Gabriel Jules Étienne DUPONT (1817-1896)


(C) Photo ENSMP

Fils de Pierre DUPONT, chef d'institution d'enseignement, et de Eugénie Julie CHOUFFOUR.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1836, sorti classé 10 sur 113 élèves), et de l'Ecole des Mines de Paris (entré classé 5 sur 7 élèves). Corps des mines


Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME III

Eleve de la promotion de 1836 de Polytechnique. Né le 15 août 1817, mort le 18 mai 1896, Inspecteur général en retraite, a été successivement directeur de l'École des mineurs d'Alais après Callon, puis directeur de l'École des Mines de Saint-Étienne après du Souich, puis Inspecteur (c'est-à-dire directeur adjoint) de l'École des Mines de Paris. Il a donné un des premiers Traités de la législation des Mines (2e édition, 3 vol. in-8, 1862) et publié, en 1882, la partie de son cours consacrée aux Mines.


Publié dans Notice historique sur l'Ecole des Mines de Paris, L. Aguillon, 1889 :

M. Et. Dupont avait abandonné, en novembre 1868, la direction de l'Ecole des mineurs de Saint-Etienne pour remplacer, dans la chaire de législation et d'économie industrielle, M. E. Lamé Fleury qui crut devoir résilier les fonctions de professeur, malgré les regrets unanimes manifestés par le conseil de l'Ecole dans une délibération spéciale, lorsqu'il fut appelé au poste de secrétaire du conseil général des mines.

M. Et. Dupont, qui avait antérieurement à son arrivée à l'Ecole publié un Traité pratique de la jurisprudence des mines (2e édition, 1862, 3 vol. in-8), a publié en 1881, dans son Cours de législation des mines (l vol. in-8), la partie de son cours consacrée à cette matière.


Résumé de la carrière :

1848-1860 Directeur de l'Ecole d'Alès
1853 Rédaction d'un des premiers traités de législation des mines
1860-1862 Ingénieur conseil (temps partiel) auprès de la société des mines de Ruhler (Aveyron), gratification de 2.000 francs/an
1862-1868 Directeur de l'Ecole de Saint-Etienne
1868-1882 Professeur titulaire de la chaire de législation à l'Ecole des mines de Paris
1870-1882 Inspecteur de l'Ecole des mines de Paris (fonction équivalente à cette époque à directeur-adjoint). Il quitte l'Ecole le 15/8/1882 pour prendre la retraite de la fonction publique.
1870-1872 Directeur intérimaire de l'Ecole des mines de Paris
1875 Officier de la Légion d'honneur
1877 Inspecteur général des mines de 2ème classe
1883-1896 Administrateur des mines de Carmaux, conseil des mines de Blanzy


NOTICE NÉCROLOGIQUE
sur
M. ÉTIENNE DUPONT,
Inspecteur général des mines,
par M. L. Aguillon, Inspecteur général des mines.

Annales des Mines, 9e série vol. 11, 1897.

« Heureux celui qui meurt au Seigneur, car il se repose de ses travaux et ses oeuvres le suivent. » A qui ces paroles de l'Apôtre (Apocalypse, XIV, 13) pourraient-elles mieux s'appliquer qu'à M. l'Inspecteur général des Mines Gabriel-Jules-Etienne Dupont, décédé à Paris, le 18 mai 1896, à l'âge de soixante-dix-huit ans, après une carrière dont l'activité s'est maintenue jusqu'au dernier jour et aux destinées de laquelle il semblait avoir été préparé dès son entrée dans la vie?

Son père, Pierre Dupont, universitaire distingué, était, au début de la Restauration, principal et régent de rhétorique au collège de Treignac. Aujourd'bui simple chef-lieu de canton de la Corrèze, vers le bas du haut et froid plateau granitique adossé aux Monédières, Treignac avait été jadis une de ces petites « villes » du centre de la France, dont la vitalité ancienne nous a laissé des traces nombreuses. Au pied des pentes sur lesquelles le bourg est bâti, la Vézère, déjà grosse, encore qu'elle soit assez rapprochée du plateau de Millevache d'où elle descend, roule dans une gorge étroite et profonde, aux parois encaissées, dessinant une boucle très prononcée, un véritable méandre. Il y avait en ce point un passage tout indiqué par la nature entre le liant et le bas pays, et de là devait venir l'importance de Treignac. Dès le XVe siècle, un pont de pierre y était construit, qui nous reste avec ses deux arches ogivales si intéressantes, posées au niveau de la rivière, avec les deux rampes abruptes qu'il avait été nécessaire de faire serpenter sur la falaise de chaque rive pour permettre l'accès à un chemin de mulets; le travail du passé est établi un peu en aval d'un pont, relativement récent, sur lequel la route nationale franchit la rivière par une seule arche en plein cintre à quelque trentaine de mètres au-dessus de son lit ; les caractères des deux époques se différencient encore mieux par le rapprochement matériel des deux ouvrages.

La « ville » alignait quelques maisons le long de la rampe d'accès du vieux pont sur la rive gauche; elle s'était surtout développée sur un petit promontoire dominant la rivière de ce côté, entourée d'une enceinte quadrangulaire, qui est en partie encore conservée, avec un grand nombre de vieilles maisons de cet antique bourg.

L'importance de la localité et les facilités relatives de ses relations avec toute la région voisine étaient assez grandes au XVIIe siècle pour qu'en 1660 les consuls de la ville crurent devoir passer avec les « Prêtres de la Congrégation de la Doctrine chrétienne » un contrat en vue du rétablissement d'un collège. En 1704, le collège fut déplacé; il vint s'établir dans le bâtiment qu'il occupe encore aujourd'hui au sommet du plateau sur lequel est bâtie la ville, en dehors de son antique enceinte. C'est une lourde construction, de médiocre développement. Sur le devant un bâtiment central, flanqué de deux ailes en retour, enserre une cour étroite qui forme la cour de récréation, communiquant directement avec la place publique. Ces constructions sans caractère donneraient l'idée dune grosse ferme plus que d'un établissement scolaire. Une tour carrée qui domine à son extrémité le bâtiment principal est seule à fournir quelque cachet à cet ensemble.

