André Eugène Clément PELLISSIER (1876-1946)


Pellissier en 1902, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Né à Langlade (Gard) le 4/6/1876. Mort brutalement le 10 août 1946.

Ingénieur civil des mines (promotion 1899 de l'Ecole des Mines de Paris).

Il a été un pionnier dans l'industrie pétrolière française.

Il est nommé directeur technique des Mines de pétrole de Pechelbronn en 1921, lors de la reprise par l'Etat français, puis directeur général en 1928 et Président directeur général en 1940, fonction qu'il occupe jusqu'à son décès. Pendant ces 25 années de direction, il développe l'entreprise, en liaison avec Schlumberger, avec la création de la société des huiles ANTAR, la construction de la raffinerie de Donges, etc.

Officier de la Légion d'honneur (8 août 1935). Voir le CV officiel accompagnant cette promotion (format word 2003).


Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris, 1936-VI

Présentation de André Péllissier par M. Chavane, président de l'Association :

Sorti de l'Ecole et du service en 1902, il entre aux mines de Blanzy qu'il quitte en 1908 pour partir en Russie, où il exploite d'abord du charbon, puis du minerai de fer [1906-1910 : mines de fer de Krivoï-Rog en Ukraine ; ensuite mines de charbon de Doubouvaïa-Balka]. La guerre de 1914 le rappelle en France et l'utilisation des compétences si poussée lors de cette mobilisation, l'affecte, avec les hautes fonctions de sergent, au 117e territorial.

En juin 1915, à la demande du gouvernement russe, il est rappelé en Russie, où il travaille à la mine jusqu'au moment de l'invasion allemande en Ukraine, en juin 1918. Il se met alors à la disposition de la mission militaire française et prend part avec des avatars divers à la lutte que les alliés mènent, pour sauver la Russie et la civilisation européenne, contre ce retour de barbarie. Cette lutte le mène à Moscou, à Bakou [pétrole], en Turkestan, en Perse. Mme Pellissier elle-même, au péril de sa vie, assure les liaisons entre la commission mililaire française, Moscou et Pétrograd.

En 1919, notre Camarade va à Bor, comme sous-directeur des mines de cuivre; il y reste 15 mois et, le 1er mars 1921, entre comme directeur technique à Péchelbronn, dont il devient directeur général en janvier 1929.

Là, comme partout ailleurs, son effort d'organisation a été considérable et il est arrivé à des résultats de premier ordre. Il a développé cette belle affaire et toute une série de filiales dont nous voyons les noms sur tous les murs; il a apporté à l'exploitation des gisements pétroliers des idées nouvelles, dont le développement a été particulièrement favorable.

La guerre et ses contre-coups, l'instabilité qui, depuis vingt ans, l'a suivie, ont valu à toute notre génération des carrières particulièrement agitées. Celle de Pellissier a été une des plus mouvementées, aucune difficulté ne lui a été épargnée, mais cette période exceptionnelle l'a certainement servi : les circonstances difficiles révèlent les hommes de valeur.

M. André Pellissier prononce ensuite le très intéressant discours suivant, qui fut très écouté et très apprécié :

Mes chers Camarades,

Je ne comprends pas très bien pourquoi je préside aujourd'hui notre banquet de Sainte-Barbe. Vraisemblablement, j'ai lieu de supposer que c'est à cause de ma spécialité : le pétrole, jusqu'à ce jour, n'avait pas eu les honneurs de la présidence de notre banquet, mais les événements politiques récents, la motorisation toujours plus intensifiée des moyens de transports dans tous les pays, ont mis en évidence l'importance du pétrole, matière première indispensable à la vie courante et plus encore à la Défense nationale.

Si donc le pétrole me vaut l'honneur de prendre aujourd'hui la parole devant vous, je ne puis faire autrement que de vous en parler et plus spécialement du « pétrole français ». C'est un sujet dont la grande presse entretient assez souvent le public pour que je cherche à vous donner sur ce point des précisions qui, trop souvent, manquent dans la plupart des articles que vous lisez.

