NOTICE NÉCROLOGIQUE extraite des ANNALES DES MINES, 1826, pages 621 à 628
 

Louis-Georges-Gabriel DE GALLOIS-LACHAPELLE (1775-1825)

PAR M. DE BONNARD, Inspecteur divisionnaire, Secrétaire du Conseil général des Mines

Louis-Georges-Gabriel DE GALLOIS-LACHAPELLE , ingénieur en chef de première classe au Corps royal des Mines, chevalier de l'ordre royal de la Légion-d'Honneur, né, en 1775, à Saint-Léonard, département du Bas-Rhin, descendait d'une famille irlandaise , émigrée en France avec le roi Jacques II.

Son père, capitaine au Corps de Royal-Bavière, avait servi avec distinction dans les guerres du règne de Louis XV. Destiné à entrer dans le Corps du Génie militaire, M. de Gallois fit , à Strasbourg , des études dirigées vers ce but; le 16 décembre 1791, il fut reçu élève de l'École du génie, où l'atteignit la loi de la réquisition militaire , et le 22 septembre 1794, on le nomma adjoint aux officiers de cette arme; mais, voulant perfectionner son instruction dans les sciences mathématiques , il entra, deux mois après, à l'Ecole polytechnique, lors de la création de cet illustre Etablissement. Une maladie, causée par sa trop grande ardeur pour le travail et par la douleur qu'il éprouva de la mort de sa mère, interrompit ses études ; néanmoins , à l'époque des premiers examens de sortie de l'Ecole , il fut reconnu admissible dans les services publics, et nommé, en conséquence, élève de l'Ecole des Mines. Sa santé l'obligea encore à s'éloigner de Paris pendant plus d'un mois, et pourtant ses succès furent si rapides que, dix mois aprè son admission, il fut proposé par le Conseil des mines, pour être nommé ingénieur.

Les réglemens exigeaient deux ans d'études a l'Ecole des Mines, et le ministre de l'intérieur refusait sa sanction à cette présentation ; mais M. de Laplace , qui arriva à cette époque au ministère, jugea que le mérite d'un élève aussi distingué permettait de passer par-dessus les règles ordinaires , et M. de Gallois fut nommé ingénieur le 26 novembre 1799, seul exemple que présentent les fastes de l'Administration des Mines, d'une promotion aussi prompte. Dans cet intervalle, M. de Gallois, rappelé au service militaire , avait été forcé, par un arrête du Directoire exécutif, d'entrer comme soldat dans un régiment d'infanterie : quelques mois après , il reçut le brevet de lieutenant du génie militaire; mais , bientôt, une loi plus raisonnable lui permit de reprendre la carrière qu'il avait choisie, et dans laquelle il se distinguait déjà si honorablement.

