Léon François Alfred LE CORNU ou LECORNU (1854-1940)

(C) Photo ENSMP

Né à Caen, le 13 janvier 1854.
Fils de François Armand Arthur LECORNU, négociant en dentelles, et de Clémentine Eugénie LIÉGARD. Léon était le 2ème d'une famille de 8 enfants. Son père, Arthur, créa en 1858 la Manufacture Centrale du Calvados, à Caen, dont l'activité consistait à fabriquer de la dentelle réalisée à la main par des femmes de pêcheurs. Sa soeur aînée, Marie, entra au carmel de Caen, dont elle devint la prieure ; elle publia un ouvrage sur Sainte Thérèse d'Avilla. Le plus connu de ses frères, Joseph (1864-1931), était ingénieur de l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures ; il créa la Société régionale d'Electricité de Caen en 1894 ; il est très connu pour ses recherches sur les cerfs-volants, relatées dans des publications personnelles, et gagna le grand prix de l'Exposition universelle de 1900 en faisant voler un grand cerf volant multi cellulaire oblique qu'il avait conçu.

Marié le 7/2/1882 à Henriette FAVREAU (1860-1949), artiste peintre de talent qui exposa au Salon de Paris un portrait de son mari, et qui réalisa aussi un chemin de croix qui se trouve dans l'église de Marest sur Matz (60490). Ils ont eu 5 enfants :

Léon LE CORNU et Henriette FAVREAU ont eu 15 arrière-petits-enfants.

Prix d'honneur au Concours général de mathématiques spéciales (1872).
Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1872, sorti classé 2ème), et de l'Ecole des Mines de Paris (entré en 1875, sorti classé 1 en 1878). Corps des mines.
Docteur es sciences mathématiques.


Léon LeCornu peint par son épouse Henriette
Coll. privée

Résumé de carrière : Léon LE CORNU, ingénieur des chemins de fer de l'Ouest et de l'État, assure le Contrôle technique des Chemins de fer de l'Ouest et de l'État (1878-1910). Il devient inspecteur général des mines et membre de l'Institut.

Informations recueillies auprès de son petit-fils, Claude LeCornu :

Léon était un garçon espiègle, étourdi et économe. A 10 ans, il est déja le 2ème de sa classe de 6ème, au lycée Malherbes à Caen. A 17 ans, il obtient le baccalauréat scientifique avec mention Très Bien et le 1er prix d'honneur au Concours général de Mathématiques. Il entre l'anné suivante à Polytechnique (1872), classé 3ème, avec la mention "très bon élève mais affreusement étourdi" ; à sa sortie, 2 ans plus tard, classé 2, il est déja licencié es Sciences Mathématiques, avec la note jamais atteinte jusqu'alors de 18,5 sur 20. Au cours de ses études aux Mines, il visite l'Angleterre, l'Autriche, Rome où il obtient une audience du Pape Pie IX.

Dès 1881, la Faculté de Caen le nomme maître de conférences (occupation accessoire). En 1893, alors qu'il est ingénieur en chef des mines, il est détaché comme professeur à la Faculté de Caen. En 1899, il étudie l'alimentation en eau de la ville de Cherbourg. Il est ensuite nommé professeur de mécanique (cours préparatoires) à l'École nationale des mines (1900) et à l'École polytechnique (1904), puis il enseigne à l'École supérieure d'aéronautique et de Construction mécanique. En 1910, il est chargé de conférences d'aviation à l'Ecole des mines. Lorsqu'il habite à Paris (3 rue Gay-Lussac), Léon reste normand dans l'âme. Dans ses mémoires, il cite souvent les "banquets calvadociens" où il retrouve ses amis de province.

Léon n'a jamais eu de voiture, c'était un fervent de la bicyclette et ce jusqu'à 70 ans. Le trajet de Caen à Honfleur ne lui faisait pas peur. Quand il était jeune, il arpentait à pied la campagne caennaise dans le cadre de ses recherches géologiques, et a trouvé ainsi un gisement de fer.
" J'ai de lui, écrit Claude Lecornu, le souvenir d'un grand-père austère et intimidant. En lisant ses mémoires j'ai eu la surprise d'apprendre qu'il avait eu une importante vie mondaine. Il cite des invitations à de nombreuses premières dans les théatres de boulevard, à des concerts et des soirées à l'Opéra. Il participe à 6 garden-partys à l'Elysée, se rend aux bals de l'Ecole des Mines, à diverses réceptions lors de la venue à Paris de personnalités telles que le roi de Suède, celui de Norvège, du Dannemark ou d'Espagne.
Mes derniers souvenirs remontent en 1940 lors de notre évacuation à Saint Aubin sur Mer où il possédait une résidence. A cette époque il était invalide , se déplaçait en fauteuil roulant mais ses facultés intellectuelles étaient intactes. "