Je tiens à vous signaler, cependant, le numéro du 15 juillet 1930 de la Revue des Deux-Mondes, où la question « du Pétrole et de l'indépendance nationale » a été traitée d'une façon magistrale par notre Camarade Robert Schlumberger (promo. 1918). Vous trouverez là, si vous en avez la curiosité, beaucoup de renseignements que je ne puis vous donner aujourd'hui sur cette importante question.

Jusqu'en 1914, la France ne s'était pas beaucoup occupée de la question des hydrocarbures : certes, la Bourse s'intéressait aux valeurs de pétrole, mais les capitalistes français, qui spéculaient sur les titres de ces lointaines industries, ne songeaient nullement à prendre le contrôle de semblables affaires; quant au Gouvernement, la question était vraisemblablement pour lui sans importance.

Il a fallu la guerre, hélas! pour nous faire voir combien le pétrole était indispensable à nos armées.

Je n'insisterai pas sur l'importance de notre ravitaillement en temps de paix; si nous possédions suffisamment de pétrole, soit en France métropolitaine, soit dans nos colonies, notre balance commerciale s'en trouverait mieux, mais enfin notre ravitaillement en temps ordinaire n'est qu'une question d'argent et nous sommes assurés de ne point manquer du précieux produit... tant que nous pourrons le payer.

Le problème, en cas de tension politique, se posera d'une façon angoissante : la motorisation de noire armée se développant toujours davantage, notre ravitaillement en pétrole, gas-oils, lubrifiants, doit être largement assuré, et cela en permanence, pour être prêt à toute éventualité.

Passons rapidement en revue les moyens dont nous disposons à cet effet.

Le premier, celui qui paraît le plus simple et relativement le moins coûteux, est de constituer en France des stocks massifs : la question est à l'étude, mais voici quelques chiffres qui vous donneront une idée de son importance.

Nous consommons en temps de paix environ 2.500.000 tonnes de carburants et 230.000 tonnes de lubrifiants par an. Le premier de ces chiffres devrait être multiplié au moins par quatre pour répondre à nos besoins réels en temps de guerre!

Les détenteurs de licence d'importation sont actuellement tenus d'avoir en réserve 1/3 de leur distribution annuelle, au total un maximum de un million de tonnes, soit à peine un mois de guerre : doubler, tripler ces réserves en imposant une charge nouvelle au raffineur français n'est pas admissible, la réserve du tiers, sans autre compensation que la protection aux usines exercées, est déjà écrasante!

Des stocks massifs ne peuvent donc être constitués que par l'Etat.

Abordons maintenant la question des usines exercées dont on parle tant, dont on parle trop. Seize usines sont construites en France pour traiter des bruts étrangers. Leur capacité est suffisante, à très peu de chose prés, pour satisfaire à tous les besoins du temps de paix, mais elles constituent surtout en temps de guerre, un supplément de stocks appréciables en produits bruts, mi-terminés ou terminés, par l'obligation dans laquelle elles se trouvent d'avoir des réserves techniques ou commerciales.

L'usine exercée, heureuse conception pour le temps de paix, rendrait, quoi qu'on en dise, d'inappréciables services en temps de guerre, en permettant de traiter le brut de producteurs non raffineurs exploitant les gisements de pays vraisemblablement non belligérants et peu industrialisés, tels que le Venezuela, le Pérou, l'Equateur, etc..

Sans doute, les usines exercées sont vulnérables, mais nous n'avons pas commis l'erreur qu'on pouvait craindre au début, de ne construire qu'une ou deux usines en France. Réparties sur le littoral : à Dunkerque, sur la Basse-Seine où l'agglomération est peut-être un peu trop importante, aux embouchures de la Loire et de la Gironde, à Sète, à Frontignan, à l'étang de Berre, la destruction simultanée de toutes nos usines est peu vraisemblable.

Arrivons enfin aux carburants dits nationaux ou fabriqués en France. Ce sont surtout ceux-là dont la presse et le public, généralement peu compétents, demandent la production intensive en citant, sans rien connaître de la question, les résultats obtenus en Allemagne.

Carburants nationaux, cela ne veut pas dire nécessairement et exclusivement : « carburants de synthèse » ; tenant compte des ressources en matières premières et des possibilités de chaque pays, pour chaque nation le problème se pose d'une façon différente.

