Henry LE CHATELIER et la métallurgie

par G. CHARPY

Publié dans la REVUE DE METALLURGIE, janvier 1937

I. - La science industrielle

Il n'est pas facile d'isoler dans l'oeuvre de H. LE CHATELIER ce qui se rapporte à une technique particulière telle que la métallurgie. La doctrine qu'il avait édifiée pour son compte et qu'il a suivie pendant toute sa vie, écartait d'ailleurs les compartimentages qui ne dérivaient pas des principes scientifiques généraux. Sa façon de voir à ce sujet, qu'il a fréquemment exposée, se trouve indiquée, en particulier, dès le début du seul de ses ouvrages dont le titre contienne le mot de métallurgie. La préface de l'Introduction à l'étude de la Métallurgie, publiée en 1912, débute comme suit :

« Ce petit volume est la reproduction du cours de Métallurgie générale professé à l'Ecole des Mines. Le titre exact serait plutôt Leçons de Science Industrielle. A mon avis, en effet, l'enseignement dans les écoles techniques supérieures doit aujourd'hui tendre à devenir exclusivement scientifique et ne plus se contenter d'être exclusivement professionnel. En publiant ces leçons, mon intention est de joindre le précepte à l'exemple, en montrant la corrélation évidente qui rattache la grande révolution industrielle du XIXe siècle au développement des sciences expérimentales, nous établirons la nécessité de subordonner complètement l'enseignement technique aux méthodes scientifiques ».

Cette idée de Science Industrielle revient constamment dans l'oeuvre de H. LE CHATELIER et il importe de l'examiner attentivement. Dans certains cas, elle semble avoir été développée pour répondre à des polémiques assez oubliées aujourd'hui, par exemple, quand il écrit, en 1901, dans la Revue générale des Sciences :

« Mont but est de combattre le sentiment aujourd'hui très général en France que la science doit rejeter loin d'elle toute préoccupation des applications pratiques, qu'elle doit s'isoler de l'industrie comme d'une promiscuité compromettante ».

D'autres fois, le point de vue envisagé est plus général comme dans la citation suivante (1924) :

« La fusion de la théorie et de la pratique doit aujourd'hui être la préoccupation dominante de tous ceux qui s'intéressent, tant au progrès de la science pure qu'à celui de l'industrie.

« Faute d'une semblable collaboration, la science, privée de tout contrôle effectif, se perd en vaines imaginations, et l'industrie, privée d'une direction précise, s'immobilise dans des tâtonnements empiriques sans issue ».

C'est encore la même idée que reprend H. LE CHATELIER quand il cherche à définir avec plus de précision la Science Industrielle, dans l'Introduction à l'étude de la Métallurgie :

« Dans son essence, la Science Industrielle ne diffère pas sensiblement de la Science proprement dite; elle en constitue seulement le développement complet. Sans méconnaître les avantages de la méthode analytique, si précieuse pour le développement progressif de nos connaissances, elle croit nécessaire de la compléter par une révision synthétique dans laquelle les relations des faits entre eux, les notions abstraites, ne sont plus groupées d'après leurs analogies, mais sont au contraire réunies autour des objets matériels, des phénomènes réels auxquels elles appartiennent réellement ».

Enfin, dans une publication plus récente (Science et Industrie, 1925), H. LE CHATELIER revient, comme il l'a fait d'ailleurs à maintes reprises, sur le même sujet :

« Les sciences pures sont essentiellement analytiques; elles étudient isolément chaque catégorie de phénomènes, abstraction faite des autres phénomènes dont un même corps peut être simultanément le siège. Dans les applications pratiques, au contraire, il faut envisager les faits dans leur réalité, avec toute leur complication, et faire converger vers chaque cas particulier, les chapitres épars de la science qui s'y appliquent. Ce travail d'accommodation est difficile quand il n'a pas été préparé par un enseignement spécial. La Science Industrielle a précisément pour but de combler cette lacune. »

Une des plus importantes conclusions qui se dégagent des idées rappelées ci-dessus, c'est qu'il faut étudier les phénomènes industriels, comme les phénomènes naturels, en se référant constamment aux principes les plus généraux de la Science et, plus spécialement à la notion de déterminisme que H. LE CHATELIER rappelle, en particulier, dans l'Introduction à l'étude de la Métallurgie que nous analysons plus spécialement ici, sous forme d'un véritable acte de foi.

« La base fondamentale de toute science est la croyance inébranlable au déterminisme, c'est-à-dire à l'existence de relations inéluctables entre les divers phénomènes naturels. Chacun d'eux peut être envisagé comme la conséquence d'autres phénomènes antérieurs d'un caractère plus général ; ceux-ci, de proche en proche, peuvent être rattachés à un petit nombre de phénomènes élémentaires d'une simplicité relative ».

Et cette déclaration de principe reparaît constamment, sous des formes diverses, mais toujours très catégoriques :

« Nier le déterminisme, c'est nier la science ».

« Si l'on ne croit pas à l'existence, à la nécessité des lois naturelles, si on n'est pas déterministe, il ne faut pas faire de science; chacun son métier ».

H. LE CHATELIER se pose donc, pour ce qui concerne la méthode expérimentale, et pour cela seulement, en disciple de Taine et de Claude-Bernard.

En fait, ce n'est pas uniquement dans les titres qu'on peut trouver un parallélisme frappant entre l'Introduction à l'étude de la Métallurgie de H. LE CHATELIER, et l'Introduction à l'étude de la Médecine expérimentale de Claude-Bernard. A titre d'exemple, on reproduira ci-dessous le titre et les premières lignes du paragraphe V, chapitre premier de la deuxième partie de ce dernier ouvrage :

« Il y a déterminisme absolu dans les conditions d'existence des phénomènes naturels, aussi bien dans les corps vivants que dans les corps bruts ».

« Il faut admettre, comme un axiome expérimental que, chez les êtres vivants aussi bien que dans les corps bruts, les conditions d'existence de tout phénomène sont déterminées d'une manière absolue. Ce qui veut dire, en d'autres termes, que la condition d'un phénomène une fois connue et remplie, le phénomène doit se produire toujours et nécessairement, à la volonté de l'expérimentateur. La négation de cette proposition ne serait autre chose que la négation de la science même ».

Il est d'ailleurs digne de remarque, que beaucoup de phrases du grand physiologiste, si on y changeait seulement le mot de « Médecin » en celui de « Métallurgiste » pourraient paraître extraits d'un ouvrage technologique écrit suivant les conceptions de H. LE CHATELIER. Ainsi, à la page 108 de l'ouvrage précité, Claude-Bernard proteste contre les « idées fausses » de ceux qui s'affranchissent de tout déterminisme, croient à l'influence mystérieuse et surnaturelle de la « force vitale », et il ajoute: Or, dans la « médecine », la croyance aux causes occultes favorise l'ignorance et enfante une sorte de charlatanisme involontaire, c'est-à-dire la croyance à une science infuse et indéterminable. Le sentiment du déterminisme absolu des phénomènes de la nature mène, au contraire, à la science réelle et nous donne une modestie qui résulte de la conscience de notre peu de connaissance et des difficultés de la science ».

Mais, ce n'est pas en médecine seulement qu'on rencontre des charlatans s'attribuant des connaissances mystérieuses qu'ils seraient incapables d'expliciter, et les fantaisies de la pharmacopée ancienne ne sont pas plus extraordinaires que les mélanges souvent innommables recommandés pour la trempe des aciers, pour le décapage, etc., par certains métallurgistes d'autrefois et même encore, de temps en temps, d'aujourd'hui.

On peut trouver que les considérations qui précèdent s'écartent un peu du sujet auquel correspond le titre de cet article. Il m'a paru cependant nécessaire de les présenter ici pour bien marquer qu'on se ferait une idée très incomplète de l'influence qu'a eue H. LE CHATELIER sur le développement de la technique métallurgique, si l'on étudiait les différentes études qu'il a publiées sur les métaux, ou sur leurs transformations et les procédés de travail qui s'y rapportent, sans les replacer dans l'ensemble de son oeuvre. Les recherches expérimentales qu'il a effectuées et dont certaines ont été riches en conséquences, ont toujours été conduites comme des applications de l'idée directrice que nous venons de rappeler, à savoir que les phénomènes utilisés dans l'industrie ne présentent jamais rien de mystérieux, qu'on peut toujours chercher à en élucider le mécanisme par les méthodes scientifiques, et qu'on arrive toujours ainsi à des résultats pratiques plus sûrs, plus parfaits, obtenus plus rapidement et à moins de frais que par l'empirisme patient dont se contentaient les anciens techniciens. C'est dans cet ordre d'idées que nous chercherons à résumer brièvement, dans les paragraphes qui suivent, les recherches de H. LE CHATELIER :

  1. Sur la pyrométrie industrielle,
  2. Sur la combustion et le chauffage,
  3. Sur les réactions et procédés de la métallurgie,
  4. Sur la constitution et les propriétés des produits métallurgiques.

II. - La pyrométrie.

Les travaux de H. LE CHATELIER sur la mesure des températures élevées représentent pour beaucoup de gens la partie la plus importante de son oeuvre. Avant lui, le problème n'avait reçu aucune solution satisfaisante, même dans les recherches de laboratoire, et pour toutes les applications pratiques, on s'en tenait à l'empirisme le plus grossier. Les études de H. LE CHATELIER sur la pyrométrie thermo-électrique (1886) et sur la pyrométrie optique (1892) ont complètement changé l'état de la question. Du jour au lendemain, on s'est trouvé en possession d'appareils facilement maniables, donnant des indications très sûres, et dont tous les détails avaient été étudiés si minutieusement, qu'on n'a pas eu, malgré l'énorme développement de leur emploi depuis cinquante ans, à y apporter de modification notable, au moins pour ce qui concerne le pyromètre thermo-électrique.

