Louis-Marcellin TOURNAIRE (1824-1886)

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Ancien élève de Polytechnique (Promotion 1842) et de l'Ecole des Mines de Paris. Corps des mines.

Fils de Guillaume TOURNAIRE (1790-1849 ; X 1808) ; gendre de Louis Dessales Desnoyers (1787-1846 ; X 1806) ; père de Louis Paul Roger TOURNAIRE (1868-1946 ; X 1888) et de René Eugène TOURNAIRE (1854-1925 ; X 1873). Plusieurs petits-enfants ou arrière-petits-enfants de Louis Marcellin TOURNAIRE ont fait Polytechnique (FARGETTE, RIGNY).


Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME III, page 140

Né le 11 mai 1824, mort le 28 février 1886, Inspecteur général, président du Conseil général des Mines. Outre son Rapport sur les travaux du Comité d'armement de 1870, on lui doit une Carte géologique de la Haute-Loire, publiée en 1880, très intéressante par l'étude des roches volcaniques, et une étude, devenue classique, sur les dimensions des piliers de carrières, parue en 1884. Tournaire avait des aptitudes également remarquables dans toutes les connaissances de l'Ingénieur des Mines : géologie, exploitation des mines, métallurgie, chemins de fer; il avait montré qu'il était au courant de tout, dans les importants services de sa carrière laborieuse.

Tournaire devint célèbre pour sa présidence de la Commission instituée à Saint-Étienne, le 9 novembre 1870, en vue de l'armement de la Garde nationale mobilisée. En dehors des services importants rendus directement par lui dans ses fonctions à raison de sa compétence, de son activité et de sa vigilance, Tournaire en a accru la valeur, au point de vue professionnel et métallurgique, par le rapport dans lequel il a rendu compte des essais sur la composition, les propriétés, les qualités et les résistances de l'acier des 366 pièces de canon livrées de fin 1870 au mois de juin 1871, ainsi que des expériences de tir opérées sur 263 de ces pièces.


NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR M. TOURNAIRE
INSPECTEUR GÉNÉRAL DES MINES
Par M. CASTEL, inspecteur général des mines.

Publié dans Annales des Mines, 8e série, vol. 10, 1886.

Le Corps des mines a fait, le 28 février 1886, une perte cruelle en la personne de M. Tournaire, inspecteur général et vice-président du Conseil général des mines.

D'un âge peu avancé, car il n'avait pas encore soixante-deux ans, M. Tournaire était, malgré son apparence un peu frêle, d'une solide constitution. C'était un marcheur intrépide; il n'avait jamais été sérieusement malade, et il semblait devoir garder pendant longtemps encore, pour le bien du service, ses éminentes fonctions, lorsqu'un mal subit est venu l'atteindre et le terrasser en peu de jours, dans des circonstances particulièrement touchantes. Il a été enlevé par une fluxion de poitrine, en laissant, tout près de lui, un jeune fils atteint de la même maladie, dont l'état de santé lui causait des préoccupations et des inquiétudes qui ont singulièrement assombri ses derniers moments.

Sa carrière a été tout entière consacrée au service de l'Etat; mais, tout en accomplissant ses fonctions avec un zèle et une activité qui ne se sont jamais démentis, il employait le temps qu'elles laissaient libre à des études sur des sujets variés, et qui rentraient d'ailleurs dans la spécialité des ingénieurs des mines. C'est ainsi qu'il a passé beaucoup de temps au laboratoire pour l'analyse de minerais et de matières employées dans l'industrie. Il avait pour la géologie un goût particulier; ses aptitudes physiques, ainsi que son esprit d'observation, le rendaient particulièrement apte à ce genre d'études, comme l'attestent un certain nombre de mémoires fort intéressants qui lui sont dus, ainsi qu'une carte géologique, celle du département de la Haute-Loire. Il aimait à élucider toutes les questions qui se présentaient à lui dans l'accomplissement de son service. C'est ainsi qu'il a été amené à s'occuper spécialement, au point de vue de la sécurité, de l'exploitation des carrières souterraines. Il s'est occupé également de métallurgie à propos de la fabrication des canons; et l'on peut dire que tous les travaux qu'il a laissés portent la marque d'une compétence toute particulière, en même temps que d'une remarquable rectitude de jugement et d'une véritable passion pour la vérité.

