Alexandre Gustave HERAULT (1780-1848)

Né le 29/7/1780.


Publié dans la Notice Historique sur l'Ecole des Mines de Paris, Louis Aguillon, 1889

Hérault, né en 1780, mort inspecteur général des mines honoraire en 1848, avait fait partie, avec Héron de Villefosse, de la seconde promotion, sortie de l'Ecole polytechnique en 1799, qui put achever ses études à Paris avant le transfert de l'École [des mines] à Moutiers.


NOTICE SUR M. HÉRAULT
par Léon François Alfred LECORNU (publié en 1883)

Messieurs ,

Je voudrais faire revivre ici, pendant quelques instants, le souvenir d'un homme qui avait choisi le Calvados pour sa patrie d'adoption et l'avait pris comme objet favori de ses études,

Hérault était né à Harfleur, en 1780. Entré à seize ans à l'École polytechnique, il opta à sa sortie pour la carrière des mines, et fit ses débuts d'ingénieur en Savoie, puis dans le Gard. En 1819, il arrivait à Caen et s'installait rue de l'Odon, n° 13, dans la maison occupée aujourd'hui par la direction des Contributions indirectes. Lorsque vint pour lui le moment d'obtenir le grade d'ingénieur en chef, il déclara son intention de refuser tout avancement qu'il faudrait acheter par un changement de résidence. Alors, nous dit une courte notice insérée en 1851, dans l'Annuaire normand, par un membre anonyme de l'Association normande, « M. de Montlivault, préfet du Calvados, qui, dans ses relations avec M. Hérault, avait été à même de reconnaître le mérite et les qualités de cet ingénieur, écrivit au ministre, auquel il le recommanda chaudement, en le priant de le laisser dans sa position première. A la même époque, les Sociétés savantes de la ville de Caen sollicitèrent M. de Vendœuvre, maire de Gaen, qui se trouvait alors à Paris, de faire auprès de la Direction générale des mines une démarche dans l'intérêt de M. Hérault. Ces efforts réunis, et la haute considération dont cet habile ingénieur jouissait, à si juste titre , dans l'esprit de son administration, eurent pour résultat de faire confirmer sa nomination d'ingénieur en chef, en l'appliquant à la résidence de Caen. Une telle décision mit le comble aux vœux de M. Hérault et de ses amis. »

En 1832, Hérault était promu à la première classe de son grade ; en 1840 , une ordonnance royale le nommait inspecteur général ; mais, cette fois encore, il montra pour notre cité un attachement invincible. La perspective d'aller vivre à Paris ne put elle-même le décider à accepter les hautes fonctions qui lui étaient offertes, et il resta à Caen, joignant seulement à son titre d'ingénieur en chef celui de directeur.

En 1845, admis, sur sa demande, à faire valoir ses droits à la retraite, Hérault fut autorisé en outre à prendre le titre d'inspecteur général honoraire. Il mourut le 21 août 1848, dans la ville qu'il habitait depuis près de trente ans.

Durant cette longue et tranquille carrière, Hérault consacra à la géologie de la Basse-Normandie tous les loisirs que lui laissaient ses occupations administratives. Il envoyait des collections de roches locales à l'École des Mines de Paris, à celle des Mineurs de St-Étienne, au Muséum de Paris , aux Musées de Caen, d'Évreux et de Strasbourg, à des cabinets particuliers de Leyde et de Berlin. Membre de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen, de la Société Linnéenne, de la Société d'Agriculture et de Commerce, de la Société des Antiquaires, il enrichissait les Bulletins de ces diverses Sociétés des résultats de ses travaux. C'est ainsi qu'il publia :

En 1824, dans les Mémoires de la Société Linnéenne, une étude sur les principales roches qui composent le terrain intermédiaire dans le Calvados ;

En 1830, dans le Bulletin de la Société d'Agriculture, qu'il avait présidée en 1826, un rapport sur les pierres à aiguiser et à polir, de Livry ;

En 1840, dans les Mémoires de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres, dont il avait été vice-président en 1836, une notice sur les recherches de charbon de terre faites à Feuguerolles.

L'excursion que nous devons faire demain sur les bords de l'Orne, m'engage, Messieurs, à vous résumer rapidement ce dernier travail, en le complétant par les notes manuscrites de l'auteur.

