Pierre BERTHIER (1782-1861)

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1798) et de l'Ecole des Mines. Corps des mines (mis à la retraite le 22 mars 1848 comme inspecteur général de 2e classe).

Fils de Pierre Jean Baptiste BERTHIER, avocat au parlement, conseiller du bailliage, maire, et de son épouse Anne Antoinette BERTHIER.


Résumé de la carrière de Pierre BERTHIER

Retraité comme inspecteur général des mines de 2e classe (1848), il est membre de l'Académie des sciences dès 1827. Nommé professeur de docimasie et chef du Laboratoire à l'École des Mines de Paris (1816), il conserve ses fonctions jusqu'en 1845, tout en étant suppléé comme professeur par Ebelmen à partir de 1840. En dehors de son "Traité des essais par la voie sèche", couronnement de son enseignement, il donne une série d'analyses dans les "Annales des Mines". Grand savant, à qui nous devons la découverte de la bauxite, il est à l'origine de grands progrès dans la minéralogie et la géologie. Ses analyses portent sur les eaux minérales et les phosphates minéraux, qui en font un précurseur dans l'indication des niveaux phosphatés du gault et d'autres horizons géologiques. Ses analyses sur les cendres des végétaux et les terres végétales éclairent les problèmes fondamentaux de l'agriculture rationnelle ; il est médaillé de la Société impériale d'agriculture. Il fit partie de l'Association polytechnicienne (1830).

Le regard de l'histoire sur Pierre Berthier a changé. Considéré par ses contemporains comme un excellent chimiste, rapide et fiable, il était relégué dans leur esprit à analyser des échantillons envoyés par des géologues de terrain : une espèce de back office au service des "vrais" géologues. Depuis peu les métallurgistes le voient non plus comme un chimiste, minéralogiste et géologue, mais comme l'un des leurs, le vrai inventeur des aciers chromés inoxydables, donc un métallurgiste et des plus grands. Il est vrai que dans son article fondateur de 1821, il avait déja entrevu l'utilisation des aciers chromés pour faire des lames de sabres dalmassées et des instruments de coutellerie. Celui que le corps des mines avait relégué au grade d'ingénieur divisionnaire eut pu, en d'autres temps, recevoir le prix Nobel !


 

NOTICE SUR P. BERTHIER,
MEMBRE DE L'INSTITUT, INSPECTEUR GÉNÉRAL DES MINES.
Par M. DAUBRÉE, Membre de l'Institut, Inspecteur Général des Mines.

Publié dans Annales des Mines, 6e série, XV, 1869 :

INTRODUCTION.

Ce n'est pas seulement pour acquitter une dette de reconnaissance envers l'un des hommes qui ont rendu le plus de services à la science, aux industries minéralurgiques et au Corps des Mines, que nous nous proposons de rappeler ici quelques-uns des travaux les plus saillants de Berthier. C'est aussi pour signaler un modèle à ceux qui entrent dans la carrière, où il a laissé une trace si féconde et si durable. Il est en effet peu d'hommes qui aient su, comme Berthier, faire voir la fécondité de la théorie, au point de vue de l'application.

Beaucoup de ses travaux, qui remontent au commencement du siècle, ont fourni une base solide à ceux d'autres savants : certains sont devenus classiques, sans qu'on se souvienne toujours de celui à qui on en est redevable ; aussi croyons-nous nécessaire d'entrer dans une énumération assez complète de ses découvertes. D'ailleurs, son oeuvre, riche en faits nouveaux, ne comporte pas une exposition succincte, comme si son activité s'était concentrée sur un petit nombre de sujets ; les études de Berthier embrassent, en effet, presque toutes les branches de la minéralogie et de la minéralurgie, en même temps qu'elles éclairent plusieurs questions importantes de la géologie, et que certaines d'entre elles sont d'une extrême utilité pour l'agriculture. Cette notice se divise naturellement en trois parties, dont la première est consacrée à la biographie de Berthier, la seconde à l'exposé de ses travaux, et la troisième à quelques observations sur son caractère et son esprit scientifique.

I.

Pierre Berthier est né à Nemours (Seine-et-Marne), le 5 juillet 1782, dans la même rue, où, un demi-siècle avant lui, était venu au monde le mathématicien Étienne Bezout.

D'anciens documents authentiques constatent qu'à dater du commencement du XVIIe siècle, plusieurs de ses ancêtres furent baillis de Puiseaux-en-Gâtinais, d'où ils paraissent originaires. En 1789, M. Berthier, son grand-père, fut élu député aux États-généraux, pour le bailliage royal de Nemours. Il mourut la même année, presque aussitôt après l'ouverture de l'Assemblée constituante. Le père du savant auquel est consacrée cette notice, fils du précédent, débuta dans sa jeunesse comme avocat au bailliage. Il était maire de la ville en 1793, et sut, par son énergie et le respect qu'il inspirait à la population, maintenir l'ordre pendant la disette, et lors du passage des bandes terroristes des Marseillais. Il fut, pendant de longues années, juge de paix du canton, et termina, en 1844, une carrière remplie par cinquante ans de fonctions publiques, en récompense desquelles il avait reçu la croix de la Légion d'honneur. Il mourut à l'âge de quatre-vingt-huit ans, et sa femme, qui lui survécut plusieurs années, s'éteignit doucement à quatre-vingt-douze ans, après une union de soixante-deux ans et demi.

M. Berthier laissa quatre enfants, deux garçons et deux filles. Pierre, l'aîné, dont nous avons à parler ; Charlotte-Sophie, la seconde, qui épousa, en 1817, M. Charroy, ancien lieutenant-colonel à l'État-major de la vieille garde impériale; Hilaire Paul, qui s'engagea dans les vélites de la garde, devint rapidement officier, et périt dans un naufrage, en vue des côtes de France; enfin Adèle, remarquable par sa beauté, qui épousa, en 1811, M. Gréau de Troyes, l'un des camarades de Pierre Berthier à l'Ecole polytechnique. Après s'être distingué comme officier d'artillerie, il donna sa démission pour prendre la direction de la maison de commerce de son père, et apporta à l'industrie de sa ville natale les ressources de ses connaissances scientifiques ; industriel éminent, il disait que c'était non avec le canon, mais avec la navette qu'il fallait lutter, au profit de l'humanité, contre l'Angleterre, notre ancienne rivale. Madame veuve Gréau, dans laquelle s'éteint le nom de Berthier, est morte le 6 janvier 1868, dans sa quatre-vingtième année.

L'aîné de la famille, Pierre BERTHIER, le seul qui doive nous occuper maintenant, commença ses études au collège de Nemours. Cette ville avait alors une importance relative : chef-lieu d'un bailliage royal ressortissant directement du parlement de Paris, elle renfermait les établissements que comportait un centre administratif et judiciaire.

Entré ensuite à l'École centrale de Fontainebleau, Berthier y fut le condisciple de Poisson. Admis à l'École polytechnique en 1798 (an VII), à l'âge de seize ans, en même temps que ce dernier, il eut la bonne fortune d'entendre les leçons de plusieurs de ses illustres fondateurs, Monge, Berthollet et Fourcroy ; il en sortit en 1801 (an X), pour entrer à l'Ecole des Mines, dont il fut nommé élève, en même temps que M. Migneron, pendant que Chaptal occupait le ministère de l'intérieur.

L'École des Mines était alors à Paris; mais, une année plus tard, elle fut transférée à Moutiers, département du Mont-Blanc. Berthier s'y rendit, avec le petit nombre d'élèves qui consentirent à quitter la capitale, pour aller habiter un pays encore dépourvu de ressources.

Il assista donc à la création du nouvel établissement, et suivit, sous l'habile direction de Schreiber, les intéressants travaux auxquels donna lieu la reprise de l'exploitation de la mine de plomb argentifère de Pesey, qui avait été complètement abandonnée en 1792, à la suite d'une inondation, et était tombée dans le délabrement le plus complet.

En compagnie des professeurs de l'Ecole, il parcourut et étudia les Alpes; des mémoires publiés bientôt après, montrent l'attention qu'il donna aux hauts-fourneaux et aux aciéries de l'Isère.

Nommé ingénieur ordinaire le 27 décembre 1805 (6 nivôse an XIV), Berthier fut d'abord, pendant six mois, attaché à l'inspection de l'Ecole. Puis en 1806, on eut l'heureuse inspiration de l'appeler au laboratoire central établi près du Conseil des Mines, pour y travailler sous la direction du professeur Descostils, et l'aider dans les recherches qu'il avait entreprises, en vue de publier un traité de docimasie. Diverses circonstances ayant empêché cette publication, Berthier inséra dans le Journal des mines un certain nombre de mémoires, qui sont le fruit de son travail personnel, et qui décèlent déjà les qualités de son esprit scientifique.

Malgré ces premiers succès, désireux d'approfondir, sur le terrain et dans les usines, les études vers lesquelles il se sentait si vivement porté, Berthier n'hésita pas à solliciter d'être envoyé dans les départements, et une décision du Conseil, en date du 25 avril 1808, lui confia le service de ceux de la Haute-Loire, du Cantal et du Lot. C'est dans cette région, classique pour la géologie des volcans, et dotée de gîtes minéraux de diverses natures, que le jeune ingénieur resta jusqu'à la nouvelle répartition opérée dans le service des mines. Il fut alors placé au nombre des ingénieurs ordinaires de première classe, par une décision du ministre de l'intérieur du 22 janvier 1811, et, le 11 mai de la même année, envoyé en station à Nevers, sous les ordres de M. l'ingénieur en chef Champeaux ; son service comprenait les trois départements de la Nièvre, du Cher et de l'Allier, si importants par leurs mines de fer et de houille, ainsi que par leurs usines.

Quand la France fut réduite à ses anciennes limites, et qu'il devint nécessaire de former une nouvelle répartition du service, Berthier fut chargé, le 1er août 1814, de remplir les fonctions d'ingénieur en chef dans l'arrondissement de Nevers, qui comprenait les quatre départements de la Nièvre, du Cher, de l'Allier et de Saône-et-Loire. Il remplit ce dernier service pendant près de deux ans.

