Louis CHAMPY (1870-1955)


Champy, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Fils de Victor CHAMPY (issu d'une famille de maître de forges de Rothau) et de Suzanne Jeanne BIZOUARD.
Il épouse en 1892 Anne Marie de COLOMBEL (1871-1944).
Enfants :

  • Pierre (1893-1962)
  • Michel, qui épouse Laurette DUPONT-PIERRARD le 7/4/1923.
  • Victor (1897-1924)
  • Hélène (1899-1983), qui épouse Jean PAUZAT
  • Jean (1901-1959), ingénieur des Houillères du Nord et du Pas de Calais
  • Son fils Charles meurt le 19/8/1929 d'un accident de voiture.

    Promotion 1889 de Polytechnique (entré classé 21ème, sorti classé major juste devant CUVELETTE). Ecole des Mines de Paris (1891-1895). Corps des mines.

    Après des fonctions d'ingénieur des mines à Chalon-sur-Saone puis à Valenciennes, il est mis en congé renouvelable en 1905 et autorisé ensuite à entrer au service de la Compagnie des Mines d'Anzin (rivale de la Compagnie des Mines de Lens) dont il devient rapidement le directeur général.

    D'après ses contemporains, il est "esprit de finesse, haute culture, diplomatie" (Léon).

    Plus tard, il devient président du syndicat européen des producteurs de charbon.


    Louis Champy élève de l'Ecole polytechnique
    (C) Photo collections Ecole Polytechnique


    La reconstruction des mines d'Anzin après la 1ère guerre mondiale


    Allocution de M. Champy le 16 juin 1923, à l'Assemblée générale de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris

    Mes chers Camarades,

    Je dois le grand honneur d'avoir été appelé à présider votre Assemblée générale annuelle aux liens d'amitié qui m'unissent depuis les lointaines années d'école avec le président de votre Association, M. Edouard Julhiet. Cette simple constatation me tiendra lieu des actes d'humilité par lesquels il 'est d'usage que les éphémères présidents de vos Assemblées commencent leurs discours. J'ai répondu simplement, franchement et sans arrière-pensée, à l'appel d'une voix qui sonne encore à mon oreille comme une des voix de ma jeunesse, une de ces voix qui ont conservé la puissance d'illusion nécessaire au déploiement d'efforts inaccoutumés, une de ces voix auxquelles on ne saurait jamais dire non.

    Cette voix amie et quelque peu impérative m'a dicté même le choix de mon sujet. Elle m'a dit : « Tu as eu la fortune, qu'il serait peut-être excessif de qualifier de bonne, d'accomplir avant la soixantaine, une œuvre ; parle-nous de ce que tu sais le mieux, de cette œuvre à laquelle tu t'es donné entièrement depuis plus de quatre ans, de la reconstitution des mines d'Anzin. Nous aimons les idées générales, certes, et les vues d'ensemble, mais nous savons aussi que des monographies complètes et claires sont génératrices d'idées générales, et, quoi que tu en penses, tu ne nous ennuieras point. »

    A demi confiant dans cette affirmation, je m'exécute, mes chers camarades, et je le fais d'autant plus volontiers qu'avant de vous parler de notre reconstitution, je dois vous rappeler les destructions que nous avons subies, et l'on ne saurait trop, dans les circonstances actuelles, raviver le souvenir des ruines que l'ennemi en retraite a semées sur son passage, jusqu'à notre frontière, dans l'espoir évident de préparer sa domination économique. Nous autres sinistrés ne cessons, à la suite de nos propagandistes, de le redire à nos amis anglo-saxons qui, sans cette insistance, ne justifieraient que trop cette maxime de La Rochefoucauld. : « Nous avons toujours assez de force pour supporter les maux d'autrui. » Et nos camarades qui sont dans la Ruhr le répètent inlassablement au peuple allemand, dans la pensée chevaleresque de conquérir son adhésion à nos si douces réclamations. Dans le même esprit, votre éminent directeur, M. Chesneau m'a demandé de perpétuer le souvenir de ces ruines en offrant à l'Ecole deux tableaux de photographies de nos installations telles qu'elles se comportaient au début de l'année 1919. Ces tableaux me dispenseront de trop insister.