M. Tournaire était né le 11 mai 1824. Admis à l'Ecole polytechnique en 1842, à l'âge de dix-huit ans, le premier de sa promotion, il en sortit deux ans plus tard le troisième, pour entrer dans le Corps des mines.

Son premier poste d'ingénieur a été l'École des mines de Saint-Étienne, où il fut appelé à professer la chimie et la métallurgie, depuis le mois de mai 1847 jusqu'à la fin de 1849. Il fut ensuite chargé du sous-arrondissement minéralogique de Clermont-Ferrand, qu'il garda jusqu'à sa nomination au grade d'ingénieur en chef, en mars 1886. En cette dernière qualité, il occupa d'abord le poste de Chalon-sur-Saône, puis celui de Saint-Etienne, où il resta près de six ans, du 30 décembre 1869 au 16 septembre 1875; enfin celui d'ingénieur en chef de l'arrondissement minéralogique de Paris, avec le service des carrières de la Seine.

Nommé inspecteur général de 2e classe le 25 mai 1878, il fut chargé de la direction du contrôle des chemins de fer de l'État, qu'il garda jusqu'au 16 juin 1883, où il prit l'inspection de la division minéralogique du centre. Nommé inspecteur général de 1re classe le 30 mai 1884, il fut appelé, après la mort de M. de Nerville, à la vice-présidence du Conseil général des mines, à partir du 24 septembre 1884.

Il était en même temps président de la Commission des Annales des mines, président de la Commission spéciale de la carte géologique détaillée de la France, membre du conseil de l'École nationale supérieure des mines, président de la Commission spéciale de statistique de l'industrie minérale et des appareils à vapeur, président de la Commission de révision de l'ordonnance du 17 janvier 1847 concernant les bateaux à vapeur naviguant sur mer.

Il était en outre membre de la Société géologique de France et de la Société de l'industrie minérale.

Il avait été nommé chevalier de la Légion d'honneur le 13 juillet 1862, et officier du même ordre le 15 janvier 1879.

M. Tournaire a fait paraître dans les Annales des mines un certain nombre de mémoires intéressants sur des sujets variés.

Le premier, qui a paru en 1860 dans le tome XVII de la 5e série, est le compte rendu des travaux du laboratoire de Clermont-Ferrand pendant les années 1856 à 1859. Il mentionne un grand nombre d'analyses faites sur des minerais de fer, de plomb et de cuivre, des combustibles minéraux, et d'autres substances de provenances diverses, principalement du Puy-de-Dôme et des départements voisins.

Dans le même volume se trouve la description d'un nouveau système de ventilateur à force centrifuge, de son invention. M. Tournaire l'avait imaginé en calculant l'ensemble des dispositions, d'après les notions théoriques, de manière à donner au fluide appelé et foulé par le mouvement de rotation les directions les plus convenables, afin d'obtenir un rendement plus élevé. À cet effet, il donnait à son appareil une large ouverture d'entrée, et le composait de pavillons fixes avec cloisons méridiennes amenant l'air à une couronne d'ailes mobiles; ces dernières étant courbes, selon la forme d'une spirale logarithmique, et ayant une forte inclinaison dans le sens contraire au mouvement, de manière à ce que la vitesse relative de sortie reçût une direction opposée à celle que la rotation générale imprime à l'extrémité de la couronne, et se trouvât ainsi employée à diminuer la vitesse absolue conservée par les molécules fluides. Ce sont là les règles enseignées par Combes, et dont l'application se trouvait déjà réalisée dans les turbines hydrauliques.

M. Tournaire avait fait construire à Clermont même deux de ces appareils, et il les soumit à des expériences qui confirmèrent ses prévisions. Son mémoire donne le détail de ces expériences, l'effet utile trouvé, qui était de 50 p. 100 environ du travail moteur, le calcul théorique des effets du nouveau ventilateur, la comparaison des résultats du calcul et de ceux des expériences, et l'extension du même calcul aux ventilateurs ordinaires. Il indique en même temps quelles enveloppes il convient d'adapter au nouvel appareil.

Le tome XX de la 6e série renferme un important mémoire sur l'industrie des huiles de schiste dans l'Autunois.