Les appareils de H. LE CHATELIER, ou ceux qui en dérivent, sont actuellement répandus à d'innombrables exemplaires, tant dans les laboratoires scientifiques ou industriels, que dans les ateliers où l'on met en pratique les « Arts du feu » : céramique, verrerie, métallurgie, etc., et même partout où l'on a à utiliser l'énergie calorifique, ne serait-ce que pour chauffer des chaudières. En métallurgie, les applications en sont multiples et le développement de leur emploi est loin d'avoir atteint sa limite, même à l'heure actuelle. Quoique ce développement ait été très lent, et pas toujours effectué avec la prudence et la compétence qui auraient évité toute possibilité de discussion et de critique, on peut dire que les méthodes de travail dans certaines parties de la métallurgie ont été profondément modifiées. Les métallurgistes, même pas très vieux, se rappellent parfaitement l'époque où la température n'intervenait dans leurs opérations que sous forme de 1' « échelle de Pouillet », interprétée par les employés de fabrication, comme par les contrôleurs et agents réceptionnaires, avec d'autant plus de sérénité qu'ils avaient moins d'instruction et d'intelligence. Il ne faudrait pas en conclure qu'à l'heure actuelle, on ne peut plus se tromper : les ignorants et les maladroits arrivent toujours, même avec l'outillage le plus perfectionné, à obtenir des résultats que nul n'aurait pu prévoir; mais il est maintenant possible de trouver, s'il y a lieu, les sources d'erreur, et, pour les divers problèmes thermiques, d'arriver à des solutions présentant une réelle sécurité, susceptibles d'être retrouvées exactement en faisant varier les opérateurs et les circonstances accessoires; et c'est ce qui était absolument irréalisable autrefois.

C'est en 1886 que H. LE CHATELIER aborda l'étude de la pyrométrie thermo-électrique, probablement en vue d'appliquer aux phénomènes de dissociation à haute température les principes de mécanique chimique qu'il avait utilisés surtout jusque-là dans l'examen des réactions de voie humide : c'est en tous cas à la détermination de la courbe de dissociation du carbonate de calcium, puis de celles du carbonate de baryum, du bioxyde de baryum, etc., qu'il fit servir en premier lieu les couples thermo-électriques.

Voici comment H. LE CHATELIER résume l'état de la question au moment où il en commence l'examen:

« L'absence de procédés pratiques et rigoureux pour la mesure des températures élevées a, pendant longtemps, rendu impossibles les recherches aux températures supérieures à 400o. L'importance capitale que présentent de semblables recherches avait cependant conduit de nombreux savants à chercher des méthodes pyrométriques se prêtant, à la fois, à des mesures exactes et précises; il suffit de mentionner les travaux bien connus de Wedgwood, Becquerel, Pouillet, Sainte-Claire Deville, Siemens: mais on n'était arrivé à aucun résultat satisfaisant; la plupart des méthodes proposées ne comportaient aucune précision ».

Pyromètre thermo-électrique. -

« Becquerel, en 1834, eut le premier l'idée d'utiliser les phénomènes thermo-électriques pour la mesure des températures élevées, et proposa l'emploi du couple platine-palladium. Pouillet mit le premier en oeuvre cette méthode en se servant d'un couple platine-fer. Edmond Becquerel employa le couple proposé par son père, non pas précisément pour la mesure directe des températures, mais comme intermédiaire de comparaison dans les mesures faites avec le thermomètre à air. Enfin vers la même époque, Regnault fit une étude complète sur ce sujet, qui l'amena à condamner formellement cette méthode; depuis, les couples thermo-électriques ne furent plus employés à la mesure des températures élevées ».

« Il m'a paru intéressant de reprendre l'étude de ce procédé pour la mesure des températures et de chercher à remédier à ses défaut réels. J'y suis arrivé en étudiant successivement les trois côtés suivants de la question :

« Couple ; galvanomètre ; graduation ».

Une première observation très importante consiste, en effet, en ce que les métaux, même purs, ne peuvent être employés indifféremment pour constituer des couples thermo-électriques. Le fer et le palladium, par exemple, qui avaient été choisis d'abord, en raison de leurs points de fusion élevés, subissent, par échauffement, des transformations qui troublent complètement la variation avec la température de la force électro-motrice de couples comprenant l'un de ces métaux.

H. LE CHATELIER a montré qu'on pouvait constater des anomalies de ce genre en chauffant localement un fil unique de l'un de ces métaux relié à un galvanomètre, et constatant qu'il se produit ainsi une force électromotrice faible, mais non négligeable. Rien de semblable ne se produit avec le platine pur et certains alliages de platine, notamment avec le rhodium. Partant de là, H. LE CHATELIER a formellement recommandé, dès 1887, pour les mesures de températures élevées, le couple formé par deux fils, l'un en platine pur, l'autre en platine allié à 10 % de rhodium. Cette conclusion vérifiée par les recherches effectuées en Allemagne au Physifya-lische Reichanstalt, et en Amérique, au Bureau of Standards, a finalement reçu la confirmation universelle dans la septième Conférence tenue en 1927 de la Commission Internationale des Poids et Mesures, qui a définitivement adopté comme moyen d'interpolation des températures entre 650o et 1067o C (fusion de l'or), le couple en platine pur et platine rhodié à 10 %, recommandé par H. LE CHATELIER cinquante ans auparavant.

Le choix du galvanomètre employé présente aussi une grande importance pratique. Sous ce rapport, H. LE CHATELIER a été bien servi par l'apparition récente des galvanomètres apériodiques, du type Deprez-d'Arsonval, infiniment plus maniables que ceux dont disposaient ses prédécesseurs. Il fallut néanmoins une étude minutieuse de tous les détails, mais, après cette mise au point, l'appareil, même avec la forme à miroir et rayon réfléchi, a pu facilement être employé dans les laboratoires d'usines, et jusque dans les ateliers, où la forme moderne de millivoltmètre à aiguille donne évidemment des facilités bien plus grandes encore.

Restait enfin la question de la graduation des appareils ainsi constitués. Il faut ici un mode opératoire qui permette de vérifier très fréquemment la graduation car les couples portés à haute température s'altèrent et se modifient très rapidement. H. LE CHATELIER a conseillé un mode de graduation empirique, comportant l'emploi d'un certain nombre de points fixes de fusion (antimoine, argent, cuivre, or, palladium) et d'ébullition (eau, naphtaline, soufre), et il a établi des procédés expérimentaux extrêmement simples permettant de faire ces vérifications en un temps très court et avec un outillage rudimentaire. En quelques minutes, un opérateur, qui n'a pas besoin de connaissances bien compliquées, agissant même au milieu d'un atelier, peut déterminer les chiffres de la graduation d'un appareil donné, correspondant à un certain nombre de points fixes, et au moyen de ces points, tracer une courbe qui donnera les températures à quelques degrés près.

Cette technique est souvent négligée actuellement et bien à tort. Malgré les importants progrès accomplis dans la construction, les appareils ne peuvent être considérés comme rigoureusement constants pendant un temps indéterminé. L'usage qui s'est introduit de vendre des galvanomètres tout gradués en températures laisse donc place à de réelles incertitudes, et même l'emploi de couples étalons ne donne pas la même sécurité que la technique des points fixes établie par H. LE CHATELIER, dès le début de ses travaux.

Il serait trop long de vouloir résumer ici une minime partie des découvertes dues à l'emploi de ce petit appareil, même en s'en tenant au seul domaine de la métallurgie ; il a permis, notamment, d'appliquer aux alliages les théories de la dissolution, de tracer les diagrammes d'équilibre, de déterminer les points de transformation des fontes et aciers.

Dans la notice sur ses travaux, établie en 1907 pour sa candidature à l'Académie des Sciences, H. LE CHATELIER, répondant sans doute à des critiques qui avaient été faites à ses inventions, écrivait, après avoir rappelé les dispositifs caractéristiques de son pyromètre thermo-électrique tels qu'on les a résumés ci-dessus :

« Cette découverte était certainement très simple, mais elle n'avait pas été faite avant moi. Elle a permis de créer la chimie de précision aux températures élevées. »

On pourrait ajouter : elle a fait entrer dans le cadre de cette Chimie de précision beaucoup de phénomènes métallurgiques qui en paraissaient terriblement éloignés.

Pyromètre optique. -

Le pyromètre thermo-électrique ne convient qu'à des cas particuliers et n'est pas utilisable, en particulier, pour les températures très élevées réalisables dans les fours Siemens. Les procédés optiques peuvent seuls alors donner une solution satisfaisante. Ils dispensent de l'emploi de corps thermométriques spéciaux, dont aucun ne peut résister longtemps aux températures très élevées, et ils ont de plus l'avantage de ne pas nécessiter entre le four et l'opérateur de connexion matérielle toujours gênante dans un atelier. H. LE CHATELIER reprit, en 1892, l'étude de la pyrométrie optique.

Celle-ci peut reposer sur l'évaluation de la couleur de la lumière émise par le corps chaud, ou sur l'intensité des radiations lumineuses émises. Le premier de ces procédés correspond à l'échelle de Pouillet, dans laquelle on évaluait, à simple vue, la couleur des corps chauffés, qui avait été préalablement repérée, tant bien que mal, par rapport au thermomètre à air. L'apparition de la lumière, le rouge naissant, pouvait être appréciée assez exactement; mais le rouge cerise, ou cerise clair, etc., donnaient lieu à des écarts d'appréciation atteignant 200°.

L'évaluation de la température par mesure photométrique de l'intensité a été envisagée par Ed. Becquerel, en 1864, mais n'a pas conduit à un procédé et une disposition d'appareils pratiques. Crova, en 1879, ne parvint pas à améliorer notablement les résultats, en déterminant par la spectro-photométrie la variation de l'intensité relative de radiations différentes (rouge et verte). Entre temps, Kirchoff établit les lois du rayonnement, faisant ressortir l'influence du pouvoir émissif des corps chauffés, ce qui a conduit à la notion du corps noir.

En reprenant l'étude du pyromètre optique, H. LE CHATELIER tient compte de ces notions nouvelles. Il commence par déterminer les pouvoirs émissifs des principaux corps que l'on peut avoir à examiner aux températures élevées et constate ainsi que pour le fer oxydé, le plus important des produits industriels, le pouvoir émissif est sensiblement égal à l'unité, alors qu'il tombe à 0,25 pour le platine poli, et à 0,1 pour la magnésie.

Le pouvoir émissif peut donc jouer un rôle considérable dans les mesures optiques de température, sauf pour le fer rouge, toujours oxydé à sa surface, qui se comporte comme un corps noir et pour lequel, par suite, 1'intensité des radiations émises est indépendante de la température de l'enceinte.