Une particularité de la fin du XVIIIe siècle devait signaler le collège de Treignac à l'attention : Lakanal y comptait au nombre des professeurs.

C'est de ce collège que Pierre Dupont avait été nommé principal; il y enseignait en méme temps la rhétorique. Estimé et bien vu dans tout le pays, encore qu'il n'en fut pas originaire, il était entré par son mariage dans une des bonnes familles de la région, celle des Chauffour, de Limoges, qui possédait une importante propriété à Saint-Ybart, modeste village situé tout à côté d'Uzerche, une autre de ces antiques « villes » si curieuses et si bien conservées du vieux Limousin, à 25 kilomètres en aval de Treignac. Si Saint-Ybart et Uzerche ne sont pas encore le bas pays avec ses riches vallées largement ouvertes, ils sont déjà dans ce bocage corrézien aux mouvements plus doux, à la végétation plus souriante, bien différents de l'âpre plateau granitique à l'extrémité duquel se trouve Treignac.

C'est dans la campagne familiale de Saint-Ybart, pendant les vacances, que naquit, le 15 août 1817, Gabriel-Jules-Etienne Dupont, le second fils d'une famille de quatre enfants. Sa jeunesse s'écoula entre ces deux centres : le collège de Treignac pendant l'année scolaire et la campagne de Saint-Ybart durant les vacances ; les hivers rigoureux dans les installations primitives et grossières d'un antique collège sans confort ; les douceurs de l'été dans cette vallée si pittoresque de la Vézère qui, si elle n'est pas le Midi, conduit directement vers lui.

Son père assura son instruction jusqu'en rhétorique. A ce moment, du reste, sous le principalat de Pierre Dupont, le collège de Treignac semblait briller d'un éclat particulier. Dans la classe immédiatement au-dessous de celle du futur Inspecteur général des Mines se trouvait Lachaud, le grand avocat. Aussi bien, Pierre Dupont parait avoir été un maître passionné par sa profession et un éducateur singulièrement distingué. Lorsqu'il eut pris sa retraite, il se retira dans sa propriété de Saint-Ybart, et il réunit autour de lui quelques jeunes gens désireux de s'instruire sous un tel guide. Ses mérites avaient été d'ailleurs remarqués, et on avait voulu lui donner dans l'Université une place plus en rapport avec sa valeur. Ses intérêts s'étaient trop confondus avec ceux du pays; il y était attaché par trop d'affections pour qu'il consentit à le quitter.

Étienue Dupont bénéficia de la sorte, dès ses premiers pas dans la vie, à la fois d'une instruction complète et solide et d'une éducation familiale continue. Il recueillit là le germe de ses connaissances en littérature et en histoire, qui furent vraiment remarquables; il puisa dans un milieu profondément catholique cette foi religieuse dont le culte continu devait être un des traits de son existence. Et ceux qui cherchent les raisons intimes des choses ne pourront s'empêcher de relever cette autre particularité : il est né, pour ainsi dire, et il a été élevé dans un collège, dans un milieu universitaire; la majeure partie de sa carrière, et à coup sûr la plus importante, devait être consacrée aux diverses écoles techniques qui se rattachent au Corps des Mines et dépendent de lui.

Au collège de Treignac on n'allait pas au-delà de la rhétorique. Aussi, Etienne Dupont fut-il envoyé au collège royal de Bordeaux pour terminer ses études. Il y recommença la rhétorique, puis il fit la philosophie et une première année de mathématiques avec un succès qu'avait préparé l'excellent travail de Treignac et qui fut consacré par de nombreuses couronnes. Ce furent les premières que reçut le jeune élève. Son père, par un scrupule qui l'honorait, n'avait pas voulu qu'il lui en fut attribué une seule à Treignac, si bons qu'eussent été les résultats de son travail. Le séjour à Bordeaux aura contribué à achever la physionomie de notre Inspecteur général, chez lequel on reconnaissait aisément une nature méridionale.

Son instruction se termina à Paris ; après un an passé à l'École préparatoire Mathé d'où il suivit les cours du collège Bourbon, il entrait à l'Ecole polytechnique en 1836, à dix-neuf ans, et, en novembre 1838,à l'Ecole des Mines.

A sa sortie, en février 1842, il eut Vic-Dessos pour premier poste. Comme tant d'autres de nos camarades, avant ou après lui, il ne fit guère qu'y passer ; en novembre 1843, il quittait l'Ariège pour Montpellier. Jules François, qui avait eu le poste de Vic-Dessos avant lui et l'avait occupé près de six ans, y avait réuni les éléments de son important ouvrage sur le Gisement et le Traitement des minerais de fer, qui se publia juste au moment où Dupont débutait dans l'Ariège. François avait épuisé pour le moment tous les sujets d'étude que cette région pouvait présenter à de jeunes ingénieurs. Il avait notamment décrit dans tous ses détails l'organisation si bizarre de cette entreprise; de Rancié, de cette première « mine aux mineurs » dont les origines se perdent dans les brumes du moyen âge; il avait signalé tous ses abus comme aussi les moyens - dont plusieurs encore à réaliser - qui seraient les plus propres il remédier à ces maux (voir, sur l'organisation Rancié, le mémoire de M. l'Inspecteur général Villot, Annales des Mines, 9° série, t. IX, p. 205). Un débutant, comme l'était alors Etienne Dupont, ne pouvait que prendre une « leçon de choses » à voir fonctionner ce vicieux organisme; elle devait être plus spécialement profitable à celui qui, dans sa carrière, devait s'occuper avec plus de sollicitude des modes d'administration et de législation que comporte l'industrie extractive.

