Jules ROCHE (1854-1881)


Jules Roche, élève de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique

Fils de Adrien ROCHE, fabricant de chaises, et de Marie Nathalie BLANC. Frère de Jean Baptiste ROCHE (1861-1954 ; X 1881 ; fondateur de l'Ecole supérieure d'aéronautique et de construction mécanique).

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1872 ; sorti classé 3 sur 207 élèves), et de l'Ecole des mines de Paris. Corps des mines.

Selon le livre Le Transsaharien de Marcel CASSOU (L'Harmattan,2004) : Jules ROCHE fut un élève particulièrement brillant ; il fit six classes en trois ans au collège de Tarascon. A 18 ans, il fut reçu simultanément à l'Ecole normale supérieure et à Polytechnique, et il choisit cette dernière. La municipalité d'Eyguières décida en 1886 de consacrer 2000 francs pour un monument commémoratif à la mémoire d'un de ses plus intelligents enfants.



Jules Roche, élève de l'Ecole des Mines de Paris (photo prise en 1877)
(C) Photo collections ENSMP


Extrait du LIVRE DU CENTENAIRE DE L'ECOLE POLYTECHNIQUE, tome III page 143

ROCHE, de la promotion de 1872 de Polytechnique, né à Eyguières (Bouches-du-Rhône) le 24 février 1854, avait fait partie de la première mission Flatters en mars-juin 1880; il avait rapporté des Notes intéressantes sur l'Hydrologie et la Géologie de la contrée par lui parcourue.

Il fut massacré à Bir El Gahrama avec la seconde mission Flatters.


NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR M. ROCHE, INGÉNIEUR DES MINES,

par
Georges François Joseph ROLLAND, ingénieur des mines.

Publié dans Annales des Mines, 7eme série, tome XIX, 1881.

Le Corps des mines porte le deuil d'un de ses plus jeunes ingénieurs, mort glorieusement pour le pays au fond du Sahara.

Roche (Jules) est né à Eyguières (Bouches-du-Rhône) le 24 février 1864. Il a fait ses premières études au collège de Tarascon et les a terminées au lycée de Marseille. En 1872, dès sa première année de mathématiques spéciales, il fut reçu à la fois à l'École polytechnique et à l'École normale. Il opta pour l'École polytechnique, d'où il sortit le troisième de sa promotion. Il choisit la carrière des mines. La même année, il passa sa licence ès-sciences mathématiques.

Roche visita, comme élève-ingénieur des mines, les bassins de la Loire et du Gard, puis l'Italie, l'Autriche et la Hongrie, enfin le sud-ouest de la France, l'Espagne et l'Algérie. Il fit ces deux derniers voyages avec son collègue et intime ami Radoureau.

Le 11 avril 1878, Roche fut nommé ingénieur ordinaire de 3e classe, et, bientôt après, chargé du service du sous-arrondissement minéralogique de Besançon. Le 16 mai 1879, il fut envoyé à Nice.

Tous ceux qui ont connu Roche ont apprécié sa valeur. son intelligence distinguée, la variété de ses aptitudes, son esprit fin et critique, son sens droit, et, à l'occasion, son activité et sa force de volonté. Tous ont été attirés par sa physionomie sympathique, l'excessive modestie de son caractère, l'aménité et la douceur extrême de sa nature. Ses amis savent quel coeur loyal et dévoué était le sien. Roche avait le goût des voyages. L'Algérie l'avait séduit, et dès qu'il sut que le ministre des travaux publics organisait les missions du chemin de fer transsaharien, il s'offrit avec ardeur. Le programme était tentant : il s'agissait d'explorer le Sahara et de pénétrer ses mystères. L'idée était grande : il s'agissait de préparer à notre commerce des débouchés nouveaux et d'ouvrir à notre civilisation l'Afrique occidentale.

Roche fut attaché comme géologue à la mission du colonel Flatters. On sait qu'elle avait à étudier un tracé qui prolongeât la ligne de Biskra à Ouargla vers le sud, et aboutît au Soudan entre le Niger et le lac Tchad.

