TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Deuxième série -
T.3 (1985)

Jean R. MARECHAL

Rapports de la géologie avec l'archéométallurgie

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (Séance du 27 novembre 1985)

La recherche de l'origine géologique des minerais utilisés par les Anciens n'a pas été à notre avis suffisamment développée par les préhistoriens, ni par les historiens de l'Antiquité et du Moyen-Age. Les quelques tentatives d'explication de la connaissance des métaux par les auteurs du siècle dernier se sont limitées en général à des citations d'auteurs anciens grecs, romains ou médiévaux, dont le professeur T.F. Rossignol qui cherchait l'origine de la métallurgie chez les Dactyles ou les Chalybes (1).

On a d'ailleurs confondu les lieux de fabrication avec ceux de production sur les gisements métallifères. Bien souvent on attribuait à des commerçants la fabrication d'objets métalliques qui provenaient parfois de régions lointaines ignorées des acheteurs. Un exemple que nous avons traité dans une communication à l'Académie de Caen en 1965 (2) plaçait dans les Iles Cassitérides l'exploitation des gisements stannifères dans l'Antiquité, alors que ces îles réalisaient seulement les objets en bronze et ne possédaient aucun minerai d'étain. Le problème de l'origine du bronze c'est-à-dire de l'alliage de cuivre et d'étain, n'est pas encore résolu d'une façon indiscutable, on en est encore à des hypothèses plus ou moins plausibles dont nous citerons quelques-unes plus loin.

On a surtout invoqué l'Orient comme source des premiers métaux en raison de l'ancienneté de ses civilisations. Malheureusement la Mésopotamie plaine alluviale, ne peut contenir de gisements métallifères et l'Egypte ne peut s'être fournie en cuivre que dans les gisements peu abondants de l'Arabie Pétrée (Sinaï et vallée d'Araba). On a été amené à chercher dans les régions montagneuses qui entourent à l'Est et au Nord la Mésopotamie, les gisements propres à alimenter la fabrication des bijoux, armes et objets de toutes sortes que l'on a retrouvés dans les fouilles du Proche et du Moyen Orient.

Un des premiers à se préoccuper de l'origine de cet art des métaux a été l'ingénieur des mines Jacques de Morgan qui a été envoyé en mission au Caucase de 1886 à 1889, au moment même où Ernest Chantre publie ses deux volumes sur cette région encore mal connue. Jacques de Morgan tout en dirigeant l'exploitation d'une mine de cuivre, fouille des nécropoles protohistoriques (3).

En 1892, il remplace Gaston Maspéro à la direction des Antiquités en Egypte et visite les exploitations de Wadi Maghara et de Serabil el Khadem dans la région gréseuse à minerais de cuivre et de fer du Sinaï, il constate le peu d'abondance. Par le fait même, le bronze employé en Egypte ne peut venir que de l'extérieur, soit du Caucase, soit du Nord de la Perse ? Un problème important se pose c'est l'origine de l'arsenic que les objets égyptiens contiennent parfois en proportions notables (3,90 et 4,17% selon les analyses de l'illustre chimiste Marcelin Berthelot, confirmées par les Anglais J.H. Gladstone et H. Garland). Et cependant Berthelot n'a pas trouvé trace de cet élément, ni dans les minerais, ni dans les terrains encaissants du Sinaï (4). De même, en ce qui concerne l'étain dont Flinders Petrie pense à une origine européenne : il cite comme source possible le district stannifère de Zinnwald, à la limite de l'ancien royaume de Saxe et de la Bohême (5). On a trouvé depuis, en janvier 1970, des gisements de cassitérite dans le désert oriental à l'Est du Nil, entre le 24° et le 26° parallèle nord, dans des apogranites, mais ont-ils été exploités par les anciens Egyptiens ?

