Louis Emile JAVAL (1839-1907)


Louis Emile Javal, élève de l'Ecole des Mines de Paris (1863)
(C) Photo collections ENSMP

Né le 3/5/1839 à PARIS ; décédé le 20/1/1907 à PARIS (d'un cancer de l'estomac).
Fils de Léopold Javal (Mulhouse 1804 - Paris 1872), banquier saint-simonien et agronome, député de l'Yonne en 1857 puis après 1871, initiateur des omnibus de Paris, promoteur des pins des Landes (qui ont permis la fixation des dunes de la Gironde), membre du Consistoire israëlite de France et vice-président de l'Alliance israélite universelle, et de son épouse née Augusta de Laemel (1817-1893), fille d'un banquier de Prague.
Marié à Francfort am Main en 1867 à Maria-Anna Ellissen.
Ses enfants :

Après des études au Lycée Bonaparte à Paris (devenu lycée Condorcet), il est admissible mais non admis à Polytechnique et il entre à l'Ecole des Mines de Paris (promotion 1860 : admis aux cours préparatoires le 10/11/1859 classé 13, admis comme élève externe le 10/7/1860 classé 14, breveté le 30/5/1863 classé 8, il avait dû repasser des examens de 1ère année à la fin de la 2ème année) et il devient Ingénieur civil des Mines. Voir bulletin de notes.
Il fut médecin, professeur et membre de l'Académie de Médecine (1885). Il est aussi co-fondateur de l'Association Amicale des Anciens Eleves de l'ENSMP.

Après une année aux Charbonnages de l'Hérault, il démissionna et s'orienta vers l'ophtalmologie avec comme objectif de guérir sa jeune soeur (épouse de Paul Wallerstein), atteinte de strabisme. Un laboratoire d'ophtalmologie fut créé pour lui à la Sorbonne.
Il invente l'ophtalmomètre pour mesurer les anomalies de strabisme. Lorsqu'il devient à son tour aveugle vers 1895, il invente un appareil qui lui permet d'écrire, la feuille de papier se relevant à la fin de chaque ligne écrite.

Les Javal vivaient à Saint-Cloud, dans un domaine ayant appartenu aux comtes de Béarn. C'était une famille très riche. Mme Javal parlait souvent en allemand en raison de ses origines (voir ci-dessous).

Louis Javal fut député de l'arrondissement de Sens (Yonne) de 1885 à 1889. Il siégea à gauche (non inscrit dans un parti). Il parla à la tribune de mesures à prendre pour éviter la dépopulation de la France, de loi militaire, des assurances pour les ouvriers contre les accidents.


Le Docteur Emile Javal

par Ferdinand GAUTIER

Publié dans le bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des Mines, janvier 1907. Nous remercions M. André Grandjean, délégué général de l'Association Amicale des Anciens Eleves de l'Ecole des Mines de Paris de nous avoir communiqué ce document.

Les ouvriers de la première heure, ceux qui ont contribué à la fondation de l'Association amicale des élèves de l'École supérieure des Mines de Paris, disparaissent d'une manière effrayante.

C'est qu'il y a plus de quarante ans, et presque un demi-siècle, que cette idée de groupement prit naissance, et ceux de cette époque, que la mort vient surprendre, peuvent à juste titre considér leur oeuvre comme consolidée et définitivement établie. Contemporain de cette fondation, je dois rappeler ici la mémoire d'Émile Javal, qui fut un de nos premiers trésoriers et des plus actifs.

Entré à l'École en 1859-60, Javal était mon camarade de deux années du lycée Bonaparte, actuellement Condorcet. Des circonstances de famille décidèrent de sa carrière. Son père ayant fait faire sur lui-même, d'abord, l'opération du strabisme avant de l'appliquer à un autre membre de sa famille, l'attention d'Emile Javal fut attirée d'une manière particulière sur ce problème médical et, au moment de quitter l'École, ses cours terminés et son diplôme obtenu, il commença bravement ses études médicales. Il se distingua par la rapidité avec laquelle sa forte préparation scientifique initiale l'amena au doctorat. Il prit la spécialité de l'oculistique. On peut dire, sans exagération, qu'il renouvela cette partie de la science par l'ingéniosité des appareils de diagnostic qu'il inventa et dont la notoriété devint bientôt européenne. L'Académie de Médecine, considérant les travaux de Javal comme classiques, l'appela bientôt dans son sein (1884). Il eut comme récompense méritée d'être fait chevalier, puis officier de la Légion d'honneur.