Une circonstance devait le servir pour ses futures études. Il fut appelé à organiser une caisse de secours pour les ouvriers de Rancié, et par là il s'initia à l'étude de questions qu'il devait suivre plus tard d'une façon plus générale et plus étendue. Jules François avait émis la première idée de l'institution. Le problème fut étudié et résolu par Dupont d'une façon un peu différente, plus en rapport avec les bases mêmes de l'organisation de Rancié à cette époque. On sait qu'alors, suivant une coutume qui, remontant au moyen âge, s'est continuée jusqu'à la loi du 15 février 1893, les mineurs de Rancié se payaient eux-mêmes par la vente qu'ils faisaient directement du minerai de fer abattu et extrait par eux : chacun avait ainsi le droit de piquer, de sortir de la mine et de vendre, par jour, un certain nombre de « voiles », dont le produit constituait son salaire; c'était une application, du reste malheureuse, du « salaire en nature ». L'idée proposée pour la caisse de secours et consacrée par l'ordonnance royale du 25 mai 1843 consistait à réclamer des ouvriers valides l'exécution d'un travail supplémentaire, de « voiles » additionnelles dont la vente devait profiter aux camarades malades ou infirmes. An lieu d'un prélèvement en argent sur le salaire de chacun comme dans toutes les institutions analogues, on procédait par une prestation à fournir en nature. Ce n'était pas le tout d'avoir posé sur le papier les bases du règlement, il fallait l'appliquer, et, pour cela, le faire adopter par une population qui n'a jamais passé pour commode à manier, ni disposée à accepter les innovations qui troublent ses coutumes séculaires. Dupont s'y entremit avec ardeur; il passa plusieurs mois à convaincre les ouvriers. Puis, lorsqu'on dut commencer l'application, il pensa devoir user de son autorité officielle pour assurer la fidèle exécution du règlement. Il aimait à raconter qu'il avait revêtu son uniforme et qu'avec son prestige ainsi accru auprès de ces populations restées, alors surtout, assez primitives, il allait se placerà l'orifice de la galerie par laquelle les ouvriers sortaient le minerai pour s'assurer que les « voiles » de la Caisse de secours étaient bien déposées dans la case à ce destinée et non vendues par les ouvriers à leur profit comme leurs « voiles » ordinaires. Grâce à ses efforts, l'ordonnance fut acceptée, et elle a été appliquée jusqu'à la transformation de l'antique organisme de Rancié par la loi du 15 février 1893.

Les faits qui ont exigé au début d'une carrière un travail exceptionnel laissent une trace profonde que rien souvent ne peut plus effacer. Vingt ans plus tard, dans la seconde édition de son Traité sur la législation des mines (t. II, p. 8), Dupont se demandait s'il n'y aurait pas avantage à réclamer des ouvriers, en faveur des caisses de prévoyance, une production supplémentaire, au lieu de leur imposer une retenue sur le salaire. Un peu plus d'attention lui aurait peut-être montré que la tâche supplémentaire est une charge effective dont l'intéressé est directement atteint, un effort en plus qu'il lui faut subir, sans compter que cette prolongation de travail entraîne des complications pratiques diverses. La retenue sur le salaire est, au contraire, ou devient plus ou moins promptement nominale; lorsque l'ouvrier débat son paiement avec le patron, il discute sur le salaire net et non brut, sur ce qui lui restera effectivement dans la main, à la paie, après toutes les déductions convenues. Les pratiques absolument arriérées de Rancié sur les rapports entre le capital et le travail ne pouvaient se répandre au-delà de ce coin de terre où il a fallu même un concours de circonstances spéciales pour leur permettre de durer si longtemps.

Cette question des institutions de prévoyance resta toujours chère à Dupont ; la générosité de son coeur, facilement ouvert aux infortunes, lui avait fait songer pour la faire aboutir à des moyens dont le libéralisme du juriste eût dû lui faire sentir les inconvénients. C'est ainsi qu'il fut conduit à soutenir (Traité pratique, 2° édition, t. II, p. 37 et suivantes) que les institutions de prévoyance devaient être rendues obligatoires sur toutes les mines de par la loi, avec subvention forcée de l'exploitant. Lorsque, vingt ans après, le Parlement discutait les propositions qui devaient aboutir au vote de la loi du 29 juin 1894 sur les caisses de secours et de retraites des ouvriers mineurs, l'école socialiste ne manqua pas de se saisir des arguments de Dupont en faveur de l'obligation de ces caisses, à l'encontre de ceux qui, pour de multiples motifs, la combattaient: les uns, à un point de vue général, parce qu'ils croyaient que les institutions fondées sur la liberté ont plus d'avenir et de vitalité et rendent plus de services que celles qui ne résultent que de la contrainte ; les autres, pour des raisons tenant plus spécialement aux mines, parce qu'ils protestaient contre le régime exceptionnel qu'on voulait imposer à l'industrie extractive au lieu du régime du droit commun industriel. Ces idées étaient vivement soutenues par les exploitants, et présentées en leur nom, par Dupont lui-même qui, au moment de ces discussions, avait pris sa retraite et était entré dans les Conseils d'administration de diverses Compagnies. Aussi fut-il assez vivement critiqué pour ce changement d'idées ; il répondait, il est vrai, en faisant observer que, à l'époque où il proposait l'obligation des caisses de mines, elles étaient encore des exceptions et qu'il paraissait opportun de les répandre ; lorsque, vingt ans après, on voulait les rendre obligatoires, elles existaient partout et fonctionnaient d'une façon convenable; les moeurs ayant précédé la loi, il devenait inutile et, par suite, fâcheux que la loi voulût refaire les moeurs. Déjà, en 1872, il avait paru indiquer une évolution de ses premières idées dans une communication à l'Académie des Sciences morales et politiques où il avait fait l'exposé comparé des caisses de secours des mines françaises et étrangères. Il y avait insisté sur la convenance de conserver les institutions qui s'étaient créées chez nous, de leur laisser leur autonomie et leur individualisme par mine, sans se prononcer explicitement toutefois sur la question de savoir si la loi devait ou non rendre l'institution obligatoire là où elle n'existerait pas.