En 1868, à la suite des doléances provoquées par la situation de l'industrie de l'huile de schiste indigène, que commençait à menacer sérieusement la concurrence américaine, M. Tournaire, alors ingénieur en chef des mines à Chalon-sur-Saône, fut chargé, avec M. l'ingénieur Chosson, d'une enquête sur la fabrication autunoise. M. Chosson décrivit, dans un rapport inséré au tome XX des Annales, les procédés appliqués dans les principales fabriques, et les essais exécutés en grand jusqu'en 1871. M. Tournaire, dans le mémoire publié par lui à la suite de ce rapport, se plaçant à un point de vue un peu différent, parle plus spécialement des ressources minières que présentent les terrains schisteux des environs d'Autun, dont il fait la description géologique ; des expériences exécutées par lui au laboratoire de Chalon sur la nature des schistes et les éléments combustibles et éclairants qu'ils renferment, et des conséquences qu'on peut en déduire au point de vue pratique. Il montre les progrès à réaliser dans la distillation des schistes pour arriver à un rendement plus considérable et à un prix de revient plus satisfaisant, notamment par un chauffage plus régulier et plus prolongé, et par un emploi convenable des résidus charbonneux de schistes et des gaz produits dans l'opération. Il signale les essais faits dans ce sens à l'usine de Lally, et résume enfin la situation économique de l'industrie autunoise.

L'attention, de M. Tournaire s'était portée à plusieurs reprises, surtout depuis qu'il avait été appelé à la surveillance des carrières de la Seine, sur les causes d'effondrement partiel ou total des carrières souterraines. Des cas de ce genre, survenus à Meudon et à Bougival, et l'effondrement de la carrière de tuffeau de Vieux-Ports, le décidèrent à étudier de près la question. Après de nombreux essais faits par lui-même sur la résistance à la compression des principales roches exploitées, et en s'aidant d'ailleurs des expériences analogues de M. l'ingénieur en chef des ponts et chaussées de Perrodil, il fit paraître le résultat de ses études dans un mémoire inséré au tome III de la 8e série des Annales, en 1883. Il y traite spécialement le cas des carrières exploitées par piliers réservés. Il indique les deux modes de destruction auxquels elles sont sujettes, à savoir les cloches et fontis, produits par une trop grande portée des plafonds, et l'écrasement des piliers, amené par une réduction exagérée de la section horizontale des piliers par rapport à la surface totale. Il établit la formule d'équilibre, correspondant à des bancs sans fractures et sans délits, en tenant compte tant de la pression des terrains supérieurs que de la résistance des roches au cisaillement; et, appliquant la formule aux matériaux soumis aux expériences, il établit les règles à suivre dans l'exploitation de ces carrières, et fixe les dimensions que l'on doit donner aux piliers d'après la nature de la roche, la profondeur de la carrière et l'état général du terrain superposé.

Il indique ensuite le moyen de retirer d'une carrière souterraine la plus grande proportion de matière utile par une exploitation rationnelle, consistant en un traçage préalable jusqu'à la limite, suivi d'un découpage des massifs opéré en rabattant.

Enfin, faisant l'application de la même formule aux mines, il démontre l'impossibilité de l'exploitation par piliers sur de grandes surfaces dans les mines profondes. Puis, étendant les mêmes principes à la géologie, il explique par eux l'existence de bon nombre de chutes et de soulèvements de l'écorce terrestre.

Dans le même ordre d'idées, M. Tournaire a fait une étude sur la résistance du sel gemme aux efforts de compression, et sur les conséquences qui en découlent pour l'exploitation du sel en roche, étude parue dans le tome VII de la 8e série. Il y donne le résultat des essais faits par lui sur ce minéral, dans les différents états où on le rencontre, et fixe les dimensions à observer pour les piliers aux diverses profondeurs.