Lauréat de l'Académie des Sciences (prix Fourneyron, 1895; prix Poncelet, 1900; prix Montyon, mécanique, 1909);
Il a fait des travaux importants en mécanique rationnelle et pratique, ainsi qu'en analyse mathématique. En mécanique appliquée, il étudie les volants, engrenages, transmissions, moteurs. Parmi ses nombreux ouvrages, citons son "Cours de mécanique professé à l'École polytechnique (1914-1918)".

Membre de l'Académie des sciences en 1910 (section de mécanique, élu le 5 décembre 1910). Vice-président en 1929, président en 1930.

Commandeur de la Légion d'honneur (1925).

Il fut également :


 


ACADÉMIE DES SCIENCES.
SÉANCE DU LUNDI 25 NOVEMBRE 1940.
PRÉSIDENCE DE M. Hyacinthe VINCENT.

Publié dans MEMOIRES ET COMMUNICATIONS DES MEMBRES ET DES CORRESPONDANTS DE L'ACADÉMIE (C.R. 1940, 2e Semestre T. 211 numéro 21) :

Après le dépouillement de la Correspondance, M. le Président s'exprime en ces termes :

C'est avec émotion que nous avons appris la mort de notre Confrère, M. Léon Lecornu. Il était né à Caen, le 13 janvier 1854. Il est, mort le 13 de ce mois, à Saint-Aubin-sur-Mer, laissant après lui une œuvre scientifique de haute valeur et le souvenir d'une existence consacrée tout entière à la recherche et au travail.

Il était Membre de l'Académie des Sciences depuis l'année 1910. En 1930, il était élu Président de notre Assemblée.

La Mécanique, la Géométrie et l'Analyse, la Géologie se sont partagé ses travaux. Dans chacune il a laissé l'empreinte d'un esprit puissant, novateur, original.

Ancien élève à l'École Polytechnique, puis à l'École des Mines, il revint à Caen comme Ingénieur des Mines. La Faculté des Sciences de cette ville l'accueillit comme Maître de Conférences. Mais une destinée plus brillante l'appelait bientôt après à Paris comme Ingénieur en Chef des Mines. Il devint Professeur de Mécanique à l'École des Mines, puis, en la même qualité, à l'École Polytechnique, où il succédait à Sarrau (1904). A ces fonctions, il ajoutait d'autres enseignements tels que celui de Professeur à l'École Supérieure de l'Aéronautique.

Il a laissé partout le renom d'un professeur éminent.

Sa thèse de doctorat es sciences fut consacrée à l'Équilibre des Surfaces flexibles et inextensibles, œuvre magistrale dans laquelle Lecornu démontre comment les tensions normales et tangentielles sur la surface déformée sont liées aux variations de la courbure normale et de la torsion géodésique des courbes tracées sur la surface. Il établissait ainsi le lien essentiel entre la théorie mécanique de l'équilibre et la théorie géométrique de la déformation. Cherchant toujours les applications pratiques de la théorie générale, Lecornu étudia l'équilibre d'une enveloppe fermée de forme ellipsoïdale, soumise à une pression interne uniforme, et montra par le calcul qu'un allongement trop considérable du grand axe d'un aérostat amènerait sa rupture.

En apparence lié au précédent, un autre problème est celui d'une meule cylindrique en rotation. Ce problème était, à cette époque, inabordable par l'Analyse. Lecornu l'étudia et formula une solution qui répondait à tous les besoins de la pratique, en remplaçant le cylindre tournant par un ellipsoïde de révolution. On évite ainsi les difficultés dues à la présence des bases coupantes du cylindre.

Lecornu a établi la théorie de l'équilibre d'élasticité d'un tore soumis intérieurement à une pression constante donnée. Il a résolu élégamment ce problème d'une réelle importance industrielle.

Dans le même domaine de la Mécanique générale, il convient de signaler ses études sur les forces analytiques, sur les mouvements plans, sur le pendule de longueur variable. A ce sujet, Lecornu a résolu une difficulté résultant de l'intervention parfois insoupçonnée de forces intérieures infinies. Notre Confrère discute et explique, dans une Note d'une grande profondeur, divers exemples simples qui font apparaître des difficultés de ce genre et qui amènent divers paradoxes, notamment celui bien connu de l'escarpolette.