La mission quitta Ouargla le 5 mars 1880. Elle gagna El Beyyodh par Aïn el Taïba. Le colonel Flatters fut ensuite amené, pour nouer des relations avec le chef des Touareg Azdjer, à obliquer au sud-est vers Rhat; il s'avança ainsi jusqu'au 26e degré de latitude environ. Puis, les négociations traînant en longueur, il rentra en Algérie. Un itinéaire différent fut reconnu au retour. D'El Beyyodh à Ouargla, Roche, son compagnon M. Béringer, ingénieur des travaux de l'Etat, et son camarade M. Bernard, capitaine d'artillerie, se détachèrent de la caravane avec quelques Arabes seulement, et explorèrent le gassi de Mokhanza dans une volte rapide et hardie.

Rentré en France au mois de juin 1880, Roche rendit compte dans un rapport au ministre, de la géologie et de l'hydrologie des régions parcourues. Il a consigné les principaux résultats de ses travaux dans une note à l'Académie des sciences (nov. 1880) et dans un article de la Revue scientifique (27 nov. 1880).

Il signale « l'existence, au milieu du massif des grandes dunes de sable, au sud de Ouargla, entre Aïn Mokhanza et El Beyyodh, d'une large région plane de 250 kilomètres de longueur, recouverte seulement de dunes isolées, parallèles, allongées dans la direction du méridien magnétique, et distantes les unes des autres de plusieurs kilomètres. C'est dans la partie orientale de cette région que se trouve, dirigé aussi N. S. magnétique le lit de l'Oued Igharghar, lit sans berges, » etc. Cette découverte est aussi importante au point de vue pratique du chemin de fer transsaharien qu'au point de vue théorique du régime des dunes. Elle prouve qu'on peut aller de Ouargla à El Beyyodh sans avoir une seule dune à traverser; au delà, le pays est libre de sable jusqu'au Soudan.

Entre El Beyyodh et Timassinin, Roche a retrouvé les deux étages crétacés que je venais de constater moi-même dans la région d'El Golea. Ces deux étages forment deux plateaux calcaires successifs, qui couronnent respectivement deux séries d'escarpements marneux et gypseux. L'escarpement inférieur s'est montré fossilifère à Timassinin ainsi qu'auprès d'El Golea : il est nettement cénomanien.

De Timassinin vers le sud-est, la mission a suivi, le long de la vallée des Irharharen, le bord oriental du Tassili ou plateau des Azdjer. Ce plateau est constitué par des grès quartzeux, qui, d'après les fossiles recueillis par Roche, semblent appartenir au dévonien et peut-être au dévonien moyen.

Une seconde exploration fut confiée au colonel Flatters. Il avait à poursuivre vers le Ahaggar le prolongement sud du tracé déjà étudié l'hiver précédent depuis Biskra jusqu'à 100 kilomètres au sud d'El Beyyodb, soit sur plus de 900 kilomètres en Sahara, longueur sur laquelle il s'était montré d'une facilité inespérée.

Roche n'hésita pas à repartir. Plus résolu que jamais, fort l'expérience acquise, plein de confiance dans le succès, il nous disait, l'automne dernier, au revoir. Le 4 décembre 1880, la mission quittait de nouveau Ouargla et enfonçait dans le sud. Elle comptait 10 Français et 82 indigènes, la plupart anciens tirailleurs, avec 3 chevaux, 92 chameaux coureurs ou mehara, et 118 chameaux porteurs. En route, elle s'augmenta de quelques indigènes.

La mission a envoyé quatre courriers. Chacun comprend un journal de route, une carte de l'itinéraire et une note géologique. Grâce à ces précieux documents, témoins de l'ardeur infatigable de nos braves missionnaires, le fruit de leurs découvertes ne sera pas entièrement perdu, et nous pourrons leur élever le monument scientifique auquel ils ont droit.

