Déodat de DOLOMIEU (1750-1801),
chevalier de Malte, ingénieur des mines et membre de l’Institut national

Par Jean GAUDANT

Conférence ABC Mines du 16 juin 2005
Publié à nouveau dans ABC mines, mai 2008, bulletin n. 29

Dans l’après-midi du 7 frimaire de l’An X de la République, soit le 28 novembre 1801, deux hommes descendirent de leur voiture hippomobile devant la modeste maison qui servait de mairie à la commune de Châteauneuf, dans l’arrondissement de Charolles (Saône-et-Loire). C’étaient Étienne de Drée, propriétaire du château du lieu et époux d’Alexandrine de Gratet de Dolomieu, et Claude Déal, le juge de paix de Châteauneuf. Ils venaient déclarer au maire de la commune le décès de « Déodat-Guy-Tancrède de Gratet de Dolomieu, membre de l’Institut national, ci-devant Commandeur de Malte, décédé le Jourd’hui à onze heures du matin, âgé de cinquante un ans ».

Le défunt était né le 23 juin 1750 au château de Dolomieu, près de La Tour-du-Pin (Isère) et avait été baptisé le lendemain matin dans l’église du village sous les prénoms de Dieudonné-Sylvain-Gui-Tancrède (dit Déodat). Il était le quatrième enfant de « haut et puissant seigneur Messire François de Gratet marquis de Dolomieu », propriétaire du château, et de « haute et puissante Dame Marie-Françoise de Béranger ».


Le chateau de Dolomieu (Isère) où naît Deodat de Dolomieu
Cliché Jacques Debelmas

À l’âge de deux ans, son père versa pour lui un droit de passage pour lui permettre de devenir ultérieurement chevalier de l’Ordre de Malte, ce qui impliquait la nécessité de se conformer aux vœux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté (interdiction de contracter mariage).

À quatorze ans, Déodat de Dolomieu s’engagea dans les carabiniers, avant de faire, deux ans plus tard (1766), son noviciat sur les galères de l’Ordre. Hélas, en 1768, lors d’une escale à Gaeta, entre Naples et Rome, notre héros tua en duel l’un de ses camarades et fut condamné à la réclusion à perpétuité. Toutefois, grâce à la médiation du duc de Choiseul, au nom du roi Louis XV, et du cardinal Torrigiani, pour le pape Clément XIII, sa peine fut finalement réduite à neuf mois de détention, qu’il mit à profit pour se cultiver en lisant les ouvrages que ses camarades lui apportaient de la bibliothèque. Après quoi il fut réintégré dans tous ses droits en mars 1769, ce qui lui permit de participer sur sa galère à une nouvelle croisière qui le conduisit à Pantelleria en octobre de la même année.

Peu après, notre héros regagna la France et séjourna un temps à Dolomieu et à Grenoble où il se forgea une réputation de grand séducteur puisqu’on prétend qu’il aurait inspiré à Choderlos de Laclos, alors en garnison à Grenoble, certains traits du personnage de Valmont des Liaisons dangereuses.

Dolomieu rejoignit ensuite à Metz son régiment de carabiniers et fréquenta les milieux cultivés de cette ville qui s’enorgueillit d’une Académie réputée. Il y suivit notamment les cours de chimie de Jean-Baptiste Thyrion, apothicaire major à l’hôpital militaire, dont, accessoirement, il séduisit la fille. C’est à Metz que Dolomieu fit la connaissance du duc Alexandre de La Rochefoucauld, colonel au régiment de la Sarre et membre de l’Académie des sciences, une rencontre qui se révéla décisive car c’est lui qui l’initia à la géologie et à la minéralogie.

En 1775, Dolomieu voyagea en Anjou et en Bretagne, y visita plusieurs mines et s’intéressa à la formation du salpêtre. De retour à Paris, il fréquenta le salon de la duchesse d’Enville, mère d’Alexandre de La Rochefoucauld, et y fit la connaissance de Daubenton.

