Eckley Brinton COXE (1839-1895)

Photo ENSMP

Né le 4/6/1839 à Philadelphia (USA).

Bachelor of Arts. Ancien élève externe étranger de l'Ecole des mines de Paris : entré le 22/12/1860, il passe en 3ème année le 5/6/1862, classé 7. Voir le bulletin de notes de Coxe pour les 2 premières années de sa scolarité.


Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines, 1901

LES INGÉNIEURS AMÉRICAINS ET L'ÉCOLE DES MINES DE PARIS
par Ferdinand GAUTIER

Les décès si rapprochés de :
Eckley B. Coxe, 1898;
Thomas Egleston, 1900;
Richard P. Rothwell, 1901,
ont justement attiré l'attention sur ces élèves distingués de l'École supérieure des Mines de Paris ; car ils ont fait honneur à son enseignement qu'ils avaient suivi à titre étranger.

J'ai été le camarade de Coxe et le contemporain d'Egleston et de Rothwell ; c'est une génération qui s'éteint, il convient de saluer en passant quelques-uns de ses membres.

Eckley B. Coxe.

On retrouve les ancêtres de Coxe, en Angleterre , d'abord vers 1648 ; l'un d'eux, médecin de Charles II et de la reine Anne, se distingua dans sa profession; il devint propriétaire, par voie d'achat, du droit exclusif de colonisation et d'exploration, entre les 31 et 36e degrés de latitude dans l'Amérique du Nord, depuis l'Atlantique jusqu'au Pacifique. Cette concession de plus de 500 kilomètres sur 4000, quatre fois grande au moins comme la France, et qui représente actuellement une douzaine d'États de la Confédération, portait le nom de Carolana. Elle avait été octroyée à titre gracieux, par Charles Ier, a l'un de ses légistes, l'attorney général sir Robert Heath. Il faut croire que faute d'occupation réelle, la valeur de ce titre devait avoir perdu sensiblement, car le Dr Coxe envoya une expédition pour consacrer ses droits, au moins sur les parties qui n'avaient pas encore été envahies par des étrangers. Ce qui est certain, c'est que ses petits-fils, en 1769, reçurent comme compensation de l'abandon de cette immense concession à la couronne, la propriété de 40 mille hectares dans l'État de New-York.

Le colonel Coxe, le fils du médecin de Jacques II, vint habiter New-Jersey en 1700 et est le véritable ancêtre américain de notre camarade ; un de ses descendants, Tench Coxe, passe pour avoir contribué puissamment à l'introduction de la culture du coton dans la région du Sud ; on lui attribue aussi un rôle actif dans la création du premier charbonnage en Pensylvanie, et sa propriété, de grande valeur maintenant, est restée entre les mains de la famille, dont l'un des membres fait le sujet de cette notice.

Eckley Brinton Coxe était le cadet des sept enfants du juge Coxe et naquit en 1839. Après des études complètes à l'Université de Pensylvanie, qu'il termina à 19 ans, il étudia quelque temps dans le laboratoire de physique et de chimie de Frazer, puis il apprit le français et la comptabilité, en vue de se préparer à l'administration des charbonnages restés indivis entre ses frères et soeur, et dont la direction devait lui revenir. Notre camarade avait compris qu'un directeur technique et administratif doit toujours être doublé d'un comptable, ce que trop d'ingénieurs oublient. Il passait toujours ses vacances dans la région des mines, où sa famille venait chaque année, et, c'est là qu'il se familiarisa avec la fonderie, les ateliers de construction, les mines, aussi bien dans leur exploitation et le levé de leurs plans que dans le classement à la surface après concassage. On sait que, pour les charbons anthraciteux, où la question de combustion est très importante à résoudre, à cause de l'absence de produits gazeux, on n'arrive à une bonne circulation de l'air nécessaire à la conduite des feux, que par un excellent triage, qui se fait mécaniquement et doit s'obtenir avec le minimum de menus qui constituent une perte sèche.

Familiarisé, dès l'enfance, avec toutes ces questions pratiques, il prit grand intérêt plus tard à la théorie, quand il vint, en 1860, suivre pendant deux années les enseignements de l'École.