A la mort de Descostils, M. le directeur général comte Mole lui confia, par une décision en date du 24 mai 1816, la place de professeur de docimasie et de chef du laboratoire de l'Ecole des Mines, fonctions qu'il exerça pendant plus de trente ans, d'une manière si active et si éminemment utile. Nommé ingénieur en chef de deuxième classe en 1823, il fut promu, le 1er mai 1832, à la première classe de ce grade, et, le 22 décembre 1836, nommé inspecteur général. Avec ce dernier titre, il revint au service administratif, et prit la Division de l'Ouest. Toutefois, il continua l'enseignement à l'École des Mines, d'abord avec le concours de M. Regnault nommé, en 1838, professeur adjoint de docimasie, puis avec Ébelmen, qui succéda à ce dernier en 1840, et dont l'Administration avait su apprécier la valeur. Un arrêté du 16 novembre 1845 donna à Berthier le titre de professeur honoraire, et en même temps, Ebelmen fut désigné pour lui succéder. Enfin Berthier fut admis à faire valoir ses droits à la retraite, par un arrêté du 22 mars 1848; il avait atteint la limite d'âge, qu'un récent décret venait de fixer à soixante-cinq ans. Néanmoins, sur la demande de M. Dufrénoy, directeur de l'Ecole, et en raison des services exceptionnels qu'il avait rendus, son laboratoire lui fut conservé.

Chevalier de la Légion d'honneur, depuis le 28 novembre 1828, Berthier avait été promu, le 10 janvier 1835, au grade d'officier du même ordre.

En 1825, lorsque la mort de Ramond laissa une place vacante à l'Académie des sciences, dans la section de minéralogie, Berthier, alors âgé de trente-sept ans, occupait un rang des plus distingués parmi les savants. Cependant, craignant, comme toujours, de se produire, ce fut avec beaucoup de peine qu'il consentit à se mettre sur les rangs; il ne fallut rien moins que les instances d'Arago, qui le connaissait d'ancienne date, et dont l'appui, comme toujours, était acquis au véritable mérite, pour le décider à surmonter sa répugnance et à faire les démarches d'usage. Il fut élu le 16 juillet 1825; il avait pour principal concurrent, un de ses collègues du Corps des Mines, de Bonnard, qui, plus tard, fut nommé académicien libre.

Plusieurs années avant sa mort, vers le milieu de 1858, l'activité de Berthier fut arrêtée par un accident. Un jour il regagnait son domicile, lorsque, aux abords du Louvre, il fut renversé par une voiture ; on le releva sans blessure, mais frappé d'une paralysie, qui s'empara d'un côté du corps. Depuis lors, il ne quitta plus son appartement et dut renoncer à ses travaux de laboratoire, sans que sa vivacité d'esprit se fût sensiblement affaiblie, Il se consolait en recevant les visites d'anciens élèves qu'il affectionnait, et en s'entretenant avec eux. Il succomba le 24 août 1861, à l'âge de soixante-dix-neuf ans. Suivant son désir, ses restes furent transportés dans sa ville natale, auprès de ceux de ses parents, pour lesquels il avait toujours montré une vive affection.

II.

Pour donner une idée, au moins sommaire, de découvertes aussi nombreuses et aussi diverses que celles dont la science et l'industrie sont redevables à Berthier, il convient, non de suivre l'ordre chronologique, suivant lequel elles se sont succédé, mais de les grouper, d'après la nature des sujets auxquels elles se rattachent.

A ce point de vue, le sujet a été partagé en sept parties : minéralogie ; géologie ; cendres des végétaux et terre végétale; phosphates et diffusion du phosphore; minéralurgie; chimie; publication d'ensemble.

Minéralogie.

Ce sont les minéraux utiles, métalliques ou pierreux, qui ont toujours le plus particulièrement attiré l'attention de Berthier.

Aussi les minerais de fer occupent-ils une place importante dans ses recherches. Après avoir montré que ceux que l'on désignait sous le nom de fer hydraté, constituent réellement une espèce, dans laquelle la proportion d'eau est constante, si l'on fait la déduction des substances étrangères, il a décelé et caractérisé les mélanges auxquels cet oxyde hydraté se trouve le plus ordinairement associé. C'est ainsi que dans les minerais dits en grains, il signala le premier, entre autres substances mélangées, un alumino-silicate de fer magnétique, du fer carbonate oolithique, du fer titane en grains cristallins, et l'hydrate d'alumine, substance qu'il découvrit plus tard isolée et en masses considérables. La connaissance des compagnons habituels des minerais de fer, dans leurs divers gisements, n'intéresse pas moins le minéralogiste et le géologue que le métallurgiste.

Le fer spathique avait été longtemps considéré comme de la chaux carbonatée mélangée d'oxyde de fer, à raison des similitudes de forme cristalline et de clivage ; Berthier confirma qu'il constitue une espèce particulière, le fer carbonate. En outre, après avoir annoncé, dès 1808, la présence presque constante du manganèse dans cette sorte de minerai, il appelait plus tard l'attention (en 1826) sur la cause pour laquelle le fer spathique, par suite de sa teneur en manganèse, est spécialement propre à la fabrication des fontes à acier ; en même temps il montrait l'avantage que l'on trouve à fondre des minerais très-manganésifères. On sait que ces principes se trouvent aujourd'hui de plus en plus constatés, et que, lorsqu'il s'agit d'obtenir des fontes destinées à la fabrication de l'acier Bessemer, on cherche à introduire de l'oxyde de manganèse dans les minerais qui n'en contiennent pas en quantité suffisante.

Pour ce sujet, comme pour bien d'autres, les vues de Berthier continuent à servir, chaque jour, de guide.

Depuis longtemps, on avait remarqué, sous le nom de mine douce, un minerai qui paraissait provenir d'une décomposition du fer spathique. En vérifiant le fait, Berthier vitque la décomposition a été accompagnée de l'élimination de la magnésie, que le fer spathique devait primitivement contenir.

En 1819, au moment où les grands résultats obtenus par l'Angleterre dans la fabrication du fer, commençaient à attirer sérieusement l'attention du continent, et où des essais en grand étaient tentés dans le nord de la France, à Anzin, Berthier fit une étude très-approfondie de la composition des minerais de fer que renferment les bassins houillers de notre pays (Essais et analyses d'un grand nombre de minerais de fer).

Après avoir analysé un très-grand nombre de ces minerais de fer, Berthier constata plusieurs faits importants relatifs à leur constitution. Il reconnut que le fer carbonate des houillères, auquel il proposa de donner le nom de fer carbonate argileux, renferme habituellement un corps, dont les caractères extérieurs ne peuvent faire soupçonner la présence, l'acide phosphorique, qui même s'y trouve souvent en forte proportion. Il est juste de rappeler que la présence de ce même corps avait déjà été reconnue, treize ans auparavant, par Vauquelin, dans une autre sorte de minerai de fer, la limonite de la Bourgogne et de la Franche-Comté. En même temps, cette longue série d'analyses faisait ressortir dans quelles proportions variables le minerai des houillères renferme les carbonates de fer, de manganèse, de magnésie et de chaux, ainsi que l'argile, le sable quartzeux et la substance charbonneuse.

On croyait que ce fer carbonate argileux était l'apanage du terrain houiller, lorsque Berthier en fit connaître la présence dans un terrain beaucoup plus récent, à Pourrain (Yonne), où il est associé aux bancs d'ocre que l'on y exploite depuis longtemps, et où il se présente avec la structure oolithique.

Le minerai de fer magnétique de Chamoison, en Valais, attira aussi son attention, à raison de la forte action qu'il exerce sur le barreau aimanté. Quoiqu'il diffère notablement de l'espèce désignée sous le nom d'oxyde magnétique, Berthier constata que le fer y est au minimum d'oxydation, associé à de l'alumine, de la silice et de l'eau, de manière à constituer une espèce nouvelle, à laquelle il donna le nom de chamoisite.

Plus tard, Berthier reconnut une composition assez analogue à cette dernière dans un autre minerai magnétique provenant des environs de Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord), où la couche qu'il constitue appartient au terrain silurien, au lieu d'être subordonnée au terrain nummulitique, comme à Chamoison. Ce dernier minerai magnétique a été rencontré, en d'autres points, associé à la limonite, laquelle se retrouve dans différentes parties de la Bretagne, sur une distance de plus de 160 kilomètres, et à un niveau bien défini du terrain silurien.

Dans son important travail sur la composition des roches volcaniques, Cordier avait établi que le fer titane est habituellement disséminé dans ces roches, en très-petits grains, souvent indiscernables à l'oeil nu. Berthier reconnut ce même minéral dans des échantillons provenant de différents lieux, tels que Maisdon (Loire-Inférieure) et le Brésil; mais dans ces contrées, il constitue des masses considérables, et se trouve subordonné à des terrains stratifiés; c'est donc là un tout autre gisement que le premier. Il crut, en outre, pouvoir conclure que le fer et le manganèse sont, l'un et l'autre, à l'état de protoxyde, et que cette sorte de combinaison comprend, au moins, deux espèces distinctes. Dans les applications qu'il cherchait, comme d'ordinaire, à déduire de ses analyses, Berthier ajoutait qu'il serait très-facile de traiter en grand le fer titane et d'en obtenir de bon fer : il montrait comment, par l'addition d'un fondant convenable, on peut amener complètement le fer à l'état métallique, sans qu'il entraîne de titane. On sait que, depuis lors, on a, en effet, traité le fer titane au Canada et ailleurs, et qu'on a même cherché à en obtenir de l'acier.

Dans ses études sur les diverses combinaisons naturelles du fer, Berthier constata que le minéral, autrefois désigné sous le nom de fer azuré, n'est autre qu'une combinaison d'oxyde de fer au minimum, d'acide phosphorique et d'eau.