En août 1776, après s’être fait réformer, Dolomieu retourna à Malte. Deux ans plus tard, il fut désigné comme secrétaire du prince Camille de Rohan à qui avait été confiée une ambassade au Portugal. C’est ainsi que Dolomieu séjourna au printemps de 1778 à Lisbonne dont il eut le loisir d’observer le basalte qu’il considéra comme un « produit du feu », tout en se demandant s’il pouvait exister un rapport entre ces anciens volcans et les tremblements de terre, et notamment celui qui avait détruit Lisbonne une vingtaine d’années plus tôt. Il écrivit à leur sujet plusieurs lettres à Faujas de Saint-Fond, lequel les publia immédiatement dans ses Recherches sur les volcans éteints du Vivarais et du Velay (1778).

À l’automne de 1778, Dolomieu, qui avait été nommé en août correspondant de Daubenton à l’Académie des sciences, se rend à Lyon pour y être intronisé chevalier de l’Ordre de Malte. Nommé commandeur deux ans plus tard, il reçoit la commanderie de Sainte-Anne, près d’Eymoutiers (Haute-Vienne), qui lui assurera de substantiels revenus.

Il entreprend en 1781 l’étude de l’Etna, des volcans éteints du sud-est de l’île et des volcans actifs des îles Lipari (Stromboli et Vulcano), ce qui donnera lieu à la publication de son Voyage aux îles de Lipari (1783) et du Mémoire sur les volcans éteints du Val di Noto en Sicile (1784). Entre temps, Dolomieu s’est rendu à Toulouse, d’où il a excursionné dans les Pyrénées centrales en compagnie de son ami Picot de Lapeyrouse. Il s’y persuade que l’inclinaison des couches résulte de leur redressement et que l’ophite est un « produit du feu » alors que son inventeur, Pierre-Bernard Palassou n’y avait vu l’année précédente qu’une « matière argileuse ». Mais Dolomieu ne publia pas ces observations qui ne furent exhumées qu’en 1918 par Alfred Lacroix.

Une période troublée commence alors pour Dolomieu lorsqu’il est nommé en 1783 lieutenant général de l’Ordre de Malte et gouverneur de La Valette car il va rapidement entrer en conflit à la fois avec le Grand Maître et avec le roi de Naples, protecteur de l’Ordre, ce dont il paiera les conséquences à la fin de sa vie. Il démissionne de sa charge après quelques mois et, ainsi libre, part en février 1784 étudier les effets du séisme destructeur qui a ravagé la Calabre et détruit la ville de Messine l’année précédente. Il en tire la matière d’un mémoire publié la même année, dans lequel il fait preuve d’une grande perspicacité, bien qu’il y considère les tremblements de terre comme des effets secondaires du volcanisme par le truchement de la « théorie des cavités » selon laquelle, à la place des matières volcaniques rejetées par l’Etna, d’importantes cavités, responsables de l’instabilité de l’écorce terrestre, se seraient formées sous la Calabre. Il se préoccupe notamment de déterminer le « centre de l’explosion » (épicentre) et d’étudier sa migration d’une secousse à l’autre. Il constate également que l’intensité des destructions dépend à la fois de la nature du sol (les édifices bâtis sur des roches meubles subissant les dommages les plus importants) et de la qualité de la construction.

Durant l’été de 1784, Dolomieu est à Rome. Il en profite pour examiner à Velletri la collection d’antiquités grecques et romaines de Stefano Borgia, en vue d’un ouvrage qu’il projette sur les « pierres propres à polir ». Il y remarque notamment que les sculpteurs antiques utilisaient un marbre spécial (le « marmo graeco duro ») particulièrement résistant aux intempéries. En 1786, il décide de se porter candidat au Conseil de l’Ordre. Ayant échoué, il engage des procédures à Rome, puis à Paris, mais celles-ci n’aboutissent pas car ses adversaires font systématiquement appel.