    Sachez seulement qu'à la fin de novembre 1918, lorsque sont revenus dans notre région les ingénieurs que j'avais envoyés en mission de Liège, à travers les troupes allemandes en retraite, et ceux qui, de la France libre, avaient sans tarder rejoint leur poste, ils se sont trouvés en présence d'un puzzle en apparence inextricable formé, sur nos vingt sièges d'extraction, par vingt-neuf chevalements abattus, vingt-deux machines d'extraction, vingt-trois compresseurs, trente et un ventilateurs, onze génératrices d'électricité, plus ou moins hachés par les explosions avec les bâtiments qui les contenaient, la moitié environ des chaudières éventrées à la dynamite, de nombreuses cheminées rasées, quinze ouvrages d'art de la voie ferrée détruits, plus de vingt kilomètres de voies rompus systématiquement. Cent vingt-quatre maisons ouvrières étaient démolies. Un lavoir, deux usines à briquettes avaient gravement souffert, les criblages étaient quelque peu endommagés. Enfin un cuveluge était crevé. Les travaux souterrains, privés d'entretien, s'effondraient, et les eaux s'y élevaient, tout exhaure ayant été supprimé. A peu près rien de tout cela n'était attribuable aux combats qui s'étaient livrés sur notre territoire. Tout, ou presque tout, était dû aux destructions systématiques accomplies entre le 8 et le 14 octobre 1918.

    Une fois le premier choc subi, et il était terriblement rude, nous n'avions plus à envisager que d'agréables surprises. La première, la plus forte, venait de la préservation complète de nos fours à coke, de l'état relativement satisfaisant de nos criblages, dont quelques supports seulement avaient été coupés au ras du sol, et, pour nos ateliers de lavage, pour nos usines à briquettes, pour nos usines à boulets, de la stricte limitation des destructions à un grand établissement très voisin de notre frontière Ouest. A quel mystère attribuer ces ménagements relatifs, qui devaient être la clef de notre bonne marche ultérieure ? Moi seul en avais l'explication, et comme elle nous ouvre d'assez curieux aperçus sur la mentalité des dirigeants ennemis à cette époque, je crois intéressant de vous la donner. Lorsque, aux premiers jours d'octobre 1918, j'appris que l'ennemi disposait ses charges d'explosifs le long de nos chevalements, dans nos salles de machines, dans nos criblages, partout enfin où il y avait une pièce métallique à détruire, je me trouvai à peu près dans l'état d'âme d'un condamné à mort qui entendrait monter la guillotine. En présence de l'inévitable, je ne me sentais nullement disposé à pousser des cris, à élever des protestations plus ou moins vives. Quatre nnnées d'une rude expérience m'avaient appris que le sentiment n'avait aucune prise sur nos ennemis. Le raisonnement seul pouvait les influencer. Mais précisément leurs journaux m'indiquaient le raisonnement à leur tenir. Sous la pression de nos armées victorieuse, dans leur immense désarroi, un sauveur leur apparaissait, le président Wilson, un sauveur, mais aussi un juge, et c'est à ce juge éventuel que j'eus l'inspiration de faire indirectement appel. J'allai trouver, c'était, je crois, le 3 octobre, le capitaine chargé de notre contrôle, et je lui tins à peu près ce langage : « Je sais ce que vous préparez, je sais que vous allez faire sauter l'ensemble de nos installations : avez-vous réfléchi à l'effet que produiront ces destructions sur l'opinion américaine, dont vous attendez le jugement ! Peut-être trouverez-vous à dire au président Wilson, lorsqu'il vous demandera des comptes, que vous obéissiez à des nécessités stratégiques en détruisant nos chevalements et nos machines, qu'il vous fallait empêcher toute extraction de charbon pour l'usage de nos armées. Mais la même explication ne sera possible, certes, ni pour justifier la perforation de nos cuvelages, qu'il faudra bien des années pour réparer, ni pour justifier la destruction de tout un outillage destiné à cribler, à laver, à agglomérer, à carboniser ce même charbon que vous nous avez déjà mis dans l'impossibilité d'extraire. Cette destruction affirmera votre volonté de ruiner la puissance industrielle de la France. »