En 1801, M. de Gallois fut envoyé, sur sa demande, avec M. Beaunier, aux mines de Poullaouen et de Huelgoët, pour y perfectionner son instruction pratique. Quatre mémoires, insérés dans les tomes 12 et 16 du Journal des Mines, sur la préparation des minerais de plomb à Poullaouen, sur les travaux des fonderies , sur la température des fourneaux à diverses époques des opérations , et sur les trompes, sont sans doute un témoignage suffisant de la manière dont les deux jeunes ingénieurs atteignirent le but de leur mission ; mais plusieurs autres travaux également intéressans , qui en étaient aussi le résultat , ont été perdus. A cette époque , M. de Gallois fut atteint d'une maladie terrible , dont il fut plus d'un an à se rétablir. Il reprit son service en 1803 ; mais depuis lors, comme antérieurement, sa santé fut constamment chancelante : presque chaque année, des maux de poitrine plus ou moins graves le forçaient à interrompre ses travaux , qu'il reprenait ensuite avec une ardeur toujours trop grande pour ses forces physiques. En 1804, il fut envoyé à l'île d'Elbe, pour surveiller l'exécution du décret qui concédait les célèbres mines de fer de cette île ; ensuite, la déchéance des concessionnaires ayant été prononcée, il fut chargé du service de ces mines, qui firent partie de la dotation de la Légion-d'Honneur. La manière dont il remplit cette fonction et les rapports dans lesquels il développa des vues sages et lumineuses sur les améliorations dont ce grand établissement était susceptible lui firent obtenir d'honorables témoignages de satisfaction de la part du gouvernement. Rappelé en France en 1807 , on le plaça en Ligurie, en lui annonçant l'intention de l'envoyer bientôt en Toscane, à l'effet d'introduire dans les opérations des forges de ce pays des perfectionnemens dont elles avaient grand besoin. Pénétré de l'importance d'une semblable mission , M. de Gallois demanda l'autorisation d'aller étudier l'art des forges dans tous ses détails, à l'Ecole pratique de Geisslautern et dans les autres usines des environs de Sarrebrück. Un séjour de quatre mois et des travaux sans relâche le mirent à même de présenter, à son. retour, un rapport accompagné de dix-sept liasses de mémoires, notes et dessins , sur toutes les parties des usines à fer qu'il avait visitées , grand et beau travail qui lui mérita les éloges de ses chefs et ceux du ministre de l'intérieur. Vers cette époque, il publia , dans le tome 25 du Journal des Mines, deux mémoires sur les mesures à observer dans la disposition des foyers de forges , sur les instrumens qui servent aux ouvriers pour la détermination de ces mesures, et sur d'autres instrumens plus exacts qu'il proposait de leur substituer.

Cependant le projet de mission en Toscane n'eut pas de suite : M. de Gallois fut placé en station à Gênes , et, peu après, à Savone, sur la demande de M. le comte de Chabrol, comme chargé du service des mines dans les départemens de Montenotte et de Marengo. L'amélioration des procédés des forges; l'exploitation des houillères du revers méridional de l'Apennin; l'introduction de l'emploi de la houille dans un grand nombre de procédés d'usines et d'usages domestiques; la publication d'une instruction en italien sur la recherche et la découverte des mines ; enfin , l'étude du sol de la contrée et sa description minéralogique , furent les résultats des travaux assidus auxquels M. de Gallois se livra pendant deux ans. Le tome 25 du Journal des Mines renferme un mémoire de lui sur le département de Montenotte. La statistique de département, publiée depuis peu par M. le comte de Chabrol, contient de nombreux documèns recueillis par M. de Gallois pour coopérer à l'important travail d'un préfet qui l'honorait d'une ancienne et constante amitié, et qui préludait par ce beau travail aux travaux plus remarquables encore qu'il devait exécuter et décrire dans la capitale.

En 1810, M. de Gallois fut envoyé en mission extraordinaire en Illyrie ; dans cette même année , il fut nommé ingénieur en chef ; deux ingénieurs ordinaires furent placés sous ses ordres , et il fut chargé de la surveillance générale de l'administration des mines dans la Carinthie et dans les provinces Illyriennes : il fit, à cette occasion, de longues tournées en Croatie avec M. le maréchal duc de Raguse ; il transmit au gouvernement des mémoires intéressans sur les mines et usines de ce pays , particulièrement sur les mines de plomb du Bleyberg , et mit tous ses soins à obtenir, des administrations supérieures, les mesures de protection nécessaires à la conservation de ces beaux établissemens. En 1811, il fut placé comme directeur en chef sur les célèbres mines de mercure d'Idria en Carniole , qui avaient été assignées en dotation, d'abord à l'Institution éphémère de l'ordre des trois Toisons d'or, ensuite à la Légion-d'Honneur , mines qui occupent douze-cents ouvriers, six cents pensionnés , trois cents élèves , desquelles dépendent 12 lieues carrées de forêts et une population de sept mille habitans, et qui livrent annuellement un produit brut de la valeur de 2 millions et un produit net de 6 à 7 cents mille fr. Malgré les difficultés des circonstances, les établissemens furent maintenus dans un état prospère : M. de Gallois fit construire , dans les vallées qui les environnent , des écluses de flottage d'une grande utilité pour leur approvisionnement en combustible, et d'une beauté d'exécution remarquable. Plusieurs autres améliorations importantes eurent lieu à Idria sous sa direction, et il s'y concilia l'estime , l'attachement même des personnes placées sous ses ordres et des habitans du pays ; cependant, il y devint l'objet de l'animadversion d'un Français, qui l'accusa, en 1815, d'avoir mal géré les mines et usines. Un inspecteur des mines, M. Héron de Villefosse, fut alors envoyé à Idria, en qualité de commissaire général, à l'effet d'examiner la gestion de M. de Gallois et les accusations dirigées contre lui. La comptabilité des mines et usines fut trouvée parfaitement en règle et définitivement apurée , et il fut reconnu que les dénonciations étaient dénuées de fondement , mais que M. de Gallois méritait des éloges pour l'intégrité, le talent et le zèle avec lesquels il remplissait les importantes Missions qui lui étaient confiées. Des preuves frappantes le la justice de ces éloges se trouvent d'ailleurs dans les nombreux mémoires que M. de Gallois a transmis à l'Administration des Mines et au grand-chancelier de la Légion-d'Honneur, sur toutes les parties d'art et d'administration du vaste établissement qu'il dirigeait. Lorsqu'en 1814 l'Empereur d'Autriche vint à Paris, MM. Héron de Villefosse et de Gallois lui ayant été présentés avec le Corps royal des Mines, S.M. leur témoigna sa haute satisfaction sur l'état dans lequel lequel les ingénieurs français avaient laissé les mines d'idria lorsqu'ils les quittèrent.