Les Annales des mines renferment encore de M. Tournaire quatre notices nécrologiques: une, de 1874, sur M. Burdin, ancien ingénieur en chef des mines, bien connu par son invention de la turbine; une seconde, de 1878, sur M. Abel Transon, où il résume les travaux scientifiques de cet éminent professeur; une troisième, en 1881, sur M. Bonnefoy, ce jeune ingénieur, tué par un coup de grisou dans les mines de Champagnac, presque au commencement de sa carrière; la dernière, en 1885, sur M. Jutier, inspecteur général des mines, auteur d'importants travaux sur les thermes de Plombières. Il faut y joindre l'allocution prononcée par lui, en mai 1885, aux funérailles de M. Lan, inspecteur général et directeur de l'École des mines, où il retrace la carrière de ce brillant ingénieur; et celle du 25 avril 1884, dite sur la tombe de M. Petitdidier.

Les travaux géologiques de M. Tournaire ont été, sauf ce qui concerne le bassin d'Autun, publiés en dehors des Annales. Ils ont du reste occupé une grande part de son activité.

La carte géologique de la Haute-Loire a été l'oeuvre d'un assez grand nombre d'années. Il y a consacré beaucoup de courses en dehors de son service alors qu'il résidait à Clermont-Ferrand, et a continué longtemps encore après avoir quitté ce poste, pour y mettre la dernière main. En même temps d'ailleurs, il s'occupait de la géologie des deux départements voisins, le Cantal et le Puy-de-Dôme, qui ont avec la Haute-Loire tant de rapports et de points communs.

Il était encore ingénieur ordinaire lorsqu'il fit paraître dans le Dictionnaire statistique et historique du Cantal une importante notice sur la géologie et la minéralogie de ce département.

Ce travail a été fait, en partie avec les documents fournis par les ingénieurs et géologues qui s'étaient déjà occupés de cette région, notamment par MM. Baudin, Dufrénoy, Élie de Beaumont, Poulett-Scrope et Amédée Burat, en partie d'après ses observations personnelles.

Il y donne, sous une forme concise, des renseignements très complets sur la constitution minéralogique et géologique du Cantal. Description générale, configuration du pays, orographie, étude des diverses formations, depuis le terrain primitif jusqu'aux alluvions modernes; enfin historique des exploitations minérales; tels sont les points qu'il traite successivement.

Dans ce département, où les terrains sédimentaires sont peu représentés, et où une lacune immense existe dans la série des dépôts entre le terrain houiller et le tertiaire, l'étude la plus importante est celle des formations basaltique et volcanique, qui couvrent une étendue considérable du pays. L'auteur passe successivement en revue les couches et nappes basaltiques des grands plateaux, les roches trachytiques en nappes, en filons et en buttes, les conglomérats et tufs correspondants, les phonolithes, les roches de dolérite et de pechstein; il étudie les origines et le mode de production de ces différentes roches, et établit les époques relatives de leur apparition.

Cette étude des roches volcaniques se retrouve encore, avec de nouveaux développements, dans plusieurs mémoires et notices insérés au Bulletin de la Société géologique de France.

Le premier mémoire figure dans le compte rendu de la réunion extraordinaire de cette Société au Puy, en septembre 1869. Il est intitulé : « Note sur la constitution géologique du département de la Haute-Loire et sur les révolutions dont ce pays a été le théâtre. » C'est en réalité l'Explication de la carte géologique, que M. Tournaire avait à peu près terminée à cette époque.

Il commence par la description générale du pays, au point de vue de sa configuration, des principales directions qu'on y observe pour les chaînes et les vallées, et de sa composition géologique ; puis il étudie successivement, et en détail, les différents terrains qui s'y rencontrent, en faisant ressortir leurs caractères particuliers.

Il passe ainsi en revue :

Le granite, le gneiss et les micaschistes, qui forment d'importants massifs et occupent une grande surface à l'ouest et au nord du département; les porphyres, qu'on y trouve, soit en filons, soit en couches comme aux environs de Brassac; les serpentines; les différents filons de quartz, de baryte sulfatée et de fluorine qui traversent les terrains primordiaux, avec les divers minéraux utiles qui s'y rencontrent, améthyste, galène, blende, antimoine sulfuré et mispickel ; enfin les sources minérales nombreuses qui en émergent;

Puis les terrains houillers des environs de Brioude et de Langeac;

Le grès bigarré, représenté par un petit lambeau près de Brioude ;

Le terrain tertiaire, assez développé, surtout dans le bassin du Puy, et représenté par des dépôts de natures diverses : arkoses correspondant au bas de l'éocène, argiles et marnes de l'éocène supérieur et du miocène, qui renferment des gisements de calcaire et de gypse, ainsi que de nombreux fossiles caractéristiques;