En 1786, Charles Pierre, entrepreneur des étapes à Caen, obtint l'autorisation d'exploiter pendant vingt ans les mines de charbon qui pourraient se trouver dans les terrains dépendant de la paroisse de May, généralité de Caen. Il associa à son projet plusieurs personnes de la ville ; mais, par une singularité inexpliquée, c'est dans la paroisse de Feuguerolles, voisine de celle de May, que furent exécutés les travaux de recherche. A l'endroit où affleurent des schistes et des calcaires noirs, chargés de graptolites et d'orthocératites, on perça deux puits, éloignés de la rivière d'Orne de 350 mètres environ, et distants entre eux de 40 à 50 mètres. Celui du sud avait 65 mètres de profondeur et aboutissait à une galerie de 65 mètres de longueur, dirigée vers l'Ouest.— L'autre puits n'avait que 31 mètres, et il se continuait par une galerie de 65 mètres dirigée vers l'est, c'est-à-dire du côté de la rivière. Au fond de cette dernière galerie, on creusa un puits souterrain de 24m,35 de profondeur. Les travaux furent abandonnés en 1790, sans autre résultat qu'une grande perte d'argent.

Quarante-six ans plus tard, en 1836, une nouvelle Société se forma à Caen sur l'initiative d'un sieur Lebrethon-Vallée, natif de St-Martin-de-Fontenay, et se mit à épuiser les eaux qui remplissaient les anciens travaux. Pour battre en brèche l'opinion de Hérault, qui s'efforçait avec grande raison de décourager une pareille entreprise, la Société fit venir de Paris, au mois de septembre 1837, un jeune homme qui a rendu depuis son nom illustre dans la science : ce jeune homme était Victor Regnault, alors aspirant au corps royal des mines. Il porta également un jugement défavorable. Le sieur Lebrethon-Vallée fit alors descendre dans le puits de 31 mètres, le seul qui fût entièrement mis à sec, un professeur de mathématiques du collège de Caen ; mais il ne put davantage obtenir de lui le certificat qu'il désirait, et bientôt la Société se trouva dissoute sans avoir fait autre chose que pomper l'eau des anciens travaux.

Tout en déclarant mal fondé l'espoir de trouver de la houille à Feuguerolles, par cette raison que le terrain est incontestablement antérieur au terrain houiller, Hérault ne rejetait pas la possibilité d'y trouver un combustible un peu différent, c'est-à-dire l'anthracite ; il remarquait, en effet, que les mêmes terrains fournissent cette substance dans les départements de la Sarthe et de la Mayenne. Mais les progrès de la géologie permettent aujourd'hui d'être, plus affirmatif. Les schistes de Feuguerolles sont siluriens ; or l'anthracite ne commence à apparaître que dans le terrain dévonien , et ne se développe réellement que durant la période carbonifère ; c'est à celle-ci qu'appartiennent les anthracites de la Sarthe et de la Mayenne. Si quelque matière charbonneuse devait être trouvée à Feuguerolles, ce serait plutôt le graphite, dont la valeur est nulle comme combustible, mais considérable à d'autres points de vue. Malheureusement, les gisements de graphite sont très-rares, et il faudrait une fortune inespérée pour en rencontrer dans notre pays.

Les Annales des Mines de Paris renferment plusieurs études de Hérault. On y trouve:

Une note sur la fonte d'essai des minerais de plomb à la fonderie centrale de Conflans (Mont-Blanc) ;

Une notice sur l'argent natif de Curcy (Calvados);

Enfin, une série de mémoires et de lettres sur les terrains du Calvados et de la Manche.

Toutes ces publications ne donnent qu'une idée fort incomplète des travaux de notre auteur. C'est dans ses rapports manuscrits, c'est dans sa correspondance qu'il faudrait fouiller. Mais une telle entreprise nous entraînerait trop loin ; car la plupart des questions intéressant la géologie et l'industrie de la Basse-Normandie ont été étudiées par lui avec la conscience et la lucidité d'esprit qu'il possédait à un haut degré. Citons seulement le tableau qu'il a dressé, en 1844, des sources minérales du Calvados. Hérault en compte dix, toutes ferrugineuses et froides. Une seule pourrait, d'après lui, être exploitée avec quelques chances de succès : c'est la source de Brucourt, appelée aussi fontaine de Dives, qui sort des argiles oxfordiennes et contient de l'acide carbonique, des sulfates de chaux et de magnésie, des chlorures de sodium et de magnésium , des sous-carbonates de fer, de chaux, de magnésie et de la silice. Aujourd'hui encore, un certain nombre de personnes viennent, pendant la belle saison, boire l'eau de Brucourt, et quelques bouteilles, en sont même expédiées à distance.