En août 1814 , M. de Gallois demanda et obtint d'être placé dans le douzième arrondissement minéralogique, dont Saint-Étienne est le chef-lieu. Il avait vu traiter dans les usines des environs de Sarrebrüçk des minerais de fer extraits des couches du terrain houiller, minerais qui, confondus en France dans l'espèce du Fer oxidé, en Allemagne dans celle du Thoneisenstein ( fer argileux), avaient été reconnus, au laboratoire de l'Ecole des Mines, pour du fer carbonaté amorphe ou terreux, et décrits comme tels en 1812 par M. Collet-Descostils, dans le Journal des Mines. M. de Gallois savait qu'en Angleterre on exploitait aussi dans divers terrains houillers des minerais de nature analogue, que la houille servait à fondre. Ses voyages et ses observations l'avaient conduit à reconnaître une constance remarquable dans la composition générale des grandes formations géologiques. Fortement pénétré de cette idée, et de celle que les richesses minérales ne sont point propres à certaines contrées , mais qu'elles ne tardent pas à se montrer lorsque l'industrie s'applique à les chercher, M. de Gallois était persuadé que les terrains houillers de la France devaient aussi renfermer des minerais de fer semblables aux minerais anglais comme à ceux de Sarrebrück , et que leur aspect entièrement pierreux , tout-à-fait différent de celui des autres minerais métalliques , avait sans doute empêché jusqu'alors de reconnaître comme tels ; il voulait procurer à sa patrie les immenses avantages que l'industrie anglaise retire de l'exploitation combinée de la houille et du fer, et il désirait vivement vérifier la justesse de ces présomptions, dans la contrée du royaume la plus riche en bouille ( M. l'ingénieur Guenyveau avait reconnu l'existence des minerais de fer dans le terrain houiller de Saint-Étienne, et l'avait signalée dans un rapport adressé au préfet du département de la Loire en 1809 ; mais ce fait était entièrement inconnu à M. de Gallois, et le rapport de M. Guenyveau, resté dans les cartons de la prefecture de Montbrison, n'avait pas produit les effets qu'on aurait pu en attendre . ) ; mais il avait une telle confiance dans le succès de ses recherches , qu'avant de partir pour le département de la Loire, il passa plusieurs mois à préparer un travail sur cet objet, et à rassembler tous les documens qui pourraient l'aider à réaliser le projet d'un grand établissement alimenté par le minerai qu'il allait découvrir. Il fit part de ce projet, à Paris, à plusieurs membres du Corps royal des Mines , entre autres à MM. Héron de Villefosse et Berthier, qui lui communiquèrent des renseignemens sur diverses localités où le minerai de fer carbonate était associé à la houille dans les pays étrangers et en France , et qui affermirent encore son espérance. Cette espérance ne fut point trompée : dès le surlendemain de son arrivée à Saint-Etienne, à la fin d'octobre 1814, il trouva, aux portes de cette ville, le minerai de fer qu'il cherchait ; il le trouva bientôt après dans un grand nombre de localités du bassin houiller qui constitue la contrée environnante; il entreprit alors de nombreux essais de laboratoire , pour reconnaître la richesse de ce minerai ; mais les funestes événemens de l'année suivante retardèrent ses travaux, et ce ne fut qu'au mois de novembre 1815, qu'il put faire part à M. le Directeur général des Ponts et Chaussées et des Mines de ce qu'il regardait comme une découverte d'autant plus importante, que des découvertes semblables attendaient les observateurs dans les autres terrains houillers de la France , et qu'il manifesta le désir de fonder lui-même une grande usine, pour en faire la première application à l'industrie. Plus tard, et aprè avoir visité les riches exploitations de l'Angleterre, M. de Gallois inséra, dans les Annales des Mines ( t. 3) un mémoire détaillé sur ce Minerai de fer des houillères, qu'il décrit et classe minéralogiquement sous le nom de Fer carbonaté lithoïde, dont il fait connaître les caractères, les diverses variétés, les relations géologiques, et l'emploi dans les usines anglaises.

