Paul Bernard LABROSSE-LUUYT (1825-1887)

Photo ENSMP

Polytechnique (promotion 1845 ; entré major, sorti classé 2ème), corps des mines.

Fils de Jacques Louis LABROSSE-LUUYT (né en 1790 ; X 1808, banquier) et de Louise Elisabeth Simone Claire Alphonsine de MEYNARDIE.
Marié à Marie Lucie Claude Berthe BICHIER-DES-ÂGES.
Père de Alphonse Clément Louis Maurice LABROSSE-LUUYT (1859-1942 ; X 1878 corps des mines, qui dirigea les chemins de fer PLM et épousa Louise RODRIGUES-HENRIQUES, et qui eut pour petites-filles, Marie DUTILLEUL née en 1916 et Suzanne DUTILLEUL, née en 1919, et dont le 14eme petit-enfant Hubert AMEIL (fils du baron AMEIL) est né le 8/2/1926 et Christiane AMEIL en 1929).
Beau-père de Charles Marie WALCKENAER et de Charles Alexandre Raymond LE JOINDRE (1851-1921 ; X 1870). Grand-père de Clément Henri Jacques LABROSSE-LUUYT (1890-1915 ; X 1910, lieutenant du génie tué à Soissons)

Directeur de l'Ecole des mines.


DISCOURS PRONONCÉS AUX FUNÉRAILLES
DE M. P. LUUYT
INSPECTEUR GÉNÉRAL DES MINES, DIRECTEUR DE L'ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES MINES


le 23 novembre 1887.

Publié dans Annales des Mines, 8e série, vol. 12, 1887.

DISCOURS DE M. LINDER,
Vice-président du Conseil général des mines,
AU NOM DU CORPS DES MINES

Messieurs,

Si la retraite impitoyable ne nous avait pas privés du chef aimé et respecté, qui était la lumière du Conseil général des mines, une voix bien plus autorisée que la mienne se serait fait entendre en ce triste jour.

Un nouveau deuil frappe le corps des mines, si cruellement éprouvé depuis quelques années. Nos morts vont vite; ils se pressent.

Combien en avons-nous vu tomber, en ces derniers temps, alors que leur âge devait nous faire espérer de les conserver longtemps encore parmi nous! Le collègue que nous pleurons aujourd'hui était de ceux-là.

Labrosse-Luuyt (Paul-Bernard), est né au Havre, le 15 décembre 1825.

Entré à l'École polytechnique en 1842, le plus jeune de sa promotion, il en sortit second et choisit la carrière des mines. Il n'était encore qu'élève ingénieur quand il fut chargé du service du sous-arrondissement minéralogique d'Autun, puis de celui de Saint-Étienne.

Ingénieur ordinaire de 3e classe le 21 août 1848, il fut élevé à la seconde classe le 23 mai 1850. La même année, après avoir professé, pendant quelques mois, l'exploitation des mines et la préparation mécanique à l'Ecole des mineurs de Saint-Étienne, il quitta le service de l'État, devint successivement, de 1850 à 1861, directeur du canal de Givors, des mines de l'ancienne Compagnie de la Loire, des forges de Vierzon, et dans ces diverses fonctions il déploya de grandes capacités techniques et les qualités d'un administrateur habile. Il fit, à la même époque, preuve d'un grand dévouement en organisant des ambulances pendant que le choléra sévissait avec intensité à Rive-de-Gier.

Rentré dans le corps des mines, M. Luuyt fut chargé l'abord du service du sous-arrondissement minéralogique de Lyon, auquel on adjoignit plus tard des services de contrôle de chemins de fer ; puis, à partir du 1er nombre 1872, il remplit, à Bordeaux, les fonctions d'ingénieur en chef, dont il reçut le grade le 14 janvier 1874.

En 1872, l'administration l'appela à Paris comme rapporteur de la commission centrale des machines à vapeur; elle ajouta, l'année suivante, à ce service celui de la surveillance des appareils à vapeur de la Seine. M. Luuyt, dans ces délicates fonctions, se distingua par son esprit conciliant et la sûreté de son jugement.

Promu, le 24 septembre 1883, au grade d'inspecteur général de 2e classe, il prit, peu après, la direction du contrôle de l'exploitation des chemins de fer du Nord, qu'il conserva jusqu'au 9 mai 1885, époque à laquelle il fut nommé directeur de l'École nationale supérieure des mines.