De là, il passa à Freiberg, à l'École des Mines de Saxe, où il se montra, comme à Paris, travailleur sérieux. C'est là qu'il fit la connaissance de Weisbach, qui l'autorisa à traduire son ouvrage de mécanique appliquée à l'art de l'ingénieur, plus classique et plus répandu en Allemagne que n'est Claudel en France et qui a du reste un caractère plus théorique et plus élevé. On voit que la connaissance très complète du français n'avait pas empêché notre ancien camarade d'apprendre à fond la langue allemande; nous sommes tellement habitués à ne rencontrer, chez les personnes d'origine anglo-saxonne, que la connaissance d'une seule langue, la leur, que nous nous étonnons de cette variété d'instruction. De retour à New-York en 1864, il commença son travail de traduction tout en se mêlant, comme nous allons le voir, à l'industrie des mines ; et, c'est en 1870, seulement, qu'il publia sous le titre de Manual of the Mechanics of Engineering and of the Construction of Machines, with an introduction to the calculus, le 1er volume; Theoretical Mechanics, sur la quatrième édition de Weisbach, revue et augmentée. Cette opération ne fut pas une spéculation de librairie, mais elle le fit connaître.

Dès 1852, on avait fondé, par licence des propriétaires, un certain nombre d'exploitations d'anthracite sur le domaine de Tench Coxe et de ses héritiers. Il fallait grouper tout ce particularisme industriel autour d'un intérêt commun, en évitant la concurrence et le gaspillage. Ce fut la tâche de la Société Coxe Brothers et Co qui se transforma plus tard en Cross Creek Coal Company, dont notre camarade devint le président. L'étendue des concessions syndiquées était de 12.000 hectares, et les ventes, qui avaient débuté par 26.000 tonnes seulement, atteignaient 1.400.000 tonnes en 1889. Une des questions qu'il fallut résoudre, pour arriver à un tel résultat d'extension et de prospérité correspondante, fut celle des transports ; pour se soustraire au monopole des Compagnies du New-Jersey Central et du Reading and Lehigh Valley Railway, il fallut construire une voie ferrée de 80 kilomètres, qui, en 1894 est arrivée à transporter 2.000.000 de tonnes. Une pareille indépendance rétablit les bonnes relations avec les réseaux concurrents, comme on devait s'y attendre et comme il était de l'intérêt de tout le monde. La Delaware, Susquehanna and Schuyl-Kill Railroad Co, à laquelle nous faisons allusion, possède actuellement 29 locomotives et 1.500 wagons de la capacité de 25 tonnes. Ce développement de l'industrie de l'anthracite et les moyens grandioses pour en assurer l'indépendance, resteront l'oeuvre capitale de Coxe ; car, tout en garantissant à sa famille la richesse, elle conservait un caractère d'intérêt général qui en constitue la vraie valeur; ce succès ne s'appuyait, en effet, que sur une concurrence honnête, avec une observation stricte des contrats, une économie libérale et le concours des progrès scientifiques, sans sacrifier le bien-être des ouvriers et collaborateurs de toutes sortes. Il eut à combattre les pernicieuses conséquences des traités passés par ses ancêtres et qui ne stipulaient qu'une redevance par tonne de combustible vendue, sans tenir compte du gaspillage préalable dans le concassage et le classement. Cette question occupa toute sa vie, et les efforts qu'il fit pour perfectionner les méthodes d'exploitation, les machines et aussi l'éducation du personnel donnèrent à ses travaux une valeur patriotique qui a survécu à sa réussite financière.

En 1871, il fut, avec son camarade d'École des Mines de Paris, R.-P. Rothwell, dont nous parlerons plus loin, l'un des fondateurs de l'American Institute of Mining Engineers et de son importante publication, The Transactions.

Comme on pouvait s'y attendre, la question de l'économie dans l'exploitation et le traitement de l'anthracite et des autres combustibles fut soumise par Coxe à la considération de la nouvelle société d'ingénieurs ; des commissions officielles furent nommées et il y apporta sa collaboration active, outre ses inventions dans le concassage et le classement, sans oublier les fourneaux à alimentation automatique pour la combustion des menus, jusqu'alors sans emploi, et auxquels il travaillait encore un mois avant sa mort. Quoique producteur de combustible, il n'avait pas craint de se placer sur le terrain élevé de l'économie dans la consommation, qui semblait, tout d'abord, devoir restreindre ses ventes et le profit qu'il en retirait, en provoquant l'utilisation de produits de moindre valeur.