Mais dès 1814, et constamment depuis lors, la création de semblables usines en France fut et resta la pensée dominante de M. de Gallois , et dans le cours des dix dernières années de son existence, cette pensée occupa tous les momens qui n'étaient pas réclamés par son service. Nommé , en avril 1816, professeur de docimasie et directeur du laboratoire à l'Ecole royale des Mines , il refusa d'accepter cette place, honorable témoignage de la confiance que ses talens inspiraient à son chef, mais pour laquelle sa modestie lui fit penser qu'il ne possédait pas les qualités nécessaires : il crut être plus utile à son pays , en dirigeant dans de grands ateliers, les premiers travaux du champ qu'il voulait ouvrir à l'industrie française. Il crut aussi devoir à sa famille de chercher à tirer un parti utile de ces travaux, pour réparer les brêches que des voyages nombreux , des missions éloignées et faiblement rétribuées , enfin des pertes considérables , éprouvées à son. retour d'Illyrie pendant la retraite de l'armée française, avaient faites à son modique patrimoine. Une compagnie, composée de notables capitalistes du pays, se forma pour exploiter les minerais de fer des houillères de Saint-Etienne, et sollicita du gouvernement l'autorisation pour M. de Gallois de se charger de la direction de ses établissemens. Désirant justifier la confiance qu'on mettait en lui , et croyant qu'il ne pourrait y parvenir complètement que lorsqu'il aurait étudié la pratique des procédés anglais dans les usines mêmes , M. de Gallois demanda un congé de trois mois pour se rendre en Angleterre ; mais, dans cette circonstance comme dans toutes les autres circonstances de sa vie, son zèle le porta à faire plus qu'il ne devait, plus qu'il ne pouvait même raisonnablement entreprendre. Il employa ces trois mois entiers à visiter les ateliers de Londres, à pénétrer jusque dans les plus petits détails pratiques des arts nombreux qui emploient le fer et la fonte. Ayant ensuite obtenu une prolongation de congé indéfinie, il passa six mois à Newcastle, en Northumberland, occupé sans relâche à étudier les mines, les usines, les chemins de fer de cette contrée célèbre ; puis il parcourut les parties de l'Ecosse, de l'Angleterre et du pays de Galles les plus riches en établissemens d'exploitation de houille et de fer, et il ne revinten France qu'au bout de seize mois, aprè avoir encore dépensé des sommes considérables pour son voyage et pour l'acquisition de nombreux et précieux modèles d'objets d'art et d'industrie minérale. A son arrivée à Paris , il rédigea un mémoire sur les mines et usines à fer d'Angleterre, que M. le Directeur général communiqua au Conseil des Mines, et dont la lecture fut entendue avec un vif intérêt ; il présenta à l'Académie royale des Sciences un mémoire sur les chemis de fer anglais, qui lui mérita les éloges de l'Académie. Ce dernier travail a été imprimé dans le tome 3 des Annales des Mines.

