saône-et-Loire, il reçut ordre de se transporter sur les lieux pour assurer le service de l'épuisement des mines et pour protéger celles-ci de l'inondation pendant l'interruption des travaux, qui était imminente; mais il lui était réservé de remplir une autre mission plus large et plus ardue.

Arrivé au Creusot, il trouva la population dans un état d'exaspération violente et prête à se porter aux dernières extrémités. Deux mille ouvriers, formant, avec les femmes et les enfants, une population de quatre mille âmes, allaient être sans pain, si les travaux cessaient. Les fournisseurs et les marchands, qui avaient accepté, en payement des denrées par eux livrées à ces ménages, les bons de la compagnie, sorte de papier-monnaie avec laquelle, faute d'écus, on acquittait les salaires, se refusaient à faire de nouvelles avances et se disposaient à partir, craignant le pillage. Cette colonie industrielle de quatre mille âmes allait donc se trouver sans vivres. Il y avait longtemps qu'elle était sans argent, puisque la compagnie ne payait plus les salaires qu'avec ses bons. La vie du directeur était menacée, quoiqu'il fût fort innocent du désastre. L'autorité avait envoyé à Autun un bataillon d'infanterie pour faire respecter la loi et la propriété ; mais la garde nationale du Creusot, toute formée d'ouvriers animés par le désespoir , égarés par un ressentiment aveugle contre la compagnie ruinée, et exaltés par les idées de souveraineté populaire qui, de toutes parts, avaient fait explosion après 1830; la garde nationale, dis-je, composée d'hommes robustes, bien armés et munis de canon, déclarait, par l'organe de ses chefs, qu'elle ne laisserait pas approcher les soldats. Il semblait plus que difficile d'empêcher les ouvriers irrités de se porter à des excès, de briser les machines d'épuisement, de saccager le vaste matériel des forges et des fonderies, et de s'emparer de vive force des approvisionnements enfermés dans les magasins des fournisseurs. Un autre eût jugé impossible d'apaiser le courroux de cette foule soulevée, de mettre instantanément en activité régulière cet immense établissement, et de lui faire produire de quoi alimenter cette population malheureuse. Coste, étendant la mission qui lui avait été confiée, et se plaçant aussitôt à la hauteur des circonstances au milieu desquelles il était jeté à l'improviste, prit sur lui d'essayer de résoudre ce problème, et il y réussit de la manière la plus complète. C'est qu'il possédait à un haut degré les qualités du commandement. Il inspirait à l'inférieur une confiance illimitée ; il savait s'en faire respecter, et il avait dans l'esprit de grandes ressources. Il était maître de lui ; ce qui est la première condition pour maîtriser les autres.

Il réunit les principaux ouvriers ; il leur dit qu'il était prêt à se mettre à leur tête et à diriger l'établissement, pourvu que chacun s'engageât à se tenir au poste où il le placerait. Il leur garantit que les produits de la fabrication ainsi constituée seraient consacrés à la solde. On l'écouta. Son calme parfait imposa aux plus irrités et se communiqua à tous. Cette masse ameutée avait rencontré son virum quem. Elle avait trouvé plus et mieux , car il devait être pour elle un tuteur plein de bienveillance et de générosité. On promit donc de lui obéir. Il se procura, de son côté, les premiers fonds, sur son engagement personnel, et, quinze jours après , les ouvriers du Creusot recevaient leur salaire en numéraire; ce qui n'avait pas eu lieu depuis très-longtemps. Au mois de septembre, quand il remit la direction aux syndics de la faillite, le roulement de tous les ateliers était assuré, les débouchés réouverts, et il y avait des excédants de recette en caisse.

Le gouvernement, justement alarmé des dangers que courait l'ordre public au Creusot, et redoutant qu'une étincelle partie de là n'allât encore une fois embraser Lyon, où mille passions couvaient encore sous la cendre, avait envoyé sur les lieux, quelque temps après que Coste s'y était rendu , M. l'inspecteur général Beaunier, l'un des hommes les plus éminents par leur savoir et par leur caractère qu'ait jamais comptés le corps des mines. M. Beaunier avait à pourvoir à l'organisation provisoire du travail. A la vue de l'ordre et de l'obéissance qui régnaient autour du jeune ingénieur, il éprouva une admiration que plus tard il aimait à exprimer. Il ne vit rien à ajouter à ce que Coste avait accompli avec la rapidité de l'éclair. Il le signala à la reconnaissance de l'administration, avec la chaleur d'âme qu'il déployait toutes les fois qu'il s'agissait de récompenser d'éclatants services et de belles oeuvres. Léon Coste fut alors nommé membre de la Légion d'honneur (par ordonnance du 24 août 1833).