L’année 1789 fut à plusieurs égards capitale pour Dolomieu. En juin, il est à Rome et pose pour Angelica Kauffman qui peint son portrait, le seul peint de son vivant. D’août à octobre, il entreprend, en compagnie de Fleuriau de Bellevue (1761-1852) une expédition de 300 lieues à travers les montagnes du Tyrol, dont la partie méridionale allait prendre, près d’un siècle plus tard, en son honneur, le nom de Dolomites. C’est dans le massif du Brenner — plus exactement dans celui du Stubai, à l’ouest du col du Brenner — que Dolomieu échantillonna les fameuses « pierres calcaires très peu effervescentes avec les acides et phosphorescentes par la collision » que Nicolas-Théodore de Saussure, le fils de Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799), rendu célèbre par ses Voyages dans les Alpes, allait nommer « dolomie » trois ans plus tard.

En 1791, Dolomieu décide de rentrer en France. Il débarque en juin à Marseille et gagne Paris. Favorable aux idées nouvelles, il participe aux activités du Club de 89 qui regroupe des monarchistes constitutionnels parmi lesquels Lacepède, Lamarck, Lavoisier et Delamétherie, puis rejoindra le club des Feuillants où il retrouve son ami Alexandre de La Rochefoucauld et La Fayette. Il commence également à publier son Mémoire sur les pierres composées (1791-1792), dans lequel il développe sa théorie de la Terre, très inspirée par les idées de Werner.

L’année suivante, la vente des biens de l’Ordre de Malte a pour effet de le priver des revenus que lui procurait la Commanderie de Sainte-Anne. Il est alors sans ressources et s’installe à La Roche-Guyon où se sont réfugiées la duchesse de La Rochefoucauld et la duchesse d’Enville après le massacre d’Alexandre de La Rochefoucauld survenu à Gisors le 4 septembre 1792. Il y séjournera pendant la Terreur. Ce n’est donc que vers la fin de celle-ci qu’il se rend dans les Alpes au printemps de 1794 pour visiter la mine de Pesey (Hautes-Alpes). C’est aussi en 1794 qu’il publie un mémoire sur la Distribution méthodique de toutes les matières dont l’accumulation forme les montagnes volcaniques et le Mémoire sur les roches composées en général et particulièrement sur les pétro-silex, les trapps et les roches de corne…

Nommé ingénieur des mines en 1795, Dolomieu est élu à l’Institut national en décembre de la même année. L’année suivante, il enseigne à l’École des mines de février à avril. On connaît le contenu de son cours principalement grâce aux notes prises et mises en ordre par Louis Cordier. Il y développe une classification des roches en quatre catégories :

- Terrain de précipitation ou « primitif » ou « primordial » regroupant le granite, le gneiss et le calcaire cristallin azoïque ;
- Terrain de sédiment constitué de calcaire stratifié renfermant des fossiles ;
- Terrain de transport dans lequel on reconnaît les débris des deux terrains précédents ;
- Terrains volcaniques formés de matières rejetées des profondeurs de la Terre par l’action des feux souterrains.

En 1797, il est contraint d’interrompre prématurément son enseignement dont on connaît cependant la leçon inaugurale qui parut dans le tome 2 du Journal de Physique de Jean-Claude Delamétherie, sous le titre Discours sur l’étude de la Géologie. Il y oppose tout d’abord, dans les termes suivants, minéralogistes et géologues.

En effet, « avec des méthodes claires & précises, & le secours des échantillons de cabinet, on peut faire de bons Minéralogistes, en tant que cette qualification, restreinte à son acception ordinaire, n’exige que la connoissance des produits du règne minéral, considérés comme formant des genres & des espèces, & ne se rapportant qu’à leur constitution intrinsèque & à leur dénomination… ».