Tout d'abord, l'alcool, dont betteraviers et viticulteurs préconisent l'emploi. Carburant parfaitement utilisable en temps de paix — et vous l'utilisez souvent, sans vous en douter — l'alcool, en temps de guerre, sera entièrement absorbé par le service des poudres.

Parmi les carburants de synthèse, ceux obtenus par l'hydrogénation de la houille ou des lignites sont les premiers à prendre en considération.

L'hydrogénation donne des résultats extrêmement intéressants pour certains pays, mais pour nous en serait-il de même?

Les frais de premier établissement sont très élevés : 300 millions pour construire une usine d'une capacité annuelle de 100.000 tonnes de carburants, le prix de revient de l'essence synthétique est environ quatre fois supérieur à celui de l'essence importée; les progrès incessants de la chimie réduiront certainement un jour ces dépenses, mais l'opération de l'hydrogénation exigera toujours près de quatre à cinq tonnes de houille ou de lignite pour une tonne de carburant; n'est-il pas permis, dans ces conditions, de dire que cette transformation industrielle n'est pas rationnelle en France, au moins en ce qui concerne à cette fin l'emploi de la houille? N'oublions pas, en effet, que nous sommes importateurs de charbons. Si les Allemands s'attachent au problème de l'hydrogénation d'une façon toute particulière, s'ils sont arrivés à de remarquables résultats, c'est que, installés sur leurs énormes réserves de houille et de lignite, la question pour eux ne se présente pas comme pour nous.

Sans doute, la houille peut être remplacée par les lignites, mais nos ressources en lignites, dont certains font grand cas, ne sont pas très importantes : quelques gisements sont difficilement exploitables, d'autres contiennent de fortes proportions de soufre, qui exigeraient un traitement spécial, trop compliqué, pour un résultat médiocre.

La richesse de la moyenne des gisements français de lignite n'est d'ailleurs pas suffisante pour permettre leur exploitation en temps de paix, exploitation cependant nécessaire, car on ne pourrait songer à la créer de toutes pièces en temps de guerre.

Il faut avoir le courage de le reconnaître et de le dire, l'industrie de l'essence synthétique en France métropolitaine n'est pas viable, au sens économique, tout simplement parce que nous manquons de la matière première indispensable.

Un mot des schistes, pour qu'on ne puisse me reprocher de les oublier.

Ces gisements sont rares en France, ou du moins sont rares ceux qui peuvent être traités pour la fabrication des hydrocarbures. La vieille exploitation d'Autun pourrait, si elle était suffisamment protégée, augmenter sa production, mais ce bassin est à peu près le seul dont on puisse faire état; le dernier essai tenté à Creveney montre combien les illusions de certaines personnes sur les schistes cartons étaient grandes et combien leurs espérances étaient peu fondées. D'exploitation difficile, et à forte main-d'œuvre, ce n'est pas sur les schistes bitumineux que la France peut compter pour son ravitaillement en hydrocarbures.

Que reste-t-il alors? Existe-t-il dans notre sol du pétrole brut ailleurs qu'à Péchelbronn? En réalité, presque rien de sérieux n'a été fait dans notre pays pour s'en assurer; les trop rares recherches, bien conduites (il y en a eu, hélas! beaucoup de mal conduites), ont cependant donné de précieuses indications; les résultats obtenus au cours de ces dernières années ont été exposés dans une étude très documentée, présentée par M. Pierre Trouilloud au Congrès des Mines, de la Métallurgie et de la Géologie appliquée, en octobre 1935.

Certes, je ne crois pas que nous puissions trouver en France les richesses de la Californie, du Venezuela ou de la Perse, mais ne trouverions-nous que deux ou trois Péchelbronn, cela ne serait déjà pas si mal, et, pour donner plus de force à mes arguments, je me permets de rappeler ce qui s'est passé, ce qui se passe chez nos voisins les plus proches : l'Allemagne et l'Italie, et chez nous, à Péchelbronn.