Des analyses du professeur C.H. Desch et de C.F. Elam ont montré l'existence d'objets en vrai bronze dans les tombes royales d'Our datant de la deuxième moitié du IIIème millénaire a.C. On ne sait pas d'où venait ce bronze, peut-être des régions caucasiennes ? A.A. Jessen (6) conclut dans son rapport traduit en anglais par Eugène Rostov, que l'étain était déjà employé dans le Caucase pour fabriquer du bronze à la fin du IIIème millénaire a.C. Il est donc possible que les Sumériens l'aient obtenu de ces régions montagneuses à affleurement de granite, notamment entre le Ficht et le Kasbek et également aux environs de Ahaer, en Azerbaïjan iranien (7). Il en est de même pour l'antimoine que l'on trouve sous la forme de stibine à Darigad dans le Nakhichevan russe, qui a pu servir dans la fabrication du célèbre vase de Tello analysé d'abord par M. Berthelot (8) et ensuite par le professeur russe I.R. Selimkhanov (9). Un fragment de ce vase trouvé par M.E. de Sarzec dans les ruines de la ville mésopotamienne de Tello et conservé au département des Antiquités orientales du musée du Louvre à Paris, a pu être fabriqué aux environs du célèbre camp Redkin installé par l'ingénieur du même nom, à 6 km au Nord de la ville de Diligent en Arménie, car on y a trouvé de nombreux objets de parure en antimoine contenant de 0,05 à 1,20% d'arsenic conservés actuellement dans différents musées d'U.R.S.S. et d'Europe (9).

Nous signalerons cependant que Thierry Berthoud qui a prospecté les confins de l'Iran et de l'Afghanistan a découvert récemment un gisement de cassitérite dans la vallée du Sarkar située dans l'ancienne Drangiane, ce qui confirme l'assertion de Strabon (10).

On en est amené en raison des incertitudes relatives à l'origine des minerais d'étain, à supposer une origine lointaine par un commerce hypothétique à longue distance en provenance des seules mines réellement prouvées d'Europe centrale, remontant à une période aussi ancienne. J.E. Dayton a montré cette possibilité par des recherches analytiques et géologiques exposées au XXème Symposium International d'Archéométrie tenu à Paris du 26 au 29 mars 1980 (11). La chaîne de l'Erzgebirge qui s'étend sur environ 150 km de long offre un bel exemple de la relation de la géologie avec l'archéométallurgie en raison de la connaissance approfondie des gisements métallifères remontant au Moyen-Age et des recherches des professeurs et des étudiants de la célèbre Ecole supérieure des Mines de Freiberg créée par J.F.W. von Charpentier en 1765, notamment du fameux Gottlob Werner. Cette école n'a de rivale qu'en la Berg-Akademie de Claustal dans le Harz, district métallifère également de premier ordre pour la connaissance des débuts de la métallurgie européenne et dont nous développerons plus loin la métallogénie devenue classique. L. Baumann (12) a repris l'étude des gisements stannifères de l'Erzgebirge de 1970 à 1976 et considère trois phases dans la formation de ce district : les plus anciens filons stannifères dirigés du Nord-Est au Sud-Ouest étant les plus riches en étain notamment dans la région volcanique d'Altenberg et de Zinnwald. De plus, la stannite minerai mixte de cuivre et d'étain (Cu Sn Fe S ) accompagne la cassitérite dans la partie s'étendant de Ehrenfriedersdorf à Geyer, dont le traitement métallurgique donne lieu à la formation de "bronze naturel". De même, à Eibenstock, ce qui permet de supposer que la découverte du vrai bronze a pu être faite dans ce district, car on a trouvé aux alentours de nombreux objets en cet alliage, tels que torques, haches, etc.

A l'Ouest ces filons sont recoupés par des formations hydrothermales plus récentes à gangue quartzeuse orientées approximativement du Nord au Sud avec arséniures de cobalt et de nickel, bismuth natif, pechblende et filons barytiques à cobalt, nickel, bismuth et surtout argent.