En revanche, poursuit-il, « je doute qu’avec des livres & des théories écrites ou dictées, on puisse enseigner la géologie ; je doute que, sans étudier la Nature elle-même, on puisse prendre des notions exactes, & sur le gisement des minéraux, & sur l’allure des filons, & sur une infinité de phénomènes & d’accidens intéressans, qui ne peuvent être qu’imparfaitement décrits, & de Saussure lui-même pût se passer de la vue des grands objets qui lui ont inspiré l’ardeur nécessaire à ses grands travaux... ».

En effet, souligne-t-il, « ne peuvent être considérés comme Géologues, quoique s’occupant de géologie, ceux qui, pour nourrir leurs méditations sur ce sujet intéressant, se bornent à recu[e]illir des citations & des autorités dans les relations des Voyageurs, qui les arrangent & les combinent d’une manière quelconque pour en former un ensemble qu’ils nomment ensuite systême du monde ».

Une autre remarque d’une grande portée concerne les relations existant entre la géologie et les autres sciences : « Aucunes [sic] des sciences mathématiques, physiques, naturelles & chimiques n’est étrangère à la géologie ; toutes servent aux recherches dont cette dernière science est l’objet. Deluc nous a montré les liaisons qui existoient entre la météorologie & la théorie de la terre, quoique les connoissances de l’une paroissent d’abord très éloignées des recherches de l’autre ; & Cuvier vient de nous présenter des observations très-curieuses, par lesquelles il nous promet que l’anatomie comparée peut répandre d’importantes lumières sur plusieurs grands problèmes géologiques. [Dolomieu fait ici référence à un bref article de Cuvier qui qprès avoir démontré que les éléphants d'Afrique et d'Asie appartiennent à deux espèces distinctes, affirme que le mammouth constituait une espèce différente, aujourd'hui disparue].

Mais c’est principalement dans l’étude de la minéralogie proprement dite, & de la chimie, que doivent s’exercer ceux qui veulent méditer sur la constitution de nos continens, & étudier les montagnes ; car comment déterminer la nature des substances qui forment les couches & les grandes masses ? […] si d’avance l’œil ne s’est pas exercé sur toutes les substances du règne minéral ? ».

Parmi les qualités requises pour devenir géologue, Dolomieu énumère la patience, la persévérance, le courage, la curiosité mais surtout, il faut à celui-ci « un esprit exempt de préventions, passionné de la vérité seule, & sur-tout étranger au désir de défendre ou de renverser des systèmes, parce que dans le cas où, avant d’avoir interrogé la Nature, il se seroit abandonné aux écarts d’une imagination vive pour inventer des théories, il se trouveroit semblable à un Peintre de paysage qui ne regarderoit les objets qu’à travers un verre coloré, & qui cependant prétendroit imiter les teintes de la Nature ».

Citons enfin une remarque prophétique : « Je vous ai donc dit que c’étoit principalement dans les montagnes que le Géologue devoit aller méditer sur les révolutions du globe, rechercher les causes qui ont pu produire l’espèce de désordre dans lequel nous le trouvons, consulter les monumens qui servent de preuves authentiques aux anciens cataclismes, destructeurs d’un ordre de choses antérieur, supputer l’ancienneté de nos continens, & calculer les effets que doivent produire, à la longue, les moyens employés par la Nature pour abaisser les sommets, combler les gorges, adoucir toutes les formes, augmenter les talus, ralentir le cours des eaux en diminuant les pentes, prolonger nos continens par des atterrissemens, & faire disparaître les traces des anciens bouleversemens. Je vous ai dit que l’étude des montagnes pouvoit seule conduire à la solution des grands problèmes relatifs à la théorie de la terre ».

En 1798, Dolomieu publia son Rapport sur ses voyages de l’An V et de l’An VI. En mai 1797, il s’était en effet rendu en Auvergne où il s’était convaincu de l’origine profonde des laves. Après avoir comparé les volcans d’Auvergne à des taupinières isolées reposant sur le granite, il fut ainsi en mesure d’affirmer que « les agens volcaniques ont résidé sous le granite » et que « le granite n’est pas ici la roche primordiale puisqu’il est nécessairement postérieur aux matières qui supportent ses masses ». En juillet de la même année, il avait gagné les Alpes où il avait observé la structure des aiguilles granitiques de Chamonix, formées de grandes masses granitiques qui s’épaulent mutuellement, et les dalles de gneiss du mont Rose qui reposent les unes sur les autres. Il évoqua alors l’action de « refoulemens verticaux » produits par une force violente.