De Vic-Dessos, Dupont passa à Montpellier à la fin de 1843. Il put, dans ce poste, s'initier aux choses de chemins de fer, y étant chargé, en dehors du service ordinaire des mines, du contrôle d'un des premiers chemins de fer que nous ayons eus, celui de Nîmes à Montpellier.

A peine venait-il d'arriver à sa nouvelle résidence, sa situation personnelle était déjà telle que le maire de Cette lui demandait, au nom de sa municipalité, en septembre 1844, de procéder à l'étude d'une adduction d'eau pour sa ville. Quelques mois après, le jeune ingénieur fournissait, en réponse, deux projets complets : dans l'un, on dérivait l'eau de l'Hérault au-dessous du canal du Midi; ce projet différait de celui antérieurement produit en 1842 par l'Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées Verla en ce que Dupont projetait d'emprunter, en outre, à l'Hérault la force motrice nécessaire pour filtrer et élever les eaux, tandis que le projet Verla comportait des machines à vapeur élévatoires. Par l'autre projet on amenait à Cette les eaux de la source de l'Isanka. Dupont se prononçait pour le premier projet, parce qu'il craignait l'insuffisance du débit de la source pendant l'été. Pour mettre l'opinion publique on mesure de se prononcer, Dupont publia son rapport sur la description et la comparaison des deux projets. Il devait quitter Montpellier sans que la question eût été résolue.

Avant de partir, il donna une nouvelle preuve de son activité et de sa nature généreuse. Sous l'influence vraisemblablement des idées qui hantaient tant d'esprits au lendemain de la Révolution de 1848, il s'était proposé et avait obtenu de l'Administration de faire sur les appareils à vapeur des cours publics, plus spécialement destinés aux chauffeurs et mécaniciens.

Au reste, il allait pouvoir s'occuper plus activement et plus fructueusement de la classe ouvrière avec la Direction de l'Ecole des maîtres ouvriers mineurs d'Alais qu'il prit à la fin de 1858, lorsque Callon, qui venait d'organiser cette institution, fut appelé à l'Ecole des Mines de Paris pour suppléer Combes dans la chaire d'exploitation des mines. Dupont devait rester douze ans à Alais à la Direction de l'Ecole; en même temps, il remplit successivement les fonctions d'Ingénieur ordinaire, puis, à partir de 1858, celles d'Ingénieur en chef du service de ce district dont on sait toute l'importance au point de vue minier, et alors aussi au point de vue métallurgique. Son rôle à l'Ecole fut plus spécialement important. Il s'immisça ainsi pour la première fois dans l'enseignement technique dont il ne devait plus cesser de s'occuper jusqu'à la fin de sa carrière, passant successivement de l'Ecole d'Alais à celle de Saint-Étienne et de celle-ci à l'Ecole de Paris.

Cette Ecole des maîtres ouvriers mineurs d'Alais était née d'une initiative prise en 1841 par la municipalité de la ville, dont, M. Serre (beau-père de Parran) était alors maire, avec le concours de M. Thibaud, Ingénieur en chef et de M. Varin, Ingénieur ordinaire du Service des Mines à Alais. M. Varin, dans ses propositions primitives, avait principalement insisté sur l'insuffisance, en nombre et en capacité, des quelques maîtres-mineurs qui se trouvaient alors dans un bassin dont on devinait le développement prochain à la suite de la création des chemins de fer que Talabot y avait inaugurés. Après plusieurs études et des remaniements successifs, l'idée fut officiellement consacrée par l'ordonnance royale du 22 septembre 1843.

L'Ecole ne devait être, au début, qu'une institution bien modeste en ses installations et dans son organisation. Deux salles du collège communal y devaient suffire, et le principal de ce collège devait être chargé de l'administration matérielle des élèves qu'il prenait en pension an prix de 360 francs.

L'ordonnance de 1843 n'avait fixé qu'un principe. Pour lui faire sortir effet, il fallut, on le sait, que l'Administration chargeat Callon de ce soin. C'est en 1845 que celui-ci arrêta tontes les dispositions qui devaient permettre à l'institution de fonctionner, sans craindre, sur plusieurs points, de modifier les clauses de l'ordonnance organique. En novembre 1855, les premiers élèves entraient à l'école.

Dnpont, succédant trois ans après à Callon dans cette direction, se préoccupa surtout de maintenir l'Ecole dans la voie si magistralement entrevue et si soigneusement tracée par celui-ci : ne recevoir que des ouvriers et ne faire que des maîtres-mineurs ; se garder de vouloir faire des ingénieurs ou mieux de prétendus ingénieurs. Aussi bien, l'Ecole prospérait sons les auspices des sages règlements de Callon. Dès 1850, les locaux primitifs étaient devenus insuffisants, et il fallut procéder, en 1853, à de nouvelles constructions pour assurer à l'institution les développements indispensables.

C'est pour venir en aide à l'instruction de ses élèves qu'il dressa et publia, en 1853, les Tableaux géologiques des terrains, qui ne laissèrent pas d'avoir quelque utilité à cette date. Une phrase du deuxième tableau relatif aux gîtes métallifères nous montre bien les préoccupations qui inspirèrent toute sa vie. Après avoir insisté sur la large répartition des mines de fer dans le monde il ajoute: « Voyons donc le doigt de Dieu dans un fait si heureux pour l'humanité tout entière, et sachons reconaître que la géologie raconte aussi les bienfaits de la divine Providence. »

Lorsque Dupont, s'élevant successivement dans sa carrière, prit en 1852 la direction de l'Ecole des Mines de Saint-Étienne, il trouvait là un établissement d'un tout autre ordre, qui suivait normalement et heureusement ses destinées; sans bruit, avec des moyens très simples, ou préparait les ingénieurs qui ont été les éléments et ont fait la force de notre industrie minérale. Trois professeurs, aidés de deux répétiteurs, suffisaient à accomplir cette tâche en deux ans de scolarité. Les résultats méritaient d'autant mieux d'être remarqués que les éleves n'entraient qu'après des études assez peu poussées. Pendant les six ans que Dupont la dirigea, l'École resta comme les peuples heureux, elle n'eut pas d'histoire. Le directeur, qui n'avait pas de cours à professer, dont la besogne administrative était assez réduite avec les conditions rudimentaires de l'établissement, pouvait employer sa sollicitude à faciliter les débuts des élèves et à assurer leurs destinées. Dupont ne faillit pas à ses devoirs de haute tutelle.