Dans la région de Schneeberg il en est de même : filons d'étain, cuivre et plomb, recoupés par d'autres de cobalt, argent et riches en bismuth avec de moindres quantités de nickel, argent, fer, arsenic et uranium. Cette association étant très caractéristique, que Dayton considère même comme unique dans l'Ancien Monde, se retrouve dans les objets en bronze mycéniens de l'époque des Tombes à Fosse (1700-1450 a.C), de Troie II (trésor de Schliemann), même des XVème et XVIème dynasties (Hyksos), de la XVIIIème dynastie, c'est-à-dire entre 1730 et 1090 a.C. et de la tombe P.G. 1237 d'Our en Chaldée (13). De même, des objets en argent des Tombes à Fosse mycéniennes contiennent des traces significatives de cuivre, cobalt, bismuth et nickel. On retrouve évidemment cette association dans les torques à extrémités enroulées analysés par Otto et Witter de la même région d'Europe centrale (14). A la même époque de grandes quantités de perles de verre bleu égyptien appelé "Kyanos" par Dayton d'après sa description par Homère, apparaissent dès la première période des Tombes à Fosse : elles seraient des sous-produits de la métallurgie de l'argent aux environs de Schneeberg. Ces perles colorées par le cobalt contiennent de fortes traces d'étain, de nickel, d'argent (15).

On peut donc supposer qu'il y avait des relations lointaines en Europe entre l'Angleterre (civilisation du Wessex), l'Europe centrale, la Grèce et même le Proche-Orient qui seront prolongées à l'époque suivante (1250-750 a.C.), malgré la destruction de l'empire mycénien par de nouveaux peuples issus du Nord de l'Europe. C'est le moment où la métallurgie du fer apparaît et dont nous pourrons suivre la propagation par le pointage d'un fer contenant du nickel avec comme impuretés également du cobalt, mais aussi de l'arsenic et du cuivre dont on connait des gisements, non seulement en Saxe (garniérite de Kuhschnappel, au Nord de Zwickau), dans les Monts Métallifères de Slovaquie (Dobsina), en Silésie (Frankenstein = Zabkovic) et même dans les pays Scandinaves (Slattberg en Suède et Flat en Norvège). Un grillage réducteur de ces minerais de fer nickélifères les enrichit en nickel, cobalt et arsenic, car leurs oxydes sont plus faciles à réduire que l'oxyde ferreux. Nous donnons ci-dessous les chaleurs de formation en calories par atome d'oxygène de ces oxydes et de ceux de cuivre :

FeO               64,5 calories
NiO               58,40
CoO               57,50
As2O3             52,20
Cu20              41,00
CuO               37,50

Les températures de fusion des métaux correspondants sont :

Fe	1530°
Co	1490°
Ni	1452°
Cu	1084°

Lorsqu'on a affaire à des minerais complexes de ce genre, les teneurs en nickel des objets fabriqués avec ces minerais peuvent atteindre des valeurs élevées (40%) alors que les objets réalisés avec du fer météorique ne dépassent généralement pas 26% et comme la limite de forgeabilité n'est que de 6%, on doit admettre que tout objet contenant plus de nickel provient de minerais spéciaux et surtout s'il ne montre pas de chrome, que les fers d'origine météorique contiennent en traces plus ou moins importantes. De même, la structure métallographique révélée au microscope Le Chatelier, est très différente suivant la provenance, c'est ainsi que les objets de provenance météorique présentent une structure très particulière octaédrique avec bandes en réseau triangulaire ou quadratique dite de Widmanstätten (16). Ces bandes ont des teneurs différentes en nickel qui disparaissent par recuit au-dessus de 650° (17), tandis que les objets (anneaux, bracelets, haches à douille et lames de poignard) en acier au nickel obtenus par traitement métallurgique de minerais spécifiques ont une structure feuilletée caractéristique résultant du forgeage à chaud de plaquettes en fer à teneurs très différentes en carbone et surtout en nickel, avec structure pour celles riches en ce dernier métal, sorbitique, troostitique ou même martensitique, ce qui donne une grande résistance mécanique et ralentit l'attaque par la rouille. On peut donc appeler aciers ce métal complexe. On trouve ces objets surtout en Pologne et en Suède soulignant une migration technique depuis le Nord de l'Europe vers le Sud, en traversant la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie pour aboutir peut-être dans les régions pontiques (acier des Chalybes suivant J. Piaskowski) ? Celui-ci pense que les Chalybes ont utilisé pour cette fabrication très spéciale le célèbre "pyrimachos" qui selon lui ne serait que de la chloantite, sulfo-arséniure de nickel, de cobalt et de fer, qui malheureusement ne se rencontre pas à notre connaissance dans le territoire de ce peuple, mais bien en Slovaquie (Dobsina) et en Saxe (Andreasberg) (19).