D'une grande modestie, il resta, malgré sa valeur reconnue et sa haute position de fortune, vice-président seulement de l'Association d'ingénieurs qu'il avait contribué à fonder et ce ne fut qu'en 1878 et 1879 qu'il fut nommé président, pour repasser au second rang en 1884 et 1885 tout comme en 1889 et 1890. D'une grande générosité, sans ostentation, il avait donné sa garantie personnelle à l'impression du premier volume des Transactions et fait tirer à 1.500 exemplaires (qu'on s'arracha plus tard, il faut le dire) quand le nombre des membres ne dépassait pas 200. En 1876, lors de l'Exposition de Philadelphie, il fit mettre à un prix modéré les billets du banquet de Fairmont Park et supporta seul et incognito l'excès de dépense ainsi que les invitations.

Un côté de la carrière de Coxe qu'il ne faut pas oublier, c'est son ingérence dans les questions d'éducation technique. Deux voies étaient en présence : la théorie après la pratique ou la pratique après la théorie. Aux États-Unis, c'est la première solution qui a la faveur nationale, quoique, comme nous le verrons plus loin, depuis l'initiative de notre camarade Egleston dans la fondation de l'École des Mines et de Métallurgie de New-York, à Columbia College, le pays ait multiplié les établissements de ce genre, où la théorie précède la pratique. Coxe, frappé sans doute, comme nous le sommes plus ou moins en France, de la difficulté de l'entraînement à une gymnastique intellectuelle, pour laquelle les cerveaux déjà rassis ne semblent pas faits, chercha à tourner la difficulté en sautant une génération. Il créa, à Drifton, au milieu de ses exploitations minières, une école pour les fils de ses ouvriers, persuadé qu'ils seraient mieux disposés, en les prenant encore jeunes, à apprendre théoriquement ce qu'ils voyaient faire pratiquement chaque jour et qu'ils avaient même commencé à faire eux-mêmes.

D'un autre côté, il y a, en Amérique du Nord, un réel besoin de s'instruire chez les praticiens purs, ce que nous ne semblons pas avoir au même degré en Europe. Il existe, pour diverses branches de la profession d'ingénieur, une école par correspondance à l'usage des bons ouvriers et contremaîtres. Moyennant une souscription annuelle modérée, on reçoit, sur la promesse (sans sanction, du reste) de ne pas les communiquer à d'autres, des brochures sous forme de leçons, expliquant avec figures à l'appui, une branche déterminée de la profession ; des exemples sont cités, des questions et des problèmes sont posés et on reçoit des associés, des sortes de devoirs, qui sont retournés avec corrections.

On conçoit, donc, qu'en ce pays il y ait place pour un entraînement théorique, greffé sur une éducation primaire d'une certaine valeur et sur la pratique. L'école de Drifton s'est transformée en The Mining and Mechanical Institute of the Anthracite region of Pensylvania, qui s'est transportée à Freeland, dans le Comté de Luzerne. Il y a des cours de jour et des cours du soir, avec six professeurs. Coxe, outre une dotation annuelle de 6.000 francs et d'autres libéralités, a créé des prix de 1.500 francs pour les meilleurs élèves des cours du soir, ce qui leur permet, dans les années suivantes, de pouvoir suivre les cours de jour en interrompant leur travail manuel et d'entrer ultérieurement à l'Université de Lehigh, comme boursiers complètement entretenus.

Cette question de l'éducation technique, et celle de la combustion rationnelle de l'anthracite menu, se sont partagées également l'activité de Coxe et ses efforts jusqu'à la fin de sa carrière. Heureusement pour lui, il ne fut pas en proie à des aspirations politiques, se contentant d'illustrer sa profession et de satisfaire ses vues philanthropiques sans se détourner de sa voie élevée. On sait, qu'en ce pays, où tant de politiciens ont un mobilier qui tiendrait dans un sac de nuit (ce qu'on appelle les carpet-baggers), beaucoup d'hommes de valeur, arrivés plutôt que parvenus, se tiennent volontiers à l'écart des affaires publiques. Il se contenta, donc, sagement de prêter son influence, qui était grande dans sa région, au service de ses amis. Il ne sortit qu'une fois de cette ligne de conduite et, nommé sénateur de Pensylvanie, il dut démissionner, ne voulant pas prêter le serment que, pour son élection, il n'avait fait aucune autre dépense que celles qui sont autorisées par la loi ; il en avait fait d'autres probablement puisqu'il ne crut pas, en conscience, affirmer le contraire. Cependant il fut réélu plus tard, malgré lui, pour ainsi dire, et put prêter le serment qu'on lui demandait.