Les phonolithes et trachytes, postérieurs au dépôt du miocène, qui jouent un rôle important dans la constitution du terrain à l'est du département ;

Le terrain basaltique, venu après les phonolithes, et dont les nappes recouvrent d'immenses surfaces, au sud et au centre. Les laves feldspathiques et pyroxéniques, qui constituent le basalte, forment tantôt des coulées superposées, tantôt des filons, des buttes ou des pitons; elles présentent une grande variété dans leur composition et dans leur forme extérieure. Leur formation a été accompagnée de phénomènes volcaniques, dont on retrouve les traces dans les nombreuses éminences cratériformes formées de cendres et de scories, qui subsistent encore, et dans quelques cratères assez bien conservés. Elle a eu aussi pour conséquence la production de tufs et conglomérats de natures diverses provenant, soit de l'agglomération des matières projetées et déposées sur le sol au moyen de ciments calcaires ou terreux, soit d'éruptions boueuses.

M. Tournaire propose, au sujet de la formation des rochers de Polignac, de Corneille et de Saint-Michel, une explication ingénieuse et nouvelle, qui a un grand caractère de vraisemblance; il les considère comme formant les restes d'anciennes cheminées volcaniques, consolidées par l'action de la chaleur et des vapeurs acides, et restées debout, après l'enlèvement, par érosion, du terrain encaissant.

Il donne d'ailleurs de nombreux détails sur les points remarquables de la formation volcanique, sur leurs âges relatifs, sur les cassures qui affectent le terrain, et dont quelques-unes ont une importance considérable. Il fait enfin ressortir la grande durée de cette période géologique,

Il termine par la description des grès et schistes pliocènes qui se rencontrent en quelques points du département, et par celle des alluvions anciennes, dont une partie est remarquable par son élévation au-dessus des vallées actuelles.

Deux autres notices ont paru dans le tome XIV de 1a 3e série du Bulletin de la Société géologique.

Dans la première, intitulée : « Note sur les mouvements orogéniques produits dans l'Auvergne depuis l'émission des anciens basaltes », M. Tournaire fait ressortir, par l'emplacement des nappes volcaniques anciennes, souvent très dominantes au-dessus de la contrée qui les avoîsine, alors qu'elles ont dû couler dans les vallées ou les plaines, de l'époque correspondant à leur formation, par la position des basaltes subséquents sur les flancs des vallées actuelles, par celle des basaltes et laves quaternaires au fond de ces mêmes vallées, enfin par la situation des dépôts lacustres miocènes, souvent placés à une grande hauteur, qu'il y a dû y avoir, depuis les dépôts anciens. une notable surélévation de la contrée, et il remarque que cet exhaussement a dû jouer un rôle important dans le creusement des vallées, en augmentant l'énergie des érosions.

Cet exhaussement a été particulièrement prononcé dans certains centres ou suivant certaines directions. Il existe, en outre, de nombreuses failles, dont les unes ont affecté les couches tertiaires dans de fortes proportions, les autres les couches basaltiques à un degré moindre.

Un exemple intéressant de ces dernières se présente au plateau de Châteaugay, aux environs de Riom. M. Tournaire y constate l'existence d'un plissement du basalte, suivant une ligne S. 27° 0., et celle de deux failles, presque nord-sud, qui abaissent la nappe basaltique, en la rejetant, du côté de l'est, chacune d'une vingtaine de mètres.

Dans la deuxième notice, M. Tournaire appelle l'attention des géologues sur d'intéressantes particularités de la structure du massif volcanique du Cantal, particularité non encore signalées dans les nombreuses publications dont cette région a été l'objet.

Il donne la configuration détaillée de la partie centrale de l'immense cône qui constitue le massif, et qui comprend le Plomb, le lâoran et les Puys Griou, Rombières, Batailleuse, Peyre-Anse, Mary et Gbavaroche ; et il établit par des déductions tirées de la forme des cirques où prennent naissance les rivières voisines, l'existence d'un certain nombre de cratères secondaires, sur le pourtour et au nord du point central, constitué par le Puy-Griou.