Les mesures photométriques ont été rendues pratiques par différentes dispositions de détail, que H. LE CHATELIER a déterminées successivement:

« Les nécessités de l'emploi industriel exigent d'abord que l'on procède par comparaison directe entre l'image de l'objet étudié et celle d'une source de lumière employée comme repère fixe. (La source adoptée est une petite lampe à acétate d'amyle ou simplement à essence) ».

« Pour ramener à l'égalité des intensités lumineuses qui peuvent varier dans le rapport de 1 à 1.000.000, on ne peut songer à un autre procédé que l'emploi de verres absorbants, superposés en plus ou moins grand nombre. Pour les variations intermédiaires à l'intervalle de deux verres consécutifs, on peut se servir d'un diaphragme à oeil de chat. »

« Enfin, il est indispensable d'opérer pour ces comparaisons sur des radiations monochromatiques; ces radiations doivent être rouges, parce que les seuls verres monochromatiques sont de cette nuance; les radiations rouges ont, d'autre part, l'avantage d'être les premières qui se développent dans les corps incandescents; leur emploi permet donc de faire porter les comparaisons sur le plus grand intervalle de température.

« Ces diverses dispositions, qui paraissent s'imposer pour un photomètre pyrométrique, se trouvent réalisées dans le photomètre de M. Cornu. Je n'ai donc eu qu'à prendre cet instrument, en en modifiant seulement la forme extérieure pour l'adapter aux besoins des usines. »

La graduation de l'appareil qui présentait de très grandes difficultés dans les tentatives antérieures, où l'on devait opérer par comparaison avec le thermomètre à air, est devenue extrêmement facile par la mise au point du pyromètre thermo-électrique et de sa graduation par rapport à des points fixes. Pour transférer cette graduation au pyromètre optique, il suffit d'observer avec ce dernier la soudure d'un couple préalablement recouverte d'un corps de pouvoir émissif connu, par exemple, d'oxyde de fer, et chauffé à des températures variées qu'indique le galvanomètre.

L'appareillage ainsi constitué a été longtemps employé dans diverses usines, notamment pour la détermination de la température des coulées de fontes et d'aciers. H. LE CHATELIER l'avait lui-même utilisé pour fixer la valeur de certaines températures, particulièrement importantes, qu'il a publiées en ajoutant les remarques suivantes :

« Les résultats ainsi obtenus sont, pour certaines industries, en contradiction absolue avec les estimations faites antérieurement et ne seront sans doute pas acceptés sans contestations. Je serais heureux si leur publication pouvait provoquer des expériences contradictoires sur le même sujet. »

Bornons-nous à noter que les nombreuses vérifications faites depuis cette époque, avec les appareils perfectionnés, mais reposant sur le même principe, dont on dispose aujourd'hui, ont complètement confirmé les déterminations publiées en 1892 par H. LE CHATELIER, qui fixait en particulier entre 1.500° et 1.600° la température des fours à acier, alors qu'on admettait auparavant des chiffres beaucoup plus élevés, allant jusqu'à 2.000°.

III. - La combustion et le chauffage.

Vers 1878, la Commission du grisou avait chargé deux de ses membres, les ingénieurs des mines MALLARD et LE CHATELIER, de faire quelques déterminations sur l'inflammation et l'explosion des mélanges d'air et de formène. L'esprit généralisateur des deux expérimentateurs les conduisit à entreprendre une étude complète de la combustion du grisou d'abord, puis des mélanges gazeux en général, difficile question restée à peu près stationnaire depuis les travaux de Davy, qui en avait souligné l'importance. Ainsi fut constitué tout un outillage minutieusement étudié et permettant de déterminer pour les mélanges d'air et d'un gaz combustible, d'abord les limites d'inflammabilité et les températures d'inflammation, puis la vitesse de propagation de la flamme, la pression explosive, la température de combustion, et de déduire des résultats de ces expériences les chaleurs spécifiques des principaux gaz aux températures élevées, sur lesquelles on n'avait aucune donnée, et d'avoir, en même temps, des indications sur leur degré de dissociation.

Les expériences ayant porté sur le formène, l'éthylène, l'oxyde de carbone, l'hydrogène, c'est-à-dire sur tous les gaz qui interviennent dans les combustions industrielles (gaz d'éclairage, gaz de gazogène, gaz à l'eau), on avait là les principales données nécessaires pour étudier systématiquement l'utilisation des combustibles dans la plupart des fours industriels.

C'est ce que fit H. LE CHATELIER dans son cours de l'Ecole des Mines; ses premières leçons sur ce sujet capital ne firent l'objet d'aucune publication, mais soigneusement recueillies par les élèves, firent l'objet de diverses applications, notamment par MM. Euchène et Emilio Damour. Les expériences sur diverses questions qui se posaient à mesure qu'on généralisait l'étude étaient d'ailleurs poursuivies dans le laboratoire de H. LE CHATELIER, à l'Ecole des Mines; c'est là, et sous la direction immédiate du Maître, que fut exécutée la longue série de détermination du pouvoir calorifique des combustibles les plus variés, par Malher opérant dans la bombe calorimétrique.

Parmi les nombreuses recherches partielles que comporte cet ensemble de travaux, il faut donner une place à part à ce qui concerne les chaleurs spécifiques des gaz à haute température. Quand MALLARD et H. LE CHATELIER ont commencé leurs expériences sur ce sujet, on n'avait comme données que celles de Regnault, obtenues sous la pression atmosphérique et à des températures qui n'avaient jamais dépassé 200°. Dans ces limites, les variations des chaleurs spécifiques avec la température étaient assez faibles, et on extrapolait jusqu'aux températures des flammes, en admettant que les gaz se rapprochant de plus en plus, aux températures élevées, de l'état parfait, leur chaleur spécique doit tendre vers une limite fixe. On arrivait bien, en calculant avec ces données la température d'une flamme, à des résultats manifestement erronés; par exemple, pour le chalumeau oxhydrique, on trouvait 6.000° ; mais on expliquait l'écart avec la réalité par l'intervention de la dissociation.

MALLARD et H. LE CHATELIER ont opéré par une méthode qui avait été indiquée par Bunsen, en faisant exploser le mélange gazeux dans un espace clos et mesurant la pression produite, au moyen d'un manomètre dont les indications étaient enregistrées sur un cylindre animé d'une rotation uniforme et rapide. « Les résultats bruts étaient corrigés pour tenir compte de l'influence du refroidissement qui se fait déjà sentir avant que la pression maximum soit atteinte. Cette correction se fait en extrapolant la loi du refroidissement qui pouvait être relevée sur les courbes enregistrées. »

Connaissant la pression développée par la combustion en vase clos d'un mélange gazeux déterminé, on peut calculer la température correspondante au moyen des lois de Mariette et de Gay-Lussac. Enfin, de la connaissance de la température de combustion, on peut, si on a déterminé par une expérience calorimétrique la chaleur de combustion, calculer la chaleur spécifique moyenne de la masse gazeuse entre la température ambiante et celle de combustion; cette dernière peut, d'ailleurs, être modifiée à volonté pour un mélange de deux corps déterminés en en faisant varier la proportion.

La longue série des expériences effectuées par cette méthode, l'étude des corrections et des procédés de calcul, sont décrits en détail dans le mémoire publié en 1882 dans les Annales des Mines, et intitulé: Recherches expérimentales et théoriques sur la combustion des mélanges gazeux, par Mallard et Le Chatelier. Revenant quelques années plus tard sur ce travail, H. LE CHATELIER écrivait :

« Ces résultats (relatifs aux chaleurs spécifiques) sont de beaucoup les plus importants parmi ceux auxquels ont conduit nos expériences. Les formules que nous avons données ont permis de résoudre un problème qui se présente à chaque instant dans les applications industrielles et qui était resté jusque-là inabordable, celui qui consiste à calculer la température que l'on peut réaliser dans l'emploi d'un combustible ou d'un explosif donné.

« Sur cette question des chaleurs spécifiques aux températures élevées, nos résultats ont été les suivants :

« 1° Jusqu'aux températures les plus élevées, les chaleurs spécifiques gazeuses à volume constant sont indépendantes de la pression;

« 2° Les chaleurs spécifiques moléculaires des gaz parfaits (O2, N2, H2, CO, HC1) restent égales entre elles jusqu'aux températures les plus élevées. Pour HC1 cependant, cette égalité n'a pu être constatée que jusqu'à 2.400°, parce que, aux températures supérieures, il se dissocie;

« 3° Les chaleurs spécifiques moléculaires des gaz parfaits augmentent, quoique très lentement, avec la température; celles du chlore, de la vapeur d'eau, de l'acide carbonique augmentent plus rapidement. »

Les formules très simples auxquelles s'était arrêté finalement H. LE CHATELIER pour représenter les chaleurs spécifiques moléculaires à volume constant étaient de la forme :

C= 4,5 + Alpha T/1000
en donnant au coefficient Alpha la valeur

1,2 pour les gaz parfaits,
5,6 pour la vapeur d'eau,
7,4 pour l'acide carbonique.

On en déduit facilement des formules analogues pour les chaleurs spécifiques à pression constante, et pour les chaleurs d'échauffement entre deux températures, que l'on a plus fréquemment à employer.

Notons ici que les variations considérables indiquées, notamment pour l'eau et l'acide carbonique, suffisent à ramener les températures calculées dans les limites vraisemblables pour la plupart des combustions, et concordent sensiblement avec les mesures directes, dans les rares cas où il est possible d'en faire. Ces formules ont été pendant très longtemps employées sans donner lieu à aucune contestation. En 1919, cependant, un article du Stahl und Eisen, qui recommandait d'adopter pour les calculs thermiques des valeurs « standardisées » des chaleurs d'échauffement des gaz, proposait des formules numériques présentant quelques différences avec celles de H. LE CHATELIER tout en gardant la même allure générale. MM. E. Damour et D. Wolkowitsch ont discuté très soigneusement ces propositions et les travaux expérimentaux qui les avaient motivées, dans un mémoire publié par la Revue de Métallurgie en 1922 (XIX, n° 3, 145-161) et concluent comme suit :

« Nous n'avons rien trouvé dans les mémoires reproduits qui puisse justifier l'abandon des chiffres de Mallard et Le Chatelier. » Et :

« Nous estimons donc que l'unification si désirable de la technique du chauffage doit se réaliser actuellement sur les formules et barèmes de MALLARD et H. LE CHATELIER, jusqu'à ce que des expériences soient venues les infirmer valablement; telle est notre conclusion. »

Ce qui vient d'être rappelé brièvement, complété par les nombreuses applications développées et discutées dans l'Introduction à l'étude de la Métallurgie, justifie amplement la déclaration faite par H. LE CHATELIER dans la notice sur ses travaux établie en 1907.