Voulant explorer, chemin faisant, une région nouvelle, le colonel suivit d'abord une direction intermédiaire entre les itinéraires de sa première mission d'Ouargla vers El Beyyodh et l'itinéaire de la mission Choisy d'Ouargla à El Golea: il remonta, vers le sud-ouest, l'Oued Mya jusqu'à Hassi Inifel (18 décembre), puis un important affluent de cette vallée, l'Oued Insokki, qui vient du sud. D'Hassi Insokki, il se rabattit vers le sud-est, traversant la partie orientale du plateau de Tademayt, jusqu'à la plaine alluvionnaire de Mesegguem (6 janvier).

Dans une lettre datée d'Hassi El Mesegguem, Roche me parlait de la géologie des régions parcourues. Il décrivait le plateau de Tademayt, qui est crétacé, ainsi que nous le pensions. Il était plein d'entrain. Quant au danger, il n'y pensait guère.

D'Hassi El Mesegguem, la mission, continuant vers le sud-est, traversa la partie occidentale du plateau de Tinghert, où elle retrouva les deux étages crétacés signalés plus haut. Puis, de l'autre côté de la plaine alluvionnaire d'Ajemor, elle s'engagea dans l'extrémité sud-ouest des monts Iraouen, formés par des grès dévoniens, au delà desquels elle atteignit Amdjîd (19 janvier), dans l'Oued Igharghar.

L'itinéraire se raccorde en ce point au tracé de Ouargla à El Beyyodh, avec prolongement par l'Oued Igharghar. A partir de là, le colonel Flatters se proposa de suivre l'ancienne route commerciale entre Ouargla et les États Haousa, par la saline d'Amadhôr et les oasis d'Aïr.

L'Oued Igharghar, un peu en aval d'Amdjîd, se trouve resserré entre le Tassili des Azdjer et les monts Iraouen, tous deux dévoniens, s'élargit beaucoup en amont, vers le sud, et forme une immense plaine bornée à l'est par le même plateau de Tassili, et à l'ouest par le plateau de Mouydir, également dévonien. Au delà, le terrain change et Roche découvre une formation puissante de gneiss et de micaschistes. Ce sont eux qui constituent sur le bord occidental les monts Ifettesen, au profil dentelé, et du côté oriental la série des chaînes de montagnes de l'Egueré. On s'engage dans l'Egueré, on remonte l'Oued Tedjert, puis l'Oued Alouhaï. Au fond de cette dernière vallée, Roche trouve une coulée de basalte; il l'a déjà suivie sur 20 kilomètres de longueur. Des coulées semblables, venant de points situés plus au sud, semblent occuper le fond des vallées voisines.

Là s'arrêtent les renseignements. C'était le 29 janvier. On était à Inrhelman Tikhsin, au sud de l'Egueré. Nos voyageurs avaient parcouru plus de 1200 kilomètres depuis Ouargla, dans un pays que jamais pied européen n'a foulé. Ils arrivaient en vue de la saline d'Amadhôr, fameuse dans l'histoire des relations passées entre les États Barbaresques et le Haousa. Les découvertes allaient se multiplier. Bientôt le désert allait finir, et la zone des pluies tropicales commencer. Bientôt on allait voir le Soudan. « Si les choses continuent à aller bien, écrivait le colonel, nous irons à la mer par Sokoto et l'embouchure du Niger. » Projets grandioses que la France suivait avec une attention palpitante, et que la plus odieuse des trahisons devait réduire à néant !

