Abel-Jean SARCIA (1922-2004)

Publié dans ABC MINES, bulletin no 26, juin 2005

Un grand témoin et acteur de l' « Age d'Or » du CEA

par Jacques Touret

Abel-Jean Sarcia est de ceux qui, tel Hubert de la Roche, eurent une brillante conduite pendant la Seconde Guerre Mondiale : évadé de France et passé en Afrique du Nord, il participe aux campagnes de Tunisie, Italie, France, Allemagne, accumulant décorations et honneurs militaires. Dés la fin de la guerre, il reprend ses études à l'Université de Paris, puis à l'Institut de Géologie de Nancy, rapidement devenu Ecole Nationale Supérieure de Géologie Appliquée et Prospection Minière. Sorti de PEcole en 1947 (première promotion de l'ENSG), Jean Sarcia fut immédiatement impliqué dans la grande histoire de l'uranium français, avec Jacqueline Roche, elle-même métallogéniste et pétrographe, qu'il épousa en 1949, avec l'approbation impérative du charismatique directeur de l'ENSG, Marcel Roubault : « Sarcia, il faut que vous épousiez mademoiselle Roche ! ». A la création du Commissariat à l'Energie Atomique par le Général de Gaulle (texte législatif du 18 octobre 1945), Marcel Roubault avait été nommé directeur des Recherches et Exploitations Minières du CEA. Le Général de Gaulle avait décidé de faire de la France une puissance nucléaire à part entière, ce qui nécessitait l'indépendance de la filière d'approvisionnement en matières premières minérales. A l'échelle industrielle, le minerai d'uranium n'était alors guère connu qu'au Katanga et en Tchécoslovaquie, régions qui pour la première était contrôlée par les USA, pour la seconde par l'URSS. Quelques indices étaient connus depuis longtemps en France dans le Morvan (l'autunite de Saint Symphorien de Marmagne) ou dans le Nord du massif Central, plus récemment dans les Territoires d'Outre-Mer, notamment à Madagascar, mais tous n'étaient guère considérés alors que comme des curiosités minéralogiques. Il convenait donc de réétudier ces indices, en espérant trouver à leur voisinage des gisements exploitables. La prospection de l'uranium est facilitée par la radioactivité de ses descendants, surtout du radium, mais nécessite un matériel adapté (ceci est une autre histoire), ainsi que des connaissances précises en pétrographie et minéralogie, afin d'éviter notamment de perdre temps et énergie à rechercher des gisements économiquement rentables là où l'on n'a aucune chance d'en trouver. Dés le 5 décembre 1945, un premier stage de prospecteur spécialisé est organisé au Laboratoire de Minéralogie du Muséum, rue Buffon à Paris, alors dirigé par le Professeur Jean Orcel. Ce stage aura ensuite lieu sur le carreau de la Mine Henriette à la Crouzille, à une vingtaine de kilomètres de Limoges, puis deviendra Ecole de Prospection pour l'Uranium à Razès, siège de la Division minière du CEA. Jean Sarcia, adjoint du chef de la Division et chef du Service des Recherches, en sera le directeur ; il organise à ce titre l'exploration minutieuse des permis de recherches, par cartographie pétrographique, structurale et radiométrique, tranchées et petits travaux miniers. Puis, en liaison avec les équipes parisiennes, il s'attaque aux problèmes d'échantillonnages, utilisant un large arsenal mathématique (probabilités et statistiques) et intégrant les données économiques à court et moyen terme. Les Monts d'Ambazac deviendront ainsi l'une des provinces uranifères les plus riches d'Europe.

Pendant ce temps, « l'Ecole de Prospection » passait sous la direction de Cyrille Dumoulin, géologue, entré au CEA dés 1945. Sous le nom de CIPRA (Centre International d'enseignement en Prospection et valorisation des minerais RAdioactifs industriels), dont les diplômes étaient homologués par l'Etat, elle formera des spécialistes de divers niveaux venus du monde entier (65 nationalités !), et ne fermera ses portes qu'en 1987. Mais Jean Sarcia était un baroudeur, un homme d'action que motivaient surtout le plaisir de la découverte et le désir de répondre à de nouveaux challenges. L'occasion lui en est bientôt offerte avec l'arrêt des essais nucléaires en surface et leur remplacement par des essais souterrains, d'abord au Sahara, ensuite en Polynésie. La Division Minière du CEA était devenue la COGEMA (maintenant AREVA), et les implications mécaniques et écologiques de ces essais nécessitaient la création d'un nouveau département, le Service Géotechnique. Jacques Mabile, un grand nom du Corps des Mines, qui était alors directeur de la COGEMA, lui laissa en 1966 la liberté de créer et organiser ce nouveau service. La « bande à Sarcia », soit une douzaine de personnes, secrétariat compris, dut faire face à des problèmes totalement nouveaux, faisant notamment appel aux techniques les plus avancées de la géophysique et de la géochimie de l'époque, et devant sans cesse inventer de nouveau appareils pour répondre au risque nucléaire ; travail qui a eu de grandes retombées scientifiques, par exemple sur le problème si important des impactites, mais qui, couvert en grande partie par le « Secret Défense », n'a pas eu beaucoup de retombées médiatiques pour ses auteurs. Le nom de Jean Sarcia est ainsi moins connu du grand public que ceux de son camarade de guerre Hubert Curien ou de son ami Claude Guillemin, mais, comme eux, il fait partie de ce petit groupe d'hommes et de femmes qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, prirent une part très active au redressement de notre pays.

Il eut une retraite très organisée, gardant des contacts étroits avec les anciens de la Seconde Guerre mondiale (présidence ou vice-présidence de diverses associations) et avec l'Armée. qui lui rendit les honneurs militaires en l'Eglise du Val de Grâce le 15 novembre dernier. Membre de l'ABC Mines dés la première heure, il portait notamment un grand intérêt au Musée, ayant notamment directement participé à l'enrichissement des collections de minéraux uranifères. Le Musée lui doit aussi les deux magnifiques roses des sables du Sahara (« Gypse », Guemar et Ain Salah ), exposées en salle A (près de la porte d'entrée, à droite en entrant). C'est avec lui un grand témoin de l'« Age d'Or » du CEA qui vient de disparaître. Au nom d'ABC Mines, nous adressons nos condoléances les plus sincères à son épouse, Jacqueline A. Sarcia, et à sa fille Catherine Sarcia-Roche, avocate au barreau de Paris, dont l'aide nous a été précieuse pour la rédaction de cette notice. En leur nom, ainsi qu'en celui d'ABC Mines, nous remercions aussi deux survivants des « temps héroïques » du CEA, Cyrille Dumoulin et Valéry Ziegler, un de ses tous premiers collaborateurs à Saint Symphorien de Marmagne.

Cyrille Dumoulin a créé à Ambazac un Musée Minéralogique qui expose une pétrologie « esthétique » de 3000 minéraux et 500 roches, dans un environnement original et très moderne. Un espace important est consacré à l'"uranium, sa prospection et industrie minière. Des milliers d'échantillons « de terrain », provenant des campagnes de prospection du CEA, sont archivés et disponibles pour recherches. Entrée du Musée : 5, Avenue de la Libération. Ambazac. Tel : 05 55 56 59 14