Les minerais des métaux autres que le fer ont aussi été l'objet de nombreuses recherches de la part de Berthier.

En 1803, Smithson avait montré que les minerais de zinc, jusqu'alors confondus sous le nom de zinc oxydé, constituent deux espèces tout à fait distinctes, le zinc carbonate et le zinc silicate. En reproduisant le mémoire dans le Journal des mines, Berthier y ajouta un grand nombre d'observations utiles. Ainsi, tout en confirmant que dans la seconde de ces espèces, la silice est en effet combinée avec l'oxyde de zinc, il démontra que l'eau, considérée par Smithson comme accidentelle dans ce composé, y est essentielle, et s'y trouve dans une proportion constante. Il chercha, en outre, à reproduire artificiellement le carbonate anhydre, mais sans y parvenir. On sait que Senarmont imita plus tard ce minéral, dans la belle série d'expériences qu'il institua en recourant à la chaleur aidée de la pression. Berthier est aussi conduit, par la discussion de ses analyses, à des observations très-judicieuses sur la manière de distinguer l'espèce, au milieu des mélanges qui compliquent si fréquemment la composition des minéraux.

Un autre mémoire concerne spécialement l'un des gîtes zincifères de la France, qui, tout pauvre qu'il est, offre de l'intérêt par sa position géologique. La partie inférieure du lias renferme dans le département du Lot, à Combecave, près Figeac, une couche imprégnée de minerai de zinc, que Cordier avait décrite; elle se trouve au même niveau que beaucoup d'autres épanchements métallifères, qui forment comme une auréole discontinue autour du plateau granitique de la France centrale. La roche qui accompagne le gîte a l'aspect d'un calcaire pur; mais la circonstance qu'elle consiste en une dolomie zincifère, contenant 1 p. 100 d'oxyde de zinc, apporte un document intéressant pour l'origine de ces couches métallifères, qui, dans d'autres contrées, sont beaucoup plus développées.

Le cinabre, associé à un grès quartzeux, forme aussi des couches, dont la puissance est considérable, dans les Andes du Pérou et dans la province de Huanca-Yelica. L'une des deux principales variétés de minerai, connue sous le nom de minerai rouge, était considérée comme du cinabre d'une nature particulière, dont on ne pouvait extraire le mercure par les procédés métallurgiques connus. Berthier montra combien on se trompait à ce sujet. D'abord la substance rouge qui domine dans le minerai n'est pas du sulfure de mercure, mais du sulfure d'arsenic (réalgar) dont la couleur avait induit les exploitants en erreur, quoique sa nuance ne soit pas la même que celle du cinabre. En second lieu, ce même minerai renferme réellement du cinabre, et même en proportion plus considérable que le minerai ordinaire, mais en mélange très-intime avec le réalgar, ainsi qu'avec d'autres sulfures métalliques, tels que la pyrite, la blende et la galène. On trouvait ainsi l'explication des maladies spéciales dont étaient victimes les ouvriers des mines de cette région, qui sont restées les plus importantes des deux Amériques, jusqu'à l'époque toute récente (1850) de la découverte des riches gisements de mercure de Californie.

Après avoir donné un procédé simple et exact pour déterminer la proportion de mercure que renferme ce cinabre arsenical, Berthier proposa en outre plusieurs modes à employer, pour le traiter en grand.

En dehors des minerais métalliques proprement dits, les découvertes de Berthier sont aussi très-nombreuses.

L'analyse d'une série de calcaires, qu'il entreprit quelque temps après la publication du beau travail de Vicat sur les mortiers, le conduisit à des conclusions théoriques, dont quelques-unes modifiaient celles auxquelles venaient d'être conduits Vicat et John, sur la cause à laquelle on devait attribuer la solidification des mortiers. Les résultats de ces analyses, confirmés par une série d'expériences synthétiques, prouvent d'abord, que la silice est un principe essentiel à ces sortes de chaux et, en outre, que les oxydes de fer et de manganèse, loin de jouer le rôle important qu'on leur avait attribué, sont, au contraire, en général tout à fait passifs. Quant à l'alumine, Berthier croyait pouvoir conclure, dès 1821, qu'elle contribue à donner de la dureté.

On rencontre des carbonates complexes de chaux, de magnésie, de protoxyde de fer et de protoxyde de manganèse, dans lesquels ces quatre bases se trouvent, en proportions extrêmement variées. Berthier, après avoir précisé la composition d'un grand nombre de ces carbonates multiples, y établit quatre groupes naturels, déterminés par la nature du carbonate prédominant. Il reconnut en outre, au milieu de ces mélanges en proportions très-variables, qu'un minéral qui avait reçu la dénomination de chaux carbonatée ferrifère, ne renferme pas de traces de chaux, et se compose essentiellement de carbonate de magnésie, avec du carbonate de fer en faible proportion; c'est l'espèce qui a reçu le nom de Breunnérite. L'existence du manganèse carbonate, déjà annoncée par divers chimistes, et révoquée en doute par quelques minéralogistes, fut parfaitement démontrée par Berthier, sur des échantillons de Nagyag et de Freyberg.

De nombreuses espèces de la famille des silicates, si importante dans le règne minéral, ont été l'objet d'investigations approfondies de la part de Berthier.

Depuis longtemps, les traités de minéralogie mentionnent les analyses qu'il a données des feldspaths du Mont-Dore et du Drachenfels, de l'obsidienne de Pasco, et du pétrosilex d'Aran. On peut aussi rappeler ses études sur la pouzzolane de Naples et le trass des bords du Rhin, substances dans lesquelles il trouve l'eau à l'état de combinaison, et qui constituent comme des feldspaths hydratés, que l'on pourrait, dit-il, exploiter pour minerai d'alun.

Dans l'un de ses premiers mémoires, dès 1807, Berthier indiquait, dans le phyllade de Cherbourg, la présence de la potasse, sans la moindre trace de soude. Toujours très-circonspect dans ses déductions, il ajoutait toutefois que cette potasse pouvait provenir d'un mélange de feldspath. Peu de temps après, la présence de la potasse, également en proportion très-notable,était constatée par d'Aubuisson dans une analyse très-instructive par ses conséquences. On sait comment ces premiers résultats, si importants pour l'agriculture, non moins que pour la géologie, se généralisèrent, notamment par les travaux de Mitscherlich ; ceux-ci nous ont même appris qu'il est bien peu d'argiles sans potasse combinée.

La constitution intime des argiles a été éclairée par Berthier; il s'est servi de divers agents, acides ou alcalins, pour faire une sorte d'analyse immédiate de ces composés naturels, si intéressants par leur abondance, ainsi que par leur origine et leurs nombreux emplois dans l'industrie.

Le premier, il a appelé l'attention sur des silicates d'alumine hydratés, qu'il a distingués, à juste titre, des argiles proprement dites; elles en diffèrent, en effet, non-seulement par les proportions relatives de leurs trois éléments, mais, sans doute aussi, parleur mode de formation. L'halloysite, d'abord établie comme espèce, sur un échantillon que le vénérable doyen des géologues, M. d'Omalius d'Halloy, avait rencontré à Angleure, près de Liège, fut bientôt retrouvée par Berthier dans les gîtes métallifères d'autres contrées, notamment à Nontron, dans la Dordogne.

C'est aussi dans cette dernière localité que Berthier signala une espèce nouvelle, un silicate de peroxyde de fer, avec de l'eau de combinaison, qui présente l'aspect d'une argile de couleur jaune serin. Cette espèce nouvelle, qui reçut le nom de nontronite, doit donc être séparée bien nettement des ocres jaunes, qui consistent en un silicate d'alumine, simplement mélangé d'hydrate de peroxyde de fer, et dont Berthier avait aussi fait une étude spéciale.

A la fin du siècle dernier, Guettard avait reconnu que le kaolin résulte d'une décomposition du feldspath appartenant à certaines roches granitiques. Plus tard, on constata que l'alcali du minéral primitif a disparu dans cette décomposition. Berthier démontra de plus, que dans l'action à laquelle le kaolin doit naissance, une partie notable de la silice a été éliminée.

La décomposition qu'a subie une autre espèce de silicate, qui est dépourvu d'alcali, le silicate de manganèse, connu sous le nom de bustamite, fut aussi pour Berthier le sujet d'une observation, dont l'importance s'est surtout montrée plus tard; il reconnut que dans l'altération, le métal s'est isolé de la silice, en passant à l'état de peroxyde.

C'est ainsi que, dans cette direction, comme dans plusieurs autres, Berthier préludait aux études classiques sur la décomposition des roches silicatées en général, dont son éminent élève, Ébelmen, a plus tard enrichi la géologie chimique.

L'auteur d'études si variées sur les combustibles charbonneux, ne pouvait oublier les bitumes naturels, dont on commençait alors à faire très-grand usage pour les dallages et pour les enduits, non plus que les schistes dits bitumineux, que l'on entreprenait de distiller aux environs d'Autun, pour en extraire des huiles destinées à l'industrie, fabrication dont l'invasion des pétroles d'Amérique a plus tard arrêté l'essor.

Il serait trop long d'examiner tout ce que nous ont appris les nombreux travaux de Berthier sur les minerais de cuivre notamment ceux du Chili, sur les minerais d'argent et, en particulier, ceux du Mexique, sur les minerais de nickel ; on ne peut les lire, sans y trouver des documents précieux tant pour la connaissance minéralogique de ces minerais que pour leur traitement.

A la suite des nouvelles espèces de silicates qu'il découvrit et dont il vient d'être question, halloysite, nontronite et autres, il faut citer une espèce particulière de silicate de cuivre, de même qu'un sulfate de cuivre, voisin de la brochantite.