Le désastre dut avoir lieu vers le 16 février. La mission longeait le flanc oriental du grand massif du Ahaggar, sur le chemin de l'Aïr. Elle devait se trouver à 7 journées de marche du puits d'Asiou, dans une région appartenant déjà au bassin du Niger, vers le 22° degré de latitude. Elle était encore sur le territoire des Touareg Ahaggar. Tout porte à croire que que massacre a eu lieu avec la complicité de leur chef Ahitârhen, et à l'instigation des Oulad Sidi Cheikh, ces princes religieux, jadis nos serviteurs, aujourd'hui nos implacables ennemis, dont l'influence occulte s'étend du sud de la province d'Oran, où ils sont réfugiés, dans le Sahara algérien, jusque dans le Touat, et même chez les Touareg, dans la tribu des Oulad Mesa'oud. Tout le monde a lu et relu les circonstances du drame. On terminait une étape. On devait s'arrêter auprès d'un puits, qui, d'après le guide, était au sud-ouest. Le guide prétendit s'être trompé et l'avoir dépassé. Il conseilla au colonel de camper, prétextant qu'il n'y avait pas de pâturage ailleurs. Le colonel donna l'ordre de poser le camp. Les chameaux déchargés furent envoyés au puits. Le colonel, le capitaine Masson, les ingénieurs Béringer et Roche, le docteur Guiard et le maréchal des logis Dennery prirent les devants et partirent en reconnaissance du même côté. Le pays était accidenté. Le puits se trouvait à une heure environ du camp, au milieu d'une vallée aux flancs noirs et escarpés, découpés par des ravins. Quand on fut arrivé, MM. Béringer et Roche, comme toujours actifs et insouciants du danger, se détachèrent et allèrent seuls explorer la vallée.

Le colonel examinait le puits, quand tout à coup, se retournant, il aperçut des masses d'hommes s'avancer vers lui . Il les salua, mais voyant qu'ils avaient le sabre au poing, il courut à sa monture : son propre guide tenait la bride, et, comme le colonel mettait le pied à l'étrier, le traître lui donna un premier coup de sabre. Le capitaine Masson ne put même atteindre son cheval, que le guide envoyé par Ahitârhen avait enfourché. Il y eut une lutte courte et héroïque entre ces quelques hommes de coeur et leur lâches assaillants. Le colonel, le capitaine, le docteur Guiard, le maréchal des logis Dennery succombèrent sous le nombre. Onze tirailleurs et dix chameliers furent tués. Quatre hommes et les deux guides passèrent à l'ennemi. Enfin, quatre s'enfuirent vers le camp, où ils annoncèrent la fatale nouvelle. Quant à MM. Béringer et Roche, on ne les avait pas vu tomber : mais les deux ingénieurs se trouvaient en avant, du côté par lequel étaient arrivés les Touareg ; ils opéraient sans défiance, et avaient dû être les premières victimes.

Mieux valait encore périr par le fer que par le poison, la soif et la faim !

Soixante-trois hommes restaient encore au camp. Mais les chameaux manquaient ! On prit quelques vivres, de l'argent, et l'on battit en retraite à pied sur Ouargla. Retraite lamentable, où ces hommes exténués, harcelés par un ennemi perfide, firent des prodiges de vitesse et déployèrent une énergie inouïe, semant le désert de leurs cadavres, D'horribles détails nous parviennent chaque jour sur la fin de ces malheureux. Les derniers Français ont péri, le lieutenant Dianous, l'ingénieur Santin, l'ordonnance du colonel, et enfin le maréchal des logis Pobéguin. De la mission Flatters, il ne survit que vingt indigènes qui ont pu gagner Ouargla.

Le monde entier a frémi d'indignation à ces nouvelles. La France saura venger ceux qui sont morts pour elle, et prouver aux peuplades du Sahara qu'on n'insulte pas impunément son drapeau.

Le ministre des travaux publics vient de proposer aux Chambres « d'ériger, au souvenir de la mission Flatters, un monument à Ouargla, point de départ de son exploration, à l'entrée même de la région stérile dont elle a fixé la topographie et la géologie, en face du pays de parcours de ces tribus berbères, qui ont opposé à la civilisation ancienne une barrière infranchissable, mais ne sauraient arrêter l'expansion de la civilisation moderne. »

Parmi les braves compagnons du colonel Flatters, parmi ces pionniers pacifiques de l'avenir de la France en Afrique, souvenons-nous avec fierté qu'un ingénieur des mines est tombé le premier, et inscrivons, nous aussi, le nom de Roche en caractères ineffaçables dans nos annales.


Monument à Eyguières en l'honneur de Jules Roche
(C) Municipalité de Eyguières et Marcel Cassou




Plaque commémorative à la mémoire de Jules Roche, qui avait été clouée au mur à l'Ecole des Mines de Paris
Visiblement, il y avait une incertitude sur la date exacte du massacre