« Pour améliorer l'utilisation des combustibles, il faut tâcher de rendre réversibles les diverses opérations que comporte leur mise en oeuvre, ou tout au moins se rapprocher autant que possible de cette condition. Parmi les procédés proposés dans ce but, le plus efficace est celui de W. Siemens dont le système de récupération a complètement transformé les industries minérales les plus importantes.

« J'ai fourni les éléments nécessaires pour calculer d'une façon précise, - ce qui n'avait pu être fait jusqu'ici, - les divers facteurs de l'économie de combustible réalisée dans les fours Siemens. »

Ajoutons simplement que les données fournies permettent aussi de faire l'étude d'un four métallurgique ou d'une quelconque de ses parties (gazogènes, laboratoire, récupérateurs), et d'établir une relation entre la chaleur utilisée dans l'appareil étudié et les différentes quantités de chaleurs mesurables par les méthodes indiquées.

IV. - Les réactions métallurgiques.

Déjà dans le mémoire sur les équilibres chimiques de 1887, H. LE CHATELIER signalait l'importance des études sur les équilibres au point de vue industriel. Il est revenu fréquemment sur cette observation :

« L'intérêt des lois de la Mécanique Chimique au point de vue théorique n'a pas besoin d'être démontré; il n'est pas moins grand au point de vue pratique. Presque tous les corps mis en oeuvre dans la métallurgie et l'industrie chimique sont des corps qui ont épuisé toutes leurs affinités chimiques; ils ne réagissent entre eux que par des réactions limitées que l'industriel cherche à rendre les plus complètes possibles. »

Dans le cas spécial de la métallurgie, et notamment de celle du fer, les températures élevées où se produisent les réactions réduisent considérablement les résistances passives et facilitent l'établissement des équilibres chimiques, dont les lois permettent souvent d'intéressantes interprétations.

H. LE CHATELIER avait été frappé par les études de Sir Lowthian Bell; « ce savant métallurgiste anglais, qui possédait une importante usine métallurgique dans le Cleveland, avait, dans sa jeunesse, suivi, à Paris, les cours de Gay-Lussac. Il se proposa d'étudier d'une façon scientifique la succession des phénomènes chimiques du haut-fourneau.

« Il observa ainsi un fait tout à fait imprévu : le minerai retiré vers la partie supérieure du haut-fourneau, là où sa réduction est encore incomplète et la température peu élevée, se trouve complètement imprégné de noir de fumée. Des expériences de laboratoire lui montrèrent que ce dépôt de carbone provenait du dédoublement de l'oxyde de carbone en carbone et acide carbonique. »

Lowthian Bell fit sur cette réaction, mise en évidence par l'étude de la métallurgie du fer, de très nombreuses expériences de laboratoire, dans lesquelles il observa bien des particularités intéressantes, mais sans parvenir à des lois simples et générales; c'est qu'il ne s'était pas préoccupé de chercher s'il y avait un rapport limité entre la proportion d'oxyde de carbone non décomposé et d'acide carbonique formé, ce qui était cependant le point essentiel. »

Il s'agit en effet d'une réaction de dissociation suivant la formule :

2 CO <=> CO2 + C

qui présente la particularité d'être plus accentuée aux températures relativement basses qu'à des températures plus élevées.

Nos connaissances sur la dissociation de l'oxyde de carbone ne firent un progrès sérieux que le jour où une connaissance complète des lois de la mécanique chimique eût permis d'établir la formule générale d'équilibre des systèmes gazeux. Cette formule montre que la dissociation de l'oxyde de carbone doit croître très rapidement à mesure que la température s'abaisse et tendre, au contraire, vers zéro aux températures élevées. Cela donne immédiatement la raison de l'insuccès des expériences de Sainte-Claire Deville aux températures élevées. Aux plus basses températures, il n'obtenait pas non plus de décomposition importante de l'oxyde de carbone, parce que la vitesse de cette réaction, comme celle de toutes les réactions chimiques, décroît suivant une loi extrêmement rapide à mesure que la température s'abaisse. Dans les expériences de Sir Lowthian Bell, la décomposition a pu être obtenue en raison de l'action de présence du fer, du nickel ou des oxydes de ces métaux. Ces corps se trouvent posséder la propriété de faciliter la dissociation de l'oxyde de carbone, comme le fait l'action de présence de la mousse de platine pour faciliter la combinaison de l'oxygène et de l'hydrogène, etc. »

La considération des équilibres chimiques a donc permis d'élucider complètement toutes les particularités d'un phénomène très important au point de vue de la marche du haut-fourneau, et qui paraissait très mystérieux. Il ne s'agit pas seulement, dans ce cas, d'une assimilation qualitative intéressante, mais bien d'une concordance très frappante dans les résultats numériques déterminés et les chiffres calculés en partant des formules générales d'équilibre. Cette concordance a été vérifiée dans un travail aujourd'hui classique, effectué dans le Laboratoire du Collège de France de H. LE CHATELIER par son élève O. Boudouard qui, pendant plusieurs années, fut son préparateur et son collaborateur dévoué. La « courbe de Boudouard » donne pour chaque température la composition du mélange gazeux d'oxyde de carbone et d'acide carbonique qui est en équilibre avec le carbone; on y voit qu'aux températures élevées, à 1.000° et au-dessus, la dissociation de l'oxyde de carbone est presque nulle, tandis qu'elle devient presque totale au-dessous de 500°, mais n'est observable alors qu'en présence de catalyseurs parmi lesquels l'un des plus actifs est l'oxyde de fer, qui se trouve naturellement dans tous les appareils de sidérurgie.

Cet oxyde, ou plutôt ces oxydes, car les différents oxydes du fer interviennent, ne restent pas complètement inertes et l'on passe de l'un à l'autre par réduction ou par oxydation, suivant la composition du mélange gazeux. Les réactions sont elles-mêmes équilibrées. En raison de leur importance capitale, car elles correspondent à la réduction des minerais de fer par le carbone ou l'oxyde de carbone, elles avaient fait l'objet de nombreuses recherches qui n'avaient pas réussi à élucider complètement le phénomène ; la concordance complète avec les calculs basés sur la formule d'équilibre chimique dans les systèmes gazeux, a été établie aussi dans le laboratoire de H. LE CHATELIER par un autre de ses élèves, M. G. Chaudron, actuellement professeur à la Faculté de Lille, dont le travail, comme celui de Boudouard, peut être qualifié de classique. Au moyen de dispositifs très ingénieux, il a déterminé pour chaque température la composition du mélange d'oxyde de carbone et d'acide carbonique qui est en équilibre soit avec l'un ou l'autre des oxydes de fer, soit avec le fer réduit. Le même travail a été effectué pour les équilibres entre l'eau, l'hydrogène, les oxydes de fer et le fer, c'est-à-dire pour la réduction des oxydes de fer par l'hydrogène.

Les formules d'équilibre et les diagrammes de Boudouard et de Chaudron permettent d'interpréter toutes les particularités de la marche des principaux appareils de l'industrie sidérurgique, gazogènes, cubilots, hauts-fourneaux, etc. H. LE CHATELIER en a fait à diverses reprises la démonstration dans ses cours, et dans ses publications, notamment dans l'Introduction à l'étude de la Métallurgie et dans Le Carbone.

A côté de ces réactions gazeuses, les métallurgistes utilisent continuellement des réactions en milieu liquide, entre les métaux et les laitiers. H. LE CHATELIER, sans entreprendre l'étude de ces réactions, a souvent insisté sur ce fait qu'elles sont le plus souvent équilibrées, et que tous les résultats obtenus pour les équilibres dans les solutions ou les partages entre deux liquides superposés leur sont directement applicables. Il a consacré à ce sujet différentes publications, notamment le dernier chapitre de son livre sur La Silice et les Silicates, qui est intitulé Roches et Laitiers.

V. - La constitution et les propriétés des produits sidérurgiques.

L'ouvrage qui est plus spécialement analysé dans la présente note, l'Introduction à l'Etude de la Métallurgie, est présenté dans sa préface comme devant se composer de deux parties : la première intitulée : « Le chauffage », traite principalement des questions examinées dans les paragraphes précédents ; la deuxième intitulée : « Les métaux et leurs alliages ». n'a jamais été publiée et il faut, par suite, se reporter aux mémoires originaux et aux publications partielles, qui sont en nombre considérable, pour résumer au moins dans ses grandes lignes, l'oeuvre importante effectuée par le Maître dans ce domaine, à l'étude duquel il a consacré une grande part de son activité dans la deuxième partie de sa carrière, et dans lequel il a incontestablement rempli le rôle de Chef d'Ecole.

Les études relatives aux alliages métalliques seront examinées dans un autre chapitre par MM. Guillet et Portevin. On ne parlera ici que des questions qui se rapportent aux produits de la métallurgie du fer, et seulement pour rappeler comment ce problème, qui avait fait l'objet d'innombrables recherches, a pu être rattaché à la théorie des alliages et aux conceptions générales qui ont permis de l'édifier.

Les fers, fontes et aciers, en raison de leur grande importance pratique, étaient très étudiés, en considérant surtout les propriétés qui paraissaient leur être spéciales et notamment la trempe de l'acier, dont il était bien désirable d'élucider le mécanisme pour pouvoir l'utiliser au mieux dans la pratique. C'est aussi à ce point de vue que s'est placé d'abord H. LE CHATELIER quand il a abordé cette étude, en publiant dans la Revue Générale des Sciences, en 1897, un article intitulé : « L'état actuel des théories sur la trempe de l'acier ».