A côté de l'antimoine sulfuré que fournissent les filons de Chazelles (Puy-de-Dôme), il signala une combinaison de sulfure d'antimoine et de sulfure de fer qu'il nomma haidingérite en l'honneur de M. de Haidinger, mais à laquelle cet éminent minéralogiste a imposé le nom de berthiérite conservé depuis lors. Cette espèce a été retrouvée, plus tard, dans d'autres localités.

On vient de voir comment, dans ces diverses recherches, qui initient intimement à la constitution des minéraux les plus importants, Berthier a découvert un certain nombre d'espèces nouvelles.

Ce ne sont pas les seules dont on lui doive la connaissance.

En analysant les minéraux zincifères qui constituent le gîte de Franklin, État de New-Jersey, il décela, en 1819, dans le minéral noir, associé au zinc oxydé manganésifère, une combinaison nouvelle de peroxyde de fer et de prot-oxyde de zinc, à laquelle il donna le nom de franklinite. Ce minéral est analogue au spinelle, ainsi qu'Abich le confirma pleinement, en 1831, dans ses belles études sur cette famille de minéraux. Comme d'ordinaire dans les mémoires de Berthier, les considérations théoriques sont suivies ici d'observations pratiques ; l'auteur montre qu'on pourrait tirer un parti très-avantageux de ces minerais, et cela, de plusieurs manières; on les utilise en effet aujourd'hui, et, après avoir fourni du zinc, ils donnent de la fonte blanche miroitante, propre à la fabrication de l'acier.

L'examen d'un minerai de fer du Sénégal, de Fouta-Diallon, avait fait reconnaître à Berthier une espèce minérale nouvelle, un hydrate d'alumine. Bientôt après il retrouva cette même espèce en France, où elle constitue des masses considérables dans la commune des Baux, près Tarascon département des Bouches-du-Rhône; le mélange argile et d'hydrate de peroxyde de fer, qui cache habituellement à la vue cette nouvelle espèce, au point que l'on avait cherché à le traiter comme un minerai de fer, n'empêcha pas Berthier de la découvrir. L'importance de ce minéral, qui a reçu le nom de bauxite, s'est accrue, depuis qu'on l'a reconnu en abondance dans bien d'autres gîtes du sud-ouest de la France et dans diverses contrées. Déjà, on cherche à en tirer parti pour la fabrication directe du sulfate d'alumine , pour celle de l'aluminium, et il est possible que cet hydrate d'alumine naturel, si facilement attaquable, trouve d'autres emplois.

Le minéral connu des mineurs du Mexique sous le nom de plata verde ou argent vert, fut reconnu par Berthier comme étant, non un chlorure, mais un bromure d'argent (bromargyrite) et retrouvé ensuite par lui, à Huelgoat, dans le Finistère, puis au Chili, où il forme des masses considérables, surtout comme chlorobromure. Cette découverte du brome dans les minerais proprement dits, en dehors de l'eau de mer, complétait la découverte, qu'avait faite Vauquelin, en 1825, de l'iode dans le règne minéral, à l'état d'iodure d'argent.

Sources minérales.

Pendant que les recherches de Berzelius montraient tout l'intérêt que l'étude des sources minérales présente, au point de vue de la géologie, non moins qu'à celui de la thérapeutique, Berthier se livrait à des recherches sur le même sujet, particulièrement en ce qui concerne la France.

A peine sorti de l'École des Mines de Moutiers, il analysait l'eau de Salins, dans le but d'apprécier les procédés suivis pour l'extraction du sel, et d'y chercher des perfectionnements. Déjà, dans ce premier mémoire, on remarque l'exposition méthodique et précise qui le caractérisa toujours.

Après avoir fait connaître la composition de l'eau minérale de Chaudesaigues (Cantal), la plus chaude de la France, Berthier étudia, conjointement avec son collègue Puvis, celle de Vichy, dont l'examen chimique fut, pour lui, l'occasion de considérations géologiques. L'énorme quantité de bicarbonate de soude qu'elles apportent chaque année, mélangé de chlorure de sodium et de sulfate de soude, lui suggéra l'idée d'extraire le carbonate de soude, que l'on n'utilisait pas encore, comme on le fait aujourd'hui.

L'analyse des sources thermales de Bourbon-Lancy révéla, pour la première fois, dans les eaux minérales de la France la présence de la potasse, dont Berzélius avait démontré l'existence en d'autres localités.

La source saline de Soultz-sous-Forêts (Bas-Rhin) , présente cette particularité remarquable de jaillir, non du trias, mais de couches tertiaires, qui renferment en même temps des gîtes de pétrole ; elle est aussi caractérisée, au point de vue chimique, comme l'a montré Berthier, par l'abondance du brome , en même temps que par l'absence de sulfates. Il en est de même des sources de Creutznach (Hesse-Darmstadt) qui sortent également dans des conditions spéciales , en relation avec le porphiyre quartzifère.

Géologie.

Les travaux qui précèdent ne sont pas seulement minéralogiques; ils ont fourni une foule de documents sur le mode de formation des substances minérales et, par conséquent, sur la géologie générale : on en trouve des preuves dans les observations, dont Berthier accompagne souvent l'exposé de ses expériences. Il s'intéressait à cette science, et fut membre depuis la fondation de la Société géologique de France.

Berthier avait commencé par des travaux essentiellement géologiques, parmi lesquels on peut mentionner une étude sur les environs de Moutiers en Savoie, et sur l'origine des sources salines de cette localité. En 1827, il donna une description des environs de Nemours, son pays natal, en l'accompagnant de coupes, et il démontra que le calcaire polissable de Château-Landon n'est autre que le calcaire d'eau douce inférieur de Brongniart et Cuvier.

La géologie trouvait aussi un enseignement des plus utiles, et alors tout nouveau, dans ses études sur la synthèse des minéraux.

Les silicates cristallins qui se produisent dans les ateliers métallurgiques avaient attiré l'attention, comme le témoignent les travaux du professeur Haussmann, qui remontent à 1816; mais on n'avait pas encore produit cette sorte de composés dans le laboratoire, par une synthèse directe. C'est Berthier qui, en 1826, ouvrit cette voie féconde; en fondant la silice avec diverses bases, en proportions définies, il obtint des combinaisons cristallines identiques à celles de la nature, notamment le pyroxène.

Ses nombreuses recherches sur l'analyse et la synthèse des silicates, firent connaître beaucoup de faits instructifs, pour l'histoire des combinaisons naturelles analogues.

Berthier ne se borna pas à chercher à obtenir des combinaisons cristallines, en opérant par la fusion simple. Tandis que le nombre des sels doubles que l'on peut obtenir par la voie humide s'accroissait tous les jours, on n'avait fait que peu d'attention aux combinaisons analogues que l'on peut former par la voie sèche, si ce n'est aux silicates et aux borates. C'est afin de combler cette lacune, que Berthier eut l'ingénieuse idée de recourir à l'emploi de sels divers, notamment de carbonates, phosphates et sulfures alcalins, ainsi que de fluorures. Il arriva ainsi à obtenir un certain nombre de composés nouveaux, la plupart éminemment cristallins; il compare quelques-uns d'entre eux aux composés doubles que présente le règne minéral, tels que la topaze, le mica et l'apatite. « Il serait certainement facile, ajoute Berthier, d'obtenir ces sels, cristallisés sous des formes régulières, en les soumettant à un refroidissement gradué; mais je n'ai pu me livrer à ces recherches qui demandent du temps. Il serait à désirer que les cristallographes s'occupassent d'un pareil travail et examinassent géométriquement les sels doubles, aisément fusibles, que l'on pourra découvrir. » On voit donc que l'éminent auteur de ces recherches ouvrait ainsi la voie à des expériences qui se sont faites plus tard, et qui ont abouti à la reproduction, par la voie sèche, de beaucoup d'espèces minérales infusibles.

Cendres des végétaux et terre végétale.

Berthier, qui embrassait toujours les questions d'une manière complète, avait été d'abord amené, par ses recherches sur la minéralurgie, à s'occuper de la composition des cendres d'un grand nombre de bois. La connaissance de cette composition est, en effet, d'un puissant secours, lorsqu'on veut remonter à toutes les influences qui peuvent agir dans les opérations métallurgiques, où l'on brûle de grandes quantités de combustibles, comme dans la fabrication de la fonte.

Mais il est encore un tout autre point de vue, auquel ces études présentent un intérêt d'un ordre plus élevé; car elles éclairent les relations qui existent entre les éléments inorganiques des végétaux et le sol qui les supporte, C'est ainsi qu'elles apportent un tribut important à la physiologie et à l'agriculture, qu'elles rattachent à la chimie et à la géologie.

Théodore de Saussure, le premier, a exécuté des analyses exactes de cendres de végétaux ; il a montré qu'il y a un certain nombre d'éléments minéraux, faisant tout aussi essentiellement parties constituantes des plantes, que le carbone, l'hydrogène, l'oxygène et l'azote. Avant lui, on regardait les substances minérales contenues dans les végétaux, et que ceux-ci laissent sous forme de cendres, quand on les brûle, comme purement accidentelles ; on les croyait introduites dans leurs tissus avec l'eau qu'ils puisent incessamment dans le sol, en vertu de la capillarité, sans que les forces vitales pussent jouer aucun rôle, quant au choix de ces substances et à leur distribution dans les différents organes.

Après une longue série de recherches, Berthier est arrivé à des faits qui précisent et étendent ces notions.

Une première remarque, c'est qu'aucune analyse ne lui présente d'alumine, à part toutefois celle qui peut provenir d'une petite quantité d'argile, adhérente aux racines et mélangée ensuite avec les cendres. Cependant cette terre existe dans tous les sols cultivables, et souvent en proportions très-considérable. Son absence dans le végétal tient probablement, ajoute Berthier, non-seulement à ce que cette base est insoluble dans l'eau, mais aussi à ce qu elle n'a nue des affinités très-faibles, qui ne lui permettent pas de se combiner aux acides organiques, en présence de bases fortes, telles que les alcalis, la chaux, la magnésie et les protoxydes de fer et de manganèse. Le rôle du principal composé d'alumine, c'est-à-dire de l'argile, est surtout physique, par suite de son action absorbante sur l'engrais; elle le tient comme en dépôt, et le fournit peu à peu aux végétaux.