    Le capitaine réfléchit un instant et me dit : « Iriez-vous répéter cela à notre Grand Quartier Général ? » Sur ma réponse affirmative, il me promit de gagner du temps, dans la mesure du possible, jusqu'à ce que ]es résultats de ma démarche fussent connus de lui. Gagner du temps était pour lui le moyen de dégager sa responsabilité personnelle vis-à-vis du vainqueur. Je passe sur les péripéties du voyage à Spa, sur les retards réellement dommageables que je subis. Lorsque je fus en présence des délégués du Grand Etat-Major, mon petit discours avait pris une forme impeccable. J'y avais même ajouté un argument que je croyais excellent : « Vous avez grand intérêt, leur dis-je, a réduire l'importance des destructions, car vous en paierez les frais. » Ceci fut accueilli par un sourire que je n'oublierai jamais : c'est ce même sourire qui doit crisper la bouche du chancelier Cuno lorsqu'il nous adresse ce qu'il qualifie de propositions. Il signifiait bien évidemment : « Nous ne paierons pas. » Mais lorsque j'eus repris le leitmotiv de Wilson, il eut d'autant plus de succès que les événements s'étaient, depuis près de huit jours, singulièrement précipités ; mes deux interlocuteurs réfléchirent gravement et, enfin, ils me déclarèrent que j'avais raison, qu'un contre-ordre serait donné, et nos installations annexes épargnées.

    Je m'excuse, mes chers camarades, de cette anecdote un peu lonque. Elle est en rapport direct, avec le sujet qui nous occupe. Elle vous explique la première satisfaction que nous ayons éprouvée en revenant sur nos ruines. Elle vous explique aussi comment nous avons pu, aussi rapidement, mettre à la disposition du public, que la guerre et le bureau national des charbons n'avaient pas gâté, certes, des charbons classés, lavés, des boulets fabriqués avec autre chose que des balayures des chantiers parisiens, les briquettes à une teneur en cendres inconnue des chemins de fer depuis bien des années, et, surtout, cette précieuse denrée qui s'appelle le coke métallurgique. Je répète volontiers qu'avant d'entreprendre le fonçage d'un puits de mine dans un gisement connu, il faut commencer par monter un criblage et par s'assurer que l'on dispose d'installations suffisantes pour laver le charbon extrait, puis le carboniser ou l'agglomérer. L'absence de ces installations commerciales est néfaste au développement de l'extraction. En remontant aussi rapidement nos criblages nous paraissions avoir commencé notre reconstitution par où elle aurait dû finir. C'était, en réalité, l'ordre qu'il convenait de suivre pour faire de bonne besogne.

    D'autres surprises agréables nous étaient réservées. Il nous arriva, dès le début du déblaiement, de découvrir sous un amas de décombres un turbo-alternateur à vapeurs d'échappement et à vapeur vive à peu près intact. Je ne pense pas que lord Carnavon ait éprouvé une joie plus vive lorsqu'il se trouva face à face avec Tut-enk-Ahmon. Ce fut là notre première source sérieuse d'énergie électrique : grâce à ce turbo-alternateur nous obtînmes la lumière, dont la privation était si grave dans ces longues soirées d'hiver, et l'énergie motrice pour les machines de nos ateliers, heureusement à peu près intactes, et pour tout un groupe de modestes industriels, qui travaillaient pour nous.