L'Ecole de Saint-Etienne a toujours été considérée, pour ses professeurs et directeurs, comme un acheminement à l'Ecole des Mines de Paris. Dupont vint d'abord à cette dernière, comme professeur. En 1868, M. Lame Fleury, qui était titulaire de la chaire de législation, fut nommé secrétaire du Conseil général des Mines. Malgré son désir, malgré un voeu pressant du Conseil de l'École des Mines, l'Administration supérieure exigea qu'il se démit de son cours. Nul n'était alors plus qualifié pour lui succéder que Dupont, l'auteur apprécié d'un excellent ouvrage sur la matière. Il a donné ces leçons pendant quatorxe ans jusqu'à sa retraite, eu 1882.

Il n'est pas très aisé de faire un bon cours de législation à l'Ecole des Mines, j'entends un cours qui profite réellement et effectivement aux élèves, dans les vues pratiques que cet enseignement doit avoir. Parmi les matières qu'on enseigne à l'Ecole, le droit est de celles que les élèves doivent aborder sans préparation antérieure. On est donc amené à faire précéder l'étude de la législation des mines, qui est le but plus direct du cours, sa raison d'être, par un examen des généralités des diverses branches du droit, mais on risque de rebuter les auditeurs par des développements dont l'aridité s'accroît de la forme condensée qu'il faut leur donner. Dupont avait préféré suivre une marche moins rationnelle en vue de saisir plus sûrement et tout de suite l'attention des élèves. Il abordait directement la législation des mines et terminait par les généralités sur le droit administratif. Il serait difficile de dire s'il avait tort au point de vue des résultats. Ceux qui ont suivi son cours n'ont pas oublié la vivacité qu'il mettait dans ses exposés comme dans son débit: il gardait comme professeur tout ce qui caractérisait son allure.

A ses leçons de législation qui constituaient la partie essentielle et principale du cours, Dupont devait ajouter quelques leçons d'économie politique, ou, plus exactement, d'économie industrielle. Le temps qu'il y pouvait consacrer était trop mesuré pour que ces leçons eussent une importance sérieuse. Si on veut connaître sa doctrine en ces matières, il faut consulter un petit ouvrage publié par lui à la fin de 1871, à une époque où l'on s'ingéniait a chercher les moins mauvaises formules d'impôts nouveaux à créer en France pour satisfaire aux charges qui nous accablèrent alors. Notre professeur voulut dire sa pensée dans une brochure trop condensée pour n'être pas une profession de foi plus qu'un exposé de doctrine ou une démonstration. Son petit livre est comme imprégné de citations de livres saints ; il ne faut pas s'en étonner; car il commence par établir les « Rapports de la religion avec la politique et l'économie politique », « convaincu », dit-il, que « Dieu ne doit pas plus être banni de l'économie politique que de la politique ». Il se proposa avant tout de déterminer quel est l'impôt « juste ». Après avoir repoussé l'impôt sur le revenu, qui ne peut être, ajoute-t-il, que vexatoire ou arbitraire, surtout dans la forme progressive, qu'il qualifie de « révolutionnaire », il montre les avantages des multiples combinaisons de la taxation française, de la combinaison notamment de nos quatre contributions directes avec nos impôts indirects; il demande, pour les compléter, un impôt sur les valeurs mobilières et des droits sur les matières premières et les textiles : « Les voter, c'est voter la libération du territoire », telle est sa conclusion.

C'est moins dans sa chaire que Dupont a laissé une trace importante à l'École des Mines que comme Inspecteur, et on peut ajouter comme Directeur, par suite des circonstances spéciales et diverses qui se présentèrent à cette époque. Si les Ecoles d'Alais et de Saint-Etienne n'avaient pas eu d'histoire pendant qu'il y avait passé, celle de Paris devait en avoir une, et singulièrement poignante.

Lorsqu'il fut nommé Inspecteur de cette École, en mai 1870, à la place de Gruner promu Inspecteur général de 1re classe, Combes était Directeur; celui-ci était a la fin de sa carrière administrative, fatigué par la maladie qui allait l'enlever si peu après; il devait être assez naturellement porté à s'en remettre, pour la direction de l'établissement, à un Inspecteur actif, ardent, que toute une vie passée dans les Écoles techniques de l'Administration des Mines paraissait avoir plus spécialement préparé à son poste actuel. Aussi bien, les événements allaient donner effectivement à Dupont les pouvoirs directoriaux. Combes n'avait pu regagner Paris à raison de l'état de sa santé, lorsque l'investissement de la capitale devenait imminent; une décision ministérielle du 17 août 1870 confia l'intérim de la direction à Dupont. D'enseignement à l'École pendant le siège, il ne pouvait naturellement pas y en avoir. Nous avons donné tous les détails de ce que Dupont dut faire et réussit à exécuter à l'Ecole pendant cette triste période ; il lui fallut prendre des mesures pour abriter contre les effets possibles du bombardement les objets les plus précieux des importantes collections dont il avait la charge et pour arrêter immédiatement tout commencement d'incendie; l'événement justifia l'utilité des dispositions adoptées : deux obus tombèrent sur l'École ; le feu mis par l'un d'eux à la collection de paléontologie fut immédiatement éteint. En même temps Dupont installait dans les salles du rez-de-chaussée une ambulance de malades, établie et administrée sous sa surveillance dans des conditions qui lui valurent les félicitations de l'autorité militaire. Simultanément il s'occupa activement avec M. Moissenet, résidant à l'Ecole comme directeur du laboratoire, et qui fut plus spécialement chargé du travail, de la construction dans les terrains de la Pépinière du Luxembourg, d'une vaste poudrière qui rendit de sérieux services à l'autorité militaire et que les fédérés essayèrent vainement de faire sauter en mai 1871.