M. de Gallois retourna à Saint-Etienne en juin 1818 : il fut nommé professeur à l'Ecole des mineurs qui venait d'être établie dans cette ville , et il y professa la métallurgie en 1819. I1 fut aussi membre de la commission temporaire, instituée à cette époque par M. le Directeur général des Ponts et Chaussées et des Mines , pour préparer les grandes opérations du partage du territoire houiller de Saint-Étienne en concessions, et il coopéra d'une manière active aux travaux administratifs, qui, en régularisant et en rendant légale l'exploitation des houillères de ce pays, ainsi que la perception des droits reconnnus par les usages locaux aux propriétaires de la surface , ont donné à ces deux sortes de propriété une valeur considérable, et créé ainsi de grands capitaux pour l'industrie. Mais il éprouva beaucoup de difficultés pour renouer l'entreprise importante, dont l'expectative lui avait fait entreprendre son pénible et dispendieux voyage. Ce ne fut qu'au bout d'un an que la Compagnie des mines de fer de Saint-Étiene étant formée, il obtint l'autorisation.d'être directeur-administrateur de cette compagnie et fut déchargé de toute fonction comme ingénieur dans le département de la Loire ; mais il continua d'être chargé en chef du service des départemens du Puy-de-Dôme , de la Haute-Loire et du Cantal.

L'établissement, à Terre-Noire près Saint-Etienne, de trois hauts-fourneaux pour fondre le minerai de fer au moyen du coke ; les exploitations de houille et de minerai nécessaires à l'alimentation de ces grandes bouches à feu ; l'établissement ultérieur des fourneaux et cylindres destinés à convertir la fonte en fer forgé , tel était le but des travaux de M. de Gallois, comme directeur de la compagnie, travaux auxquels il se livra avec toute l'ardeur de son esprit. Ses projets, ses dessins, ses devis portèrent l'empreinte de son talent et de son zèle ; les constructions qu'il a dirigées sont vraiment admirables, sous le rapport de la solidité et de la convenance parfaite de toutes leurs parties, et elles offrent même, à cet égard, une sorte de luxe , le seul qu'il se soit permis de leur donner. Mais bientôt des obstacles imprévus vinrent retarder l'exécution de ses plans : il fut obligé, en 1820, de faire un second voyage de trois mois en Angleterre, pour y presser la confection et l'envoi des machines qu'il y avait commandées, et la construction du premier haut fourneau ne fut achevée que deux ans après. Les approvisionnemens en minerai et en houille de qualité convenable présentèrent aussi des difficultés tout-à-fait inattendues ; d'ailleurs, les mélanges des diverties sortes de minerais, et la forme précise qu'il convenait, d'après la nature de ces minerais et celledu coke , de donner à l'intérieur du fourneau , n'avaient pu être assez étudiés. En métallurgie, les expériences sont lentes, et souvent la question commerciale empêche la solution de la question métallurgique. Ces circonstances nuisirent au succès du premier fondage , qui produisit beaucoup moins de fonte qu'on n'espérait en obtenir, et elles accrurent les dépenses de la compagnie au-delà de ses ressources du moment. M, de Gallois, absorbé par la partie d'art de son entreprise , ne put pas donner tous les soins nécessaires à toutes les branches de la partie administrative. Peu secondé, sous ce rapport, par les personnes placées sous ses ordres, il souffrait vivement des retards, des obstacles qu'éprouvait le développement du projet auquel il s'était consacré depuis huit ans avec un dévouement si absolu ; il se résolut, en 1823, à donner sa démission de directeur-administrateur de la compagnie , ne se réservant que le bienveillante faculté d'aider son successeur de ses conseils. « Je crois avoir rempli ma tâche», écrivait-il à cette époque à M. le Directeur général des Ponts et Chaussées et des Mines ; « avec d'autres circonstances j'aurais fait mieux et plus vite. Je ne crois point qu'il ait dépendu de moi d'obtenir immédiatement un succès plus complet. L'éducation des hommes et la disposition des choses qui se rattachent à une industrie nouvelle forment un problême très-compliqué , dont les élémens inconnus ne peuvent se résoudre tous à-la- fois. Il a fallu un certain courage pour , le premier , oser le tenter seul ; et c'est tout le mérite que je prétends avoir eu. Quels que soient les inconvéniens qu'on a rencontrés, l'établissement subsiste , ses bases sont bonnes , et il ne peut mnquer de prospérer et de remplir le voeu des actionnaires. L'exemple ne tardera pas à être suivi par de nombreux imitateurs, et la France trouvera un grand ensemble de ressources qui manquaient jusqu' présent à son industrie, etc. »