Cet état actuel y est d'abord jugé assez sévèrement : « Il est difficile de trouver le temps de se tenir au courant de ces travaux (sur la théorie de la trempe), et, le pourrait-on, qu'il est plus difficile encore de les comprendre, leurs auteurs arrivant à tirer de résultats expérimentaux concordants les conséquences les plus contradictoires. »

Reprenant alors l'examen des principaux faits connus, il montre qu'on peut les relier d'une façon satisfaisante en étendant aux systèmes chimiques solides certaines règles établies pour les systèmes liquides, en y ajoutant quelques particularités faciles à concevoir et notamment qu'il s'y produit des transformations comparables aux changements d'état des solutions passant à l'état solide, avec une intervention beaucoup plus marquée des vitesses de transformation.

« La notion des vitesses variables de transformation rend compte de toutes les particularités de la trempe; d'abord du retard variable à la transformation, suivant la rapidité des changements de température, puis de la conservation à froid, par le refroidissement rapide, de l'état du métal normalement stable à chaud, et enfin du revenu par élévation subséquente de la température. »

Et après avoir discuté toute une série de points particuliers :

« La seule difficulté de cette théorie des aciers, et elle n'est qu'apparente, est que nous ne sommes pas habitués à envisager les solutions sous la forme solide; leur existence n'en est pas moins réelle, et elle est compatible aussi bien avec l'état amorphe qu'avec l'état cristallisé. »

Cette publication dans laquelle des conceptions très nouvelles étaient envisagées en quelques mots ne passa pas inaperçue. Elle provoqua de nouvelles études, tant expérimentales que théoriques, et en particulier amena Bakhuis Roozeboom, le grand maître des diagrammes d'équilibre des systèmes chimiques, à entreprendre, suivant ses méthodes habituelles, le classement de tous les faits connus sur les systèmes composés de fer et de carbone.

Il n'est pas question de s'étendre ici, si peu que ce soit, sur ce travail resté justement célèbre, mais on en extraira les quelques passages dans lesquels Roozeboom, confirmant le jugement porté sur les travaux anciens par H. LE CHATELIER, souligne l'importance de la contribution apportée par celui-ci.

Le mémoire de Roozeboom, intitulé : « Le fer et l'acier au point de vue de la doctrine des phases » et publié en novembre 1900 dans le Bulletin de la Société d'Encouragement, d'après le Zeitschrift fur Physikyalische Chemie, débute comme suit :

« La question des rapports entre le fer et le carbone est d'une extrême importance, non seulement pour l'industrie sidérurgique, mais aussi pour la science. Malgré des travaux multipliés presqu'à l'infini pendant les dernières décades, elle n'a commencé à sortir du chaos que depuis peu d'années, grâce aux nouveaux principes scientifiques qui l'ont fait entrer dans une nouvelle période. »

« En 1896 encore, le baron de Jüptner, après avoir examiné les états du carbone dans le fer, pouvait conclure en ces mots : « Il semble singulièrement difficile de relier les nombreux faits d'observation et de se faire une idée claire sur les différentes formes que peut prendre le carbone dans le fer et l'acier. La clarté ne se fera qu'au prix de recherches difficiles, autant que possible systématiques, et l'opinion que nous pouvons nous former aujourd'hui sur cette question est en partie, en grande partie, hypothétique. »

« Cette appréciation n'était encore que trop optimiste, mais, heureusement, à peine était-elle émise, que le pôle était trouvé. »

« Le 15 janvier 1897 paraissait une magistrale communication de H. LE CHATELIER : « L'état actuel des théories de la trempe de l'acier », qui donnait mieux que ne promettait le titre. En réalité, c'était une tentative pour éclaircir tout l'ensemble des phénomènes qui se produisent dans les alliages solides de fer et de carbone, en partant de cette conception fondamentale que ces alliages se comportent en partie comme des solutions solides, capables de laisser déposer pendant le refroidissement, comme les solutions liquides, des corps simples ou composés, ou les deux à la fois. »

On ne saurait établir, avec plus de netteté et plus d'autorité à la fois, l'influence capitale qu'ont eues les considérations de H. LE CHATELIER sur le développement de nos conceptions relatives aux fers et aciers.

Sans entrer dans les détails secondaires, il faut citer encore une intervention qui a joué un rôle important. Elle se trouve dans la discussion qui a suivi la publication en français du mémoire de Roozeboom, et se trouve dans le volume intitulé Contribution à l'étude des alliages, publié par la Société d'Encouragement (page 379).

Henry LE CHATELIER y déclare que « l'étude de Roozeboom, d'une science absolument rigoureuse, peut être considérée comme définitive. Il y aura certainement à corriger les valeurs numériques des coordonnées des différents points des courbes dont aucune n'est encore déterminée d'une façon précise; il y aura à compléter ces courbes en y ajoutant des branches correspondant aux nouvelles phases que l'on pourra découvrir; j'indiquerai plus loin des corrections de cette nature; mais il n'y aura aucune suppression, aucune modification essentielle à faire pour encadrer les faits nouveaux qui se présenteront. »

La principale des corrections visées ci-dessus vise les courbes des solutions solides. Après avoir reconnu que la distinction entre les solutions austénite et martensite n'est pas encore très nette, H. LE CHATELIER signale que « si la courbe d'équilibre entre la solution solide et la cémentite a pu être tracée avec quelque certitude, la branche relative à l'équilibre avec le graphite a été tracée d'une façon entièrement hypothétique et certainement inexacte. On a supposé qu'elle venait couper la branche relative à la cémentite tandis qu'elle lui est toujours supérieure. »

« La branche de courbe relative à l'équilibre avec la cémentite correspond à une sursaturation semblable à celle du sulfate de soude à 7 molécules d'eau; elle doit, par suite, être toute entière au-dessous de celle du graphite, comme la courbe du sel à 7 H2 O est au-dessous de celle du sel à 10 H2 O. »

Et comme conclusion de ces remarques, H LE CHATELIER trace un diagramme dans lequel apparaît nettement la séparation des tracés fer-graphite et fer-cémentite. C'est donc là l'origine de ce qu'on appelle souvent le diagramme double, qui est maintenant à peu près universellement adopté et dans lequel on a trouvé des interprétations satisfaisantes de tous les phénomènes relatifs aux traitements thermiques et aux transformations des fers, fontes et aciers.

La mise au point complète de ce diagramme, qui ne peut d'ailleurs être considérée comme complètement terminée, a nécessité une longue suite de travaux, dus à de nombreux chercheurs et qui a comporté plusieurs interventions de H. LE CHATELIER. Parmi ces dernières, il faut surtout signaler l'emploi de la résistance électrique, et celui des dilatations, pour déterminer les points de transformation des fers et aciers, les études de macrographie et de micrographie et, dans ces dernières, la recherche d'une classification bien méthodique des constituants de l'acier.

Dans un ordre d'idées plus directement rattaché à la pratique métallurgique, il faut citer de nombreuses notes sur la trempe et les conditions dans lesquelles il convient de la réaliser, notamment pour les aciers à outils.

La vérification des propriétés acquises par le traitement et, par suite, les essais mécaniques servant à la réception ont également fait l'objet de nombreuses publications, dont la plupart sont naturellement consacrées aux essais nouveaux, essais de dureté, essais aux efforts alternés et surtout essais de fragilité ou de résilience. D'ailleurs, à partir du moment où il a fondé et dirigé la Revue de Métallurgie, H. LE CHATELIER a été amené à exposer toutes les nouveautés qui paraissaient en Métallurgie et à en discuter la valeur. Il n'y aurait pas d'intérêt à donner ici l'énumération de ces apports partiels. L'incontestable importance de l'influence qu'a eue H. LE CHATELIER en métallurgie provient surtout de la continuité de vues qui ressort de ses nombreuses publications, échelonnées sur un si grand nombre d'années. C'est grâce à cette persistance que H. LE CHATELIER a pu introduire les idées très générales rappelées au début de cette note, dans des milieux qui ne leur étaient certes pas favorables, en leur donnant, toutes les fois qu'il en avait l'occasion, la forme qui lui paraissait la plus propre à frapper ses interlocuteurs. Ceux-ci n'étaient généralement pas bien préparés à adopter ces modes de raisonnement; c'est ce qu'il souligne quand il écrit:

« Nos chefs d'industrie, nos ingénieurs, nos chimistes connaissent à fond les données essentielles de la science; ils possèdent une documentation très étendue; mais ils ignorent tout de la méthode scientifique, de la pratique des mesures. Ils ne croient pas à la puissance de la Science; c'est toute une mentalité à refaire (1924). »

Grâce à l'action de Henry LE CHATELIER, et surtout en métallurgie, cette mentalité paraît évoluer nettement, sinon rapidement, à l'heure actuelle.


Les recherches de Henry LE CHATELIER sur la constitution des produits métallurgiques

par L. GUILLET et A. PORTEVIN (rédigé en 1936)

HENRY LE CHATELIER commença vers 1893 ses recherches sur les alliages, au moment où il était appelé à ajouter quelques leçons de Science métallurgique au cours de Chimie Industrielle qu'il professait à l'Ecole des Mines.

Son intervention porte, dès le début, et sur la théorie générale des alliages et sur les méthodes et l'appareillage de recherches.

1. - APPAREILLAGE ET METHODES

A. - Métallographie microscopique

Ce sont vraiment les efforts faits dans cette voie par H. LE CHATELIER qui ont permis à la métallographie microscopique de devenir une méthode d'essais courante.

Jusque-là, son utilisation était fort restreinte, des précautions extraordinaires étaient prises dans le polissage, qui rendaient la préparation longue et coûteuse; les microscopes utilisés étaient à axe vertical avec éclairage par prisme ou miroir ou bien à axe horizontal (appareil Martens) ; leur maniement était fort délicat et la prise de vues photographiques était longue, les résultats incertains.

L'attention de H. LE CHATELIER se porte sur la succession des opérations : découpage, polissage avec ses différentes phases, attaque de la surface polie, examen microscopique et photographie.