C’est ainsi que s’acheva l’œuvre géologique de Dolomieu. En effet, une aventure grandiose l’attendait. Au début de 1798, il avait été approché par Claude Berthollet qui, tout en conservant le mystère, l’avait entretenu d’un projet de grand voyage. Il s’agissait de l’expédition d’Egypte. En mai, Dolomieu embarqua à Toulon sur le Tonnant. Bonaparte le contraignit à son corps défendant à négocier la capitulation de Malte, ce qui eut ultérieurement pour lui des conséquences désastreuses. Arrivé début juillet à Alexandrie, Dolomieu participa aux travaux de l’Institut d’Égypte mais, en désaccord avec Bonaparte, il demanda après quelques mois regagner l’Europe. Ce n’est toutefois que le 7 mars 1799 qu’il put quitter Alexandrie à bord de la Belle Maltaise. On connaît la suite, notamment par le récit qu’il écrivit sur les marges de son exemplaire personnel de la Minéralogie des volcans de Faujas de Saint-Fond : la violente tempête qui contraignit le navire désemparé à se réfugier dans le port de Tarente, alors aux mains du roi de Naples, la capture, le transfert à Messine et sa mise au cachot, dont il ne sera libéré que le 15 mars 1801.

Doté d’une force de caractère hors du commun, Dolomieu tenta de ne pas se laisser abattre par ce coup du sort car c’est dans ce cachot qu’il entreprit de rédiger une première version de son ouvrage Sur la philosophie minéralogique et sur l’espèce minéralogique, dont le manuscrit est conservé aux Archives de l’Académie des sciences. Toutefois, les mois succédant aux mois, sans perspective de libération et pratiquement sans nouvelles de l’extérieur, il arrivait parfois à Dolomieu de désespérer. Ainsi note-t-il le 12 octobre 1799 : « Jamais la mort n’a été désirée aussi vivement que par moi. Je ne demande plus à la fortune qu’une fièvre chaude qui m’emporte en peu de jours ; je ne puis encore me décider à y suppléer, quoique j’en sois bien tenté dans certains moments ». Et le jour de l’an 1800, son moral est à nouveau au plus bas : « Comment, dira-t-on, ne pas franchir les barrières d’une vie aussi exécrable ; pourquoi ne pas se délivrer d’une pareille existence ? ». Son journal de captivité s’interrompt quelques jours plus tard. Or il avait encore à subir quatorze mois de cet enfermement inhumain avant de recouvrer enfin la liberté le 15 mars 1801 !

Sans doute est-ce durant cette période qu’il dressa la liste de ses principaux amis, à laquelle fait suite une galerie de portraits alertes dont nous avons extrait ceux de minéralogistes connus :

« LelièvreMembre de l’Institut. Homme dont le fond vaut bien mieux que les formes, et dont les manières brusques, souvent dures, masquent un cœur excellent. Aussi bon père de famille qu’il est bon ami, strict à remplir ses devoirs, mais exigeant la même exactitude dans les autres. » […] [p. 359]

« CordierJeune homme qui a de l’esprit et qui pourra figurer dans la carrière des sciences. Sa conduite envers moi, pendant tout le temps qu’il m’a accompagné, a été parfaite, toujours mesurée, toujours attentive, toujours obligeante. Aussi mes sentiments pour lui sont ceux d’un père. J’aurais voulu qu’on le fit moins ressouvenir qu’il porte une jolie figure. Je désire que des avantages précoces ne dilatent pas trop son amour-propre. Mais le temps fanera l’une, la fréquentation du monde contiendra l’autre ; et toutes les excellentes qualités resteront. » [p. 361]

