Georges Noël BESSE (1927-1986)


Georges BESSE et son épouse

Sommaire

Né à Clermont-Ferrand, mort assassiné à Paris le 17 novembre 1986.
Georges Besse est le fils de Vincent Besse, employé poseur de lignes des PTT, et de son épouse née Marie Bonnet. Marié en 1957 à Françoise Chagot, ancienne élève de l'Ecole Normale Supérieure, agrégée de lettres. Enfants : François, Christophe, Marie-Georges, Hélène, Cécile.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1948, sorti classé 2ème), et de l'Ecole des mines de Paris (sorti en 1953, classé 5ème sur 10 corpsards ; voir relevé des notes). Corps des mines.

L'un des hommes du nucléaire français avec André Giraud, Pierre Guillaumat, Michel Pecqueur. Il construit le centre de Pierrelatte. De 1970 à 1973 il est président de CIT-Alcatel, puis il revient au nucléaire avec la présidence du directoire d'Eurodif (1974-1976), et de la Cogema (1976-1982) ; il construit l'usine d'enrichissement de Tricastin. Entre 1982 et 1984, il est à la tête de Péchiney-Ugine-Kuhlmann qu'il réorganise. Président directeur général de la Régie nationale des Usines Renault. Il est assassiné le 17 novembre 1986 ; son successeur à la tête de Renault fut un autre ingénieur des mines, Raymond Lévy.

1953 : stage d'un an aux mines de Bazailles
1954-1955 : service des mines de Béthune
1956-1958 : directeur industriel du CEA
1958-1967 : directeur général de la société de construction de l'usine de Pierrelatte de séparation isotopique
1965-1970 : directeur général du Groupement atomique Alsacienne-Atlantique
1969-1973 : directeur général puis président d'Alcatel
1974-1976 : président d'Eurodif
1976-1982 : directeur général puis président de la Cogema
1982-1985 : président de Péchiney-Ugine-Kuhlmann
1985-1986 : président de Renault (après Bernard Hanon). Assassiné par deux jeunes femmes d'Action directe (jugées et condamnées en 1989).

Commandeur de la L.H. à titre posthume.


GEORGES BESSE (X 48) 1927-1986

par Jacques LESOURNE (X 48)

La Jaune et la Rouge, Août/septembre 1987.

IL y a huit mois, Georges Besse est tombé sous les balles des tueuses et déjà s'est amorcé l'inexorable processus qui fera qu'au fil des années - en dehors du cercle de sa famille et de ses amis qui garderont intacte sa mémoire jusqu'à ce que la mort, à leur tour, les atteigne - son souvenir continuera à s'estomper et à se dissoudre. Dans deux ou trois décennies, il ne subsistera plus que chez deux groupes d'historiens, ceux de l'économie et de l'industrie françaises qui salueront au passage l'un des grands constructeurs du secteur public de la deuxième moitié du XXe siècle et ceux de la triste aventure du terrorisme qui se concentreront sur le symbole choisi par une poignée de marginaux pour tenter d'atteindre la société tout entière.

Mais alors l'essentiel risque d'être à jamais perdu, car l'homme aura disparu derrière la succession de ses fonctions et les circonstances de sa mort. Or, cet homme avait quelque chose d'unique et le seul témoignage que ses amis se doivent de léguer à l'avenir est de chercher à faire comprendre la texture même de cette unicité.

" Un homme de granit " a écrit Jacques Julliard. Oui, si cette expression désigne la matière de la " statue intérieure " qui donnait à la personnalité de Georges Besse sa solidité et sa continuité. Non, si le terme évoque une résistance passive et brute aux actions de l'environnement, car la réalité profonde était avant tout chez Georges Besse l'équilibre dans les relations avec le réel.

Le secret de cet équilibre ? Je pense qu'il était triple.

