Jules JEDLINSKI (né en 1811)

Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines, Janvier 1883

M. de Chancourtois, comme successeur d'Élie de Beaumont à l'Ecole des mines et ancien sous-directeur du service de la carte géologique détaillée, a voulu, par la notice suivante, rendre hommage à la mémoire de M. Jules Jedlinski (décédé le 29 novembre 1982 à l'âge de 71 ans), dont la collaboration a été des plus méritantes dans les travaux du relevé géologique de la France intimement liés à l'enseignement de l'École. M. Jedlinski avait été bien connu des élèves des promotions qui se sont succédé pendant trente années de service et particulièrement pendant les vingt dernières, dans les grandes courses géologiques qu'il suivait, après avoir contribué à les préparer. Les mêmes sentiments, qui avaient conduit notre Comité à lui confier le soin de ses archives, feront accueillir avec intérêt ce témoignage de souvenir.

M. Jules Jedlinski, à la suite de la guerre d'indépendance de 1831-1832 dans laquelle il avait, en méritant, bien jeune, la croix d'officier de l'Ordre militaire de Pologne, sacrifié l'avenir que lui ouvrait la position élevée de sa famille à Varsovie, s'occupa d'abord de l'instruction de ses compagnons d'infortune réfugiés comme lui en France, et devint directeur de l'École supérieure polonaise.

Décidé ensuite à prendre service dans le pays qui l'avait accueilli et où il n'avait pas tardé à trouver la compagne dévouée de sa vie, il entra en 1843 dans l'administration des travaux publics comme garde-mines de première classe, pour travailler sous les ordres de Dufrénoy et d'Élie de Beaumont à la publication de la carte géologique de la France qui venait d'être achevée.

La voie dans laquelle il s'engageait ne lui offrait en perspective hiérarchique que la promotion au grade de garde-mines principal, qu'il obtint en 1858; mais M. Jedlinski, n'abandonnant jamais ses espérances patriotiques, ne conservait d'autre ambition dans sa seconde patrie que celle de s'assurer par une occupation intéressante, à la résidence de Paris, les moyens de donner la meilleure éducation à ses deux fils, et la confiance pleine d'égards de ses chefs l'attacha bientôt complètement au rôle modeste où il trouvait d'ailleurs l'avantage, précieux pour lui, de donner du travail à quelques compatriotes.

Telle était cette confiance, qu'après la mort de Dufrénoy, Élie de Beaumont qui aurait pu réclamer le concours d'un certain personnel pour la publication dont il conservait toute la charge, se reposa sur lui seul du soin d'exécuter et de perfectionner les éditions successives de la carte générale au 500,000ème.

Les talents spéciaux de M. Jedlinski, utilisés d'autre part pour la production de plusieurs cartes géologiques départementales au 80,000ème et d'un premier fragment exposé en 1855, de la carte géologique de la France à la même échelle, furent du plus grand secours pour la préparation du grand fragment, comprenant 62 feuilles, de l'état major, dont l'exposition, en 1867, détermina l'institution du service de la carte détaillée, et lorsque cette institution fut décrétée en 1868, M. Jedlinski devint naturellement, en qualité de chef des travaux graphiques, la véritable cheville ouvrière de toutes les opérations embrassant, avec la comptabilité, le dessin des minutes, la reproduction lithographique et typographique, et le coloriage qui se faisait alors à la main, comme cela est toujours nécessaire pour donner aux cartes géologiques un caractère descriptif complètement satisfaisant.

Ceux-là seuls qui ont fait partie du service pendant la période de préparation, vraiment fiévreuse, et pendant celle presqu'aussi pénible de l'organisation, peuvent complètement apprécier toute la part qu'a prise le chef des travaux graphiques dans des labeurs poursuivis sans aucune interruption, même pendant le siège, avec des ressources que diminuaient nos malheurs publics.

Sans le concours d'un homme aussi capable et aussi dévoué, Élie de Beaumont n'aurait sans doute pas vu la fondation de l'oeuvre manifestée par la production, en 1873, de la première livraison qui, comprenant, avec 12 feuilles de la carte, 30 documents, planches de coupes, de perspectives et de figures de fossiles, tableaux de généralités et mémoires explicatifs, non seulement formait le point de départ de la publication, mais constituait, avec un ensemble complet de spécimens, le cadre du système d'exécution méthodiquement coordonné.

M. Jedlinski veillait à tous les détails avec un zèle infatigable et une sûreté de vue résultant d'une aptitude esthétique remarquable et de tout l'acquis d'une instruction générale distinguée.

Cette application, persévérante et au plus haut degré consciencieuse, de facultés sur lesquelles bien d'autres n'auraientpas manqué de baser des prétentions à une situation plus en lumière, offrait comme un reflet de ce dévouement généreux qui avait dominé sa jeunesse et dont la condition limitée de son âge mûr était la conséquence très dignement acceptée.

Aussi était-ce à bien juste titre que la décoration de la Légion d'Honneur avait été demandée en 1873 pour M. Jedlinski, comme récompense de trente ans d'excellents services couronnés par un si grand effort. Ce fut la dernière proposition signée d'Élie de Beaumont, proposition qui resta malheureusement sans effet par suite de la prépondérance que les services militaires prenaient alors nécessairement dans les promotions.

Après la mort de notre illustre chef, M. Jedlinski sentit qu'il n'avait plus qu'à se préparer à prendre sa retraite, et la demanda dès qu'il eut veillé avec ses scrupules habituels à la publication de la deuxième livraison de 12 feuilles, exécutée encore dans les anciens errements.

La mention des noms de tous les collaborateurs dans l'avertissement, et en tête de 21 feuilles, conserve au moins la mémoire de sa participation, aussi éminemment utile que constante, à la fondation d'une grande oeuvre d'intérêt public.

Pour la réalisation de telles oeuvres, il faut de tels hommes, et quand des efforts, condition essentielle du succès, ont été accomplis dans un rang hiérarchique moyen, ils n'en méritent que plus, ne serait-ce qu'à titre d'exemple, un témoignage de souvenir reconnaissant.

De CHANCOURTOIS.