Il avait été élevé au grade d'inspecteur général de 1re classe le 29 mars dernier.

Dans le cours de sa carrière, M. Luuyt a rempli de nombreuses missions comme membre du jury des expositions industrielles de Londres, de Stockholm, de Paris, et comme délégué à la conférence internationale de Berne en 1882. Il était membre de la commission centrale des machines à vapeur et du comité de l'exploitation technique des chemins de fer, président de la commission spéciale de la carte géologique détaillée de la France et officier de la Légion d'honneur.

M. Luuyt était arrivé à l'une des plus hautes positions du corps des mines. Homme du monde, doué d'un caractère aimable et bienveillant, il s'était attiré de nombreuses sympathies. Il possédait toutes les jouissances du coeur et d'un juste amour-propre satisfait. Heureux dans ses enfants, entouré de leur tendresse et de leur respect, il aurait eu en partage tous les bonheurs qu'il est possible de goûter ici-bas, s'il n'avait eu à pleurer prématurément la compagne de sa vie. La douleur de se séparer de ceux qu'il aimait et qu'il laisse après lui, a été adoucie par l'espoir d'être réuni à celle qu'il n'a jamais cessé de regretter.

Il nous a quittés, mais son souvenir survivra parmi nous, car nous pouvons lui appliquer ces paroles d'un général, dont la patrie s'honore :

" Mon Dieu, que sommes-nous sur cette terre! Heureux celui qui peut, après avoir travaillé toute sa vie, laisser un souvenir d'estime et d'amitié parmi les siens ! "


DISCOURS DE M. HATON DE LA GOUPILLIÈRE
Inspecteur général des mines, professeur à l'École nationale des mines,
AU NOM DE L'ÉCOLE NATIONALE DES MINES.

Messieurs ,

Le corps des mines vient de perdre un de ses membres les plus distingués ; l'Ecole des mines un directeur éminent, aimé de tous. Esprit juste et pénétrant, coeur chaud et chevaleresque, âme loyale, ouverte à l'amitié, caractère absolument charmant, M. Luuyt possédait tout ce qui attire la sympathie, tout ce qui affermit l'autorité. Les grandes situations qui ont couronné sa vie d'ingénieur n'ont pas été briguées par lui. Il a, au contraire, apporté dans sa carrière un désintéressement plus rare encore que celui de la fortune. Surpris dans sa modestie, lorsque ces honneurs sont venus le chercher, il a montré rapidement qu'il était fait pour eux.

Paul-Bernard Labrosse-Luuyt est né au Havre, le 15 décembre 1825. Sa vie officielle vient de vous être retracée par une parole éloquente, et je ne saurais revenir sur cette énumération si bien remplie. Je n'en détacherai qu'une circonstance, en vous rappelant qu'il a commencé sa carrière, comme il l'a finie, dans les Écoles. Il a été, en effet, chargé en 1850 du cours d'exploitation des mines et de préparation mécanique à l'École des mines de Saint-Étienne. Cet enseignement était bien fait pour le préparer directement à une phase assez longue de sa vie, passée en dehors du corps.

Pendant dix ans, en effet, il est resté au service de l'industrie privée, successivement dans les mines et dans forges. Si cet exil temporaire a eu pour effet de ralentir momentanément son avancement, comment le regretter, puisqu'il a finalement atteint les sommets les plus élevés de la hiérarchie. Nul doute, d'ailleurs, que ce contact direct avec les difficultés et les luttes de l'industrie n'ait encore affermi son jugement, aiguisé sa pénétration, et complété cet ensemble de facultés si apprécié de ceux qui l'ont approché dans les Conseils où il apportait la lumière.