Il y avait en lui un noyau dense, inaltérable à toute corrosion, un Surmoi de valeurs simples. La vérité, l'honnêteté, la responsabilité, l'amitié. C'est là qu'il puisait sa sécurité et la force tranquille qui lui permettait d'agir sans être écartelé par l'adversité et sans connaître le frein de l'inhibition.

Mais autant Georges Besse était inébranlable sur l'essentiel, autant il se gardait d'attacher une valeur propre aux multiples objectifs intermédiaires que la vie l'amenait à poursuivre. Aussi, cet homme, l'un des plus droits que j'aie jamais connus ne s'embarrassait-il pas du fatras de cas de conscience qui épuise l'énergie de certains et leur masque le réel, car il se sentait à tout moment capable de séparer, quant aux valeurs, le fondamental de l'accessoire.

Le troisième de ses secrets était celui de son intelligence. Une intelligence des êtres et des choses, concrète, pénétrante, apte à choisir les faits majeurs, à les interpréter en vue de l'action, et qui ne se laissait jamais distraire par l'attraction des jeux intellectuels. D'où une sûreté de jugement peu commune. Du bon sens, aurait dit Georges Besse par modestie, mais que signifie le bon sens lorsque l'on est confronté à des situations complexes et nouvelles ?

Cet équilibre dans les relations avec le réel, rien ne le montre mieux que la nécessité lorsque l'on parle de lui de qualifier chaque proposition pour en limiter la portée. Que l'évocation concerne le dirigeant ou l'ami.

Il n'aimait pas le clinquant, le superficiel, la mode et il eût trouvé indigne de profiter de ses fonctions à la tête de Renault pour devenir une vedette des médias. Pourtant, il n'a pas hésité, lorsqu'à l'automne de 1986 vint le temps du salon de l'Auto à aller au charbon pour redresser l'image de la Régie. Et il passa l'écran, car il fut vrai, avec des mots simples qui exprimaient ses convictions profondes.

Il a été le patron incontesté de toutes les équipes qu'il a commandées, d'Ussi à la Cogema, de Péchiney à Renault. Un patron dur et exigeant. Mais un patron travailleur, stable, capable de donner sa confiance et toujours prêt à aider. Aussi a-t-il pu créer des équipes enthousiastes et remettre sur le droit chemin des groupes démoralisés. Et il l'a fait sans qu'émane de sa personne ce narcissisme exacerbé si commun à bien des PDG et qui rend étouffante autour d'eux l'atmosphère de culte de la personnalité. De même, à sa fermeté vis-à-vis des individus qui avaient failli, ne venait se mêler aucune trace de ce sadisme si fréquent chez les hommes assoiffés de pouvoir. Cela, l'ensemble du personnel le sentait d'instinct, lors de la visite d'une usine ou d'un atelier ou à travers les messages que véhiculait le tam-tam intérieur. Et, après sa mort, les messages les plus émouvants que reçut Françoise Besse furent souvent ceux d'humbles collaborateurs de la Régie qui le connaissaient à peine.

De la vie industrielle, il a assumé la plénitude des contraintes, acceptant comme une évidence la nécessité du profit et n'oubliant jamais qu'un franc de gagné était un revenu supplémentaire à distribuer, un franc d'économisé une épargne dans le travail des hommes ou la consommation des ressources.

A l'opposé des marchands d'illusions, cette espèce que produit à la chaîne notre société, il savait que pour sauver des emplois il faut parfois en sacrifier. Aussi a-t-il toujours abordé les problèmes de réductions d'effectif avec honnêteté, ténacité et pragmatisme. Comment ne pas garder en mémoire le redressement spectaculaire de la productivité de Renault en 1985 et 1986 sous l'effet d'une diminution du personnel conduite avec souplesse et fermeté ?