Quant à la silice, elle est rarement en grande quantité dans les cendres de bois, tandis qu'elle se trouve, au contraire, en proportion très-considérable, dans les cendres de beaucoup de plantes herbacées, notamment de celles des graminées. Cette substance peut être introduite dans les végétaux, à la faveur de sa solubilité dans l'eau et de la facilité avec laquelle elle se combine aux alcalis.

L'influence du sol, sur la composition des cendres de bois d'une même espèce, a été constatée sur de nombreux exemples. Si l'on examine les cendres de végétaux différents, crus dans le même terrain, on trouve que, pour les espèces qui ont de l'analogie, les cendres ont beaucoup de rapport entre elles, mais que, pour des végétaux de genres très-différents, les cendres sont aussi très-différentes; d'où il faut conclure que les plantes choisissent, dans le sol, les substances qui leur sont le plus propres, et que celles-ci ne s'y introduisent pas par simple succion capillaire, ou par voie mécanique. Ainsi l'on voit des arbres qui croissent dans un sol argileux, donner des cendres néanmoins très-chargées de chaux, tandis que la cendre du froment, cultivé dans un sol calcaire, n'en contient presque pas.

C'est 1'étude de la composition des cendres des végétaux que Berthier reprit, d'une manière très-approfondie à la fin de sa carrière, lorsque sa mise à la retraite lui donna de longs loisirs. Il se livra alors à son goût pour l'agriculture et l'horticulture, dans son pays natal, à Nemours, et il saisit avec empressement cette occasion, pour y tenter l'introduction de quelques cultures avantageuses, qui n'y étaient pas encore pratiquées. Quoique ne disposant que d'un terrain d'une petite étendue (moins d'un hectare), il varia beaucoup ses essais, qui portent sur les fourrages, les céréales, les plantes légumineuses et oléagineuses, des bois, feuilles, racines, tubercules et fruits de nature variée. Son dernier mémoire sur cette question, qui termine aussi sa riche série de publications, ne renferme pas moins de cent dix-neuf analyses complètes. Comme toujours, elles ont toutes été exécutées par lui-même, et sans aucun aide, quelque longs et fastidieux que soient les détails d'un pareil travail; c'est une preuve de l'importance qu'il attachait aux résultats de cette étude.

La comparaison de ces nombreuses analyses fait parfaitement ressortir, par des exemples très-divers, ce grand principe de physiologie, que, chez les végétaux, chaque organe s'approprie, suivant sa nature, les éléments minéraux qui lui conviennent, et les choisit en proportions très-différentes, parmi tous ceux que la sève tire du sol. Ainsi les phosphates à base de potasse, de chaux et de magnésie, et quelquefois aussi à base de manganèse, constituent, presque à eux seuls, la cendre des graines; et, ce qui est très-digne de remarque, c'est qu'ils s'accumulent aussi dans les tubercules, les oignons et les bulbes, et, en général, dans toutes les parties des plantes destinées à nourrir les germes ou les bourgeons, dans les premiers temps de leur croissance. Les substances minerales ne se partagent pas seulement d'une manière très-inégale entre les différents organes des plantes, mais même entre les différentes parties de ces organes; dans l'avoine, par exemple, l'épi, l'écorce des graines et les balles qui l'accompagnent ne contiennent presque que de la silice, tandis que la masse farineuse de grains en est complètement dépourvue, et ne renferme que des phosphates.

Suivant le principe admis par Fourcroy et Vauquelin, Berthier pensait que les carbonates des cendres des plantes ne préexistent jamais dans celles-ci. Il convient de rappeler cependant que, déjà à l'époque où il publiait ces travaux, M. Payen avait fait connaître ce fait intéressant, que certains organismes sécrètent et conservent du carbonate de chaux.

Comme autres résultats très-dignes d'intérêt et très-utiles à connaître, on peut citer ceux qui montrent la composition relative des diverses parties de la vigne ; bois, feuilles fraîches et mortes, raisin et pépins, ainsi que ceux qui concernent le topinambour. Dans cette dernière plante, les tiges jeunes sont beaucoup plus riches en sels alcalins, en phosphates et en magnésie que les tiges vieilles; il semble donc qu'elles soient destinées à prendre ces substances dans le sol et à les emmagasiner, pour les transmettre ensuite aux tubercules, dans lesquels elles doivent s'accumuler. Quant à la chaux, elle reste, presque en totalité, dans les tiges vieilles, arrivées au terme de leur existence.

On le voit, les persévérantes recherches de Berthier ont contribué à établir des faits, sur lesquels reposent certains principes fondamentaux de l'agriculture moderne.

Comme complément de ces études, qui lient le règne végétal au règne animal, Berthier rappelle, en les groupant suivant les sortes de culture auxquelles elles sont appropriées, une série de trente-huit anaylses de terres végétales qu'il a exécutées.

En 1859, la Société impériale et centrale d'agriculture de France voulut proclamer, de la manière la plus éclatante, l'importance qu'elle attachait à ces travaux de Berthier sur les cendres des végétaux, en même temps qu'aux découvertes de phosphates que ce savant avait faites, il y avait déjà quarante ans. La grande médaille d'or, à l'effigie d'Olivier de Serres, lui fut décernée; en outre, l'assemblée décida que l'état de santé de Berthier l'empêchant de venir recevoir lui-même cette distinction, le président, qui était M. Chevreul, irait, à la tête d'une députation, la lui porter à son domicile. Cet hommage, qui venait trouver Berthier sur son lit de souffrance, fut reçu par lui avec plaisir et reconnaissance.

Phosphates et diffusion du phosphore.

Il est encore une autre série d'études, par lesquelles Berthier a rendu à l'agriculture, en même temps qu'à la géologie, des services très-considérables et dont la portée s'étend chaque jour.

Les découvertes successives de l'acide phosphorique dans le règne minéral, qu'il fit d'une manière si inattendue, sont peut-être la preuve la plus saillante du judicieux esprit qui le dirigeait dans ses recherches, de la rare sagacité avec laquelle il choisissait son sujet et savait le poursuivre. Le premier, il montra que la chaux phosphatée constitue dans les terrains stratifiés des gisements abondants.

En effet, dès 1818, Berthier reconnut que la pyrite de fer alors exploitée à Wissant (Pas-de-Calais), pour la fabrication du sulfate de fer, est entremêlée de phosphate de chaux, qui se montre parfois en rognons isolés. Deux ans après il découvrit la même espèce minérale dans des nodules recueillis au cap de la Hève, près du Havre, dans des couches appartenant au terrain crétacé comme ceux des environs de Wissant. Dans ces deux localités, la chaux phosphatée était très-difficile à reconnaître, non-seulement à cause de son état amorphe, mais aussi en raison de son association intime avec d'autres substances qui la masquent, de la pyrite de fer et une argile charbonneuse à Wissant, du carbonate de chaux et de la glauconie au cap de la Fève.

C'est à la suite de cette découverte, tout à fait imprévue, que l'attention se porta, en Angleterre, sur des rognons semblables à ceux qu'il venait de signaler en France, renfermés aussi à la partie inférieure des terrains crétacés, dans les grès verts. Bientôt après, en 1848, ce phosphate de chaux, dont les géologues venaient de mentionner l'existence, était employé avantageusement pour remplacer les os pulvérisés, dans leur application agricole, et, d'ailleurs, reconnu en quantité suffisante pour avoir une valeur économique. Le phosphate minéral ne tarda pas à donner lieu, dans le pays, à une exploitation qui, dès lors, se poursuivit activement.

La grande analogie que présentent les couches de grès vert des deux côtés de la Manche, devait conduire aussi à explorer en France ces couches d'une manière plus approfondie, au point de vue de la présence des nodules de chaux phosphatée. Dès 1852, des rognons de cette substance étaient trouvés dans les départements du Nord et des Ardennes, avec la même position que ceux d'Angleterre, et, en outre, à des niveaux supérieurs. Bientôt après, des gisements réguliers étaient reconnus dans un certain nombre de départements, d'une manière à peu près continue, depuis le département des Ardennes, à travers ceux de la Meuse, de la Marne et de la Haute-Marne, jusque dans celui de l'Yonne, sur une zone qui dépasse 300 kilomètres.

Plus tard, on les a découverts dans le midi de la France, dans les départements de l'Isère, de la Drôme et de la Savoie, et jusque dans ceux des Alpes-Maritimes et du Var. Aujourd'hui la chaux phosphatée est reconnue en France dans une quarantaine de départements.

Après avoir constaté l'abondance de la phosphorite en France, on se mit à l'y exploiter ; l'importance de l'extraction, qui ne se fait encore que dans trois départements, ceux des Ardennes, de la Meuse et de la Marne, tend chaque jour à s'accroître. Les gisements, jusqu'à présent susceptibles d'être exploités, ont été trouvés à un même niveau, appartenant aux couches que les géologues ont désignées sous le nom de gault.

Dans le terrain crétacé d'autres régions de l'Europe, on a retrouvé la chaux phosphatée, notamment en Bohême, dans le nord de l'Allemagne, en Bavière; en Russie, au voisinage de Koursk , le phosphate se rencontre dans une pierre connue sous le nom vulgaire de samarode; il se trouve aussi, en couche et sur une étendue considérable, jusque dans les gouvernements de Simbirsk et de Voronech. Enfin, cet horizon de phosphates se poursuit, dans le terrain crétacé, jusqu'en Espagne et en Portugal.

Comme s'il avait eu la prescience de toute l'utilité que les phosphates minéraux devaient acquérir dans la suite, Berthier les rechercha encore dans d'autres gisements, où on ne les soupçonnait nullement.