Le premier stage de Paul Luuyt, hors du service ordinaire, s'est effectué dans l'ancienne Compagnie de la Loire. Il y est entré, le 30 août 1850, avec le titre de directeur des mines de Rive-de-Gier. A cette rude école il est devenu un mineur hautement apprécié. Ces vieilles exploitations, médiocrement conduites aux époques reculées, ont joué de toutes parts, et crevassé le lit de la rivière du Gier, en provoquant ainsi leur propre inondation. Les conditions étaient devenues particulièrement critiques; et l'on en était arrivé à redouter l'abandon forcé des travaux, comme le constatent les rapports du service ordinaire de cette époque. Le jeune ingénieur réussit à sauver la situation. Il avait remarqué l'activité des infiltrations qui s'opéraient à travers la paroi des puits, et, dans ces conditions, qui n'étaient pas sans analogie avec celles du département du Nord, grâce au gore blanc qui retenait les eaux supérieures comme un rideau étanche, il conçut la pensée d'importer dans ce bassin la méthode de cuvelage qui, seule jusqu'alors, avait permis de traverser les morts-terrains formidables du Nord de la France, et d'y tenir en respect l'océan inépuisable qui imprègne ces masses souterraines. Il fit venir, à cet effet, en 1854, des mines de Douchy, des ouvriers habitués à ce genre de travaux, et installa un premier cuvelage au puits du Pré. Bientôt après, les puits Bourret, du Logis et du Château, cuvelés à leur tour, purent être débarrassés de leurs pompes d'épuisement. L'entreprise était hardie, car le gore blanc de Rive-de-Gier, peu puissant et tourmenté par les failles, est loin d'offrir la même efficacité que les dièves du Nord. Le succès néanmoins fut complet. La venue d'eau diminua de plus de moitié, et le niveau, abaissé de 30 mètres, permit à Luuyt, en sauvant les exploitations qui lui avaient été confiées, de mettre en outre en valeur une importante richesse houillère.

Lorsque le choléra de 1854 vint exercer ses ravages, Paul Luuyt, qui était sur le point de quitter Rive-de-Gier, s'attacha de nouveau au poste périlleux. Il y organisa, de sa personne, des ambulances qui rendirent à ces populations les plus grands services.

La dissolution de l'ancienne Compagnie de la Loire lui fit abandonner l'exploitation souterraine pour la métallurgie. Pliant, avec la facilité que nous lui avons connue, son esprit à ces nouvelles études, il accepta la direction des forges de MM. Petin et Gaudet à Vierzon, et conduisit ces usines avec succès jusqu'au jour où il reprit du service actif, le 3 juillet 1861.

Paul Luuyt a terminé sa carrière comme directeur de l'École Nationale Supérieure des mines. Le 9 mai 1885, il fut nommé à cette haute situation. Son court passage parmi nous a été marqué par une des transformations les plus considérables qu'ait traversées cet établissement de premier ordre. Luuyt s'était attaché avec beaucoup d'intérêt à ces améliorations essentielles ; et sa dernière oeuvre importante a été le rapport qu'il a rédigé sur cette question, à la suite des longues délibérations dont elle a été l'objet. Des cours nouveaux ont été créés sur la chimie industrielle, la construction mécanique, les applications de l'électricité. Des groupements meilleurs ont été inaugurés pour les autres matières de l'enseignement. Le travail des élèves s'est trouvé développé, autant que possible sans surcharge, grâce à un nouvel emploi du temps et à certaines facilités intérieures.

La mémoire de Luuyt vivra dans l'Ecole des mines. Le respect des élèves, l'affection du corps enseignant semblaient s'être hâtés de s'attacher à lui, comme en prévision du peu de temps qui leur serait donné pour naître et pour croître.

Me sera-t-il permis d'ajouter que, sans cesser jamais de voir en lui un chef respecté, je l'aimais comme un frère?

Que dirai-je des affections plus proches que sa mort brisées? Je ne dois toucher qu'avec respect et avec précaution à ces coeurs blessés. Qu'il me soit permis cependant de placer sous leurs yeux cette foule d'amis accourus autour de ce cercueil, et tant de paroles affectueuses pour cette mémoire qui reste leur bien le plus précieux. Mieux que nous, ils ont pénétré dans cette âme aimante et vécu de son atmosphère. Ces pieuses jeunes femmes, ces jeunes gens si brillants ont entouré leur père de leur tendresse. Ils lui ont composé sa plus belle couronne. Cette mort si prompte, exempte de souffrance par une dernière clémence de la Providence, a rompu en eux des liens bien forts et bien doux. Elle leur laisse du moins les immortelles espérances.

Adieu, Luuyt, mon chef, mon cher ami ! Adieu pour ce monde !


Le Génie Civil, 8e année t. XII, 1887-1888.