La production allemande en 1918, après le retour de l'Alsace à la France, ne dépassait pas 30.000 tonnes par an; par un effort tenace, continu, trop ignoré en France, et surtout par une large et claire compréhension de conceptions géologiques réalisées par de véritables techniciens du pétrole, cette production a été conduite à dépasser maintenant 500.000 tonnes et l'Allemagne, qui n'a jamais été considérée comme un pays pétrolifère, va bientôt extraire presque autant de pétrole brut que sa voisine la Pologne.

Que fait l'Italie pour résoudre ce même problème? En Albanie, où l'influence de Rome n'est plus discutée, dans ce pays qui n'est séparé des ports italiens que par un bras de mer de moins de 250 km., dans la vallée du Devoli, une production annuelle voisine de 200.000 tonnes est obtenue; une pipe-line a été établie pour relier les gisements à la mer.

Il n'est pas jusqu'à l'Angleterre qui ne cherche, elle aussi, du pétrole dans le sol de la métropole, malgré les immenses richesses en pétrole de l'Empire britannique en Perse et en Irak; un premier sondage, commencé il y a quelques mois à peine, a été placé sur l'anticlinal de Ports-Down qui domine la rade de Portsmouth.

Et cependant, pas plus en Allemagne qu'en Albanie ou en Angleterre, les chercheurs ne trouveront les richesses des pays gros producteurs qui, aujourd'hui, approvisionnent le monde entier.

Les gisements allemands, pris individuellement, sont pauvres, comparables à ceux de Péchelbronn, sinon géologiquement, du moins en tant que production, mais ils constituent et constitueront surtout, c'est là le point important, de précieuses, d'inappréciables réserves en temps de guerre : la production actuelle en Allemagne, tout comme en Albanie, par de nouveaux sondages sûrement productifs, pourrait être doublée, triplée pendant quelques semaines, quelques mois; il n'est pas douteux que cette production baisserait ensuite très rapidement, mais qu'importe, hommes et navires auraient été disponibles et le ravitaillement des armées assuré pendant la période la plus critique des hostilités.

Sur le sol français, à Péchelbronn, notre effort est continu sur un gisement pauvre et dispersé qui exige des recherches à des profondeurs toujours plus grandes, voisines actuellement de 700 mètres; nous forons près de 50.000 mètres par an avec 35 à 40 appareils, retenez bien ce chiffre énorme, si on le compare à celui des exploitations étrangères, tenant compte des productions obtenues. A cette exploitation normale, classique, s'ajoute l'exploitation complémentaire, propre à Péchelbronn : 12.000 mètres de galeries creusées annuellement en partant de trois sièges principaux à des profondeurs qui dépassent maintenant 400 mètres. Cette double exploitation constitue une lourde charge. Toutes les sondes, évidemment, ne sont pas productives, beaucoup de galeries sont stériles et 50 % environ de nos sondages sont de véritables sondages d'exploration; mais notre production, voisine de 80.000 tonnes, pourrait, si besoin était, être augmentée rapidement pour apporter un appréciable appoint au ravitaillement de notre pays : l'huile de Péchelbronn ne contient pas beaucoup d'essence, mais, riche en lubrifiants, elle fournit dès maintenant au marché français plus de 12 % de ses besoins.

Ce que nous avons en Alsace, où les recherches doivent être étendues — et nous le faisons — croyez-vous que nous ne puissions le trouver ailleurs? Que sait-on de précis sur les gisements de pétrole pour affirmer, ou nier, sa présence dans telle ou telle région du pays?

Les masses de pétrole « formées on ne sait où » — je cite notre Camarade Boulard, président de l'Association des techniciens du pétrole (promo 1906) — « sous l'effet d'énormes variations de pressions intérieures mises en jeu par les mouvements orogéniques, s'infiltrent le long des zones de moindre résistance et viennent s'injecter d'une manière plus ou moins régulière dans les couches perméables d'une région plissée ».

Certaines parties de la France sont à écarter immédiatement ; massif armoricain, massif central; mais les efforts d'une campagne de recherches bien conçues devraient se développer devant le Jura, les Cévennes, les Pyrénées.

Pour arriver à un résultat possible, sinon certain, il faut absolument renoncer aux méthodes trop souvent employées.