Il n'avait pas eu besoin de manuel pour comprendre que la gamme des activités d'un groupe industriel n'est pas une donnée pour l'éternité, mais doit être adaptée en permanence en fonction du potentiel de chaque élément du porte-feuille. Lorsqu'au lendemain des nationalisations de 1982, il hérita d'un groupe Péchiney affaibli par l'étendue et l'hétérogénéité de ses actifs, il n'hésita pas à le recentrer sur ses métiers essentiels, tout en négociant durement avec les repreneurs les conditions de cession des secteurs abandonnés. Je le vois encore me racontant comment, dans les dernières heures du marchandage, il avait, pour mieux faire monter les enchères, réparti les prétendants entre des pièces distinctes d'un même immeuble !

Mais le management n'est pas seulement l'art de mettre en harmonie les moyens et les fins. Il est aussi, comme pour les régates, celui de savoir combiner l'adaptation aux données du court terme et la poursuite d'objectifs plus lointains. Cet art, Georges Besse le possédait mieux que personne. Ferme dans ses intentions, il savait agir avec souplesse, exploiter des occasions, contourner les obstacles, laisser le temps faire son oeuvre. Mais cet empirisme du quotidien ne l'empêchait pas de maintenir, tant qu'il paraissait réaliste, le cap qu'il s'était fixé. Il est une seule question que l'interruption brutale de sa carrière laissera à jamais sans réponse des faits car les circonstances ne lui en ont pas donné le temps : son aptitude à formuler une stratégie industrielle à longue portée. Pourtant, rien ne permet d'avoir un doute à ce sujet.

Ce dont je suis convaincu, c'est que la carrière de Georges Besse ne doit rien à la chance. Certes, il eût pu ne pas accéder à la présidence de la Régie, mais tôt ou tard, il serait apparu comme l'homme indispensable à la conduite d'un autre grand groupe industriel.

Oui, Georges Besse a été un grand professionnel, et sans doute apprécierait-il, s'il était encore des nôtres ce jugement sobre que bien peu méritent à chaque génération et dont il saurait reconnaître tout ce qu'il contient d'estime et d'amitié.

Pourtant, j'ai peur que cette description trop froide ne communique pas la vitalité et la chaleur humaine qui émanaient de lui car l'équilibre dans les relations avec le réel n'a pas été seulement la clé de sa réussite professionnelle. Il lui a permis de réussir sa vie.

Une vie où l'intelligence a eu sa part. Non qu'il fût un intellectuel. Il se méfiait au contraire des théories trop abstraites qui ne s'enracinaient pas dans les faits. Mais il aimait les jeux de l'esprit lorsqu'ils s'appliquaient aux faiblesses des hommes et aux tares de notre société. Nul ne l'a mieux dit que Jacques Julliard : " Georges Besse avait souvent la dent dure, on le sait. Dans le privé, cette férocité mêlée à l'humour prenait la forme d'une formidable amplification quasi-méridionale, que nul ne pouvait arrêter et qui se nourrissait de ses propres excès. Alors, comme à Gravelotte, les traits tombaient tous azimuts ; les ministres, les députés, les patrons passaient parfois à la table familiale un bien mauvais quart d'heure. L'indignation de Besse ne procédait jamais de la méchanceté mais du sens le plus exigeant du service de l'État que j'aie jamais rencontré. Sa méfiance à l'égard du politique n'était pas poujadiste : d'instinct, il prenait le parti des petits contre les grands et méprisait les carriéristes. " Aussi, ne faut-il pas s'étonner s'il eût pour amis quelques-uns des plus grands intellectuels de ce temps. Beaucoup les séparait, mais ils se retrouvaient sur le sol d'une éthique commune et par le véhicule de l'intelligence.