NÉCROLOGIE : M. P. LUUYT
Inspecteur général des Mines, Directeur de l'Ecole nationale supérieure des Mines.
par H. Rémaury, ancien président de l'association amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines

En annonçant la nomination de M. Haton de la Goupillière au poste élevé que la mort de M. P. Luuyt venait de laisser vacant, nous étions encore sous la douloureuse émotion de ce nouveau coup qui frappait le corps des Mines dans la personne d'un de ses membres les plus aimés et les plus distingués.

Nous nous réservions de retracer, d'après les discours prononcés aux funérailles du regretté Directeur de l'Ecole des Mines, les nombreux services qu'il avait rendus dans son existence trop courte, mais bien remplie pour son pays, sa famille, ses amis et l'Association amicale des élèves de l'Ecole nationale supérieure des Mines, qui lui doivent leur sympathique reconnaissance.

Si nous nous permettons de l'exprimer ici en leur nom, c'est que nous avions l'honneur de connaître personnellement M. P. Luuyt, qui nous avait donné, il y a peu d'années, la satisfaction de visiter nos travaux d'aménagement des mines de fer et de reconstruction des usines de Villerupt.

M. Luuyt, né au Havre le 15 décembre 1825, entrait à l'École Polytechnique en 1842, le plus jeune de sa promotion, pour en sortir dans le corps des Mines. Après avoir été chargé du sous-arrondissement minéralogiquc d'Autun, puis de celui de Saint-Étienne, il professa à l'école de cette ville l'exploitation des mines et la préparation mécanique. Il voulut alors connaître les responsabilités industrielles, et de 1850 à 1861, il fut successivement Directeur du canal de Givors, des mines de la Loire, des forges de Vierzon, et se fit remarquer non seulement comme Ingénieur et administrateur, mais comme citoyen courageux et chef dévoué pendant que le choléra sévissait avec intensité à Rive-de-Gier.

Rentré dans le corps des Mines, et Ingénieur en chef depuis 1874, M. Luuyt fut appelé à Paris, en 1876, comme rapporteur de la Commission centrale des machines à vapeur, puis chargé en même temps de la surveillance des appareils à vapeur de la Seine. Il obtint en 1883 le grade d'Inspecteur général et, en mai 1885, la Direction de l'École nationale supérieure des Mines, où il est mort le 23 novembre 1887, à l'âge de 6l ans.

Dans ce court intervalle d'environ deux ans et demi, L'École des Mines a été l'objet d'importantes améliorations mûrement délibérées. A la suite du rapport de M. Luuyt, des cours nouveaux ont été créés sur la chimie industrielle, la construction mécanique, les applications de l'électricité ; d'autres ont été développés, sans surcharge pour les élèves, grâce à une meilleure répartition du temps.

En dehors des hautes fonctions déjà énumérées, M. Luuyt, après sa promotion au grade d'Inspecteur général des Mines, avait pris la Direction du contrôle de l'exploitation des chemins de fer du Nord, qu'il conserva jusqu'à sa nomination de Directeur de l'École des Mines en 1885.

Il était membre du Comité de l'exploitation technique des chemins de fer et Président de la Commission spéciale de la carte géologique détaillée de la France.

Enfin, il avait été membre du jury des expositions industrielles de Londres, de Stockholm, de Paris (1878), de l'Exposition d'électricité (Paris 1881). Il présidait le jury d'admission de la classe 48 à l'Exposition universelle de 1889.

Entre autres missions dont il s'acquitta au cours de sa carrière, il avait été délégué à la Conférence internationale de Berne en 1882.

Malgré tous ses travaux, M. P. Luuyt semblait destiné à vivre encore de nombreuses années, et à jouir de sa haute situation, au milieu d'une famille aimée dont il était justement fier à tous égards. La fatalité l'a enlevé trop tôt aux siens, à ses amis, à ses élèves, aux professeurs de l'École des Mines, qui tous conservent à sa mémoire leur respectueux et affectueux souvenir.

M. P. Luuyt laisse un fils et un gendre dans le corps des Mines : M. Maurice Luuyt, Ingénieur à Dijon, et M. Charles Walckenaer, Ingénieur à Paris.

Sa seconde fille porte le nom estimé d'un Ingénieur bien connu en Lorraine, M. Le Joindre, longtemps Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées à Metz, puis député de la Moselle.

Nous adressons à toute la famille nos modestes mais bien sincères compliments de condoléance.

H. REMAURY, ancien Président de l'Association amicale des élèves de l'Kcole supérieure des Mines.