Un cas plus curieux encore est celui du district chinois de Hweili dans la province de Si-Kiang riche en chalcopyrite, pyrrhotine et pentlandite contenant plus de 30% de nickel, permettant de fabriquer un cupro-nickel qui sous le nom de "paktong" (dialecte de Canton) a été exporté par mer en Perse et par une route, la "Voie d'Or et d'Argent", jusqu'en Bactriane (20), où certains souverains grecs tels que Euthidemus II, Agathocles et Pantaleon qui régnèrent pendant la première moitié du IIème siècle a.C, frappèrent des pièces de monnaie en alliage de cuivre contenant de 8,60 à 13,80% de nickel (21). D'après A. Levol un des lingots ainsi exporté contenait 79,40% de cuivre, 16,02% de nickel et 4,58% de fer (22). Les fondeurs chinois après avoir ajouté de l'arsenic aux lingots venus de Hweili, l'ont remplacé par du zinc pendant la refusion, pour en améliorer l'aspect. Ils distinguèrent plusieurs sortes d'alliages :

Chi-tung ou cuivre rouge
Huang-tung ou cuivre jaune (laiton ?)
Ching-tung ou bronze
Pai-tung ou cupro-nickel
Le terme "tung" a le sens de bon alliage.

Naturellement les difficultés de transport de Chine en Bactriane expliquent la brièveté de l'emploi de cupro-nickel pour le monnayage grec de cette dernière région. Elle devait être souvent interrompue par des conflits fréquents dans la zone vitale de la métropole commerciale de Tali aux sources du Fleuve Rouge qui traverse le Yunnan riche en gisements métallifères de cuivre et d'étain.

Le géologue chinois Wong Wen Has a montré la variété métallogénique des différentes zones autour d'un grand batholite de granite depuis le Kwei-chou jusqu'à la Mer de Chine : Hg, Sb, Pb-Z et Sn-W (23). Cependant on pense généralement que le bronze atteint la Chine par le Kan-sou en provenance de Karasouk dans la région de Minoussink, qui avait des relations importantes avec la Chine, mais cette hypothèse serait peut-être à réviser à la lumière des nouvelles découvertes dans ce vaste pays recelant des gisements non encore bien identifiés ?

Nous avons signalé que le Harz était également un district important dont la métallogénie est devenue classique et a fait l'objet de leçons dans toutes les écoles d'Ingénieurs des mines du monde entier. Les fameux schistes bitumineux de Mansfeld sont littéralement imprégnés de minerais de cuivre argentifère accompagnés de plus de cinquante éléments dont la plupart sont récupérés en raison de leur rareté et de leur importance économique et stratégique.

Un simple grillage suffisait aux premiers métallurgistes protohistoriques pour en retirer le cuivre par suite de leur combustibilité due aux matières bitumineuses que ce minerai contient. Le rassemblement des impuretés dans les globules formés par cette chauffe donne une association caractéristique (impurities pattern) où le cobalt et le bismuth sont cependant absents, mais où l'argent peut atteindre 0,40% et le nickel de 0,20 à 0,47%.

L'affleurement de ce gisement permien de grande importance s'étend sur environ 100 km autour de la bordure sud-est du massif de Harz et se prolonge vers l'Ouest jusqu'en Hesse et dans le Waldeck où cependant les matières bitumineuses sont remplacées par des débris d'arbres et de plantes imprégnées également de cuivre argentifère. Dans le district de Mansfeld, Eisleben et Hellsted la composition est étonnamment homogène malgré une extraction de plus de 500 000 tonnes de cuivre et dont il reste 5 millions de tonnes récupérables. Comme il existe au "Gross Knollen" au Nord de Lauterberg, non loin du massif granitique du Brocken, un gisement mixte de cuivre et d'étain, on a pu émettre l'hypothèse d'une production primordiale de bronze naturel, car nous avons constaté par nos analyses que les plus anciennes haches plates contenant des teneurs croissantes en étain, ont été trouvées aux abords du Harz. On peut émettre la même hypothèse en ce qui concerne le district minier de l'Erzgebirge plus au Sud. Mais le cuivre et l'étain ne sont pas les seules productions du Harz, il faut aussi mentionner la région de Clausthal riche en galène argentifère, en blende, en pyrite et chalcopyrite, ainsi qu'en tétraédrite. Cette minéralisation de l'Ober-Harz contenant du zinc a donné lieu à la formation de dépôts de cadmie dans la partie supérieure des fours à plomb du Rammelsberg au Sud de Goslar, dont on s'est servi au Moyen-Age pour fabriquer du laiton.