Dans son mémoire, « La Technique de la Métallographie Microscopique », après avoir donné quelques indications sur le découpage et le dégrossissage, H. LE CHATELIER précise comment il a pu faciliter considérablement le polissage, en adoptant une méthode de préparation des matières à polir permettant un classement rigoureux de leurs grains par ordre de grosseur. Suivant un procédé indiqué par Schloesing pour les kaolins, la matière pulvérulente est traitée par de l'eau acidulée au millième par l'acide nitrique, de façon à dissoudre les carbonates et autres sels qui peuvent souiller la matière ; on agite, on laisse en contact ; un dépôt se forme; on enlève le liquide qui surnage et on le remplace par de l'eau distillée; on agite, on laisse déposer, de nouveau on sépare le liquide que l'on remplace par de l'eau distillée et bientôt l'on note que le dépôt se fait moins rapidement, le liquide surnageant restant laiteux. On ajoute deux centimètres cubes d'ammoniaque par litre de liquide et on procède à des décantations à des intervalles déterminés au moyen d'un siphon recourbé qui évite toute agitation du dépôt. On a ainsi des produits caractérisés par le temps qui s'écoule avant la décantation : dépôt d'un quart d'heure, d'une heure, de quatre heures, de seize heures, de trois jours; le troisième dépôt est utilisé pour les métaux durs, le quatrième pour les produits demi-durs; le dernier dépôt, dont on peut activer la précipitation par une addition d'acide acétique qui sature l'ammoniaque, est employé pour les métaux doux. Les matières que l'on peut soumettre à ce procédé de lévigation sont : l'alumine, provenant de la calcination de l'alun ammoniacal, la potée d'émeri du commerce, l'oxyde de chrome et l'oxyde de fer provenant de la combustion du bichromate d'ammoniaque ou de la calcination de l'oxalate de fer, l'alumine étant préférable.

H. LE CHATELIER attire toute l'attention sur le support de la matière à polir qui doit être souple et ne renfermer aucun grain dur susceptible de rayer le métal ; il précise la préparation des disques de polissage. Alors que dans ce premier mémoire, il conseille des pâtes au savon contenant l'alumine préparée comme il a été dit, il indiquera ultérieurement un procédé plus simple consistant dans l'emploi d'un vaporisateur qui projettera sur la meule constituée par un disque de bois recouvert de drap l'abrasif mis en suspension dans l'eau.

Cette méthode de préparation et d'utilisation des produits à polir est, depuis plus de trente-cinq ans, la seule utilisée.

Elle a permis de réduire considérablement le temps de polissage qui dépasse rarement trois minutes pour les aciers et peut être fait par un manoeuvre quelconque.

En ce qui concerne l'attaque de la surface polie, H. LE CHATELIER a préconisé tout particulièrement l'emploi du courant continu, agissant sur une solution n'ayant pas d'action sur l'alliage en expériences, mais dont l'un des produits de l'électrolyse réagit sur lui, alors qu'il est rejoint au pôle convenable du courant; en faisant varier l'intensité (qui peut descendre à 1/1.000 ampère) et la durée du courant ainsi que la concentration de la solution, on règle aisément l'attaque. Il donnait ultérieurement une classification - tout à fait actuelle - des réactifs suivant leurs effets (Conférence faite à l'Association des Anciens Elèves de l'Ecole des Mines, juillet 1914, et Revue de Métallurgie, 1915, XII, p. 9 à 16).

Le progrès le plus important apporté par H. LE CHATELIER à la métallographie microscopique est assurément la création de son microscope; le principe réside essentiellement dans l'emploi d'un objectif renversé, un prisme à réflexion totale assurant la transmission des rayons lumineux à l'oculaire placé horizontalement. L'échantillon est placé au-dessus de l'objectif et maintenu par une plateforme assurant la mise au point. En ce qui concerne l'éclairage, les rayons provenant d'une source voulue tombent, après concentration et sélection, sur un autre prisme à réflexion totale qui assure le renvoi du pinceau lumineux suivant une direction avoisinant la verticale (fig, 1 et 2).

Un dernier point important devait encore être résolu : la possibilité de photographier la microstructure observée. Dans le premier appareil créé, la méthode utilisée était simple : le tube renfermant l'oculaire et le prisme qui transmet à cet oculaire les rayons provenant de l'objectif peuvent se déplacer; ces rayons tombent verticalement sur un oculaire de projection, au-dessous duquel est placée, dans une chambre noire, la plaque photographique. (On peut même se passer de l'oculaire de projection, si on se contente d'un faible grossissement.)

H. LE CHATELIER reconnut bien vite la difficulté que présentait une telle disposition pour la mise au point, laquelle ne pouvait être faite que par un opérateur couché. Il adopta un autre dispositif fort ingénieux : le prisme qui transmet les rayons de l'objectif à l'oculaire peut tourner de 90° et l'image se forme par l'intermédiaire d'un oculaire de projection, dans une chambre noire placée à 90° de l'axe primitif de l'appareil. On a ainsi la disposition actuelle du banc métallographique de H. LE CHATELIER (fig. 3).

Des détails de construction - quelques-uns dus au constructeur Pellin - ont amélioré cet appareil : plus grande solidité dans les assises, support de l'échantillon plus stable grâce à trois colonnes mues par la même crémaillère ou la même vis micrométrique, platine plus facile à régler.

Quant à l'éclairage, dont l'étude a été systématiquement poursuivie par H. LE CHATELIER et lui a permis la disposition générale du banc, il se faisait, au début, par la lampe à mercure, puis par la lampe Nernst, actuellement par arc électrique ou par lampe ponctuelle à filament.

On peut affirmer que, dans toutes les constructions modernes d'appareils pour l'examen des produits métallurgiques et cela dans le monde entier, la disposition de l'objectif renversé, connu sous le nom de dispositif Le Chatelier, est presque exclusivement utilisée. Et cela s'explique aisément par les facilités extraordinaires qu'il présente : facilité d'observation et de mise au point, facilité dans la photographie, facilité dans l'examen d'échantillons très restreints ou très volumineux, etc.

D'ailleurs sur toutes les précautions à prendre dans les diverses étapes d'une observation microscopique, H. LE CHATELIER donne encore des précisions (Revue de Métallurgie, 1905, 11, 530); il insiste encore sur les soins nécessaires dans le découpage pour éviter tout chauffage de l'échantillon, dans la préparation des produits à polir; c'est là qu'il indique l'emploi d'une pipette de verre pour séparer les dépôts formés et l'utilisation d'étoffe tendue sur glace comme support de l'abrasif, ou de meule spécialement préparée.

Il insiste, d'autre part, sur le prix de revient des opérations métallographiques (Revue de Métallurgie, 1906, III, p. 515) et montre notamment combien sont faibles les frais apportés par la préparation même des échantillons (0 fr,50 pièce, était-il précisé).

Enfin, H. LE CHATELIER a créé une méthode d'étude des alliages qui a souvent donné des résultats intéressants, notamment en ses propres mains; il s'agit de la filiation d'alliages binaires obtenus en superposant à l'état liquide les deux métaux intéressants et cela, bien entendu, par ordre de densité. C'est ainsi que furent soumis à une première étude approximative les alliages cuivre-aluminium, cuivre-zinc, argent-antimoine, argent-étain, etc...

On peut affirmer assurément que ce sont les recherches de H. LE CHATELIER, les méthodes de préparation des matières à polir, tout l'appareillage créé par lui, qui ont permis à la métallographie microscopique de franchir le seuil du laboratoire industriel.

B. - Analyse thermique.

Pour bien comprendre les progrès importants que H. LE CHATELIER apporta à l'analyse thermique, il est nécessaire de préciser en quelques mots son état en 1904.

La première méthode utilisée a été celle employée par Osmond et Werth, c'est-à-dire la détermination des courbes températures-temps, nécessitant de très nombreuses observations et des mesures très rapprochées et très précises.

Roberts-Austen créa ensuite la méthode dans laquelle on mesure, d'une part, l'écart de température entre deux échantillons, l'un sans transformation, l'autre que l'on étudie et, d'autre part, la température à laquelle sont soumises les deux éprouvettes. On a donc deux galvanomètres, l'un donnant la température, l'autre, les écarts de températures entre les deux échantillons, écarts qui indiquent les points de transformation du métal étudié. La détermination se limite donc à la lecture de deux galvanomètres, dont l'un ne s'écarte du zéro qu'au moment intéressant. On peut évidemment enregistrer les deux courbes dont la superposition donne le résultat cherché.

Saladin, ingénieur en chef aux Etablissements Schneider du Creusot, eut l'idée d'un dispositif permettant d'enregistrer l'écart de température des deux éprouvettes en fonction de leur température absolue. Pour cela, il utilisait toujours deux galvanomètres très sensibles à fil vertical, l'un rejoint au couple donnant la température du four où sont chauffés les deux échantillons, l'autre en jonction avec le double couple qui accuse l'écart de température entre les deux éprouvettes. Un faisceau lumineux tombe sur le miroir du premier galvanomètre; il traverse ensuite un prisme à réflexion totale incliné à 45° sur le plan horizontal; dans ces conditions, on sait qu'une ligne horizontale donne une image verticale; le déplacement du faisceau lumineux est donc rendu vertical ; il tombe ainsi sur le second miroir, puis sur une plaque photographique qui enregistre une courbe dont les deux coordonnées sont bien la température de chauffage et la différence de température entre les deux échantillons.

Dans la disposition adoptée par Saladin, les différentes parties de galvanomètres, appareil d'éclairage et de photographie, prismes, étaient indépendants; montage et réglage en étaient fort délicats.

H. LE CHATELIER l'a rendu tout à fait de pratique courante en réunissant tout l'appareillage dans une boîte unique (Revue de Métallurgie, 1904, I, 134). Toutes les parties sont donc réglées une fois pour toutes. Les deux galvanomètres sont placés aux extrémités de deux barreaux aimantés rectilignes et horizontaux. Sur les aimants, au milieu de leur largeur, repose le prisme, dont la position est invariablement fixée. Chaque galvanomètre porte son miroir plan; en face des miroirs deux ouvertures avec lentilles convenables; la sensibilité des deux galvanomètres est réglée suivant leur destination, celui donnant les différences de températures devant être plus sensible; l'ensemble est fixé comme le fond vertical d'une boîte métallique, laquelle est portée par trois vis calantes. Des bornes placées sur le support de la boîte sont en relations avec les galvanomètres et permettent la jonction facile avec les extrémités des couples.

Devant la boîte ainsi constituée vient se placer la source lumineuse et la chambre noire qui reçoit la plaque photographique.