Dès la conclusion de l'armistice, Dupont, sur l'invitation de l'Administration, eu l'absence de Comités, prenait d'entente avec le Conseil de l'École, les mesures nécessaires à la reprise immédiate des cours; ils commençaient en effet le 15 mars 1871 ; mais, dès le 22 mars, à la suite des événements du 18, le Conseil estimait qu'il y avait lieu de renvoyer les élèves dans leurs familles ; les cours avaient effectivement suspendus le 23; et, le 24, l'Administration supérieure approuvait cette mesure. Combes et Dupont se retirèrent à Versailles, laissant l'École à la garde de Rigout, préparateur de chimie, Audebez, secrétaire-régisseur, et Launay, garde-magasin, tous trois logés à l'Ecole à raison de leurs fonctions. Nous ne redirons pas comment ces braves gens surent préserver l'établissement confié à leur garde des folles tentatives de Pariset et Décot dans leur fabrication d'engins explosifs.

La marche normale de l'Ecole reprenait le 10 juin 1871 : Combes et Dupont, qui s'étaient réunis à Orléans, dès le commencement de juin, pour attendre le moment où ils pourraient regagner Paris, y étaient, en effet, revenus le 4 juin. Combes, atteint par la limite d'âge, devait cesser ses fonctions de Directeur le 1er janvier 1872; dix jours après, il succombait à la maladie qui le minait depuis longtemps. Les compétitions et les discussions extrêmement vives, soulevées par sa succession, ne finirent par être vidées que six mois après avec la nomination de Daubrée. Pendant cet interrègne, qui comprenait en somme la meilleure partie de l'année scolaire, l'intérim de la direction fut confié à Dupont. Si, avec l'arrivée de Daubrée, Dupont cessa d'être le Directeur effectif, son influence dans la direction n'en resta pas moins prédominante par la suite. Tout devait concourir à un pareil résultat : le rôle personnel qu'il venait de remplir pendant deux ans; son activité et la nature de son tempérament qui se conciliaient sous ce rapport avec les tendances de Daubrée : fort occupé de ses recherches et travaux scientifiques, peu porté aux choses de pure administration, celui-ci ne devait pas demander mieux que de s'en remettre il un collaborateur zélé et compétent, avec lequel il était en communion d'idées.

La direction d'un établissement comme l'Ecole des Mines de Paris ne va pas sans soulever de ces difficultés et parlant de ces luttes inhérentes à toutes ces oeuvres qui mettent en contact des hommes auxquels leurs fonctions mêmes peuvent donner des vues différentes. Une Ecole professionnelle, si élevé que puisse être son enseignement, n'est ni un Collège de France, ni une Faculté des Sciences. La direction doit se préoccuper de coordination et de limitation de programmes et de nécessités budgétaires qu'oubliera volontiers le professeur qui croit à l'utilité plus spéciale de son enseignement. La Direction de Daubrée et de Dupont, - nous venons de dire pourquoi nous ne les séparons pas, - n'a pas échappe à ces luttes, à ces difficultés et aux critiques qui en sont la suite naturelle. L'heure est déjà venue où l'on doit les oublier.

Entre temps, dans les douze ans que dura l'Inspectorat de Dupont depuis la reprise de la vie normale en 1871, l'École des Mines de Paris suivit ses destinées sans que son histoire ait été marquée par quelque événement plus spécialement saillant. En dehors des développements donnés à la collection de paléontologie, qui ont été l'objet en leur temps de si vives discussions, rien ne fut changé dans les installations matérielles ; les programmes ne subirent pas de modifications importantes, si ce n'est la création en 1879 du Cours de Géologie appliquée en remplacement du Cours d'Agriculture, et le dédoublement, à cette même date, du Cours unique de Construction et Chemins de fer en deux cours distincts ; le mode d'enseignement resta sans changements.

A Paris, comme il Saint-Étienne, en outre de ses fonctions officielles, Dupont continua à se préoccuper avec la plus vive sollicitude du placement dans l'industrie des élèves externes. La reconnaissance de tous ses anciens élèves lui est restée à ce titre justement acquise.

Nous venons de suivre, dans ses étapes successives, la longue carrière administrative d'Etienne Dupont. Nous devons, pour achever de faire connaître son oeuvre, rappeler des travaux qui sont plus personnels et qui n'ont pas peu contribué à établir sa notoriété; nous voulons parler de ses études sur la législation des mines et le droit minier, sans revenir sur les diverses publications que nous avons eu déjà l'occasion de mentionner.

Lorsqu'il fut chargé de l'important service des mines d'Alais, Dupont comprit l'utilité d'un livre, essentiellement pratique et méthodique, qui put servir de guide tant aux exploitants et aux usiniers qu'aux ingénieurs de l'Etat dans les difficultés administratives qu'ils rencontrent incessamment. La littérature spéciale n'offrait pas de grandes ressources à cet égard : ici des ouvrages vieillis on incomplets; là des documents trop épars.

Les trois articles, célèbres en leur temps, que Migneron avait publiés dans les Annales des Mines en 1832-1833, portaient sur la philosophie plus que sur la pratique du droit minier.

De 1833 à 1848, chaque livraison de ces Annales était enrichie de notes très précieuses où de Cheppe, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et chef de la Division des Mines au Ministère des Travaux Publics, commentait, avec une autorité spéciale due a cette situation et à une science administrative et juridique profonde, les plus intéressantes décisions intervenues en matière de mines, minières, carrières, usines minéralurgiques et appareils à vapeur. De Boureuille, devenu à son tour chef de la Division des Mines, avait tout d'abord continué cette série; elle fut définitivement arrêtée en 1850. Si nombreuses qu'aient été ces notes, elles ne touchaient qu'à des points spéciaux, à des affaires particulières. Leur ensemble était moins que commode à consulter.