Le traitement de ces minerais complexes cuivre - plomb - zinc contenant en outre un peu d'arsenic et d'antimoine, conduisit à la production de sous-produits appelés "Speise" qui ont cependant été utilisés comme additions dans la coulée d'alliages de cuivre par des fondeurs locaux, mais aussi pour exporter des lingots en forme de torque à extrémités évasées appelées "manillas" vers l'Afrique occidentale, notamment au Benin par l'intermédiaire des Fugger d'Augsbourg et des Portugais, pour alimenter les fonderies indigènes. L'analyse de ces "manillas" montre des teneurs de 58,90 à 65,10% de cuivre, de 25,30 à 36,80% de plomb avec 0,10 à 0,70% d'arsenic et de 2,80 à 4,90% d'antimoine. Il peut même y avoir parfois 0,48% de nickel (24). C'est un nouvel exemple de transfert de métaux à longue distance par mer, comme il y en a eu aussi par terre pour le cupro-nickel chinois.

Il nous reste à mentionner avant de donner des exemples français, le district thuringien mis en valeur par les recherches du grand métallurgiste W. Witter (1866-1949) qui après avoir mené une carrière industrielle, s'est intéressé à la plus ancienne métallurgie européenne. Il a compris que pour suivre à la piste le développement de cette archéométallurgie, il fallait détecter les moindres impuretés contenues dans le métal des objets protohistoriques que les musées ont bien voulu lui confier, par des méthodes modernes de spectranalyse et rechercher les gisements métallifères primordiaux. Il a fait mettre au point ces nouveaux procédés et analyser par un chimiste compétant les échantillons-témoins (étalons) nécessaires. Il a obtenu ainsi 1354 analyses comportant 12 éléments caractéristiques lui permettant des déductions nouvelles sur les gisements du Harz, de l'Erzgebirge, de Hesse et de Silésie et en outre, il a mis en relief les districts thuringiens de la vallée de la Saale et de ses environs situés précisément sur une voie importante permettant des relations culturelles et techniques du Nord de l'Allemagne avec le Sud et notamment le bassin danubien de Bavière et d'Autriche. Dans son ouvrage magistral publié dans la collection MANNUS en 1938 (25), il a dressé les cartes montrant les filons des régions de Saalfeld (page 71), de Neustadt-Weira (page 72), de Naila-Hirschberg-Lobenstein (page 84) et de Kupferberg-Wiesberg (page 85). Il est très possible que les prospecteurs de l'époque aient ensuite découvert les gisements cuprifères de la région de Salzbourg et du Tyrol qui prirent ensuite une très grande importance pendant deux ou trois siècles, peu après l'ensemble saxo-thuringien. On a repéré 32 mines dans le district de Mitterberg, et le district entier de l'aire de Mulbach-Bischofshofen a pu produire une quantité totale de cuivre évaluée à 20 000 tonnes (26). La culture de Mondsee (stations palafittiques du Salzkammergut) a révélé des objets caractéristiques dont les haches plates, des poignards et le célèbre fossile directeur de Werner Hülle, la hache de combat à section polygonale (Vielkantige Knaufhammer) indiquant le chemin parcouru par les mineurs et métallurgistes de cette époque. De même en ce qui concerne la culture de Vucedol en Slavonie.