Jusqu'à présent, des crédits minimes ont été affectés chaque année par l'Etat à des sondages d'exploration; ces travaux ont eu un succès partiel à Gabian, il y a douze ans; ailleurs, disséminés entre le bassin parisien, le Jura, les Alpes, le Languedoc, la Limagne, jamais ils n'ont été conduits avec une ténacité suffisante pour permettre l'adoption ou l'élimination complète d'une quelconque de ces régions.

Péchelbronn, de son côté, consacre chaque année des sommes considérables à l'exploration de sa concession, et, débordant même ses limites, elle a, au cours de ces dernières années, poussé ses recherches dans d'autres régions de France. Cette politique, menée sous l'impulsion de notre Camarade Ména (promo. 1905), vient d'aboutir à des découvertes ouvrant des perspectives intéressantes sur les vieux champs d'Alsace.

Tout dernièrement, le Gouvernement français, approché par certain entrepreneur étranger, a fait étudier la question d'un plan plus substantiel, quoique encore bien modeste, de recherches dans notre pays. Le service des Mines paraît s'y intéresser.

Dans un programme de grands travaux en France, il n'est pas douteux qu'un ensemble de recherches de pétrole ne soit tout particulièrement indiqué, au moins aussi indiqué que l'installation d'usines d'hydrogénation pour la fabrication des essences synthétiques.

Mais quelle méthode adopter? J'écarte tout d'abord, naturellement, les méthodes de la radiesthésie, baguette ou pendule; les résultats obtenus par ces moyens, au moins dans le ressort de ma compétence, ont toujours été nuls; pour être plus exact, les résultats heureux n'ont jamais été supérieurs à ceux que le simple jeu du hasard donnerait!

Pour conduire de sérieuses, de véritables recherches de pétrole en pays inconnu, il faut tout d'abord de l'argent, beaucoup d'argent, et il faut l'engager sans compter le récupérer jamais; seul l'Etat ou de très importantes sociétés pétrolières, possédant de grosses réserves, peuvent financer de pareils travaux. Que de fois ai-je reçu des gens qui, disposant de quelques centaines de mille francs, de quelques millions parfois, sont venus me proposer de faire des sondages en des endroits où la découverte du pétrole n'était cependant pas impossible! Je les ai toujours détournés de ces aventureux projets en cherchant à leur faire comprendre qu'ils pouvaient mieux et plus agréablement utiliser leur fortune.

Laissez-moi esquisser ici un programme de recherches tel que je le conçois : l'Etat, ce mécène à la fois prodigue et avare, mettrait à la disposition d'un organisme particulièrement bien choisi, les quelques dizaines de millions nécessaires à une campagne sérieuse de prospection en France.

Je parle d'un organisme bien choisi, et ceci est de toute importance, car un plan d'ensemble bien étudié, une unité de direction rigoureuse sont nécessaires, indispensables : surtout pas d'efforts dispersés ne relevant que d'organismes administratifs locaux.

L'Etat, par une commission dépendant du ministère des Travaux publics (Mines), assurerait un contrôle sévère, scientifique, technique, financier sur l'entreprise; je dis bien « contrôle » et non « direction », la direction de l'ensemble des travaux étant donnée à l'organisme de confiance, chargé de toutes les études, de tous les travaux.

Une telle conception, dans notre pays, peut paraître bien extraordinaire, révolutionnaire, peut-être; elle me paraît cependant indispensable, car je pose comme principe qu'il faut à la tête d'un pareil ensemble de travaux une personnalité, homme ou société, très habituée à l'exploitation et à l'exploration du pétrole, aux surprises des sondages, à leurs indications parfois à peine perceptibles et souvent sans rapport visible avec la géologie, aux innombrables incidents ou accidents qui peuvent masquer la présence du pétrole au cours du forage.

Ce premier point étant fixé, l'organisme chargé de la direction ferait appel aux géologues, aux géophysiciens, aux sondeurs spécialisés, aux uns et aux autres, comme il l'entendrait et suivant les besoins du moment.

Un groupe de géologues travaillant ensemble, sous la direction ou la présidence de l'un d'entre eux, ferait tout d'abord une étude de géologie générale; gardons-nous bien, je le répète encore, des études séparées, influencées par trop de considérations, fort honorables, d'ailleurs, scientifiques ou autres, mais complètement inutiles pour la recherche du pétrole, notre unique but.