La mine de houille de Littry, qui était à cette époque en pleine prospérité, était pour Hérault l'objet de fréquentes visites; l'un de ses successeurs, M. Vieillard, dans son important travail sur le terrain houiller de la Basse-Normandie, a bien mis en lumière l'influence de cet ingénieur, « qui avait, dit-il, conquis auprès de la mine de Littry, en dehors de sa situation officielle , celle d'un conseil éclairé et justement apprécié. » C'est lui qui, convaincu de la jonction souterraine des bassins houillers du Calvados et de la Manche, détermina , en 1840, l'administration des travaux publics à entreprendre deux sondages, à Mestry et à St-Jean-de-Daye. Quelques accidents arrêtèrent malheureusement les travaux avant leur complet achèvement, et la démonstration matérielle de la continuité du terrain houiller reste encore à faire. Néanmoins, la dépense n'a pas été stérile; elle a donné des renseignements précieux sur la succession des dépôts que l'on doit traverser dans cette région avant de parvenir à la houille, et si, comme il est permis de l'espérer, le gisement de Littry est appelé à faire naître de nouvelles entreprises , les documents qui nous restent sur les sondages de 1840 seront consultés avec fruit.

Les études géologiques de Hérault sur notre pays sont résumées dans son ouvrage fondamental intitulé : « Tableau des terrains du département du Calvados », dont les premiers extraits parurent dès 1823, et dont l'édition complète, retardée par diverses circonstances, fut publiée en 1832. Ce travail est donc contemporain de la « Topographie géognostique du Calvados », par M. de Caumont, dont la première édition remonte à 1829.

Une comparaison détaillée des deux ouvrages serait intéressante, mais nous demanderait trop de temps. Nous devons d'ailleurs avouer qu'elle ne serait pas toujours à l'avantage de Hérault. Il n'avait pas, au même degré que M. de Caumont, cette justesse de coup-d'œil qui est le don le plus précieux du géologue ; il attachait, en outre, trop d'importance aux caractères minéralogiques des terrains, au détriment de la nature des fossiles. De là des erreurs et des confusions qui ont été relevées, en ce qui concerne les terrains jurassiques inférieurs, par notre collègue, M. Deslongchamps. Mais, ces réserves une fois faites, l'on ne saurait contester à Hérault de sérieuses qualités d'observation. Yoici ce que dit de son œuvre, au point de vue des terrains anciens, un juge bien compétent, Dalimier :

« Il est le premier qui ait compris la stratigraphie des terrains cambrien et silurien des auteurs. Deux lettres datées de Caen renferment sur les environs de Cherbourg, sur la Hougue, sur le sud de la Manche, des idées aussi justes que précises.....La description des roches qui composent le terrain intermédiaire dans le département du Calvados est un travail solide et instructif pour quiconque étudie la géologie de l'Ouest : ce n'est pas une classification sur de simples nuances pétrographiques ; le stratigraphe se laisse deviner sous les apparences du minéralogiste. »

Sans entreprendre, je le répète, de mettre en parallèle l'œuvre des deux géologues normands, je désire signaler un rapprochement curieux. M. de Caumont décrit une roche éruptive, intercalée dans les terrains de transition, entre Saint-Marc et Clécy, sur les bords de l'Orne , à Vieux, à Pierrefitte, à Orbois, à Parfouru-l'Éclin, et il lui donne le nom de diorite. Hérault, parlant de la même roche, indiquant les mêmes gisements, lui attribue le nom de diabase. Or, dans une lettre que Cordier, l'éminent minéralogiste du muséum, écrivait à notre auteur, le 20 février 1822, c'est-à-dire dix ans avant la publication du tableau des terrains, nous lisons l'observation suivante :

« Le nom de diabase est malheureux pour un étymologiste qui veut être conséquent, et il faut l'être quand on a le choix : car l'encombrement des noms mal faits est un obstacle pour la science. On a voulu dire : deux bases, et, faute d'avoir bien lu dans le Lexicon, on a employé un nom qui veut dire : à travers bases. J'emploie avec M. Haüy le nom de diorite, dont l'étymologie est fort juste. »