L'amitié, en effet, a tenu une grande place dans la vie de Georges Besse. Non cette amitié mondaine qui relie entre eux les représentants du Tout-Paris et où l'affection n'a nulle part. Mais l'amitié simple, confiante, fidèle. J'en ai moi-même fait l'expérience. Pendant longtemps, nos activités nous avaient éloignés et nos contacts s'étaient faits rares. Plus de mon fait d'ailleurs que du sien. Le corps à corps avec l'aventure dans lequel je m'étais lancé en créant la SEMA ne me laissait guère de disponibilité humaine. Puis un jour, - il présidait alors la COGEMA - nous nous sommes retrouvés autour d'un déjeuner en tête-à-tête. Et nous avons l'un et l'autre parlé vrai. De nous. De notre travail. Du monde. Et ce fut le point de départ d'une amitié nouvelle que j'imaginais alors se développant sur de nombreuses années. D'autant plus que cette amitié, loin de se refermer sur nous-mêmes, s'étendait tout naturellement à sa femme et à la mienne.

Je ne franchirai pas le seuil du domaine le plus intime de la vie de Georges Besse, mais dans l'accord de leurs personnalités exceptionnelles, Georges et Françoise formaient l'un des couples les plus émouvants que la vie m'ait donné de rencontrer et, au lendemain du drame, Françoise a été telle que Georges l'eût souhaité. Juste et simple dans la vérité de la souffrance.

Mais que l'horreur de la tragédie ne cache pas cette certitude. Georges Besse est mort heureux. Heureux de savoir qu'il avait sauvé Renault. Heureux de l'épanouissement de sa famille. Heureux de vivre.

Jacques LESOURNE (X 48)


MINES Revue des Ingénieurs, janvier 1987

GEORGES BESSE (P50)
un Homme, un grand patron

Allocution prononcée à ses obsèques, le 21 novembre 1986 par André GIRAUD (P 46)

Georges,

Il est dur de te dire «Au revoir». D'abord parce que nous sommes tous ici malheureux, bouleversés et révoltés par les conditions de ta disparition. Et puis parce que sur les sujets qui serrent le coeur, tu n'aimais pas beaucoup les mots, juste ceux nécessaires pour agir et les silences; ou bien, lorsqu'ils te concernaient, tu les cachais sous la plaisanterie ou sous un grand rire chaleureux.

Mais aujourd'hui, les Hautes Autorités de l'Etat, et le Gouvernement m'ont fait le grand honneur de me charger de leur message sans doute parce qu'ils savaient le prix que tu attachais à l'amitié. Ce message est aussi celui des personnalités qui ont eu à coeur d'assister à cette cérémonie et j'en suis sûr de tous les gouvernements et de tous les responsables qui t'ont confié successivement un morceau du destin de la France. La presse nationale et internationale, les radios et les télévisions ont rappelé ta vie et tes résultats. Chaque citoyen sait aujourd'hui ce qu'il te doit, quelle est ton oeuvre d'homme de décision, d'intelligence et de courage; elle est jalonnée de grandes réalisations, de défis majeurs pour le pays, acceptés, relevés et surmontés à la tête de groupes d'hommes que tu savais amener à se surpasser en leur parlant vrai, en travaillant dur, en respectant leur dignité, en insufflant la passion et si possible la gaieté dans leur vie professionnelle.

Georges BESSE, la France est fière de toi. Ton action est en marche. Elle sera poursuivie.

A l'hommage qu'ils t'ont rendu avant hier en Conseil des ministres, le Président de la République et le Premier ministre ont ajouté l'expression de leur affliction car la France est triste aussi. Et elle est indignée. Un mot de tragédie me revient: «Quand le crime porte atteinte à la dignité humaine, infeste un peuple, pourrit sa loyauté, il n'est pas de pardon».

Je ne peux m'exprimer au nom de ta famille. Nous saluons son courage. Tu peux être fier d'elle. Françoise et les enfants savent dans l'épreuve, unis comme toujours, être à la hauteur de celui qu'ils aiment tant. Ils vont t'accompagner pour ton dernier voyage vers ces paysages calmes où tu retrouvais la vie simple et tranquille. Nous les suivrons par la pensée en prenant part à leur peine.