Comme ouvrage didactique, laissant de côté la publication de Locré, de 1828, si spéciale, il n'y en avait que deux parus eu 1838.

Le premier, le traité de A. Delebecque, était composé plus pour la Belgique que pour la France. Encore que les deux pays aient pour fondement de leur droit minier la même loi du 21 avril 1810, la pratique administrative et la jurisprudence judiciaire ne laissent pas de présenter de notables différences : l'organisation de l'Administration n'est pas la même ; puis, au moment où le traité de Delebecque paraissait, la Belgique avait modifié la loi organique de 18l0 par la loi du 2 mai 1837, tandis que notre loi du 27 avril 1838 n'avait pas encore été rendue. A toutes ces différences s'en joignait une autre venant du plan même de l'ouvrage. Delebecque avait consacré la moitié de son oeuvre à l'exposé du droit minier de l'Etranger et des temps anciens. Dans l'autre moitié, qui seule avait une portée plus pratique, il s'était occupé de la législation des mines au point de vue du droit civil plus que du droit administratif.

L'ouvrage de A. Richard, fait essentiellement pour la France, avait été publié la même année, mais avec un intervalle suffisant pour que l'auteur ait pu tenir compte des modifications si importantes apportées dans la loi du 21 avril 1810 par notre loi du 27 avril 1838. Toutefois, le sujet des déchéances de mines et les autres points traités dans cet acte étaient encore trop nouveaux pour que Richard ait pu les exposer convenablement. La loi sur le sel du 17 juin 1840 n'avait pas encore été rendue, et l'auteur n'avait pu qu'indiquer l'état des discussions confuses qui se poursuivaient depuis 1825 à la suite de la découverte du gîte de sel gemme de l'Est.

Le traité publié en 1842 par Peyret-Lallier, d'une portée doctrinale plus haute, n'était qu'un commentaire, par article, des deux lois des 21 avril 1810 et 27 avril 1838 fait au point de vue à peu près exclusif du droit civil et point du droit administratif.

Le livre dont Dupont donna la première édition en 1853 venait donc bien à son heure ; le succès qu'il eut montra que l'auteur avait atteint son but : on peut effectivement considérer comme ayant particulièrement réussi un ouvrage sur le droit des mines dont la seconde édition se publie moins de dix ans après la première ; c'est en 1862, en effet, que parut la deuxième édition du traité de Dupont. Heureux temps, il est vrai, temps héroïques, pourrait-on dire en les comparant aux nôtres où en dix ans on n'avait pas rendu une loi nouvelle, un règlement nouveau sur la matière! Puis le sujet était plus étendu qu'aujourd'hui; ce droit spécial comprenait les usines avec les mines; la couche des consommateurs était plus profonde. Le livre, du reste, méritait son succès par son côté d'utilité pratique, immédiate : l'auteur s'était assez peu préoccupé des discussions de doctrine, des sujets de pure théorie, et surtout de théorie de droit civil. C'est pourquoi, notamment on s'explique qu'il parle, en moraliste, des « devoirs » des concessionnaires, bien qu'il ne dût pas ignorer que le juriste ne connaît que « des droits et des obligations ».

Plus tard, lorsque notre droit minier fut successivement modifié par la loi du 9 mai 1866, puis plus profondément, au point de vue des mines, par la loi du 27 juillet 1880, Dupont publia, en 1881, un dernier ouvrage qui n'était que la reproduction de la partie de son cours consacrée à la législation des mines. Il voulait donner le commentaire immédiat de cette loi du 27 juillet 1880 à la préparation de laquelle il n'avait pas laissé de prendre une part assez importante par les notes développées qu'il avait remises à l'Administration supérieure. Le livre venait trop tôt pour donner tous ses fruits. Il n'y avait pas encore assez de recul pour fournir un commentaire complet et autorisé de la loi de 1880.

Ce fut là son testament administratif. Officier de la Légion d'honneur depuis 1875, nommé Inspecteur général de 2° classe en 1877, il fut atteint par la limite d'âge le 15 août 1882, en pleine vigueur physique et intellectuelle. Aussi, d'importantes sociétés industrielles s'empressèrent-elles de recourir à sa pratique et à son expérience consommées en le faisant entrer dans leurs conseils. Il devint Ingénieur-conseil des mines de Blanzy, Administrateur des mines de Carmaux et de la Société de Vezin-Aulnoye dont il présida le Conseil. Il se donna à cette nouvelle tâche avec la même ardeur, pour la plus grande utilité des sociétés qui avaient fait appel à son concours, sans la moindre défaillance jusqu'à son donner jour. A plusieurs reprises, dans les débuts de ces nouvelles occupations, à un moment où les intérêts collectifs des exploitants de mines français n'avaient pas la représentation normale et permanente d'aujourd'hui, Dupont eut le mandat de défendre ces intérêts dans la discussion des projets soumis au Parlenient. C'est à ce titre qu'il présenta des observations au sujet des diverses propositions de lois soumises au Parlement en faveur des ouvriers mineurs. Il prit une dernière fois la plume pour combattre, dans un mémoire étendu, le projet de loi sur les mines déposé par le Gouvernement en 1880. Dupont avait vécu trop longtemps dans le culte de la loi de 1810 pour ne pas s'élever avec vigueur contre toutes les innovations de ce projet jusqu'à celle de prétendre toucher à la forme même, au numérotage de la loi de Napoléon. Et, cependant, parmi les modifications qu'il suffisait, suivant lui, d'introduire dans cet antique texte, se trouvait, pour l'arlicle 49, un paragraphe 3, d'après lequel on pouvait poursuivre la déchéance et le retrait d'une concession, restée inexploitée trois ans sans cause reconnue légitime. C'était là certes une innovation considérable aux règles de 1810, une atteinte profonde au principe de l'assimilation de la mine à la propriété d'un champ, cette pierre angulaire de l'oeuvre du législateur impérial ; et le conservatisme de Dupont n'avail pas reculé devant ce changement.