Le passage de la poterie à décoration cordée à la poterie campaniforme proprement dite, ne serait à notre avis qu'une mutation esthético-technique par changement de décoration sur pâte molle en utilisant un peigne ou une roulette. A ce moment il y a abandon des haches de combat en conservant cependant l'arc et le brassard d'archer. Cette mutation culturelle a pu se faire dans la "Goldene Aue" aux environs de Querfurt, où l'on a trouvé les plus anciens vases "cordés" d'un peuple de culture mésolithique et où les conditions agricoles ont été favorables pour cette modification. Cet ensemble diffuse ses connaissances non seulement vers le Sud-Est, mais aussi vers le Sud-Ouest de la vallée de la Saale vers le Danube et en même temps s'intéresse au district de Bodenmais où existent de la pyrite, chalcopyrite, pyrrhotine, galène argentifère et même de la cassitérite en relation avec le grand dyke long de 145 km, appelé le "Pfahl". L'Italie du Nord en profite ainsi que le Sud de la France et la péninsule ibérique, où ces mineurs ont développé l'exploitation des "chapeaux de fer" des grands amas pyriteux et chalcopyriteux du Sud de l'Espagne. Ceux restés sur place ont été à l'origine de la culture d'Unétice et ceux qui ont débarqué dans les Iles britanniques de la culture du Wessex. Hypothèse hardie, mais qui a le mérite d'expliquer d'une façon plus rationnelle cette vaste expansion "campaniforme" et uneticienne (27).

Cette prolifération résultant de conditions favorables préfigure les incursions celtiques postérieures, dont les caractéristiques culturelles et humaines paraissent en résulter (28). Mais maintenant que nous avons développé quelques exemples que l'on pourrait multiplier, nous allons un peu parler de la France où les débuts de la métallurgie ont commencé sur le chemin de ces itinérants par terre vers les gisements des Cévennes et du Rouergue et par mer vers ceux riches en cassitérite de Bretagne. Si le cuivre ne manque pas dans le midi de la France, la Bretagne en a aussi, mais son exploitation précoce en a appauvri la source à tel point qu'il n'en restait guère et que l'extraction du "chapeau de fer" du filon principal de Huelgoat reconnu sur plus d'un kilomètre, a fait place à l'exploitation de la galène argentifère dont les terres argentifères le surmontaient. Mais la grande richesse de la Bretagne consistait en cassitérite, notamment à la Villeder dans le département du Morbihan, le district d'Abbarertz dans celui de la Loire-Atlantique et enfin dans le Finistère où des travaux anciens subsistent aux environs de Saint-Renan (29).

Il n'y a pas si longtemps que l'on croyait que le Languedoc devait importer son cuivre et son étain pour la fabrication des nombreux objets en cuivre et en bronze que les archéologues trouvaient dans les sépultures de l'Age du Bronze et pourtant ce ne sont pas les filons métallifères et même les gisements sédimentaires sulfurés du Permien qui manquent dans ce vaste ensemble qui s'étend du Golfe du Lion au Sud du Massif Central. Mais en ce qui concerne l'étain, la cassitérite que l'on a rencontré en différents points des Monts d'Aubrac a-t-elle été suffisante pour alimenter l'industrie du bronze du Midi de la France ? Ne faut-il pas encore invoquer ce déplacement des minerais ou des lingots en provenance d'Europe centrale ? Ce serait encore un exemple supplémentaire du commerce à longue distance des Métaux (30).

NOTES

(1) T.F. Rossignol, Les métaux dans l'Antiquité, Paris, 1863.

(2) Jean R. Maréchal, Un monopole du bronze à l'époque préhistorique et son entrée dans la légende, Mémoires de l'Académie nationale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen, séance du 23 janvier 1965, p. 9-18.

(3) J. de Morgan, Mission scientifique en Perse, deux volumes, Paris, 1891-1904.

(4) M. Berthelot, Sur les mines du Sinaï exploitées par les anciens Egyptiens, note présentée le 17 avril 1896 à l'Académie des Sciences, tome CXXIII, n°7, p. 365-374.

(5) Flinders Petrie, Les arts et métiers de l'ancienne Egypte, trad. Capart, Ed. Vromant, 118, Bruxelles, 1981.

(6) A.A. Jessen, Olovo Kavkaza, p. 193-205.

(7) O.G.S. Crawford, Antiquity, XII, mars 1938, p. 79-81.

(8) M. Berthelot, Introduction à l'étude de la chimie des Anciens et du Moyen Age, Paris, 1906.

(9) I.R. Selimkhanov, Sur l'étude du fragment de vase de Tello, appartenant au Musée du Louvre et le problème de l'utilisation de l'antimoine dans l'Antiquité, Annales du Laboratoire de Recherche des Musées de France, 1975, tableaux II et IV, p. 47 et p. 48.