Son père, ayant une grande propriété dans le département de l'Yonne, y occupa sous le second Empire un siège au Corps Législatif. Son fils aîné, Emile, lui succéda et, sous la République actuelle, affranchi de toute candidature officielle, il représenta les opinions les plus libérales. Déjà, pendant qu'il faisait ses études à l'Ecole des Mines, il appartenait à la Ligue de l'Enseignement.

Créateur à la Sorbonne du laboratoire d'ophtalmoscopie [qu'il dirigea de 1878 à 1898], il eut à prendre parti dans la question des verres soi-disant isométropes. On sait quel succès ont eu les verres d'Iéna au silicate de baryte, qui ont fait la grande réputation des objectifs photographiques de Zeiss et de Goerz, ainsi que des jumelles à prismes. Quoique ce succès fût dû à la combinaison de la nouvelle matière avec les verres anciens au flint et au crown, un opticien chercha à faire prendre des bésicles uniquement en verre au silicate de baryte. Javal fit expérimenter ces verres par ses élèves du laboratoire de la Sorbonne et les essaya lui-même. Il ne fut pas long à découvrir que les nouvelles lunettes n'avaient aucun avantage ; outre leur facilité à prendre l'humidité de l'air, leur poids plus lourd pour une même vue était accompagné d'un prix trois à quatre fois plus élevé que celui des lunettes ordinaires; enfin le mot d'isométrope ne correspondait à aucune propriété nouvelle. Il fit à ce sujet, à l'Académie de Médecine, une communication qui devait avoir un certain retentissement.

Un gros malheur devait affliger Emile Javal dans les derniers temps de sa vie. Après avoir passé une brillante carrière à soigner avec un succès mérité la vue de ses semblables, il devait être frappé de cécité complète par un glaucome double. On sait que cette infirmité, causée par l'obscurcissement des liquides de l'oeil avec hypertrophie douloureuse, est sans remède. Il faut vider les organes malades, ce qui produit une cécité complète.

Prenant son triste état en patience, notre camarade termina sa carrière en rassemblant, dans un ouvrage spécial et essentiellement philanthropique, tous les appareils et toutes les inventions pouvant adoucir la situation des aveugles, écriture, lecture, etc.

On ne saurait terminer plus dignement une honorable carrière.

Emile Javal continua jusqu'au bout à suivre les séances de l'Académie de Médecine et il venait de temps en temps à nos dîners mensuels; il avait renoncé cependant à ses fonctions de député de l'Yonne.

Dans ses dernières années (1903-1907), Emile Javal était un disciple de l'Espéranto qu'il pratiquait habilement, nous donnant ainsi l'exemple du travail jusqu'à la fin de sa vie.

Ferdinand GAUTIER.

Voir aussi : L.-E. Javal, le père de l'orthoptique (Weiss, 1981).


Origines de la famille Javal (d'après : Louise Weiss, par Célia Bertin, Ed. Albin Michel, 1999, et d'autres sources) :

La famille était originaire de Seppois-le-Bas (Haut-Rhin). Un décret du 20 juillet 1808 obligeait les juifs à prendre un patronyme. C'est ainsi que Jacob Hirsch, un négociant, choisit de s'appeler Jacques Javal. Son fils Schiele, né en 1780, s'appela aussi Jacques Javal. Il épouse Schiffera Abraham, qui prend en 1808 le nom de Julie Blumenthal. Il crée en 1819 une usine textile et une banque à Saint-Denis, près de Paris, et emploie plus de 500 ouvriers. Il importe des machines textiles anglaises modernes, crée une filature à Munster (68), arme un navire de commerce, crée la ligne de chemin de fer Strasbourg-Bâle en 1827. Il meurt dans son domaine de Grandchamp, au Pecq, en 1858.