En Mécanique appliquée, Lecornu a montré que nombre d'appareils industriels, construits sans doute suivant des principes exacts et applicables à des modèles réduits à une simple expression théorique, devenaient, dans la pratique, inefficaces. C'est ainsi que l'on admettait communément que, dans un indicateur de Watt, les déplacements de la tige sont proportionnels à la pression qu'il s'agit de mesurer. Or l'inertie s'ajoutant aux résistances passives détermine, en réalité, un écart important entre la position statique et la position observée. Lecornu montre, dès lors, que cet écart, négligeable pour les petites machines à faible vitesse, devient sensible et même très grand pour les locomotives ou les machines modernes à vitesses considérables. Il indique ensuite le moyen d'éliminer pratiquement les influences perturbatrices. Il fait mieux encore : il construit un appareil qui fournit immédiatement, pour l'évaluation du travail total, la correction que doit subir l'aire du diagramme classique.

En ce qui concerne les régulateurs, auxquels il a consacré une belle étude, il a calculé et fait connaître les meilleures proportions à établir entre les caractéristiques du régulateur et du volant. Dans son Traité de Mécanique, qui est un modèle d'exposition, Lecornu fait connaître les lois générales ainsi que les lois spéciales à chaque type d'appareils.

C'est à Lecornu qu'on doit la théorie des volants élastiques dont le moment d'inertie est automatiquement variable par l'effet de masses rappelées par des ressorts, et qui peuvent s'écarter plus ou moins du centre, sous l'action de la force centrifuge ou de l'inertie tangentielle. Il en déduit des conclusions que l'industrie n'a pas manqué d'utiliser.

Il a également introduit de nombreux progrès dans le domaine de la Mécanique des engrenages. Il a démontré que l'engrenage épicycloïdal a un rendement supérieur à celui de l'engrenage à développante. Sur le tracé pratique des engrenages à fuseaux, des engrenages à dents circulaires, ses études sont des modèles d'ingéniosité et de précision. Elles comportent des applications pratiques très importantes dans la construction des horloges modernes.

Je mentionnerai encore, parmi les problèmes pratiques qu'il a rénovés ou perfectionnés, la dérive des projectiles, l'équilibre des palans, la transmission du travail dans les machines, la théorie des tuyères; ses études sur la vis sans fin, le joint à la Cardan, les roulements à billes, l'équilibre relatif des solides tournants.

Dans le domaine de la Géométrie infinitésimale, il y a lieu de signaler ses travaux sur les surfaces admettant les plans de symétrie d'un polyèdre régulier, sur les surfaces à pente uniforme et les réseaux proportionnels (qui se rattachent à des mouvements d'un liquide parallèlement à un plan fixe).

Les travaux géologiques de Lecornu méritent aussi de retenir l'attention. Comme Ingénieur en Chef des Mines, il a eu à traiter de nombreux sujets de grande importance. Je citerai, en particulier, ses études sur la question demeurée longtemps obscure de la stratigraphie du terrain silurien en Normandie. Il a démontré qu'on avait affaire à un plissement isoclinal et il a été conduit ainsi à admettre l'existence de minerai de fer dans la région de Maltot, où il n'en avait jamais été signalé. Ce fut pour notre Confrère une légitime satisfaction que la découverte effective de ce minerai à l'endroit qu'il avait exactement prévu.

Cet ensemble imposant de travaux dont je n'ai signalé qu'une partie démontre, chez Lecornu, une activité exceptionnelle, égale à la puissance de son raisonnement, à son originalité et à sa pénétration extraordinaires. Jusqu'à la fin de sa vie, il avait conservé une ardeur au travail toute juvénile. Nos Comptes rendus ont reproduit de lui, presque récemment encore, des Notes nourries de remarques substantielles.

C'est seulement depuis quelques mois que sa santé, jusqu'alors satisfaisante, commença à fléchir. Les événements présents eurent, peut-être, une influence sur elle. Il cessa d'assister à nos séances et dut s'isoler en province. Notre pensée affectueuse l'y a suivi bien souvent.

Léon Lecornu a disparu, laissant le souvenir d'une existence exemplaire toute de droiture et de labeur. Une telle vie, si magnifiquement remplie, honore à la fois notre pays et notre Académie.

Nous nous inclinons respectueusement devant sa mémoire et nous partageons la douleur des êtres chers auxquels la mort l'a arraché.

Je lève la séance publique en signe de deuil.



Lecornu caricaturé par un de ses élèves de l'Ecole des mines de Paris



Lecornu, élève de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique


Lecornu, élève de l'Ecole des Mines de Paris (photo prise en 1877)
(C) Photo collections ENSMP