A peu de temps de là l'administration, désireuse de s'éclairer sur l'état de l'industrie des fers fabriqués par la méthode anglaise, envoya Léon Coste visiter les deux grandes usines nouvellement construites à Alais et à Decazeville. Le séjour qu'il fit dans ces deux établissements donna aux principaux intéressés une telle idée de sa capacité, que , des deux côtés, on voulut l'avoir pour directeur. Il se rendit en cette qualité à Decazeville au commencement de 1834. Il s'y livra à des expériences tendant à baisser le prix de revient du fer. Il était à peine resté un an à Decazeville, que des convenances de famille lui firent désirer de se rapprocher des bords de la Saône. Il accepta donc les offres qui lui furent adressées par la compagnie du chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon, et il en devint le directeur le 20 mars 1835.

Il semblait être dans la destinée de Léon Coste d'avoir toujours à prévenir ou à réparer des catastrophes , ou à relever des ruines. Quand le chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon lui fut confié , cette voie de communication, qui a été si féconde pour le pays qu'elle dessert, allait en dépérissant. Les souterrains établis dans des montagnes percées en tous sens par les mineurs s'affaissaient ça et là ou descendaient en masse. Les rails étaient usés et le chemin était à peine viable. Le matériel des transports était insuffisant, et, par l'effet de conditions onéreuses prescrites à la compagnie, il se détruisait avec rapidité. Les actionnaires ne recevaient pas de dividendes. Les exploitants des mines, qui auraient dû bénir la compagnie, à cause du développement que le chemin de fer avait donné à l'extraction des houilles, se montraient animés contre elle d'une haine qui semblait implacable. Il fallait lutter contre mille causes actives de dépense et de destruction, contre des passions obstinées, contre un tarif abaissé à l'excès. Coste le fit avec bonheur. Les souterrains ont été consolidés ( sans interrompre d'un seul jour le service des voyageurs , Coste fit reconstruire une grande partie des souterrains de Couzon et de Terre-Noire , où il n'existe qu'une voie. Il élargit le souterrain de la Mulatière pour y placer une double voie), les rails se renouvellent sur toute la ligne ( par les soins de Coste le renouvellement intégral a v|j|u lieu sur 37 kilomètres de double voie) ; la voie est en bon état ; les règlements relatifs aux wagons ont été modifiés, le service s'opère avec régularité et économie ( en substituant le graissage anglais pour les essieux des wagons à l'ancien graissage à l'huile d'olive , Coste a réalisé au profit de la compagnie une économie annuelle de 50 à 55.000 francs sur ce seul article). Il avait agrandi et perfectionné le service des voyageurs, qui est pour la compagnie une source abondante de revenus ( pendant l'année qui précéda sa gestion, le nombre des voyageurs avait été de 182.000. En 1840, ce nombre a atteint 420.000. Le transport des houilles a subi aussi une augmentation considérable, mais proportionnellement moins forte : de 358.000, il s'est élevé à 580.000). En un mot, l'héritage qu'il laisse à la compagnie n'est ni plus ni moins que le rétablissement de ses affaires. Aussi, au milieu des désastres causés par les débordements du Rhône et de la Saône, la compagnie regarde-t-elle la perte de son directeur comme le plus irréparable de tous.

Plein d'un désintéressement rare, Coste proposait dans les derniers temps, avec instance, une réduction sur son propre traitement, afin de supporter sa part d'une charge que la création d'un nouvel emploi faisait peser sur la compagnie; l'état fâcheux de sa santé lui ayant paru entrer au nombre des motifs qui avaient rendu nécessaire cette fonction nouvelle.