    A peu près tous nos treuils de secours furent retrouvés intacts. Calculés pour soulever à la vitesse de 1 m. 50 par seconde une charge utile de 1.000 kilos, ils ne devaient permettre d'assurer qu'une bien faible extraction, ils nous furent néanmoins précieux. Précieux aussi les treuils de fonçage retrouvés dans nos magasins, une machine à cylindres oscillants, digne pièce de musée, trois vieilles machines de 140 chevaux qu'au prix de fortes réparations nous pouvions remettre en état de marche, tout un matériel suranné que nos pères avaient conservé en magasin je ne sais trop pourquoi, que les destructeurs avaient dédaigné et qui prenait à nos yeux une valeur énorme.

    Nos premiers efforts tendirent à tirer de tout ce matériel le meilleur parti possible, à faire choix, tout d'abord, des fosses sur lesquelles nous concentrerions nos travaux et nos ressources. Nous n'avions, à cette époque, qu'une idée très vague de ce que serait la loi des dommages de guerre, nous n'étions même pas bien sûrs d'être jamais payés. Je gardais le souvenir de l'énigmatique sourire dont je vous parlais tout à L'heure, je voyais qu'à mesure que le temps avançait nous nous démunissions de nos armes vis-a-vis d'une nation qui ne cède qu'à la force. Je n'osais croire que la France pourrait faire l'avance de la presque totalité des fonds de la reconstitution, je décidai donc de concentrer nos efforts sur quelques fosses choisies parmi les plus productives, dont les résultats bénéficiaires pussent nous permettre de mener à bien toute notre reconstitution en vingt ou vingt-cinq ans. Ces fosses étaient, d'ailleurs, réparties sur toute la concession, en vue de fournir du travail autant que possible à tous les ouvriers qui, venant de tous les coins de France, regagnaient leurs demeures avec un entrain émouvant. Je pris dès ce moment un très grand respect pour tous nos vieux débris, pour nos mitrailles, qui, bien classées, laissaient apparaître une pièce de machine intacte, une poutrelle utilisable, pour les murs abattus eux-mêmes, dont on séparait une à une les briques en les dégageant du mortier ancien.

    Lorsque la loi des dommages de guerre fut venue nous inspirer confiance cette prudence fit place à un optimisme raisonné, très justifié par les premiers résultats obtenus. L'allure de notre reconstitution fut accélérée; mais il nous resta de ces premiers mois un souci de l'économie, une volonté de réutiliser les vieux matériaux, un soin de tirer parti de tout qui nous ont valu depuis, de la part des hauts fonctionnaires chargés de régler nos dommages de guerre, un témoignage précieux et, disons-le sans amertume une indemnité d'autant plus réduite que nous avions été plus économes.

    Afin de ne pas abuser de vos instants, je vous dirai seulement les grandes lignes de nos programmes de reconstitution et terminerai ce long exposé en jalonnant par quelques chiffres les étapes de cette œuvre à peu près terminée aujourd'hui.

    Le rétablissement de la voie ferrée fut, naturellement, l'un de nos tout premiers soucis. Nous trouvâmes le plus complet appui du côté de la Compagnie du Chemin de fer du Nord, qui prépara le rétablissement définitif des principaux de nos ouvrages d'art, et de la part du régiment des chemins de fer, qui procéda avec une remarquable célérité à l'installation de ponts provisoires.

    Le dénoyagie était une opération tres préoccupante. Un de nos cuvelages avait été crevé. Nos ingénieurs s'attachèrent à en obstruer l'ouverture béante en y chassant des picots en bois, recouvrant le tout d'une pièce de tôle et injectant du ciment. Le 15 janvier 1919. la venue d'eau, de près de trois cents mètres cubes à l'heure, était réduite à trois. Pour les autres fosses, si deux d'entre elles avaient une venue d'eau très faible, neuf au moins avaient une venue excédant trois cents mètres cubes par vingt-quatre heures, et l'arrêt des pompes pendant plusieurs semaines avait suffi à les inonder. Une seulement avait échappé, grâce à la perspicacité d'un ingénieur, revenu sur place des premiers, qui avait reconnu qu'il suffirait d'ouvrir la porte métallique d'un serrement pour déverser les eaux de cette fosse dans les travaux d'une autre, beaucoup plus profonde, ce qui devait préserver les pompes souterraines et permettre de les remettre en marche dès que l'on disposerait de vapeur en quantité suffisante, grâce aussi au courage du chef porion de la fosse, qui s'engagea, ayant de l'eau jusqu'au cou, dans la bowette où se trouvait cette porte métallique et réussit à l'ouvrir. Pour cinq fosses nous dûmes recourir à des pompes puissantes commandées en Suisse, en 1917, par M. Reumaux pour dénoyer les mines de Lens, et que le Groupement des Houillères envahies mit à notre disposition. Le 2 août 1919, la première de ces pompes nous fut livrée, le 14 janvier 1920 elle fut mise en marche : un an et demi après nous rendions au Groupement la dernière de ces pompes. Pour les autres fosses, et pour toute une série de sous-étages isolés, les opérations de dénoyage se poursuivent avec des moyens moins puissants. Ce n'est guère qu'en 1925 que noue les aurons terminées complètement.