(10) Strabon, Géographie, XV, 2, 10.

(11) J.E. Dayton, Geological evidence for the discovery of cobalt blue glass in myceniaean times as a by-product of silver smelting in the Schneeberg area of the bohemian Erzgebirge, Revue d'Archéométrie, vol. III, 1980, p. 57-61.

(12) L. Baumann, Tin deposits of the Erzgebirge, Transactions of the Institute of Mining and Metallurgy, vol. 79, 1910, p. 368.

(13) J.E. Dayton, 1980, p. 59.

(14) H. Otto et W. Witter, Handbuch der altesten vorqeschichtlichen Métallurgie in Mitteleuropa, Leipzig, 1952.

(15) J.E. Dayton, Minerals, metals, glazing and Man, Londres, 1978.

(16) Cette structure a été constatée pour la première fois en 1808 par Aloïs de Widmannstätten (le Directeur des Manufactures impériales de Porcelaine de Vienne) dans un fer météoritique provenant d'Agram (Zagreb) en Croatie.

(17) C.R. Simcoe, The metallography of a space traveler, Metall Progress, 1956, 70, p. 72.

(18) J. Piaskowski et J. Bryniarska, Application of a microprobe analyser to the examination of ancient iron objects, Organon, 14, 1973, p. 283-307.

(19) J.D. Dana et E.S. Dana, System of mineralogy, Ed. Yale Institute, 6ème éd., p. 88.

(20) Cette route historique d'importance majeure faisait communiquer la Bactriane et l'Inde avec la Chine par le lieu de passage qui s'ouvre entre les deux versants oriental et méridional du haut plateau tibétain, les montagnes prolongeant au Sud-Est les grands massifs de l'Asie centrale étant déjà notamment abaissées et même en certains endroits complètement oblitérées. Le relief du seuil constitué par un plateau de grès rouge s'abaissant graduellement vers les plaines et la mer a permis le passage d'une route transversale franchissant successivemment toutes les vallées des grands fleuves de l'Asie sud-orientale à de faibles distances les unes des autres (E. Reclus, L'homme et la terre, tome III, Paris, 1905, p. 66).

(21) C.F. Cheng et C.M. Schwitter, Nickel in ancient bronzes, American Journal of Archaeology, Baltimore, 1957, 61, tableau VI, p. 357.

(22) A. Level, Répertoire de chimie appliquée, 4, 1862, p. 24.

(23) P. Fourmarier, Etude des gîtes minéraux et métallifères, 1927, Liège, p. 113.

(24) O. Werner, Westafrikanische Manillas aus deutschen Metallhutten Verwertung von Kupferschrott im 15. und 16. Jahrhundert, Erzmetall, Band 29, Heft 10, 1976, p. 447-453.

(25) W. Witter, Die Ausbeutung der Mitteldeutschen Erzlagerstätten in der frühen Metallzeit, Mannus 60, 1938, p. 124 et p. 128.

(26) K. Zschocke et E. Preuschen, Das urzeitliche Bergbaugebiet von Muhlbach-Bischofshofen, Materialen zur Urgeschischte Oesterreichs, Heft VI, Vienne, 1932, p. 135.

(27) J.R. Maréchal, Quelques données techniques pour aider à résoudre le problème du complexe chalcolithique à poterie campaniforme et de sa diffusion en Europe, Actes du 100ème Congrès national des Sociétés savantes, Paris, 1975, p. 45-59.

(28) R. Riquet, Les rapports du groupe linguistique celtique et du cycle culturel à Campaniformes, Ogam, n°73-75, 1961, p. 1-14.

(29) J. Huguenin, Coup d'oeil sur la géologie du Morbihan considérée au point de vue des gisements métallifères, Paris, 1862. Voir aussi J. Ramin, Le problème des Cassitéridés et les sources de l'étain occidental depuis les temps préhistoriques jusqu'au début de notre ère, Paris, 1965, Données techniques, France, p. 20-25.

(30) J.R. et J.F. Maréchal, Production des premiers métaux et son évolution dans le Bassin occidental de la Méditerranée. Actes du 110ème Congrès national des Sociétés savantes, Montpellier, 1985.

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