L'expérience a fait reconnaître la justesse de ces prévisions : un second haut-fourneau a été construit à Terre-Noire à côté du premier, et la machine soufflante de ces deux fourneaux suffira encore à l'établissement du troisième, pour lequel tous les travaux de fondation ont été exécutés par M. de Gallois; d'autres usines du même genre se sont élevées depuis et s'élèvent tous les jours, soit aux envorons de Saint-Etienne, soit ailleurs, et une fabrication d'une haute importance est acquise à l'industrie française.

Un résultat aussi précieux des talens et du dévouement d'un ingénieur ne pouvait manquer d'être aperçu d'avance et apprécié par l'administrateur éclairé qui avait encouragé ses efforts. En juillet 1823, M. le Directeur général des Ponts et Chaussées et des Mines fit un voyage à Saint-Etienne , et visita l'usine de Terre-Noire : le haut-fourneau donnait peu de produit, le directeur était sur le point de quitter l'administration de l'entreprise; mais ces apparences facheuses n'empêchèrent pas que justice fut rendue à M. de Gallois, et le 23 août 1823 il fut nommé chevalier de l'ordre royal de la Légion-d'Honneur ; l'année suivante, il fut promu à la première classe de son grade.

La santé de M. de Gallois, toujours faible, souvent tout-à-fait dérangée, avait encore reçu une atteinte grave des fatigues et des chagrins que lui avait causés son entreprise : plusieurs fois, dans ses dernières années, il fut obligé de demander des congés pour aller chercher à la rétablir, soit dans son pays natal, soit en passant l'hiver en Provence. Dans un de ses voyages , il séjourna quelque temps à Vence et à Nice , et rédigea un mémoire sur la géologie des rives du Var. Plusieurs objets de service, et notamment l'instruction des demandes en concession des mines de houille de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme, furent aussi pour lui l'occasion de travaux pénibles et longs. Cependant l'établissement qu'il avait fondé commençait à prospérer : la marche et le produit du haut-fourneau étaient devenus conformes à ce que M. de Gallois, avait annoncé dans ses devis ; il jouissait dé ce succès, et les actions de la Compagnie avaient acquis une valeur supérieure d'un cinquième à leur valeur première.

En juillet 1825, M. de Gallois alla prendre les eaux du Mont-Dore ; loin d'en éprouver de bons, effets , il en revint souffrant , faible, tourmenté d'insomnies et d'une grande irritation nerveuse qu'augmentaient encore le défaut absolu de régime et la continuelle tension de son esprit sur des objets sérieux. II se disposait à entreprendre des courses de service dans le département du Cantal , et voulut se reposer quelques jours à Clermont.... Le 25 août il y est mort , loin de sa femme et de son fils , dans un violent accès de fièvre, déterminé par un bain froid qu'il avait pris imprudemment dans la matinée.

Un semblable malheur n'avait pas besoin d'être aussi inattendu, pour plonger dans la désolation la famille de M. de Gallois, et pour être déploré par toutes les personnes qui avaient avec lui des relations même éloignées. Son caractère essentiellement bon et inoffensif, sa moralité scrupuleuse , ses sentimens empreints d'une candeur comparable à celle de l'enfance, attachaient à lui tous ceux dont il était connu. Son esprit, étendu et pénétrant, saisissait promptement l'objet qui le frappait , et l'approfondissait ensuite avec autant de vivacité que de persévérance. Il était un excellent homme et un ingénieur très-distingué ; il a rendu à l'industrie de son pays un éminent service ; il a péri à l'époque où il allait jouir du fruit de ses talens et de ses travaux. Sa fin prématurée laisse de profonds regrets dans le Corps auquel il appartenait, et où il contait autant d'amis que de camarades.
 