Quoique bon avec ses nombreux employés, il eut à souffrir des grèves et n'en garda pas de rancune, sa maison restant ouverte pour secourir les femmes et les enfants des grévistes, qu'il considérait comme en dehors de la lutte. Il répondit aux cas de violence, qui sont malheureusement fréquents aux États-Unis dans les événements de ce genre, par la création d'une caisse de secours pour les accidents, dont la Compagnie qu'il dirigeait faisait seule les versements. Pour les cas de maladie, il fonda un hôpital, où sa famille contribua personnellement, ainsi qu'aux autres institutions de charité et de récréation, bibliothèque, salle de lecture et de réunion, avec journaux et revues périodiques, à l'usage des ouvriers, tous les soirs et une partie du dimanche.

Il n'ignorait pas cependant qu'en opérant ainsi, on peut récolter l'ingratitude et qu'en multipliant les fondations de ce genre, en Amérique, comme il en est souvent de même en France, on s'expose à entendre dire : « Nous n'aimons pas ces bâtiments et toutes ces choses, qui n'ont qu'un but, de contenter les ouvriers, quand ils devraient être mécontents, de les détourner des grèves, quand ils seraient disposés à en faire, de les cajoler pour leur faire accepter des salaires plus bas que ceux qu'ils devraient avoir. » Mais cela ne le détournait pas de la voie qu'il avait noblement choisie, qu'il suivit avec persévérance et pour laquelle il était heureux de vivre. Il avait, du reste, un certain esprit naturel : « La meilleure manière de préparer l'anthracite, disait-il, c'est d'enlever tout ce que l'on peut de schistes et de persuader au consommateur que le reste est du charbon », ou encore : « Quand vous débutez dans la vie pratique, ne cherchez pas la position d'ingénieur en chef du New-York Central and Hudson River Railroad, vous auriez trop à attendre. Si on vous nommait, ce serait une folie d'accepter et on vous remercierait dans un mois. Voyez le futur docteur, il va à l'hôpital, il travaille pour rien, il ne fait pas de mal, ou s'il en fait, on ne le sait pas. Je préfère un jeune homme qui soit bien à sa place avec pas trop de responsabilité, à celui qui se trouverait de suite débordé. »

Nous ne parlerons qu'en passant de l'oeuvre littéraire de Coxe ; nous avons déjà cité sa traduction de la mécanique de Weisbach ; pendant vingt-cinq années, les transactions de l'American Institute of Mining Engineers sont pleines de ses communications et de ses travaux, nous y renverrons ceux qui désireraient les connaître.

Son esprit inventif se porta dans bon nombre de directions ; on lui doit la substitution des rubans d'acier aux chaînes dans le levé des mines, des améliorations dans les lampes de sûreté, un micromètre, un laveur de charbons, des cribles rotatifs, des perfectionnements dans les pompes; l'emploi au laboratoire d'une solution de chlorure de zinc pour séparer les schistes et le charbon, un four à menus d'anthracite, etc.

Coxe avait conservé le souvenir reconnaissant de l'instruction technique qu'il avait si libéralement reçue à l'École des Mines de Paris. Il avait fait don, dans plusieurs occasions, de collections de minéraux importantes et il avait maintenu des relations cordiales avec M Haton, comme avec son camarade Carnot, à Freiberg et à Paris en 1889.

Au moment où Coxe était enlevé par une fluxion de poitrine, M. Haton venait de demander pour lui la croix de la Légion d'honneur. Son souvenir restera dans le coeur des ingénieurs français qui ont eu l'occasion de le connaître en Amérique et d'apprécier son accueil cordial. C'était un ingénieur de talent et avant tout un homme de bien.


Voir aussi :

Biographie de Coxe par Ed. Sauvage