« Gillet-LaumontBon, franc, loyal, tête ardente, cœur chaud et ouvert, aimant avec transport les sciences, avec passion l’établissement qu’il dirige, et sans réserve ceux à qui il s’est attaché. Tout ce que l’ouïe a perdu chez lui en sensibilité, les autres sens semblent l’avoir acquis en activité. Aimé de tous ceux qui le connaissent, et digne de toute leur estime. » [p. 362]

« BrochantFigure aimable, esprit, talents, fortune honnête, voilà, mon jeune ami, de grands moyens de bonheur. […] » [p. 366]

« HaüyLorsque, avec de l’esprit, des connaissances profondes et très variées, du talent pour écrire, de la méthode, de la perspicacité, et de la patience pour poursuivre la découverte des moindres phénomènes de la nature, on a acquis une réputation méritée, on pourrait ne plus affecter une aussi grande modestie, et prendre le ton assuré qui convient à la propre opinion que l’on a de sa capacité. Vous pouvez donc, cher collègue, occuper tout votre siège, lorsque vous êtes dans le monde, et votre place y sera bien remplie. » [p. 374]

« Bro[n]gniartOn peut très bien être content de son lot quand on possède un esprit très juste, une conception aisée, des idées bien claires et une élocution facile, et on fait autant pour les sciences, lorsqu’on les enseigne parfaitement bien, que lorsqu’on avance de quelques toises les bornes qui terminent leur carrière. Un très habile professeur figure parmi les hommes illustres. […] » [p. 375]

« VauquelinUn grand talent ne reste pas au second rang, quelle que soit la modestie qui l’y retienne, la justice du public le fait bientôt passer au premier. C’est ce qui est arrivé à cet illustre chimiste. Il ne se doutait pas de sa réputation, qu’il comptait déjà parmi les hommes célèbres dans la carrière des sciences. » [p. 390]

« Duhamel FilsTout le monde ne peut pas avoir le même genre de mérite, et les talents les plus utiles sont ceux qui sont les plus appropriés au métier que l’on fait. Ceux de mon ami Duhamel servent beaucoup mieux la chose publique que s’il avait dirigé ses connoissances vers des sciences purement spéculatives. On y gagne moins de renommée, mais on a la satisfaction de mieux faire. […] » [p. 391]


Le chateau de Chateauneuf (Saône et Loire) où meurt Deodat de Dolomieu (28 novembre 1801) Cliché Michel Ducroz

Lorsqu’il fut enfin libéré, il ne restait plus à Dolomieu que huit mois et demi à vivre. Il s’employa tout d’abord à faire éditer son essai Sur la philosophie minéralogique et sur l’espèce minéralogique, auquel il avait travaillé dans son cachot de Messine. Ayant été nommé in absentia professeur de minéralogie au Muséum national d’histoire naturelle dans la chaire libérée par le décès de Daubenton, il mit son point d’honneur à le faire paraître très rapidement. L’intérêt de Dolomieu pour la minéralogie s’était en effet accru après sa nomination comme ingénieur des mines, comme en témoigne une série d’études sur l’émeraude, le béryl, la leucite, la strontiane sulfatée, le pyroxène et la tourmaline blanche. Dans ce qui demeurera en quelque sorte comme son testament scientifique, Dolomieu s’efforça de relier la notion de « molécule intégrante », chère à Romé de l’Isle et à René-Just Haüy à celle d’« espèce minéralogique » car il était convaincu que celle-ci « dépend uniquement de la constitution » de celle-là. Développant ensuite sa pensée, il estimait que « L’espèce minéralogique a […], en quelque sorte, une double existence, l’une occulte, l’autre apparente […]. Avant d’ajouter : « Je nommerai la première existence chimique de l’espèce, laquelle est complète aussitôt que la molécule intégrante est constituée ; la seconde sera son existence physique, laquelle n’est complète que lorsque la masse, instituée par l’aggrégation [sic], peut être considérée comme représentant un individu » [p. 60]. Dolomieu nommait alors « superfluités » les « substances qui sont adhérentes à la molécule intégrante plutôt qu’admises dans sa constitution » et précisait qu’« elles se bornent ordinairement à donner une coloration variable aux espèces pour lesquelles la couleur n’est pas essentielle, et à leur ajouter quelques propriétés également extrinsèques, comme la phosphorescence, l’odorabilité, etc., etc. » [p. 72]. Résumant sa pensée, Dolomieu pouvait enfin définir « l’espèce minéralogique » comme « un être distinct de tous les autres par une constitution particulière, qui reçoit de cette constitution tout ce qui doit la caractériser. Cet être existe dans la molécule intégrante ; il est représenté physiquement par les masses homogènes qui ont été soumises aux lois de l’agrégation régulière et il tient sous sa dépendance tous les êtres qui ont une semblable constitution […] » [p. 122]. Ainsi, la forme cristalline des minéraux était-elle considérée par Dolomieu comme l’expression morphologique de leur constitution chimique.