Cet appareil, qui est connu sous le nom de galvanomètre double Saladin-Le Chatelier, est d'un maniement extrêmement facile, donne des résultats précis et est universellement utilisé.

D'ailleurs, avec la collaboration de Broniewski, H. LE CHATELIER a pu fort simplement en généraliser l'emploi; pour cela, il a rendu les deux galvanomètres indépendants, ce qui permet de remplacer l'un d'eux soit par un miroir tournant en fonction du temps (enregistrement de la courbe températures-temps) ou bien par un dilatomètre, d'une disposition que nous décrivons plus loin.

C. - Analyses dilatométriques et autres méthodes d'essais.

A diverses reprises et dans des buts différents, H. LE CHATELIER a dû diriger ses recherches vers l'analyse dilatométrique, cela tant au point de vue produits céramiques et verres que produits métallurgiques. Tout d'abord, il perfectionna la méthode de Fizeau en la simplifiant (Bulletin de la Société d'Encouragement, octobre 1898); puis il créa un appareil spécial comportant deux tiges, l'une étalon, l'autre faite de la matière à étudier; ces tiges sont liées par une arête (fig. 4), tandis qu'entre elles et à une distance de 10 centimètres de l'arête commune vient se placer un miroir, les deux tiges étant chauffées dans un four convenable, on enregistre, en fonction de la température, le déplacement du miroir grâce à un point lumineux et à une lunette. Cet appareil, après quelques modifications, a été utilisé par MM. Charpy et Grenet pour leur étude relative à la dilatation des aciers (Bulletin de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale, 1903, P. 464 et 883).

H. LE CHATELIER, reprenant la question avec M. le Professeur Broniewski, aboutit à une solution plus simple permettant d'ailleurs l'enregistrement et l'utilisation du galvanomètre double (Revue de Métallurgie, 1912, IX, Mémoires, 133). Le dilatomètre découle du précédent. Il est fait en silice fondue et enregistre la différence entre la dilatation de la silice et la dilatation de l'échantillon étudié. L'échantillon E, long de 5 à 10 cm., se trouve dans le tube en silice soutenu par des supports en nickel N1 et N2. Un butoir B presse à l'aide d'un ressort r sur l'échantillon et se déplace par la dilatation de celui-ci en faisant dévier le miroir D. La partie du dilatomètre supportant le miroir se trouve en dehors du four F, mais cet échauffement inégal du dilatomètre n'influence pas la déviation du miroir, la dilatation étant la même pour les deux supports A et B. Seule intervient la différence entre la dilatation de l'échantillon et la partie équivalente du tube en silice fondue (fig. 5 et 6).

Voici comment on utilise le galvanomètre double; le mécanisme d'horlogerie utilisé pour enregistrer la courbe températures-temps est poussé plus à fond dans l'enregistreur et son miroir, rendu fixe, est placé de façon à recevoir le rayon lumineux. Le dilatomètre est placé devant la fenêtre C, son miroir D reçoit le rayon lumineux de H et donne une déviation verticale ; le prisme à réflexion totale est supprimé ; le rayon dévié tombe sur le galvanomètre G, relié au couple donnant la température et la plaque photographique R enregistre la courbe des dilatations en fonction de la température.

Sans doute les dilatomètres se sont singulièrement perfectionnés durant ces dernières années, sous l'influence des recherches de M. Chevenard; mais l'appareil que nous venons de décrire a été le premier enregistreur; il a donné de fort intéressants résultats.

D'ailleurs H. LE CHATELIER et M. le Professeur Broniewski ont généralisé l'emploi du galvanomètre double; appliqué tout d'abord à l'analyse thermique, puis à l'analyse dilatométrique, ainsi que nous venons de le rappeler, il a été utilisé aussi pour enregistrer les variations de la force thermoélectrique, de la résistance électrique, etc... (Revue de Métallurgie, 1912, IX, P. 141).

On voit toute l'ingéniosité de H. LE CHATELIER dans la simplification ou la création d'un appareillage qu'il utilisa dans des recherches que nous allons résumer et qui s'est répandu avec une rapidité extraordinaire dans les laboratoires français et étrangers.

2. - NATURE DES ALLIAGES.

Chargé de professer à l'Ecole des Mines de Paris un cours de Science métallurgique, après avoir refusé d'enseigner la métallurgie proprement dite, comme cela lui avait d'abord été demandé, H. LE CHATELIER dût commencer par étudier l'état actuel des connaissances sur ce sujet. Il fut frappé de l'incohérence des opinions qui avaient cours concernant les alliages.

A cette époque, on enseignait encore que les alliages étaient analogues aux verres, c'est-à-dire des alliages amorphes de composition variable et, contradictoirement avec cette première idée, on enseignait en même temps que les métaux donnaient entre eux des combinaisons définies en nombres infiniment variés.

Il aborda donc le problème résolument sous ses deux aspects expérimental et théorique :

1 ° En perfectionnant et rendant pratiques les techniques existantes, notamment la micrographie et l'analyse thermique des transformations et en apportant d'autres techniques mises au point par lui par ailleurs : mesure des températures par les couples, dilatométrie aux températures élevées, qu'il avait utilisées en céramique;

2° En appliquant une fois de plus à l'étude de l'équilibre des mélanges métalliques les lois de la mécanique chimique et celles des mélanges salins.

Nous venons de rappeler la part considérable qu'il a prise dans la création, le perfectionnement et la vulgarisation des techniques métallographiques, nous résumerons maintenant son oeuvre en ce qui concerne nos connaissances sur la nature des alliages.

Dans un article magistral paru le 30 juin 1895, dans la Revue Générale des Sciences, il expose, dans son ensemble, le problème des alliages métalliques et en distinguant les deux facteurs élémentaires essentiels :

« 1 ° La constitution chimique, c'est-à-dire la nature et la proportion des métaux mêlés, la nature des combinaisons chimiques et des mélanges isomorphes qu'ils forment, enfin l'état chimique de ces diverses matières : état cristallin ou amorphe avec ses différentes variétés allotropiques;

« 2° La constitution physique, ou structure, c'est-à-dire la forme et la dimension des divers cristaux, des diverses agglomérations élémentaires dont la réunion constitue la masse solide et compacte du métal. »

Constitution physique ou structure.

A l'antique et traditionnel examen de la structure par l'aspect des cassures, vient se substituer l'examen micrographique beaucoup plus précis et grâce auquel H. LE CHATELIER montra l'analogie des alliages et des roches naturelles; tous deux sont composés par la juxtaposition d'éléments tous cristallins et peu nombreux : corps simples, combinaisons définies et cristaux mixtes. Les seules différences avec les roches sont, d'une part, la finesse plus grande des éléments cristallins qui ne peuvent être discernés qu'au microscope et, d'autre part, leur opacité et l'identité de couleur de tous ces éléments cristallins qui mettent en défaut les méthodes rapides et même immédiates d'identification pétrographique et qui font qu'on ne peut les discerner qu'après attaque chimique.

Les propriétés mécaniques d'un même alliage fondu varient dans des limites considérables avec les conditions de coulée; H. LE CHATELIER montre que l'oxydation du métal n'est pas la seule cause de ces changements et que les variations de structure interviennent. Par étude micrographique d'un bronze à 10 % d'étain coulé dans des conditions différentes, il examine les variations de cette structure. Le métal refroidi rapidement en dehors de toute agitation se solidifie en cristallites enchevêtrés d'autant plus nombreux et, par suite, d'autant moins développés que le métal refroidi a été moins fortement chauffé. Ces cristallites constituent un réseau de fibres allongées dont l'ensemble rappelle l'aspect de plumes d'oiseau ou de feuilles de fougères. En agitant, au contraire, le métal, la cristallisation se produit en grains irréguliers qui restent séparés les uns des autres ; cette structure correspond au minimum de malléabilité. Dans tous les cas, plus le refroidissement est rapide, plus les cristaux sont ténus. « Le fait, ajoute-t-il, que les centres de cristallisation sont d'autant moins nombreux que la température a été plus élevée au-dessus du point de fusion semble indiquer que les édifices cristallins ne sont pas détruits en totalité sitôt la fusion achevée. »

Ainsi se trouvent mentionnés explicitement les facteurs les plus importants agissant sur la structure de solidification, l'agitation, la vitesse de refroidissement, la surchauffe liquide et le nombre de centres cristallins.

Mais, par ailleurs, H. LE CHATELIER estime qu'il est difficile de dégager de l'examen de la constitution physique des conclusions générales, c'est-à-dire d'ordre scientifique, et son attention se porte tout particulièrement sur la constitution chimique et les combinaisons définies des alliages.

Constitution chimique.

Les propriétés des alliages dépendent, non seulement de la nature et des proportions des métaux alliés, c'est-à-dire de la composition chimique élémentaire, mais aussi de l'état de combinaison des éléments en présence et des divers états allotropiques de ces métaux ou de leurs combinaisons.

L'ordre logique à suivre dans une semblable méthode, serait d'étudier d'abord la constitution chimique des alliages et, une fois celle-ci connue, de chercher quelle influence elle aura sur les propriétés, mais « les méthodes d'analyses immédiates dont dispose la chimie minérale sont tout à fait rudimentaires et inapplicables dans la majeure partie des cas ». On arrive à séparer quelques combinaisons définies par l'action des acides sans avoir la certitude d'être arrivé à dissoudre tout le métal libre, sans avoir commencé à dissoudre une certaine quantité du métal même combiné.

Malgré cela, telle était jusqu'alors la méthode utilisée par les chimistes pour chercher à isoler des combinaisons définies dans les alliages et un grand nombre de celles-ci furent ainsi annoncées pour être ensuite démenties par les méthodes d'analyse thermique et thermo-physique.

Comme le dit H. LE CHATELIER, ces méthodes incertaines ne sont applicables que dans des circonstances exceptionnelles; mais il montra lui-même, par ailleurs, que l'on peut isoler Cu3 Sn des bronzes à excès d'étain Zn2 Cu des alliages à excès de zinc et Zn10 Fe par attaque dans des réactifs appropriés tels que l'acide chlorhydrique et le chlorure de plomb; cette méthode ne peut guère servir que pour contrôler les résultats obtenus comme nous allons le dire.