On a vu qu'il avait constaté la présence très-fréquente de l'acide phosphorique combiné, dans le minerai de fer des houillères. Six années après, cet éminent observateur retrouvait encore l'acide phosphorique dans le même terrain houiller, mais à l'état de chaux phosphatée; c'était à Fins, département de l'Allier, dans des masses ou ce minéral est rendu tout à fait invisible, par un mélange de matières charbonneuses et d'argile, qui devait le laisser inaperçu pour d'autres observateurs moins clairvoyants; car ces rognons de chaux phosphatée ont, à s'y méprendre, l'aspect du fer carbonate argileux, si abondant dans les mêmes couches.

Or, trente-six ans plus tard, cette seconde découverte devenait, comme la première, le point de départ d'une exploitation en grand : en Westphalie, la phosphorite était reconnue dans les argiles schisteuses noires du bassin de la Ruhr; elle y est mélangée de pyrite et de carbonate de fer. Ce phosphate occupe exactement la même position que le fer carbonate lithoïde appartenant au même terrain, et en offre tout à fait l'aspect, remarque qui n'a pas moins d'importance au point de vue de l'origine de ces phosphates qu'à celui de leur recherche. Il s'est bientôt établi à Hoërde une fabrique, où l'on convertit le phosphate en superphosphate, comme en Angleterre.

Il est un troisième gisement devenu récemment l'objet d'exploitations, déjà considérables, dont l'indication première est encore due à Berthier. On sait que les minerais de fer de certains gisements, comme ceux qui viennent d'être cités, produisent des fers phosphoreux et qu'ils doivent cette propriété à ce qu'ils sont mélangés de phosphates; mais dans ces gisements les phosphates n'avaient pas encore été rencontrés constituant des masses considérables. Or un échantillon que M. de Bonnard avait rapporté de ses fructueuses explorations en Bourgogne, fut examiné par Berthier, qui y reconnut encore la phosphorite. Cette substance provenait des environs de Saint-Thibault (Côte-d'Or) ; elle y est associée au minerai de fer en grains, qui est superposé au terrain jurassique et constitue des masses isolées assez abondantes.

En faisant des recherches de minerai de manganèse dans le Nassau, aux environs de Staffel, un exploitant découvrit, en 1864, une substance pierreuse abondante sur laquelle il eut le mérite de porter son attention. L'analyse démontra qu'elle est principalement formée de phosphate de chaux, renfermant du fluor. On ne tarda pas à en découvrir d'autres gisements, et aujourd'hui, on en connaît, non-seulement dans la contrée de la Lahn, mais encore dans celle de la Dill, dans plus de dix communes. De même que les minerais de manganèse et de fer auxquels elle est associée, la phosphorite du Nassau repose immédiatement sur du calcaire et de la dolomie, qui appartiennent au terrain dévonien ; elle est déjà activement exploitée et une partie est exportée en Angleterre. La chaux phosphatée vient encore d'être reconnue en Belgique, où l'on s'est mis aussi à l'exploiter, dans des gîtes de pyrite, c'est-à-dire dans des conditions analogues.

Après avoir montré la fréquence et l'abondance de la chaux phosphatée dans des gisements très-divers, Berthier a, en outre, contribué à nous éclairer sur la diffusion de l'acide phosphorique dans le règne minéral, en découvrant ce corps dans d'autres combinaisons, et en des conditions où on ne l'avait pas encore signalé. Il en constata la présence dans le phosphate d'alumine de la mine de Rozières (Tarn), qui constitue une espèce nouvelle, et dans un sel qui s'était récemment déposé sur les boisages des galeries de la mine de Huelgoat. Il reconnaissait encore, en 1834, l'acide phosphorique dans le dépôt ocreux que forme la source salée de Soultz-les-Bains (Bas-Rhin). C'est dans des dépôts ocreux de même nature que le professeur Walchner a découvert, plus tard, la présence habituelle de l'acide arsénique.

Parmi les situations géologiques dans lesquelles Berthier a su trouver le phosphore, il en est deux qui méritent encore, d'être signalées, à cause de leur caractère tout particulier, bien qu'elles n'aient pas jusqu'à présent donné lieu à des'exploitations , comme les trois premiers types de gisement que nous venons de mentionner. C'est d'abord, en mélange intime avec le graphite et le quartz, près de Quillan (Aude), dans une roche qui paraît appartenir au terrain de transition ; en outre, dans l'un des minerais de mercure d'Idria en Carniole, auquel le phosphate est intimement mélangé.

La découverte, dans des gisements aussi différents, et sous des aspects aussi variés, d'une substance tout à fait dépourvue de caractères physiques remarquables, et qui, bien que destinée à acquérir une grande importance agricole, restait inaperçue, montre la judicieuse pénétration d'esprit, dont Berthier a fait preuve, dans les nombreuses recherches qu'il a si activement poursuivies, pendant plus de cinquante ans, et qui, à tant d'égards, en dehors de la science proprement dite et des industries métallurgiques, méritent un tribut de reconnaissance.

Minéralurgie.

On vient de voir ce que Berthier a jeté de lumière dans la connaissance des substances minérales de toutes sortes; mais les procédés qui servent à élaborer ces substances, pour les approprier aux besoins de la société, et que l'on groupe ordinairement sous le nom de minéralurgie, ne sont pas moins redevables aux découvertes de ce savant éminent. Comme l'a dit très-justement Arago, « il n'est peut-être pas d'opération métallurgique que les nombreux travaux de M. Berthier n'aient contribué à expliquer ou à perfectionner. »

Les combustibles, sur lesquels reposent presque tous les traitements de minerais, ont fixé d'une manière toute spéciale l'attention de Berthier, qui a fait de nombreuses études sur leur composition chimique. Le procédé si simple et si pratique qu'il a imaginé, pour déterminer leur pouvoir calorifique, est devenu d'un emploi général et a rendu les plus grands services. On sait que ce procédé, qui repose sur un principe antérieurement avancé par Welter, consiste à chauffer dans un creuset de terre le combustible à essayer, coke, charbon, houille ou bois, en mélange intime avec un excès de protoxyde de plomb ou litharge, de telle sorte que toute la matière combustible soit convertie en acide carbonique et en eau, par l'oxygène de l'oxyde de plomb; le plomb révivifié se réunit en un seul culot, dont le poids fait connaître, par une règle de proportion, la quantité d'oxygène qui a été nécessaire à la combustion, et de là, le pouvoir calorifique du combustible.

D'un autre côté, les silicates, qui résultent de la plupart des procédés métallurgiques, ont été également soumis par Berthier à une étude approfondie. I1 a analysé un très-grand nombre d'entre eux, de manière à en déterminer la composition exacte et la formule atomique. Conformément à la notion que Berzélius avait si heureusement introduite dans la science, en considérant la silice, non comme une terre, mais comme un acide, l'étude des divers degrés de saturation de ses composés, devait présenter un véritable intérêt, pour la théorie des opérations et pour la manière la plus rationnelle de les conduire.

Berthier compléta cette série d'analyses, en instituant de nombreuses expériences sur des silicates simples et complexes, principalement dans le but de constater leur aptitude plus ou moins grande à se fondre. La connaissance de leur fusibilité importe beaucoup en métallurgie, ainsi qu'en docimasie; la composition chimique d'un minerai étant donnée, on peut, en effet, conclure ce qu'on doit y ajouter en argile, calcaire ou autres substances, pour déterminer la fusion de la partie vulgairement appelée gangue. Ce qui distingue tout particulièrement les travaux de Berthier de ceux qu'avaient faits ses prédécesseurs, c'est, comme l'a remarqué M. Chevreul, que les silicates qu'il formait provenaient de mélanges, faits dans des proportions atomiques ; qu'il opérait à des températures aussi bien déterminées que possible ; enfin que les résultats de ses synthèses étaient coordonnés avec ceux de ses analyses, de telle sorte que les uns servent de contrôle aux autres.

On sait que Berthier est arrivé à faire dépendre la fusibilité des silicates simples de trois causes : de la fusibilité propre de la base unie à la silice, de son énergie chimique et de sa proportion. Quant à la fusibilité des silicates doubles et multiples, elle est plus grande, ainsi que l'a reconnu Berthier, que la fusibilité moyenne des silicates simples qui les constituent : par exemple, les silicates de chaux, de magnésie et d'alumine, qui ont séparément si peu de disposition à se fondre, forment des silicates doubles à base de chaux et de magnésie ou de chaux et d'alumine, qui sont fusibles.

Ses études sur la constitution des silicates ont trouvé une première application importante, dans la fabrication de la fonte. On est ainsi arrivé à déterminer la composition la plus convenable à donner aux laitiers des hauts-fourneaux, qu'ils soient chauffés par le combustible végétal ou par le combustible minéral.

La méthode si simple, si prompte et si pratique qu'il a imaginée pour essayer les minerais de fer, a bientôt été d'un usage général et a rendu ainsi les plus grands services à l'industrie.

Bien d'autres parties de la métallurgie du fer doivent a Berthier des perfectionnements notables.

Dès 1814, à l'époque où se faisaient, chez un maître de forges distingué, M. Aubertot, les premiers essais pour employer la flamme perdue des hauts-fourneaux et des foyers de forges, Berthier examina les procédés employés, et, après avoir reconnu leur explication théorique, il en proposa le perfectionnement. C'est seulement une vingtaine d'années plus tard, que l'on reconnut toute l'importance de cet emploi de la chaleur, si longtemps perdue, dans l'industrie du fer ; on sait combien cet emploi est maintenant devenu général.

Berthier rechercha aussi la cause de l'avantage qu'a l'air chaud sur l'air froid, dans les hauts-fourneaux ; il l'attribua à ce que la combustion s'opère à la partie inférieure de l'ouvrage, dans un espace plus resserré et d'une manière plus complète qu'avec l'air froid.