    J'ai décrit à diverses reprises par quels procédés nous parvînmes à relever bon nombre de nos chevalements coupés, déjetés, et parfois entièrement renversés. C'était l'une des difficultés les plus malaisées à résoudre. Nous fumes activement secondés par des entrepreneurs liégeois qui nous avions entretenus de la question. Ils nous arrivèrent avec leur matériel et leur personnel dès janvier 1919. Qu'il me suffise de rappeler qu'à l'aide de palans fixés à des mâts énormes, ou par des vérins puissants, on soulevait la partie supérieure du chevalement, on l'amenait peu à peu à sa position définitive, puis on découpait au chalumeau les pièces métalliques tordues et arrachées par les explosions, on les remplaçait par d'autres prélevées sur des chevalements plus endommagés. En décembre 1919, quinze chevalements avaient été ainsi réparés. Trois autres étaient dépecés et reconstruits pièce à pièce. Pour ceux auxquels il était impossible d'appliquer l'une ou l'autre de ces méthodes, nous dûmes en construire de nouveaux. L'extrême rareté des poutrelles nous détermina à faire choix de chevalements en béton armé partout où les terrains pouvaient apporter leur charge, sept fois supérieure à celle d'un chevalement métallique. Nous trouvions, en outre, à l'emploi du béton armé, un certain avantage du côté de la rapidité de la construction. Six chevalements en béton armé ont été ainsi construits. Mais lorsque les poutrelles ont été plus offertes nous sommes revenus aux chevalements métalliques non seulement lorsque nous y étions forcés par le peu de résistance des terrains, mais aussi dans deux autres cas. Trois chevalemente restent encore à construire.

    Le choix des machines d'extraction fut, dès la première année, un important problème. Avant la guerre, toutes nos fosses et étaient pourvues de machines à vapeur, les unes parfaitement modernes, alimentées en vapeur à pression élevée, très économiques, les autres anciennes, à forte consommation. Ces dernières avaient été pourvues de turbines à vapeurs d'échappement système Rateau, ce qui est un moyen très efficace, quoique compliqué, de tirer un bon parti d'installations vieillies. Je décidai de réparer les chaudières à tubes d'eau des fosses les plus modernes, de réparer ou de remplacer leurs machines à vapeur, bref d'y conserver la vapeur comme fluide moteur. Mais pour les fosses les plus anciennes, au nombre de quatorze, il était bien évident que nous ne pouvions songer à reconstruire leurs vieilles machines et à réinstaller les turbines à vapeurs d'échappement, il était infiniment plus simple et plus efficace de les électrifier. Quatre fosses devaient donc être munies de machines à courant triphasé et à action directe, huit autres de machines à courant continu système Léonard Ward, et, enfin, sur deux fosses destinées à une existence assez courte, deux treuils de faible puissance faisant partie d'une série de neuf treuils identiques commandés en 1919 et livrés en 1921 pour assurer une extraction provisoire seraient maintenus définitivement. Nos machines à vapeur, au nombre de sept, sont toutes en service, trois machines électriques sont utilisées depuis quelque temps déjà, le montage des autres se poursuit.

