LES ANNALES DES MINES – GERER ET COMPRENDRE

n°101 Septembre 2010


EDITORIAL

par  Pascal LEFEBVRE
Editorialiste

A l’heure où j’écris cet éditorial, l’été hésite encore à s’installer, les Français s’inquiètent pour leurs retraites, la Grande-Bretagne annonce (après bien d’autres pays) son plan d’austérité, les investisseurs chinois lorgnent sur une Grèce exsangue, les pélicans du Golfe du Mexique barbotent dans le goudron et les Français ne seront pas, tant s’en faut, champions du monde de football ! 

 Pas simple, dans ces conditions, d’avoir la plume légère et de penser que la crise ne sera plus qu’un mauvais souvenir au moment où vous lirez ces lignes.

 Alors débouchons plutôt un bon Bordeaux, et goûtons à cette légère euphorie que procure la dégustation d’un grand cru classé, tout en lisant Baudelaire :

« Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :
Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !
 ». (1)

Et pour nous guider dans ce choix, pourquoi ne consulterions-nous pas l’oracle, j’ai nommé Robert Parker, cet influent expert américain désormais redouté de tous les vignerons ? Mais auparavant, lisons l’article que Jérôme Barthélémy consacre au célèbre critique iconoclaste : nous y verrons que, là comme ailleurs, spéculation, standardisation et communication sont parfois plus déterminants pour la réputation d’un vin que statut, tradition ou poésie (n’en déplaise à Baudelaire…).
Si vignerons et négociants bordelais ont su, au final, retourner en avantage ce qui leur semblait une remise en cause radicale pour en retirer collectivement le meilleur profit sur le marché international, ils ne sont pas les seuls.
Ainsi, quatre articles de ce numéro de Gérer & Comprendre s’intéressent à des producteurs de céréales, de lait, de sucre ou de pruneaux d’Agen. Ils en analysent les réponses face aux crises majeures qu’ils subissent, aux concurrences exacerbées et aux diktats des distributeurs. Défense d’un bien commun partagé au-delà des rivalités locales, pour les uns, meilleure répartition de la valeur ajoutée ou conquête de nouveaux débouchés, pour les autres : les solutions ne manquent pas, face à la constante des logiques financières d’une mondialisation largement dérégulée (encore faut-il y croire…).

La régulation sera-t-elle le maître-mot de la rentrée ? On nous le promet, la main sur le cœur. Nous attendons, donc, sereins et confiants…

Mais au juste comment la fabrique de la réglementation  fonctionne-t-elle ?

Trois chercheurs se penchent sur cet épais mystère : comment élabore-t-on « une réglementation » qui soit raisonnablement compliquée’ ? Je ne sors guère rassuré de cette lecture : inertie, résistances et complexité font bon ménage, dans le paysage que les auteurs nous décrivent.
Peut-être est-ce mieux ailleurs ? Dans un pays émergent comme l’Egypte, par exemple ? « Hélas, non… », répond Hèla Yousfi. Les bonnes intensions ne suffisent pas et, là encore, le diable se cache dans les détails : il ne sert à rien de vouloir changer les institutions afin de séduire investisseurs et bailleurs de fonds, dès lors que ceux qui les mettent en œuvre n’y adhèrent pas et les détournent à leur avantage.
L’année qui vient verra-t-elle une meilleure prise en compte du bien commun un peu partout sur notre planète, ou bien le clivage entre intérêts privés et contraintes subies par le plus grand nombre continuera-t-il à s’accentuer ? Le chant des sirènes financières cédera-t-il enfin le pas au « chant plein de lumière et de fraternité »  célébré par Baudelaire ?

En attendant (plus que jamais), Gérer & Comprendre - à lire sans modération ! - sera toujours là pour nous aider à saisir les mécanismes complexes du monde incertain vers lequel nous semblons nous acheminer.

(1) Charles Baudelaire, L’âme du vin, Les Fleurs du Mal, 1857.


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