La critique de Cordier n'avait pas, vous le voyez, frappé beaucoup Hérault, puisqu'il conserve le nom de diabase. Le piquant de l'affaire, c'est qu'en fin de compte, et la question étymologique mise de côté, Hérault pourrait bien avoir raison. Les deux noms de diorite et de diabase ont en effet subsisté en pétrographie, mais pour désigner des roches différentes. La diorite renferme l'amphibole parmi ses minéraux constituants ; dans la diabase, c'est le pyroxène, minéral moins siliceux, qui prend la place de l'amphibole. Il est vrai que ces définitions donneraient encore tort à Hérault, car il est d'accord avec M. de Caumont pour mentionner, dans la roche des localités précitées, la présence de l'amphibole, à l'exclusion du pyroxène. Seulement, comme, à l'œil nu, la distinction est difficile, et comme l'examen microscopique des roches éruptives de l'Orne, de la Manche et de la Mayenne, précédemment regardées comme des diorites, a conduit dans ces derniers temps à en faire des diabases, il est assez vraisemblable qu'il en serait de même pour celles du Calvados.

De même que M. de Caumont, Hérault n'attachait pas une grande importance à l'étude des directions, qui est venue depuis lors donner tant de précision aux études stratigraphiques. En parlant des terrains de transition, il se borne à dire que les couches se dirigent à peu près du nord-ouest au sud-est : c'est, en effet, la direction qui s'observe nettement dans les grès de May. « J'ai été surpris, lui écrivait à ce sujet le savant secrétaire de la Société Géologique de France, Desnoyers, de ne voir indiquée dans votre chapitre des terrains de transition, l'un des plus intéressants de votre ouvrage , que la direction N.-W.-S.-E. Est-ce que plus au nord, vers Mortain et vers la Manche, cette direction n'est pas aussi, comme elle se présente dans le Cotentin, N.-E.-S.-W. ? »

A cette question, posée il y a cinquante ans, je crois pouvoir répondre aujourd'hui, Messieurs, que les deux directions se rencontrent effectivement La direction N.-W.-S.-E. domine dans le Calvados; mais si l'on marche vers l'ouest, de manière à atteindre le département de la Manche, on observe dans les chaînes de grès blanc qui dominent tout le pays un changement brusque de direction , et tandis que l'arête aboutissant à Jurques se dirige encore du N.-W. au S.-E., celles de Montabot et de Cerisy-la-Salle s'infléchissent vers le S.-W. Il y a eu dans l'intervalle, vers la région des Besaces, cassure et dislocation.

L'observation de Desnoyers était donc fort juste. Chose remarquable , notre compatriote Élie de Beaumont, qui allait bientôt systématiser l'étude des directions , écrivant, le 2 mars 1832, à Hérault, pour le remercier de l'envoi de son travail, formulait, de son côté, une observation presque identique. « Je regrette, disait-il, que vous ayez supprimé les indices de stratification dirigés du N.-E. au S.-W. »

Cette lettre d'Élie de Beaumont renferme un amusant post-scriptum. Parlant d'un individu , totalement inconnu d'ailleurs, « c'est, dit l'auteur, un pauvre hère qui tire le diable par la queue; mais, comme il ne la tire pas très-adroitement, je crains que le diable ne se fâche et ne le renvoie un de ces jours sur les bords de la Garonne, d'où il est débarqué il y a deux ou trois ans. »

Pardonnez-moi, Messieurs, cette citation , qui ne peut, je crois , nuire à la mémoire du grand homme dont la statue s'élève dans nos murs. Elle prouverait à ceux qui en douteraient que la géologie n'est pas incompatible avec la bonne humeur. Hérault, lui non plus , s'il faut en croire la notice de l'Annuaire normand, ne dédaignait pas la plaisanterie. « Il était, suivant elle, parfois caustique, mordant, mais sachant s'arrêter à propos. Quand il avait lancé un trait piquant, il jouissait; car il était né malin. » Cette malice était, hâtons-nous de le dire , tempérée par une grande bienfaisance et une parfaite loyauté. Hérault ne fut pas seulement un homme de science, il fut aussi un homme de bien.

Il ne méprisait pas non plus la poésie. Il fit imprimer vers 1836, sans nom d'auteur et à un très-petit nombre d'exemplaires, trois pièces de vers montrant que , comme il le déclare lui-même, malgré son isolement dans le monde, il n'avait pu rester impassible. S'adressant à une jeune dame, il lui dit :

« J'espérais t'oublier. Mais en vain. Ton image

Me poursuivait toujours. Reçois donc cet hommage

D'un rebelle vaincu, de l'être tourmenté,

Qui, cherchant la sagesse en fuyant la beauté,

Trouve en toi l'une et l'autre... »