Son fils Léopold Javal (1804-1872) est volontaire pour combattre en Algérie, où il est devient officier. Son père le rappelle à Paris, où il crée une société d'omnibus, puis des bains publics et des grands magasins. Il organise une ferme modèle de 3000 hectares près d'Arcachon. Il fait de la politique active à partir de 1852, devient député de l'Yonne en 1857, constamment réélu. Il milite pour l'enseignement public, les droits de l'homme, la chute de l'Empereur.

Léopold Javal épouse Augusta von Laemmel (1817-1893). Celle-ci avait un grand-père qui pratiquait le commerce des armes au profit de l'armée autrichienne, ce qui lui valut d'être anobli en 1812 par l'Empereur François II d'Autriche. Son fils Leopold von Laemmel (le père d'Augusta) fonda la caisse d'épargne de Prague, ainsi que la Creditanstalt autrichienne, ainsi qu'une compagnie de chemins de fer en Bohême. Il épousa la baronne Sophie d'Eichthal, fille et soeur de banquiers du roi de Bavière (famille anoblie en 1812).

Louis Emile JAVAL est le fils de Léopold Javal et de Augusta von Laemmel. Il épouse Maria Ellissen, fille de Eduard David Ellissen (1808-1857) et de Theodora Ladenburg (1819-1911). Theodora Ladenburg est issue d'une riche famille de banquiers originaire de Francfort, et du pays de Bade. Elle a vécu en France après son mariage. Maria Ellissen avait comme soeur Anna, épouse de Louis Gonse (1846-1921), critique d'art, directeur de la gazette des Beaux-Arts, frère du général Gonse dont le nom est lié à l'affaire Dreyfus. Le frère de Maria, Jean, devenu député de l'Yonne, se suicida en 1915.


Jean-Félix Javal (fils de Louis Javal et beau-frère de Paul Weiss), élève de Polytechnique (promotion 1890). Il se spécialisa en construction de tramways électriques, de chemins de fer à vapeur, fut député radical socialiste de l'Yonne et milita pour la création d'un impôt sur la fortune.
(C) Collections Ecole polytechnique


Biographie de Emile Javal,
membre de l'Académie de Médecine, Directeur du laboratoire d'ophtalmologie à la Sorbonne, Député de l'Yonne.

par Louise Weiss, agrégée de l'Université.

Ce texte a été publié en 1964 dans le numéro du Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, à l'occasion du centenaire de la création de l'Association :

Mon grand-père Emile Javal naquit à Paris le 5 mai 1839. Ses relations de famille le destinaient à la haute finance, à la grande industrie. Après de brillantes études au Lycée Bonaparte (aujourd'hui Lycée Condorcet) en compagnie de Lapparent, de Sully-Prudhomme, d'Adolphe et Sadi Carnot, il entra à l'Ecole des Mines dont il sortit ingénieur en 1862. Il débuta aux Charbonnages de l'Hérault. Esprit observateur et inventif, il se rendit vite compte des défauts des systèmes d'exploitation alors en vigueur et proposa un certain nombre de réformes qui ne furent point goûtées. Sa démission fut acceptée, d'ailleurs c'était la médecine qui l'avait toujours attiré. Il recommença ses études et, désormais, s'y consacra.