 
Texte publié initialement dans "Ecole Polytechnique, Livre du Centenaire (1794-1894), tome III, Gauthier-Villars, 1897

Louis-Georges-Gabriel DE GALLOIS-LACHAPELLE (promotion de 1794 de Polytechnique) est né en 1775, à Saint-Léonard (Bas-Rhin), est mort Ingénieur en chef à Clermont, le 25 août 1825; après avoir été occupé, de 1804 à 1814 , dans l'administration des établissements miniers et métallurgiques des pays conquis, il fut envoyé en service à Saint-Etienne, lors de sa rentrée en France en 1814. Il s'adonna avec une sorte de passion à l'utilisation, dans la sidérurgie , du fer carbonate des houillères qui était alors à peu près totalement inconnu en France. Ayant refusé la chaire de Docimasie de l'École des Mines de Paris, il alla passer seize mois en Angleterre pour y étudier à fond ses mines, ses usines et ses chemins de fer. Il donna sur tous ces sujets, dans les Annales des Mines, des Mémoires étendus et très complets. Revenu, en 1818, à Saint-Etienne comme professeur de Métallurgie à l'École des Mines de cette ville, il fonda la Compagnie des Mines de fer de Saint-Etienne, dont il était le directeur-administrateur, tout en restant, suivant les habitudes du temps, Ingénieur en chef de l'arrondissement du Puy-de-Dôme, Haute-Loire et Cantal. Le but particulier de cette Société était d'exploiter le minerai de fer carbonate des houillères et de le traiter dans trois hauts fourneaux au coke, à l'usine de Terrenoire, qui devait pendant un demi-siècle avoir une existence non sans importance, bien qu'elle ait tristement fini. En 1828, de Gallois, rebuté par les difficultés inhérentes aux débuts de pareilles organisations, donna sa démission de directeur-gérant pour se consacrer exclusivement à son service administratif. Le succès de sa création n'allait pas tarder à s'affirmer; en 1825, les actions faisaient une prime d'un quart. Ingénieur remarquable, doué de connaissances techniques sûres et étendues, de Gallois n'avait pas eu les qualités commerciales nécessaires à la tâche qu'il avait entreprise.

De Gallois fut un des Ingénieurs les plus mêlés à l'administration des pays conquis. En 1804, il était d'abord envoyé à l'île d'Elbe, pour surveiller l'exécution du décret qui avait concédé les mines de fer de cette île ; la déchéance des concessionnaires ayant été prononcée, il organisa le service de ces exploitations, qui firent partie de la dotation de la Légion d'honneur. En 1810, il fut chargé, comme Ingénieur en chef, avec le concours de deux Ingénieurs ordinaires, d'administrer les mines de la Carinthie et des provinces illyriennes; il prit en 1811 et garda jusqu'à la chute de l'Empire, en 1814, la direction des établissements d'Idria, dans la Carniole, qui avaient été affectés également à la Légion d'honneur. Cette vaste entreprise occupait 1200 ouvriers, donnait un produit brut de 2 millions et un produit net de 600000 à 700000 francs. De Gallois exécuta des travaux d'amélioration considérables et organisa notamment le flottage des bois dans des conditions qui n'ont pas été modifiées depuis.


 



 
Extrait des Mémoires de J.B.Boussingault, élève à l'Ecole des mines en 1818 :

M. de Gallois, Alsacien de Strasbourg, devait professer la métallurgie, mais il ne remplissait pas sa chaire. M. Thibaud, aspirant des mines, le suppléait. Thibaud avait ses idées tournées vers les spéculations lucratives, il était laborieux, mais brouillon et pédant, il est mort ingénieur en chef.
 



 
Voir aussi :