En même temps qu'il remettait de l'ordre dans le chemin de fer, il s'occupait de le rendre plus utile au pays, et plus productif pour la compagnie , en l'étendant. Tous les mariniers du Rhône ont remarqué que la partie supérieure du cours de ce beau fleuve est sujette à des brouillards qui arrêtent la navigation et fréquemment retiennent à Lyon les bateaux à vapeur destinés à transporter les voyageurs à Avignon, à Beaucaire et à Arles. A Vienne, ces brouillards cessent , et, de là jusqu'en Provence, le Rhône en est dégagé. Vienne est d'ailleurs un centre important de consommation pour les charbons de Saint-Etienne. Or, Vienne n'est qu'à 10 kilomètres de Givors, où le chemin de fer descendant de Saint-Etienne vient rencontrer le Rhône. Coste conçut le projet d'un embranchement de Givors à Vienne. ïl l'étudia soigneusement avec M. Garella, ingénieur des ponts et chaussées, et voulut en faire son affaire personnelle. C'eût été un service signalé rendu au commerce de Lyon, qui, chaque matin, fût allé chercher à Vienne les bateaux à vapeur , dont le départ à heure fixe eût été assuré. La population industrieuse de Vienne et la compagnie du chemin de fer n'en eussent pas moins profité. De concert avec quelques capitalistes de ses amis, il proposa à la compagnie de s'en charger, à ses risques et périls, sous la seule condition qu'elle garantirait pendant un certain nombre d'années un minimum d'intérêt de 4 %. La compagnie, mal inspirée ce jour-là, repoussa une proposition aussi avantageuse. Si Coste avait vécu, il est probable qu'il l'eût fait revenir de cette détermination , et que son offre eût été bientôt acceptée avec reconnaissance.

Le 12 mai 1838 il fut promu à la première classe de son grade.

Léon Coste épousa, en 1838, une jeune femme charmante , la fille de l'un des plus honorables banquiers de Paris. Par une lamentable fatalité, les germes du mal qui devait l'emporter se manifestèrent précisément vers cette époque. A la fin de 1839, sa double famille s'alarma, et il dut se soumettre à un traitement rigoureux. Les progrès de la maladie se ralentirent, mais ne s'arrêtèrent point. Dès le commencement de la belle saison, en mai dernier, il se rendit aux eaux de Kreutznach , qui aussi se montrèrent impuissantes. Néanmoins il retourna à Lyon et reprit ses fonctions de directeur du chemin de fer. A l'automne, les symptômes devinrent effrayants. Il n'en fut pas troublé , et quand se déploya l'inondation qui a occasionné tant de malheurs dans les vallées de la Saône et du Rhône , à Lyon surtout, et qui a dévasté le chemin de fer, on le vit, miné par la fièvre, épuisé , exténué, se lever du lit qui allait être son lit de mort, se rendre sur les points menacés ou compromis , tout inspecter lui-même , et tracer de sa main affaiblie les ordres de surveillance et les plans de réparation. Peu lui importait de mourir si ce devait être en accomplissant ce que sa conscience scrupuleuse lui disait être son devoir. C'était pour lui mourir au champ d'honneur. Le 4 novembre il fit sa dernière course. Le 9 commença une crise terrible , et le 11 il n'était plus. Sur sa tombe doit être placée une pièce de fonte que lui apportèrent les ouvriers reconnaissants du Creusot, quand il dut se séparer d'eux , et qui offre l'inscription suivante :

LE CREUSOT A M. LÉON COSTE.

C'est en effet un précieux souvenir de l'acte qui avait le plus contribué à le placer haut dans la considération publique, dans l'estime et l'affection de ses camarades, et qui avait autorisé tant d'espérances, sitôt, hélas! et si cruellement renversées !

Pierre-Léon Coste est mort avant d'avoir trente-six ans accomplis. La mort l'a frappé lorsque tout, dans la vie, semblait lui sourire. Elle l'a enlevé au moment où il commençait à recueillir le fruit de ses nombreux et infatigables travaux; à l'instant où les brillantes facultés et les qualités solides dont la nature s'était plu à le doter étaient arrivées à leur maturité. Comblé des jouissances les plus pures et les plus douces de la famille et de celles des plus flatteuses amitiés, riche, considéré et aimé de tous, il paraissait n'avoir plus rien à envier. Un bel avenir se déroulait devant lui. Il avait pris place aux plus hauts rangs de l'industrie nationale; il comptait parmi les hommes de science les plus utiles au pays. Les voies de la divine Providence sont bien mystérieuses; inclinons-nous devant sa volonté suprême; mais pourquoi donc a-t-il fallu qu'un impitoyable arrêt vînt à l'improviste anéantir ce présent si riant, ces rêves si séduisants d'avenir ?