Ce fut sa dernière oeuvre de publiciste et de polémiste. Il resta depuis confiné dans la gestion immédiate des grands intérêts de l'industrie privée auxquels il avait été mêlé.

Ainsi s'est passée la carrière de M. Etienne Dupont. Si elle n'a pas été marquée par quelqu'un de ces travaux qui sortent de pair leur auteur, elle a été du moins remplie par des occupations et des oeuvres toujours utiles, aux résultats souvent féconds. Bien réglée, sa vie a été heureuse. Nous avons vu son enfance s'écouler, chose bien rare à cette époque, dans les meilleures conditions d'une vie de famille continue. Jeune encore, un mariage avec une compagne d'élite l'avait fait entrer dans une des familles les plus considérées de Toulouse. Il avait vu son fils réussir pleinement dans la carrière des chemins de fer qui était à côté de celle par lui parcourue. Sa fille s'était donnée à Dieu dans un des ordres les plus austères et les plus retirés du monde. Pour lui ce n'était pas une séparation, mais plutôt une consolation et une espérance : il n'était pas seulement, en effet, un catholique; remplissant régulièrement les devoirs de sa religion, il était un croyant convaincu, à la foi profonde, qu'il proclamait volontiers tout haut, comme nous le lui avons vu faire en tant de circonstances. Avec la foi agissante, il avait la charité active, s'intéressant à toutes les oeuvres calholiques, et plus spécialement à celles d'une utilité sociale plus haute, comme les orphelinats agricoles (En 1873, il a publié, comme rapport sur les orphelinats agricoles, une monographie de la colonie établie à Servas dans le Gard par Varin d'Ainvelle qui fut Ingénieur en chef des Mines dans le Gard (promotion de l'École Polytechnique de 1823) et a été député et maire d'Alais ; c'est lui, nous l'avons dit, qui étudia, le premier, l'établissement de l'École des maîtres-ouvriers mineurs de cette ville).

Jusqu'à la fin il conserva cette belle ardeur des fortes convictions qu'il avait sur toutes choses. La vivacité de son allure accroissait l'impression laissée par son commerce : le geste rapide et abondant, la mobilité du corps, la voix forte et martelée où l'on entendait comme des résonances d'intonations méridionales, augmentaient l'effet de sa parole dans la conversation et dans la discussion. A peine dans les derniers temps devinait-on sa vivacité atténuée, comme s'il était assombri par le discrédit dont il voyait frappées les idées sociales et religieuses qui lui avaient toujours été plus spécialement chères. Il resta entier sans avoir connu les infirmités de la vieillesse ; quelques souffrances sont venues lui donner un avertissement dont il n'avait certes pas besoin ; il était de ceux toujours prêts à répondre à l'appel, quelle qu'en fût l'heure, parce qu'il croyait que la vie ne doit être qu'un acheminement vers les éternelles consolations de l'au-delà.


Le livre de Anne-Françoise GARÇON Entre l'État et l'usine : L'École des Mines de Saint-Étienne au XIXe siècle donne un éclairage nouveau sur les méthodes de Dupont à Saint-Etienne :

Dupont le premier, songea à gérer les propositions d'emplois qu'il recevait autrement que par l'échange de lettres entre l'employeur potentiel et l'école. Il était logique que le directeur de l'école cherchât à mettre au point un mode d'approche qui lui procure une lecture plus fine de l'offre et de son évolution. C'est à lui, en effet, et à ses collègues du conseil qu'il revenait de décider chaque année du nombre d'élèves à admettre. Le calcul très empirique mettait en balance le nombre de candidats à se présenter à l'examen d'entrée et la plus ou moins grande facilité avec laquelle la promotion sortante trouvait à se caser. Le barème d'admission était fixé au vu de ces indicateurs. Tout à son souci d'ordonnancement, Dupont tenta d'organiser l'affaire de manière plus rationnelle. Il élabora, sous forme d'un registre, un véritable fichier de l'offre et de la demande qui s'avéra d'une bonne efficacité pour anticiper sur la demande et proposer parmi les élèves disponibles, celui susceptible de correspondre le mieux au poste proposé.

Brutalement toutefois, la machine se dérégla dans la deuxième moitié des années 1860. Y eut-il une erreur d'appréciation, un optimisme trop grand alors que la conjoncture défaillait ? L'école en effet, s'était décidée à admettre plus de candidats, ce qu'indique la moyenne décennale des admis qui passa de 15 à 20 élèves, un nouveau palier auquel elle resta. Le problème, c'est qu'au même moment, l'offre d'emploi fléchit. L'industrie connut une récession sévère, qui frappa tout particulièrement la sidérurgie. « Les positions sont rares et je crains d'être obligé d'attendre quelque temps après avoir quitté Pont-Évêque pour me placer. Puisque la métallurgie est pour ainsi dire bouchée par le nombre des employés et restreinte par la diminution des usines, j'entrerais volontiers dans les mines en attendant », explique Gavet en 1865, élève breveté de 1822. Débordé par la demande - 152 entre 1866 et 1868, soit 50 demandes par an! - Dupont fut bien incapable d'y faire face. Quarante élèves brevetés se trouvèrent sans emploi, et parmi eux, 16 des 26 élèves brevetés en 1867, 17 des 19 élèves brevetés en 1868. Touché à son tour par la crise, le bassin houiller de la Loire fit également défaut et cessa d'assurer son rôle de sas, de proposer leur premier emploi aux jeunes ingénieurs.

En fait, la mobilité professionnelle des diplômés de Saint-Etienne augmenta brutalement, en raison des mouvements de restructuration industrielle.

L'association amicale, constituée en décembre 1866 par 37 anciens élèves, commença à aider le directeur de l'Ecole (sans se substituer à lui) dans son travail de placement des anciens élèves à partir de 1870.