Je voudrais te parler au nom de tes amis qui nous entourent de leur présence proche ou lointaine:

Ceux qui t'ont connu enfant, dans cette Auvergne qui vient d'avoir l'idée touchante de te décerner sa médaille, où tu as appris le goût du terroir, des fruits et des fleurs, dans ta famille qui t'a enseigné ce que signifiaient la vie modeste, l'honneur du travail obstiné, la valeur de la dignité et de la discrétion.

Ceux de l'X où tu as éprouvé les premières satisfactions de la réussite et le sentiment que tu étais armé pour te mesurer aux grandes causes.

Les mineurs et les porions dont tu avais tenu à partager la vie difficile au commencement de ta carrière d'ingénieur,

Ceux de l'épopée atomique qui a été la grande aventure de ta vie, 25 ans intenses, où tu disais avoir certainement vécu tes meilleures émotions d'ingénieur. Ils sont là, les mousquetaires de Pierrelatte, de Marcoule, ceux du CEA, d'USSI et de GAAA dont tu étais l'un des premiers animateurs. Les résultats appartiennent maintenant à la légende. En te remettant ta décoration décernée déjà à titre exceptionnel - comme celle que va te remettre tout à l'heure le Président de la République - le Général de Gaulle disait: «Ce sont des réalisations comme cette usine de Pierrelatte, qui permettent de montrer et de présenter ce que vaut un peuple, ce qu'il vaut dans son temps, ce qu'il sait faire, ce qu'il veut faire... Cette réalisation est donc acquise pour la France et, en même temps, cette construction est une oeuvre qui ouvre au monde entier, et pour commencer à l'Europe, des perspectives nouvelles et très étendues. Comme nous sommes un grand peuple au milieu des autres, nous avons voulu qu'une telle réalisation contribue d'une manière directe à écarter de nous la guerre, et en même temps, nous en faisons une base pour un développement industriel, pour un développement nouveau de l'énergie et par conséquent de progrès».

Ta carrière nucléaire devait s'interrompre pour une initiation aux domaines du téléphone et de l'électronique, à Alcatel.

Plus tard, ce fut le temps d'Eurodif et de Cogéma, où l'ambition industrielle et internationale de nos équipes nucléaires s'est affirmée. Ils sont là, ceux d'Eurodif qui ont relevé le défi impossible du Tricastin et l'ont gagné dans les délais et dans les prix. L'usine fonctionne, livrée à l'admiration des étrangers. L'étape suivante fut la Compagnie générale des matières nucléaires, fruit d'une transformation du CEA dont elle reprenait les mines et les usines. A cet ensemble tu as donné une âme. Arrivé précédé de ta réputation d'homme de rigueur, au moins bourru sinon un peu colérique, pas très commode et ne s'en laissant pas compter, tu les avais bientôt conquis. Sous l'homme d'action, chef d'exception, la retenue ne pouvait empêcher de laisser percer la sensibilité. Il te fallut beaucoup d'habileté et d'ambition pour vaincre les obstacles nationaux et internationaux, techniques et financiers et faire de La Hague le plus grand chantier d'Europe et de Cogéma la première dans son domaine et le premier exportateur sur le Japon. Ils sont là bien sûr ceux de Cogéma et ils sont là aussi ceux de Pechiney qui se souviennent de tes propres paroles: «Je dois vous dire que j'ai beaucoup d'admiration pour le cran et le courage de l'équipe qui est représentée ici. Etre capable en plein milieu d'une crise profonde de se remettre en cause et de repenser les bases de sa propre industrie. Etre capable d'être assez iconoclaste pour toucher ce qui a fait la gloire et la fortune de Pechiney est la preuve d'une très grande classe. Le fait que cette équipe l'ait entrepris toute seule est le signe d'une très grande vigueur».

Il y a ceux de Renault, qui pleurent aujourd'hui le patron qui les sortait du gouffre. Celui qui avait su obtenir d'eux qu'ils consentent les grands sacrifices nécessaires pour vaincre l'adversité. Ils ont admiré l'extraordinaire chef d'industrie en qui ils avaient confiance. Ils ont surtout senti l'homme de coeur, attentif aux humbles, soucieux de limiter au strict minimum les difficultés de chacun.