En effet, d'une manière générale, « on est obligé dans l'étude des alliages, de procéder au rebours de l'ordre logique, de commencer par étudier leurs propriétés complexes : propriétés mécaniques, électriques, magnétiques, etc., et de tirer ensuite des faits ainsi observés des inductions relatives à la constitution chimique, ce qui nécessite l'intervention d'hypothèses plus ou moins arbitraires dans lesquelles le sentiment personnel tient une large part. Il en est résulté que les conclusions des diverses recherches sur les alliages ont été parfois contradictoires et n'ont fait souvent qu'augmenter l'obscurité apparente de la question ».

Aussi H. LE CHATELIER aborda-t-il cette étude en faisant intervenir à la fois toutes les propriétés au lieu de n'envisager que l'une d'entre elles comme cela avait été fait jusqu'alors; « le problème se simplifie immédiatement : on reconnaît que certaines inductions relatives à la constitution chimique sont identiques, quelles que soit celle des propriétés du métal prise comme point de départ, et peuvent, en conséquence, être considérées comme définitivement acquises; pour d'autres, au contraire, il y a désaccord absolu; il ne faut donc y voir que des hypothèses erronées ».

C'est cette méthode qui, depuis, a été appliquée d'une manière générale, que H. LE CHATELIER applique en se servant d'abord des données existantes concernant toute une série de propriétés physiques à l'ambiante : conductibilité électrique, force électromotrice de dissolution, densité, coefficient de dilatation, propriétés mécaniques, qu'il confronte avec les courbes de fusibilité et auxquelles il adjoint l'étude, en fonction de la température, de la résistance électrique et la dilatabilité poussée jusqu'aux températures élevées, utilisant ainsi la méthode à laquelle il avait eu recours pour les produits céramiques.

Pour prendre un exemple dans les alliages cuivre-étain ou bronzes ordinaires, le composé défini Cu3 Sn est marqué par un maximum ou une brisure des courbes représentant, en fonction de la composition de l'alliage, la densité, le coefficient de dilatation, la conductibilité et la force électromotrice de dissolution, en même temps que la dureté présente une valeur relativement très élevée par rapport aux métaux composants.

Les propriétés physiques permettent en outre de faire l'étude dans le cas de variations thermiques aussi lentes que l'on désire et même en condition isotherme, ce qui ne permet pas l'analyse thermique proprement dite.

Il doit donc, à cet égard, être également considéré comme le créateur des méthodes d'analyse dilatométrique et résistométrique qui, encore à l'heure actuelle, grâce aux progrès réalisés dans les techniques et l'interprétation des résultats, demeurent parmi les plus précieuses pour l'étude de la constitution des alliages et de leurs transformations. Il se trouve ainsi à l'origine, tant de l'analyse physique comparée, que de l'analyse thermophysique des alliages.

Conductibilité électrique des métaux et alliages. - Les expériences d'Osmond qui avait amené la découverte capitale des transformations allotropiques du fer laissaient subsister un doute sur la parfaite réversibilité du phénomène; ses observations faites à température variable indiquaient des températures différentes à réchauffement et au refroidissement. En s'adressant à la résistance électrique, propriété de mesure précise à température constante, H. LE CHATELIER mit en évidence, en opérant en atmosphère d'hydrogène, la parfaite réversibilité du phénomène et appliqua cette méthode à divers alliages de fer avec le nickel et le manganèse.

Il montra ainsi notamment que :

1° Pour le fer, la transformation à 850°, à peine visible par la méthode calorimétrique, est - au contraire - très nettement accusée par la méthode électrique dans les aciers comme dans les fers doux. Au contraire, la transformation à 750° et celle de la recalescence se font à peine sentir sur la résistance électrique;

2° Dans les aciers au nickel, le déplacement des points de transformation varie d'une façon continue avec la composition de l'alliage et ne se dédouble pas, cela prouve que le fer et le nickel forment un mélange chimiquement homogène : un mélange isomorphe ;

3° Les deux variétés, l'une magnétique, l'autre non-magnétique de l'acier au manganèse Hadfield sont caractérisées par des résistances électriques différentes, ce qui l'a conduit à trouver que la variété magnétique peut s'obtenir très simplement par un recuit de une heure seulement à température rigoureusement définie entre 550° et 600° au lieu de recourir à un recuit de mille heures comme l'indiquait sir Robert Hadfield.

Cette étude des résistances électriques appliquée aux métaux et alliages non ferreux a permis à H. LE CHATELIER de caractériser certaines transformations alors non encore connues, particulièrement celle de 730° dans le laiton, de 500° dans le bronze d'aluminium, de 350° dans le zinc et de reconnaître dans le maillechort une transformation présentant la double particularité suivante : de ne se produire qu'avec une extrême lenteur, en second lieu, d'embrasser un intervalle de température considérable, environ 150°. Dès que le refroidissement n'est pas conduit avec une lenteur extrême, le métal reste trempé; de telle sorte que les maillechorts usuels que l'on refroidit sans précautions spéciales sont tous trempés; cela explique l'instabilité souvent constatée dans les résistances électriques construites en maillechort.

Appliquée aux aciers, l'étude de la résistance électrique lui montra que certains éléments d'additions tels que le nickel et le manganèse entraient en solution solide contrairement à d'autres tels que le chrome et le tungstène ; de même la trempe peut tripler la résistance électrique des aciers carbures, ce qui indique le passage du carbure en solution solide.

Dilatation des alliages métalliques. - Des conclusions analogues ont été énoncées par H. LE CHATELIER pour la dilatation des alliages et mises à profit pour l'étude des aciers. Alors que la dilatation des alliages constitués par la juxtaposition de cristaux définis de deux natures différentes est nécessairement intermédiaire entre celle de ces deux constituants, il a observé, dans les alliages formés de solution solide, des coefficients de dilatation notablement supérieurs à ceux de chacun des éléments constituants : par exemple pour les alliages cuivre-antimoine et cuivre-aluminium.

L'étude dilatométrique a permis à H. LE CHATELIER de caractériser les changements d'état du fer et de l'acier d'une manière beaucoup plus précise qu'on ne l'avait fait jusqu'alors : il montra que :

1° Les transformations A3 et A1 sont marquées par des variations de longueurs notables, alors que A2 correspondant à la perte des propriétés magnétiques n'est accompagné d'aucun changement de dimension apparent;

2° Au-dessous des points de transformation les aciers présentent le même coefficient de dilatation, étant formés par la juxtaposition de ferrite et de cémentite en proportion trop faible pour influer sur la dilatation ; au-dessous les coefficients de dilatation varient du simple au double suivant la teneur en carbone, ce dernier étant en solution solide.

Courbes de fusibilité et diagrammes d'équilibre. - L'étude des courbes de solubilité de sels et des lois de l'équilibre préparait naturellement H. LE CHATELIER à celle des courbes de fusibilité et diagrammes d'équilibre des alliages, d'autant que l'analyse des propriétés physiques, que nous venons de rappeler, lui fournissait une méthode de contrôle et d'interprétation.

Comme les courbes de solubilité des sels, celles de fusibilité des alliages sont formées d'autant de branches distinctes qu'il peut, du mélange liquide, se déposer de corps solides à un état chimique différent; les branches de courbes présentant un maximum indiquent l'existence d'une combinaison telle que Sb Cu2 et Al2 Cu. Ses expériences mirent en évidence ce fait que les maxima des courbes ne correspondent pas exactement à la composition définie, mais seulement à une composition voisine, ce qui, par des considérations théoriques, doit se produire toutes les fois que le coefficient atomique d'abaissement du point de solidification n'est pas le même pour les deux métaux en présence.

Mais, son influence fut fondamentale à l'égard du diagramme le plus important au point de vue métallurgique, celui qui définit les états d'équilibre du fer et du carbone; elle s'exerça:

1° Au point de vue des transformations en apportant, pour le tracé des courbes de transformation, les données des analyses résistométrique et dilatométrique, ainsi qu'en marquant les caractères nettement différents des deux transformations A2 et A3 du fer: « le point A2, qui correspond à la perte des propriétés magnétiques, est nettement progressif; la transformation embrasse un certain intervalle de température, comme cela se passe dans les transformations des liquides. La transformation A3 est, au contraire, brusque ; elle se fait entièrement à une température déterminée » ;

2° Au point de vue des équilibres du fer et du carbone, il fut le premier à proposer ce qu'on a appelé le diagramme double généralement admis à l'heure actuelle dans lequel les courbes correspondant aux équilibres avec le graphite apparaissent entièrement séparées et au-dessous des courbes marquent les équilibres avec le carbure de fer ou cémentite; cette dernière étant une forme moins stable que le graphite et qu'il appelle, pour cela, forme d'équilibre labile, ce terme ayant le sens de métastable adopté en général à l'étranger.

Ici encore les études de solubilité des sels lui avaient fourni des exemples qu'il mit à profit.

Ce diagramme, comme l'on sait, est à la base de nos connaissances concernant la constitution des aciers et des fontes, leurs propriétés et leurs traitements thermiques. Nous rejoignons ainsi le domaine exposé par M. Charpy dans le chapitre précédent. On a vu, dans ce dernier, l'influence considérable de H. LE CHATELIER sur la théorie de la trempe des aciers; il contribua d'une manière particulièrement efficace à introduire les notions essentielles de solutions solides métalliques et de vitesse de transformation variable avec la température, tout en contribuant à élucider la nature des constituants de trempe.

On trouvera également mentionné, dans ce chapitre, le rôle de H. LE CHATELIER à l'égard des méthodes d'essais agissant activement et avec persévérance pour préciser, développer, simplifier et généraliser les essais de dureté à la bille et de fragilité sur barreaux entaillés.

En définitive, dans ce domaine des alliages, l'intervention de H. LE CHATELIER s'est exercée d'une manière prépondérante dans toutes les étapes et sous tous les aspects de l'acquisition de nos connaissances scientifiques : méthodes expérimentales et appareillage, interprétation des résultats et lois des phénomènes, conception sur la nature des alliages et répercussion sur leurs propriétés.

Son influence domine tous les travaux accomplis concernant cette catégorie si intéressante, et si importante de ces produits; jusqu'à lui, elle était demeurée l'une des plus obscures et des plus négligées.

Léon GUILLET et Albert PORTEVIN.


Voir aussi :

  • La métallurgie dans le département de la Loire au XIXème siècle