Il nous reste a parler d'une dernière publication de M. Tournaire, qui se distingue complètement des précédentes par les matières qui y sont traitées, mais qui se rattache presque directement à la métallurgie de l'acier. Une Commission avait été instituée à Saint-Étienne par décret du Gouvernement de la défense nationale du 9 novembre 1870, et chargée de faire exécuter un ensemble de travaux très considérables pour l'armement de la garde nationale mobilisée. M. Tournaire en était le président, et il a rédigé sur les travaux de la Commission un rapport qui fut imprimé en 1872 par les soins du Ministre de l'intérieur.

Il y relate les nombreuses expériences faites par la Commission sur les 366 pièces de canon, livrées, de la fin de 1870 au mois de juin 1871, par les usines du Creusot, de Terrenoire, d'Assailly et Rive-de-Gier, de Saint-Étienne (Revollier), de Firminy et d'Unieux. Ces essais consistaient en expériences de traction et de flexion, et déterminaient les charges de rupture, et colles de déformation permanente, ainsi que les allongements correspondants. Le rapport contient l'indication des appareils employés, les résultats obtenus et leur représentation graphique par des courbes qui donnent en même temps le travail résistant. Ces résultats présentent un grand intérêt, parce qu'ils permettent de faire la comparaison raisonnée entre les différents aciers, selon qu'ils proviennent du Besserner, des fours Martin-Siemens ou de la fonte au creuset. Le rapport fait ressortir la modification moléculaire subie par l'acier sous l'effort de la traction; l'importance du réchauffage des pièces forgées et de la trempe, et la supériorité de la trempe à l'huile sur la trempe à l'eau; il détermine les conditions d'un bon corroyage des grosses masses d'acier.

Après avoir donné la composition chimique des divers aciers essayés, il étudie la question des soufflures, dont il montre l'importance, et qui constitue un écueil très sérieux pour la fabrication du métal Bessemer, et fournit des indications sur le moyen de les éviter, ainsi que sur les procédés employés à cet effet à Terrenoire et dans les usines Petin-Gaudet. Il étudie de même la question des criques et gerçures superficielles.

Il décrit ensuite les épreuves de tir exécutées par la Commission sur 263 pièces, et en tire comme conclusion la nécessité de la modification de la fermeture des canons Reffye.

Enfin il termine par des considérations générales sur l'emploi de l'acier dans la fabrication des canons, et par d'utiles indications sur les conditions que doit remplir le métal. Il conseille de ne pas prendre un acier trop doux, de maintenir l'allongement à la traction entre les proportions de 10 à 15 p. 100, et de composer les pièces d'un tube d'acier assez dur, trempé à l'huile, et introduit dans une enveloppe épaisse de métal très doux, ou protégé, sur la longueur de la culasse et de l'âme, par une forte ceinture de frettes.

Quand on parcourt ces écrits, si intéressants par le fond, mais remarquables aussi par la forme, où la description est concise, nette, complète, où l'on ne trouve aucun développement oiseux, ni rien d'inutile, où le raisonnement est toujours marqué au coin de la logique, où les affirmations n'existent que quand il y a certitude, les points douteux étant bien reconnus comme tels, on ne peut s'empêcher de songer au vieil adage : Le style, c'est l'homme. C'est qu'en effet l'homme est bien là tout entier, avec ses éminentes qualités, la droiture du caractère, l'amour de la vérité, la sûreté du jugement et la lucidité d'observation.

Ces qualités, si remarquables chez M. Tournaire écrivain, se retrouvaient, toujours au même degré, chez l'homme privé et chez l'ingénieur. Il était très laborieux, très actif, d'un dévouement absolu à son service, en un mot, essentiellement l'homme du devoir.

Il en a bien fait preuve dans quelques-unes de ces occasions exceptionnelles, qui malheureusement se rencontrent trop souvent dans la carrière de l'ingénieur des mines. Il a assisté, dans le cours de la sienne, à plusieurs grands accidents, et n'a pas manqué de déployer alors la plus grande énergie et le dévouement le plus complet pour essayer d'arracher à la mort les victimes menacées, et de diminuer, dans la mesure du possible, les conséquences d'un désastre.