Tu as dit: «Au milieu de cette avalanche de critiques, les ouvriers ont serré les dents et se sont mis au travail. Il y a eu un effort prodigieux... Cela fait trente ans que je suis dans l'industrie française... Je dois dire que je n'ai jamais vu une chose pareille ailleurs. Je crois que ce pays peut être fier de Renault». En souvenir de toi ils continueront à serrer les dents.

Plus loin, au-delà de ceux qui t'ont approché, au-delà des citoyens de notre pays auquel tu as tant donné, il y a aussi les hommages qui viennent des pays étrangers, d'Europe, des Etats-Unis, du Japon, d'Afrique. Les télégrammes s'amoncellent. Ils font découvrir la réalité et la profondeur de l'amitié et du respect qui t'entouraient.

Je sais lequel de ces témoignages t'aurait le plus touché. Ce sont les paroles d'un de nos amis, ministre d'un Etat africain fier et pauvre, venu porter une lettre de son chef d'Etat à ton épouse et qui m'a dit: «Il incarnait toutes les formes de la France. Il était honnête. Il était vrai. Il était juste».


GEORGES BESSE A LA MINE DE BAZAILLES par Charles PIERRE (P 40)

Octobre 1953 : je suis ingénieur du fond à la mine de Bazailles et André RICHARD, mon directeur, m'annonce: «Nous allons avoir pour travailler avec nous pendant un an, un jeune corpsard, un certain Georges BESSE. On va voir ce que cela va donner».

Cela a donné pour moi une vive amitié, qui est toujours restée aussi sincère et joyeuse, tant lorsqu'il était devenu une personnalité importante, que lorsque nous l'appelions affectueusement, ma femme et moi, «le célibataire de service». Il nous avait conquis.

Il avait également conquis tout le personnel de la mine. Un de nos porions disait: «C'est une force de la nature», en le voyant, après son poste au fond, passer ses après-midi à l'atelier pour la mise au point de son matériel d'essais. Et le chef d'atelier m'avait un jour affirmé: «Il sait tout, ce gars-là», mettant, par cette formule, en valeur l'intelligence pragmatique de Georges. Il était enfin devenu un réel ami des ouvriers de l'équipe que nous lui avions confiée. Très rapidement, l'un d'eux m'avait fixé: «C'est un bon, vous savez!».

Resté dans l'Est et dans le domaine des mines de fer, j'ai revu de temps à autre, depuis trente ans, des gens de Bazailles. On m'a, à chaque fois, parlé de lui. C'était au début: « Vous le revoyez toujours, dites-lui bonjour de notre part» et puis ensuite: «Quelle carrière, mais on n'est pas étonné».

20 NOVEMBRE 1986 : Georges BESSE vient d'être assassiné. Nous sommes sur le point, avec ma femme et ma fille, sa filleule, de partir à Paris pour les obsèques du lendemain, lorsque le téléphone sonne. «Ici, Madame Veuve PEDESINI. Est-ce que vous pouvez me donner l'adresse de Madame BESSE? Vous comprenez, Monsieur PIERRE, quand mon mari est mort, Monsieur BESSE m'a écrit une lettre, alors maintenant, je voudrais écrire à sa femme. Vous savez, pour nous, à Bazailles, Monsieur BESSE c'était vraiment un Monsieur».

M. PEDESINI était un des meilleurs ouvriers de la mine, et avait beaucoup travaillé avec Georges BESSE.

Ce coup de téléphone constitue en lui-même un hommage à Georges BESSE, digne à mon avis, d'être ajouté à ce qui a été dit sur lui, tant par les médias que, le jour des obsèques, par son ami, le ministre André GIRAUD.


Mis sur le web par R. Mahl