Une double volonté le guida : celle de guérir de son strabisme une jeune sœur bien-aimée [Il s'agit de Sophie Wallerstein, qui avait d'ailleurs hérité du vaste domaine d'Arès, près d'Arcachon, et qui épousa Paul Wallerstein, ingénieur de la marine, mort jeune] et celle d'appliquer à la thérapeutique sa connaissance, si rare chez un médecin, des sciences mathématiques et physiques. L'ophtalmologie lui ouvrait un champ immense. Il s'y distingua aussitôt. Un laboratoire d'ophtalmologie fut créé pour lui à la Sorbonne. En 1885, il devint membre de l'Académie de Médecine. Son savant ouvrage sur la Physiologie de la Lecture et de l'écriture (Alcan 1906) et son mince volume de conseils psychologiques et moraux destinés aux infirmes de la vue « Entre Aveugles » (Masson 1906) demeurent d'un très grand intérêt. L'analyse de son œuvre avec tous documents à l'appui se trouve dans la thèse soutenue par le Docteur Michel Bursaux le 25 octobre 1944. Résumons-la.

Les recherches d'Emile Javal se groupent, grosso modo, en quatre chapitres : verres sphériques, ophtalmométrie, strabisme concomitant, hygiène de la vue.

En ce qui concerne les verres sphériques, il fait accepter la notation dioptrique et donne des indications utiles pour la composition de la boite de verres d'essai.

Mais la partie essentielle de son oeuvre scientifique est constituée par ses travaux sur l'ophtalmométrie. Il construit l'ophtalmomètre qui porte son nom, étudie à fond l'astigmatisme, propose une graduation des montures d'essai pour la notation des axes des verres cylindriques et contribue à généraliser l'emploi des verres toriques.

Influencé par les idées de son époque sur le strabisme, il est amené à en rechercher une cause optique. Il bâtit des théories qui le conduisent au traitement orthopédique. Il a le mérite de pousser très loin son étude, ce qui l'oblige à conclure avec une rare loyauté que les indications de son traitement, dépassées par les progrès de la chirurgie, se trouvent, en réalité, bien réduites.

Ses travaux sur l'hygiène des écoles, sur la lecture et l'écriture ont été suivis de nombreuses applications pratiques dont les architectes, les pédagogues et les typographes ont largement profité.

Cependant, à la suite de son père Leopold Javal, Emile Javal s'intéressa également à la politique dans le département de l'Yonne où il possédait la ferme dite de l'Abbaye de Vauluisant. Elu député en 1885, il s'opposa notamment à la construction, par la France, du Canal de Panama et mit (sans succès hélas !) les petits épargnants en garde contre cette entreprise dont il avait prophétisé l'issue désastreuse. Adepte ardent de l'enseignement pour les adultes, il fut, avec Camille Flammarion, l'un des fondateurs d'une Association qu'il présida pendant de longues années pour la diffusion ponulaire des connaissances scientifiques. Il soutint également la Ligue de l'Enseignement. Zola était son ami. Javal lui fit partager ses idées contre les charges fiscaies qui écrasaient alors les familles nombreuses. Au Parlement, une « loi Javal » fut votée libérant de tout impôt direct les familles de sept enfants. Loi qui demeure précaire mais qui inaugurait en quelque sorte le renversement d'une législation néo-malthusienne, cause de la dangereuse dépopulation de l'époque.

Généreux pour les étudiants, charitable aux malades, partisan de toutes les idées de progrès et de paix dont celle d'une langue universelle — l'Espéranto — Emile Javal avait une devise : « Le plus grand bien pour le plus grand nombre ». Heureux en famille, respecté par ses collègues, célèbre par ses travaux et entouré d'amitiés illustres, dont celle de Marcelin Berthelot n'était pas la moindre, il connut pourtant, vers la fin de sa vie, des jours affreux. Ce grand médecin des yeux devint aveugle. Il l'avait prévu, sa science ne pouvant le tromper. Et avec une rare lucidité, il avait pris à l'avance toutes dispositions pour que son infirmité pesât le moins possible sur lui-même et sur son entourage. Jamais il ne se départit de sa gaité, même lorsqu'un cancer de l'intestin l'emporta en 1907. La dernière parole de cet ingénieur des Mines, de cet original savant, de ce législateur éclairé jugeant sa vie, fut cette exclamation touchante : « Je n'ai jamais été qu'un troubadour ».


Les informations de cette page ont été rassemblées par R. Mahl.