CONCLUSION

À la fois géologue et minéralogiste, Dolomieu a laissé à la postérité une œuvre multiforme. Qu’on en juge : volcanologue, après avoir compris que les basaltes qu’il avait échantillonnés aux environs de Lisbonne sont des « produits du feu », il étudia tout particulièrement l’Etna dont il proposa un « catalogue raisonné des productions volcaniques ». Il réalisa par ailleurs des observations pertinentes sur les causes des destructions produites par le tremblement de terre qui ravagea la Calabre en 1783. « Lithologiste » — c’est-à-dire pétrographe —, il s’intéressa tout particulièrement aux « roches composées ». Son intérêt pour les statues antiques le mit sur la piste de la roche calcaire que les sculpteurs italiens appelaient « marmo graeco duro », dont il avait constaté qu’elle est très résistante aux intempéries. Cette roche, dont il alla recueillir des échantillons dans les montagnes du Tyrol, en compagnie de Fleuriau de Bellevue, assura sa célébrité à travers le nom de « dolomie » que lui attribua Nicolas-Théodore de Saussure. Près d’un siècle plus tard, ce fut le massif des Dolomites qui fut baptisé en son honneur, rendant ainsi son patronyme immortel.

Dans le domaine géologique, l’esquisse de théorie de la Terre qu’il présenta en 1791 en introduction à son Mémoire sur les pierres composées et sur les roches, ne laisse aucune ambiguïté sur l’influence exercée sur Dolomieu par le maître de Freiberg, Abraham Gottlob Werner (1749-1817) la Kurze Klassification der verschiedenen Gebirgsarten avait été publiée quatre ans plus tôt. On retrouve en effet chez Dolomieu la notion de « précipitation primitive » censée avoir donné naissance aux granites, qui sont le constituant essentiel des « Urgebirge » ou « montagnes anciennes » de Werner. Les « Übergangsgebirge » ou « montagnes de transition » chères à Werner ne sont pas formellement reconnues par Dolomieu qui nomme en revanche « couches coquillières » les « Flötzgebirge » ou « montagnes en couches » du maître de Freiberg. L’autre influence notoire est celle exercée par Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799), le célèbre auteur des Voyages dans les Alpes (1779-1796), que Dolomieu considérait comme son maître dans le domaine de la géologie alpine, car il lui servit de guide pour l’interprétation du redressement des couches anciennes qui constituent le centre de la chaîne en proposant en 1784 la notion de « refoulements horizontaux en sens contraire ». De même, en minéralogie, Dolomieu a subi l’influence indéniable de Torbern Bergmann (1735-1784) et de Johann Gottschalk Wallerius (1709-1785) qui accordaient tous deux une importance fondamentale à la constitution chimique des minéraux.

Pour en savoir plus :

En outre, les notes prises par L. Cordier au cours que Dolomieu donna à l'Ecole des mines en 1796.