En examinant la manière dont se réduisent les minerais de fer, à mesure qu'ils descendent dans les régions basses des hauts-fourneaux, Berthier arrivait à certains aperçus, que les travaux d'Ébelmen devaient si bien éclaircir plus tard. En outre, la pureté et la mollesse du fer obtenu par cémentation ne lui avaient pas échappé, non plus que son analogie avec l'éponge de platine, et l'on sait que le procédé Chenot repose sur des notions de ce genre.

Déjà, en 1808, Berthier montra le parti avantageux que l'on peut tirer des scories d'affinage au bois, en les faisant, passer au haut-fourneau, et il indiquait les différentes substances qui peuvent leur servir de fondants.

L'analyse des scories qui proviennent de l'affinage de la fonte par la méthode anglaise, et dont il reconnaît les états de saturation, conduisit aussi Berthier à des conséquences très-utiles, en montrant que le phosphore de la fonte passe, en grande proportion, dans les scories, à l'état d'acide phosphorique.

Dans d'autres études, Berthier était arrivé à un résultat non moins utile, en signalant la présence du sulfure de calcium dans certains laitiers, et en montrant, par conséquent, comment une addition de chaux au lit de fusion peut exercer une influence très-favorable, dans le traitement des minerais sulfureux.

Enfin, les procédés nouveaux que Berthier a imaginés pour analyser les fontes et les aciers, notamment par l'emploi du brome et de l'iode, doivent également être mentionnés comme services rendus à la sidérurgie.

La métallurgie du plomb, du cuivre, de l'étain, de l'antimoine et d'autres métaux a aussi été éclairée par de nombreuses analyses de Berthier.

Dans le but de perfectionner les moyens d'essai, par la vole sèche, des substances métalliques, et d'expliquer certaines opérations industrielles, il a recherché directement quelle est l'action des alcalis, des terres alcalines, ainsi que de la lithargesur quelques sulfures métalliques, notamment sur ceux des métaux utiles, plomb, cuivre, mercure, zinc, étain, antimoine et fer. Entre autres résultats, il en conclut l'avantage de surcharger aussi les laitiers de chaux, quand on traite des minerais phosphoreux. C'est ainsi qu'il éclaire les opérations métallurgiques par une véritable synthèse.

Chimie.

Les premiers travaux de Berthier portent principalement sur des études chimiques ; telles sont celles sur les sulfates, chlorures et phosphates qu'il publia en 1807.

En outre, en poursuivant les nombreuses recherches dont il vient d'être rendu compte, Berthier a imaginé divers procédés de séparation ou de dosage, dont plusieurs se distinguent par leur simplicité ou par leur élégance.

On se bornera à rappeler ici ses méthodes pour déterminer le pouvoir calorifique des combustibles, pour faire les « essais de minerai de fer et pour doser le carbone et le silicium dans les fontes et les aciers ; les procédés qu'il a proposés pour préparer le titane et la zircone ; le parti qu'il a su tirer de l'acide sulfureux et des sulfites alcalins pour la séparation de certains corps; enfin ses études sur les oxysulfures, dont il a fait connaître l'existence. On peut encore citer le procédé par lequel on sépare l'acide phosphorique, en le précipitant avec du peroxyde de fer en grand excès. Préalablement à toute opération chimique, il ne manquait jamais de recourir à des lavages par lévigation, opérations dans lesquelles il excellait, pour chercher à isoler les diverses espèces minérales, qui sont si souvent en mélange intime.

Ce qui caractérise les méthodes de Berthier, ce n'est pas la délicatesse ni la rigueur, mais surtout la simplicité et la rapidité. Elles s'adressent spécialement aux ingénieurs et aux industriels, et ont l'avantage de pouvoir être employées partout, même dans les pays les plus reculés, de préférence à des méthodes qui seraient plus exactes, mais aussi plus compliquées.

Publications d'ensemble.

Berthier a dignement couronné la publication de ses nombreux mémoires, parsemés de tant de découvertes, par un ouvrage d'ensemble, le Traité des essais par la voie sèche (4 vol. in-8', Paris, 1834)

L'art de reconnaître par cette voie, la présence et la proportion d'un ou de plusieurs corps utiles ne présente pas seulement des avantages par la rapidité des procédés, mais aussi à cause de leur extrême analogie avec ceux de la métallurgie des ateliers, dont ils éclairent, à peu de frais, certaines opérations.

Le grand travail de Berthier, avant tout remarquable par la richesse des faits qu'il contient, ne l'est pas moins par l'ordre dans lequel ils sont groupés, ainsi que par la concision avec laquelle ils sont exposés.

Le premier volume n'est pas seulement l'oeuvre d'un chimiste éminent, mais aussi d'un esprit large et élevé, qui a profondément étudié toutes les sciences se rattachant, de près ou de loin, à ses études habituelles. Dans toutes les parties de cette coordination si considérable, on trouve une foule de faits inédits, ainsi qu'on peut s'en convaincre, en lisant les principaux chapitres, tels que ceux relatifs aux silicates ou aux minéraux du fer; on apprécie d'autant plus l'utilité de cette mine féconde qu'on l'exploite plus profondément. Il est superflu d'entrer dans plus de détails sur cet important ouvrage, qui est immédiatement devenu classique dans toute l'Europe.

Lors de sa publication, cet ouvrage a été l'objet d'un compte rendu et d'une appréciation de la part de M. Chevreul, dans le Journal des savants, t. XXI.

Berthier avait rédigé, et à peu près terminé, sur la voie humide un travail semblable que certaines circonstances, entre autres la suspension d'affaires de son éditeur, et la crainte que l'ouvrage ne fût pas à la hauteur des découvertes les plus récentes, l'ont malheureusement empêché de publier.

Pour donner une idée.de l'activité avec laquelle Berthier servait la science par tous les moyens il convient encore de rappeler qu'il n'enrichissait pas seulement les Annales des mines par des mémoires originaux, mais aussi par des extraits,qui enregistraient annuellement tous les progrès de la minéralogie, de la chimie et de la docimasie. Ces extraits, commencés en 1816, ont paru jusqu'en 1848, c'est-à-dire pendant plus de trente ans. Personne n'a jamais fourni à ce recueil un tel contingent. Chacun de ces extraits est souvent très-court ; mais les traits saillants y sont toujours donnés de la manière la plus substantielle et la plus concise.

III.

Les découvertes dont il vient d'être rendu un compte succinct, montrent assez combien Berthier excellait comme homme de science, embrassant les applications nombreuses et variées de la chimie.

Ce qui rehausse encore son mérite, c'est qu'il avait toujours été très-imparfaitement servi par la vue, sens qui est cependant si utile au chimiste. Aussi, quand on le voyait à l'oeuvre, s'étonnait-on qu'il lui fût possible d'arriver à une exactitude irréprochable.

D'ailleurs, il n'était pas muni des procédés rapides et puissants d'expérimentation que l'on possède aujourd'hui, pas même de tous ceux que l'on connaissait de son temps.

Son laboratoire, de même que celui de plusieurs autres chimistes éminents, s'est toujours fait remarquer par une simplicité primitive.

Il faut ajouter qu'aucun auxiliaire n'assistait le Maître dans les opérations, longues et fastidieuses, qu'entraînent certaines recherches. Il travaillait constamment seul, et restait ainsi à l'oeuvre, chaque jour, jusqu'à une heure avancée. Son habileté, ses habitudes laborieuses et sa persévérance expliquent comment il a pu être aussi fécond. On peut encore remarquer que, pendant la plus grande partie de sa vie, Berthier vivait dans l'isolement, sans tirer parti des ressources qu'aurait pu lui offrir un commerce journalier avec d'autres savants.

Toutes ces circonstances défavorables ne font que mieux ressortir le talent, pour ainsi dire d'intuition, qu'il possédait.

Quand on parcourt les publications de ce savant émineut, on remarque, d'abord, la forme extrêmement concise et nette, sous laquelle les faits sont partout présentés.

En outre, on ne tarde pas à reconnaître qu'il y efface autant que possible sa personnalité. Il parle avec une extrême modestie, ne cherchant jamais à faire valoir ses droits de priorité, comme il aurait pu le faire souvent ; on ne voit même pas toujours, s'il est l'auteur du résultat ou s'il parle d'autrui; il écarte toutes les formes qui pourraient donner de l'éclat au style. Dédaignant la popularité, il n'est préoccupé que d'un but : la connaissance de la vérité.

C'est surtout par l'esprit de critique avec lequel Berthier discute les résultats directs de ses expériences, et par les conclusions qu'il sait en tirer, qu'il manifeste la fermeté et la pénétration de son jugement. Il est partout sobre d'hypothèses et de conjectures, éminemment circonspect et rigoureux. Cependant, doué d'un esprit à la fois profond et étendu, il sait toujours faire ressortir les conséquences à déduire, soit dans le domaine de la théorie, soit dans celui des applications. Cette rare perspicacité se fait remarquer dans les nombreux mémoires qu'il a publiés, même les moins considérables, aussi bien que dans son Traité des essais par la voie sèche. D'une analyse ou d'un sujet en apparence insignifiant, il fait souvent jaillir, et en très-peu de mots, des considérations d'un ordre élevé et d'un intérêt inattendu. La portée que ce savant sut ainsi donner à la plupart de ses travaux, en forme comme le trait caractéristique, et lui imprime une physionomie à part, parmi les chimistes les plus éminents qui se sont occupés d'analyse, tels que Klaproth et Vauquelin.

Cette abondance et cette ampleur dans les conséquences auxquelles Berthier sut arriver, résultent encore du savoir aussi solide et exact que profond et varié, qu'il avait puisé à l'École polytechnique, et sur lequel il s'appuie toujours pour peser, comparer et discuter les faits fournis par l'observation.

Berthier était d'une taille un peu inférieure à la moyenne. Il jouissait d'une excellente constitution et parvint à l'âge de soixante-seize ans sans aucune infirmité. Les traces de la petite vérole, dont sa figure était couverte, contribuaient peut-être encore à en augmenter l'expression, naturellement spirituelle, et parfois railleuse.