La première étude géologique, forcément incomplète, terminée, le concours de géophysiciens est nécessaire, absolument indispensable. Je ne veux pas médire des géologues; élève de Marcel Bertrand (que ces temps sont lointains!) et de P. Termier, j'ai conservé de ces maîtres éminents un souvenir particulièrement attachant, fait de reconnaissance et de vénération.

La valeur de leur enseignement, appuyé sur une constante pratique de l'examen des travaux de mines dans les gisements les plus divers, est indiscutable, mais force est bien de reconnaître que la science du géologue pur, 100 % , comme on dit aujourd'hui, est insuffisante en matière de pétrole.

On pourrait presque dire : la géologie est une chose, la recherche du pétrole en est une autre, tout comme d'ailleurs la recherche de certains minerais. Mais n'oublions pas que nous avons affaire à un « minerai » bien particulier, sur lequel les fossiles ne donnent aucun renseignement.

L'origine du pétrole est encore discutée, sa présence a été reconnue à peu près sans exception dans tous les étages géologiques; je vous ai parlé des mouvements orogéniques qui le déplacent; il n'est donc pas douteux que le pétrole se trouve, doit se trouver, en des plis de terrains protégés et cachés que la géologie ne peut indiquer : ce sont les zones favorables à l'accumulation de l'huile, les « structures » qu'il faut découvrir, et pour cela la géophysique, science trop peu connue en France, est indispensable.

A titre d'exemple, citant quelques chiffres extraits d'une étude de la Compagnie Générale de Géophysique, je vous dirai que « dans le Gulf Coast, en 1934, 39 % de la production d'huile provenaient de structures découvertes par la géophysique et qu'en 1935, cette proportion s'est élevée à 55 %; contre 54 structures découvertes par géologie, topographie ou forage, il en existait 69 inventées par géophysique à fin 1934, et 17 découvertes nouvelles, toutes géophysiques, sont venues s'y ajouter en 1935 ».

Ce n'est pas, en général, sur un suintement, qu'il faut sonder, mais guidé par cet indice, on doit chercher le repli tectonique où le pétrole aura pu s'emmagasiner; bien souvent, la géophysique seule révélera la structure favorable.

J'ai cité Marcel Bertrand, Termier; qu'il me soit permis de joindre à leur nom celui de Conrad Schlumberger (promo. 1901), mort à la tâche il y a quelques mois à peine, dont le nom est trop peu connu en France, mais qui, dans le domaine de la géophysique, a fait véritablement oeuvre d'inventeur, de créateur.

Les résultats de ses savants travaux sont appliqués aux recherches de pétrole en Russie, au Venezuela, aux Etats-Unis; les ingénieurs de la Compagnie Générale de Géophysique exploitant les procédés Schlumberger dans tous ces pays sont, depuis plusieurs années déjà, tout particulièrement recherchés.

Ne serait-il pas logique, naturel même, que les recherches à effectuer en France, patrie de Schlumberger, fussent conduites suivant ses méthodes, restant bien entendu, d'ailleurs, que la géophysique ne constitue qu'un instrument entre les mains du prospecteur, mais un instrument aussi indispensable, sinon même beaucoup plus indispensable, que le marteau ou le microscope du géologue.

Voilà comment je comprends le problème des carburants français : les recherches à l'état naturel sur notre territoire, sans que, cependant, l'étude d'autres carburants de remplacement soit abandonnée.

Tout doit être mis en œuvre pour concourir au but commun: prospection, alcool-carburant, hydrogénation, extraction des schistes s'ils sont assez riches; mais si l'on songe aux conséquences inappréciables qui résulteraient de la découverte de gisements pétrolifères dans notre pays, il ne me paraît pas possible que cette carte ne soit pas jouée. Tant que n'aura pas été réalisé un programme de travaux largement conçus, aussi bien en surface qu'en profondeur, et exécutés avec une forte concentration des efforts sur les secteurs choisis d'après les résultats des premières investigations, nul ne peut dire que le pétrole français n'existe pas.