    Corrélativement nous avions reconstruit une station génératrice d'électricité importante, qui nous fournit dès décembre 1919 le courant nécessaire au dénoyage, et nous avions engagé la construction d'une grande Centrale destinée à contenir six turbo-alternateurs de 12.500 KVA. Cette Centrale sera alimentée au charbon pulvérisé ; elle sera mise en marche incessamment. Jusque-là, des contrats avec la Société d'Electricité de la Région de Valenciennes-Anzin nous ont assuré l'appoint d'énergie électrique qui nous est indispensable.

    Dans nos bâtiments reconstruits, ils le sont tous aujourd'hui, nous avons réinstallé, en outre des anciennes machines qui ont pu être réparées, des machines annexes neuves, vingt-huit ventilateurs, quatre compresseurs à vapeur de 9 mc. 500 à 7 kilos, douze compresseurs électriques de 6 mc. 400 à 7 kilos, quatre compresseurs à haute pression pour la traction par locomotives à air comprimé.

    Enfin nous engageâmes, dès l'année 1921, après la reconstruction de nos maisons ouvrières détruites, la construction de maisons ouvrières nouvelles, très lourde charge que nous impose la nécesité de recruter et de fixer des effectifs accrus, par l'effet de la loi du 24 juin 1919, de 25 % par rapport à ce qui eût été nécessaire sous le régime ancien.

    La réparation des dommages causés aux travaux souterrains représente une charge financière à peu près égale à celle qu'entraîne la reconstitution de la surface. Sur 594 kilomètres de galeries à relever, 472 l'ont été à ce jour.

    De 53 tonnes le 1er janvier 1919, notre extraction journalière est passée à 1.270 tonnes le 30 juin, à 2.896 tonnes le 31 décembre de la même année, à 5.052 tonnes le 31 décembre 1920, à 7.O76 tonnes le 31 décembre 1921, à 8.025 tonnes le 31 décembre 1922, à 8.980 tonnes, ou 80 % de l'extraction d'avant guerre, le 31 mai 1923. Nous avons, en 1922, extrait 2.284.753 tonnes, produit 97.959 tonnes de coke, 469.669 tonnes d'agglomérés, et reconquis le second rang dans l'extraction des houillères françaises.

    Ces résultats, mes chers camarades, jalonnent, ainsi que je vous l'ai dit en commençant, notre reconstitution matérielle. Mais après la terrible secousse que la guerre et les changements dans les conditions d'existence ont imposée à tous les cerveaux, nous avions aussi à opérer notre reconstitution morale. Certes, beaucoup d'ingénieurs étaient revenus, comme les surveillants et les ouvriers, apporter à leur vieille compagnie leur concours dévoué, et ce dévouement, je vous l'ai dit, fut poussé très loin dès les premiers mois ; mais nombre d'autres, gagnés par cette fièvre de changement qui caractérisa les premières années de l'après-guerre, nous firent défaut. Malgré cette grave lacune, il nous fallait rétablir toutes les anciennes traditions qui avaient fait notre force. Il nous fallait trouver les jeunes à qui passer le flambeau ; la production des écoles était très réduite, les besoins d'ingénieurs partout très grands. C'est vous dire avec quelle satisfaction mêlée d'admiration nous avons apprécié le bel entrain avec lequel le corps enseignant de l'Ecole des Mines et, à sa tête, son Directeur, M. Chesneau, auquel je suis heureux de rendre ici un public hommage, ont remis en vigueur toutes les belles traditions d'avant guerre et recommencé à former en grand nombre des élèves. Aujourd'hui nous avons abondamment puisé dans ce réservoir de jeunes hommes savants, énergiques et simples, soucieux de diriger leur personnel avec justice et fermeté, que nos Ecoles des Mines, pour leur plus grand honneur, forment régulièrement. Leur présence a parachevé notre reconstitution. C'est sur eux que nous comptons pour moissonner ce que, pendant cinq rudes années, nous crovons avoir semé.