Son esprit répondait, en effet, à cette physionomie; sa conversation était pleine d'intérêt, de piquant, et, souvent même, de charme.

Pour le plus grand nombre, il faut le reconnaître, Berthier était un homme peu sociable, à qui l'on a souvent reproché des formes cassantes et brusques, et même un abord presque bourru; mais, comme il arrive souvent, sous cette âpreté extérieure, il cachait des qualités d'esprit et de coeur, qu'on ne manquait pas d'apprécier dans son intimité.

Il était peu communicatif, et ne cultivait de relations qu'avec un petit nombre de personnes, parmi lesquelles on peut citer Arago. La sûreté de son commerce était à toute épreuve.

Extrêmement gai dans les réunions intimes, s'il était bienveillant et affectueux avec certaines personnes simples et modestes, il avait une tout autre mamère d'être avec celles qu'il supposait prétentieuses.

Il s'abstenait de prendre la parole dans les réunions officielles ou savantes : une timidité, à laquelle un peu de fierté se joignait peut-être, l'empêchait de se mettre en évidence. Quand, dans le sein de l'Académie des sciences, il était forcé de parler, ce n'était pas sans quelque émotion, et jamais pour son compte personnel. Par exemple, en 1840 quand on s'occupait de toutes parts de l'emploi de la chaleur perdue des hauts fourneaux, et qu'on paraissait tout à fait oublier l'initiative que Berthier avait prise, à cet égard, dès 1814, c'est Arago qui dut se charger de rappeler des titres de priorité incontestables.

Toutefois, il fut de très-rares occasions, où Berthier crut devoir sortir de son silence habituel. Ainsi, lorsqu'il s'agit, en 1829, de pourvoir à une vacance de l'Académie des sciences, dans la section de chimie, pour la succession de Vauquelin, après une longue discussion, Berthier demanda la parole pour soutenir Sérullas, auquel les hommes les plus considérables avaient préféré un autre savant, et il défendit ses titres d'une manière si supérieure qu'il enleva tous les suffrages, et que beaucoup de ses confrères, notamment Fourier, vinrent à lui pour le féliciter.

La simplicité de ses habitudes, et sa frugalité étaient remarquables. Il aimait la musique et assistait souvent à l'audition des opéras.

Berthier resta célibataire, mais une vie ainsi vouée à la science ne lui laissa jamais oublier sa famille. Son affection et son respect pour son père et sa mère se manifestèrent en toute occasion, dans le cours de son existence, et jusqu'à l'âge avancé qu'il avait, lorsqu'il les perdit.

La sévérité que Berthier s'appliquait à lui-même, dans l'appréciation de ses propres recherches, le portait à user d'une rigueur pareille, dans ses jugements sur les travaux des autres. S'il agissait ainsi, c'est qu'il voyait avant tout l'intérêt de la science, devant lequel disparaissaient pour lui toutes les individualités. Son intégrité parfaite lui faisait ressentir une aversion profonde pour tout ce qui ressemblait à l'intrigue; et son indépendance se manifestait en toute circonstance. Aucune considération personnelle ne l'influençait; mais s'il ne cachait jamais ce qu'il croyait être la vérité, même en présence des hommes qui n'étaient pas habitués à l'entendre, il faut dire aussi que son esprit d'équité était tel, qu'il savait rendre justice aux personnes mêmes, dont il avait à se plaindre.

Il était très-ferme dans les jugements qu'il portait, et il les modifiait rarement; c'est ainsi qu'au conseil des Mines, où il apportait le même esprit de discussion que dans les expériences, il soutenait fortement l'opinion qu'il s'était une fois faite.

On ne peut voir, sans l'admirer, le dévouement avec lequel l'éminent professeur de docimasie de l'École des Mines s'est constamment consacré à toutes les exigences de ses fonctions, et, en particulier, à celles de son enseignement expérimental. Son désir d'être utile le portait même bien souvent à dépasser, de beaucoup, les limites d'un strict devoir. Malgré les occupations dont il était surchargé, il ne dédaignait pas de s'occuper des élèves, en dehors de son enseignement, et dans toutes les circonstances qui intéressaient leur instruction ou leur avenir. S'il s'agissait des voyages d'étude, il leur traçait, de sa main, des itinéraires, où étaient signalés, avec soin, tous les faits dignes d'intérêt, qui devaient fixer leur attention ; puis, à leur retour, il ne manquait pas de lire les journaux et mémoires qu'ils avaient rédigés, y cherchant le talent d'observation de l'auteur, ainsi que les faits nouveaux qu'il apportait.

La correspondance que Berthier entretenait avec plusieurs de ses jeunes collègues du Corps des Mines, manifeste à chaque page, à côté de son style spirituel un zèle ardent pour le progrès de la science, qui le porte à provoquer de toutes parts, des recherches de bon aloi et des publications ; puis une chaleureuse sollicitude et un véritable dévouement pour ceux de ses élèves qu'il en croit dignes, et dont la valeur reste rarement inaperçue à son attention clairvoyante. Il aime, soit à les appuyer auprès de ceux qui peuvent leur être utiles, soit à présager leurs succès, et, en voyant la manière dont la plupart de ses prédictions se sont confirmées on reconnaît combien son appréciation avait de justesse et de sûreté.

On a vu les services considérables et variés que Berthier, sans sortir de son laboratoire, a rendus à la minéralogie, aux industries minéralurgiques, à la chimie et à l'agriculture, par ses découvertes personnelles.

Il a bien mérité aussi, en propageant la science, par le cours si complet qu'il a professé, et par l'enseignement pratique qu'il donnait, avec tant de soin et de dévouement, dans le laboratoire de l'École des mines. Les élèves français et étrangers qu'il a ainsi formés, pendant plus de trente années, ont appliqué depuis lors les connaissances qu'ils lui devaient, dans les contrées les plus diverses. Le bien qu'il a ainsi produit ne saurait être trop apprécié. Partout, au loin comme en France, il a porté avec éclat la renommée de l'École des mines.

Vis-à-vis des élèves qu'il dirigeait, comme dans ses relations en général, sa manière d'agir était extrêmement différente, selon l'appréciation qu'il faisait de leur aptitude et de leur zèle. De là vient qu'on a quelquefois pu méconnaître ce sentiment d'équité, qui lui faisait rechercher toujours ceux qu'il croyait les plus capables, pour les encourager et leur prodiguer ses bons avis.

On peut juger, d'ailleurs, des excellents conseils qu'il leur donnait, même au loin, par les lignes suivantes qu'il écrivait à l'un de ses anciens élèves, qui venait de le quitter, pour débuter dans le professorat : « Il faut faire de la vraie science, pour fonder bien solidement votre réputation; peu m'importe le sujet, pourvu qu'il soit traité, à la manière des savants, qui vont au fond des choses, et qui n'avancent que de déductions en déductions, sans s'aventurer dans l'espace brumeux des suppositions. Les compilations et les ouvrages didactiques ne sont pas le fait des jeunes gens, les idées ne sont pas suffisamment mûries dans leur esprit, et leur vue d'ensemble n'est jamais sûre; vous le verrez plus tard : l'âge et l'expérience modifieront extrêmement toutes vos opinions. Votre premier soin doit être de vous mettre en état de remplir vos devoirs avec honneur, c'est-à-dire aussi bien qu'il vous sera possible; c'est donc sur l'organisation de votre cours que toute votre attention doit se porter quant à présent. Il faut se mettre au courant de tout ce qui a été fait, pour établir une opinion sur toute chose, faire un choix de matériaux, coordonner ces matériaux et en faire un tout bien lié, dans le but d'instruire votre auditoire et de lui inculquer les saines doctrines, c'est-à-dire de lui faire discerner le vrai du faux et même du douteux. C'est là un travail considérable et qui devra, ce me semble, absorber complètement votre temps, pendant les premières années ; mais il faut le faire, et ce n'est qu'à cette condition que vous prendrez rang parmi les hommes estimables de la science. Il vous méritera certainement une grande considération, et vous verrez qu'il vous procurera, en même temps, beaucoup de satisfaction de conscience.

« Chemin faisant, vous signalerez toutes les lacunes de la science, vous en prendrez note, et plus tard, vous vous mettrez à l'oeuvre, pour tâcher de remplir ces lacunes. Je trouverais même bien, que, dès ce moment, vous fissiez choix de quelque sujet de recherches, qui ne fût pas trop compliqué, pour faire diversion à vos travaux d'érudition et jeter un peu d'interet dans votr vie d'éude. Mais cela est secondaire: le devoir avant tout: pour l'honnête homme c'est la regle de toute la vie.»

Dans ces fragments de correspondances tout intime il trace lui meme, d'une manière ferme, la route que les jeunes savants doivent suivre, et qu'il a constamment suivie ; il se caractérise lui-même.

C'est toujours dans le même esprit d'équité et de discernement, avec le seul but de servir la science, que, toutes les fois qu'il avait à se donner un adjoint pour le laboratoire d'essais, il choisissait le plus capable, sans aucune autre préoccupation. Ainsi, quand M. Regnault dut quitter le laboratoire de l'École, pour se livrer plus complètement aux travaux de physique, qui l'ont illustré bientôt lui-même, Berthier alla chercher, dans la province, celui de ses anciens élèves qui, incontestablement, avait le plus de titres à cette succession; car, dans son modeste laboratoire de Vesoul, et malgré les exigences d'un service ordinaire de sous-arrondissement, Ébelmen avait déjà donné la mesure d'une capacité exceptionnelle, qu'il manifesta, avec plus d'éclat encore, pour être, hélas! enlevé d'une manière si triste et si prématurée !

Aussi la mémoire de Berthier ne vivra-t-elle pas seulement dans les fastes de la science. L'École des Mines s'honorera toujours de lui, et son nom y sera impérissable ; les nombreux élèves qu'il y a formés, directement ou indirectement, lui conserveront, à jamais, un souvenir de profonde reconnaissance.