C'est ainsi qu'on l'a vu, lors de l'explosion de grisou au puits Cinq-Sols de la concession de Blanzy, du 12 décembre 1867, qui a fait 136 victimes, dont 89 morts, multiplier, pendant plusieurs semaines, au prix des plus grandes fatigues et en courant les plus sérieux dangers, les efforts les plus énergiques pour retirer les survivants, et ensuite pour arriver aux derniers morts ensevelis.

Mêmes efforts et même dévouement à Saint-Étienne, lors de la première catastrophe du puits Jabin, du 8 novembre 1871, qui a fait 70 victimes.

On le retrouve encore, toujours l'homme du devoir, lors de la catastrophe récente de Chancelade, du 25 octobre 1885. Délégué par le Ministre des travaux publics immédiatement après l'accident pour aller diriger les travaux de sauvetage, il n'a pas hésité, malgré les immenses difficultés et les dangers de l'opération, et malgré le peu de chances de réussite, à faire une sérieuse tentative pour rejoindre les malheureux carriers ensevelis sous les décombres. Il a dirigé personnellement le travail, et n'a renoncé à le continuer, au bout de huit jours d'efforts, que devant l'impossibilité évidente d'arriver en temps utile, et pour ne pas exposer inutilement à une mort presque certaine les ouvriers qui travaillaient avec lui. Lorsque, au mois d'août dernier, à la suite du tassement du terrain, on a pu pénétrer sur quelques points, devenus plus solides, de ces carrières éboulées, et y retrouver quelques-uns des cadavres, c'est du chemin tracé par M. Tournaire que l'on s'est servi, et l'on a pu constater alors qu'il avait fait la seule chose à faire.

Si, pendant sa longue carrière d'ingénieur des mines, dans les services importants dont il a été chargé, M. Tournaire s'est constamment fait remarquer par sa grande compétence professionnelle, par son amour du travail, son souci constant de l'équité, sa fermeté douce et sa modestie, par son désir de faire toujours le mieux possible avec un détachement absolu de toute préoccupation personnelle, en un mot par son honnêteté dans le sens le plus large du mot, il a, dans le dernier poste qu'il a occupé, celui de vice-président du Conseil des mines, fait preuve des qualités les plus sérieuses, se donnant tout entier à ses fonctions, étudiant à l'avance toutes les affaires avec le plus grand soin, de manière à les posséder complètement avant d'aborder la discussion, et à diriger celle-ci au mieux de tous les intérêts.

Qu'il nous soit permis de parler ici d'un côté du caractère de Tournaire que connaissaient seuls ceux qui vivaient dans son intimité. Il avait fait au collège d'excellentes études humanitaires, et avait conservé, au milieu de ses nombreuses occupations scientifiques, le culte des belles-lettres et des beaux-arts. Il vivait, dès qu'il trouvait quelques instants de loisir, dans le commerce des vieux auteurs grecs et latins, qu'il possédait assez pour les lire à livre ouvert, sans négliger d'ailleurs la littérature moderne. Il visitait fréquemment les musées et les monuments, et ne pouvait se rassasier de la contemplation des maîtres. Il ressentait, en un mot, constamment le besoin d'apprendre, de comprendre, d'élever son âme et d'admirer les grandes oeuvres.

Que dire de sa vie privée ? Marié de très bonne heure avec une femme excellente et bien digne de lui, M. Tournaire a joui du bonheur domestique le plus parfait, et qu'aucun nuage n'a jamais troublé, en dehors des malheurs de famille qui n'épargnent personne. Il rendait tout le monde heureux autour de lui, parce qu'il était vraiment bon. Les amis qui se sont assis à ce foyer n'ont pu qu'admirer la paix et le charme de cet intérieur, cette famille groupée autour de son chef par le respect et par l'affection la plus tendre. Aussi quel vide il y a laissé! Elle avait encore tant besoin de lui!

Il laisse aussi un bien grand vide dans le coeur de ses nombreux amis, et dans ce Corps des mines, où il s'était fait une place si éminente. Nous ne pouvons que constater ici le sentiment général qui s'est fait jour à la nouvelle de cette mort inattendue. Tout le monde a senti qu'un grand malheur venait d'arriver ; car les hommes de cette trempe sont rares, et leur disparition est un deuil pour tous.