L'application du droit des mines par le Conseil général des Mines en France au XIXème siècle

Extraits de la présentation au Conseil général des Mines
mercredi 17 décembre 2003

par IDHE Nanterre Paris X - CNRS UMR 8533
en partenariat avec les Archives Nationales

Présentation faite par :

Archives Nationales

Mme Yvette Lebrigand, conservateur général du Patrimoine, section du XIXe siècle, Archives Nationales

Mme Martine Illaire, conservateur en chef du Patrimoine, chargée de la série Travaux Publics F-14, Archives Nationales

Université Paris X Nanterre

Alain Plessis, professeur émérite à l'Université de Paris X Nanterre Comité pour l'histoire économique et financière de la France, IDHE (Institutions et Dynamiques Historiques de l'Economie), CNRS UMR 8533

Bruno Belhoste, professeur à l'Université de Paris X Nanterre, représentant Michel Lescure co-directeur de l'IDHE

Lionel Latty, docteur en histoire, chercheur associé à l'IDHE


Les PV des séances du Conseil général des Mines du 19ème siècle

Introduction

Héritière de la loi du 28 juillet 1791, mais corrigeant ses défauts, la loi de 1810 créée pour les mines une nouvelle propriété, qui trouve son unique origine dans l'acte même de concession. Celui-ci en confère la propriété perpétuelle. Avant cet acte, pour le tréfonds, il n'y a aucune propriété. Nul ne peut l'exploiter, nul ne peut en disposer, ni le propriétaire, ni l'Etat. Ce dédoublement de la propriété (le sol et le sous-sol) est souverainement institué par l'Etat. Par l'obtention d'une concession, la mine devient une propriété immobilière entièrement distincte de la propriété du sol, assimilée aussi complètement que possible à la propriété d'un bien foncier, pour la vente, la location, l'hypothèque. Le propriétaire d'une mine ne peut « être exproprié que dans les cas prescrits pour les autres propriétés ». Elle bénéficie de tous les attributs de la propriété de la surface, sauf son partage qui exige un nouvel acte souverain. Elle est cessible sans autorisation, à la différence de ce que disposait la loi de juillet 1791, comme le précise le Conseil d'Etat dès le 21 août 1810. Il y a continuité de pensée, concernant la propriété, entre les textes votés par le Corps Législatif le 21 mars 1804 pour le Code Civil, et ceux votés le 21 avril 1810 pour les mines. Napoléon y veille comme le rapporte Locré et comme s'en félicite Dalloz. Pour créer cette deuxième propriété, l'expropriation du propriétaire de la surface n'est donc pas nécessaire. Toutefois pour celui-ci l'aliénation du tréfonds (c'est-à-dire le sous-sol minéralisé du fonds terrien) a un prix. C'est la redevance tréfoncière fixée par le décret ou l'ordonnance instituant la concession, généralement 10 c/ha et par an.

Ainsi sur un même site est créé un deuxième potentiel de richesses, celui du tréfonds. Les dispositions de la loi de 1810 correspondent, pour les mines, à un besoin essentiel, structurel et de longue durée, la recherche et la mise en valeur des richesses du sous-sol. Celles-ci prennent en compte et respectent aussi bien le droit de propriété du sol et que celui d'un sous sol concédé, lorsqu'il s'agit par exemple d'instituer deux concessions de minerais différents dans le même tréfonds . Sa cohérence et son rôle dans le développement industriel, malgré des lacunes identifiées dès l'origine (les concessions à l'abandon, les contraventions difficiles à sanctionner, l'oubli des mines de sel), expliquent que les projets de réformes tentées à plusieurs reprises, en 1848 puis dans les 15 dernières années du siècle, n'ont pas vu le jour. Seules interviendront, pour les mines, quelques retouches législatives commandées par les circonstances : le 27 avril 1838 sur l'assèchement des mines, et le 27 juillet 1880 dans le contexte de la crise houillère 1872-1874 avec renchérissement des prix.

Pour les usines à fer la loi de 1810 ne comporte rien d'aussi essentiel et durable. «Les Forges, Fourneaux et Usines» figurent dans le titre VII de la loi de 1810, à une place modeste, connexe à celle des minières de fer. Huit articles traitent des permissions des usines, alors que la loi en comporte au total 96. Dans la pratique, l'instruction des demandes relatives aux hauts fourneaux, affineries, lavoirs dépassera celle des concessions pendant la première moitié du XIXème siècle. Ceci prendra beaucoup de temps à l'administration des Mines. L'atomisation, puis la concentration, les nouvelles localisations, la grande variété des établissements sidérurgiques et leur évolution technique constituent par nature une situation très différente de celle des mines. L'indispensable déréglementation intervient en deux étapes. D'abord, dans le cadre de la décentralisation administrative instaurée par le décret du 25 mars 1852, les patouillets, bocards et certains lavoirs à mines relèvent de décisions préfectorales lorsqu'ils sont situés sur les cours d'eau non navigables ni flottables. Puis la loi du 9 mai 1866 abroge tous les articles de la loi de 1810 concernant les usines à fer. La vieille réglementation sur les établissements insalubres et incommodes suffira à elle seule.

Le décret du 18 novembre 1810 confie au CGM la responsabilité d'émettre des avis sur chaque demande de concession de mines et sur chaque demande en autorisation d'usines. C'est un rôle consultatif. Mais il ne faut pas s'y tromper, le CGM exerce une influence considérable. Ses avis pèsent de tout le poids de la compétence scientifique et administrative de ses membres. Certains sont à l'Académie des Sciences, d'autres au Conseil d'Etat. Leur notoriété est établie et reconnue, par leur enseignement à l'Ecole des Mines, par leurs publications, par leurs responsabilités de jeunesse dans le service ordinaire des départements, par leur participation à la Commission Centrale des Machines à Vapeur et aux Conseils de Salubrité et d'Hygiène publique, par leurs interventions d'expertises confiées par les Tribunaux, d'arbitrages ou de conseils aux entreprises.

Le CGM est institutionnellement le dernier point de passage obligé dans l'instruction des dossiers, après la proposition du préfet, et selon les cas, les avis du Conseil Général des Ponts et Chaussées, de l'Administration des forêts, et parfois des Douanes. Saisi par le directeur général des Mines ou par le ministre de tutelle, les avis du CGM concluent l'instruction et constituent la version ultime administrative des termes du décret ou de l'ordonnance ainsi que ceux du cahier des charges. Puis le Conseil d'Etat rédige le texte définitif de l'acte qui sera signé par le pouvoir exécutif. Une mise au point ultime peut intervenir lorsque le Conseil d'Etat ne partage pas l'avis du CGM et demande un nouvel examen. Le nombre des Décrets ou Ordonnances Royales ne cesse de croître, 8 en 1812, 71 en 1822, 76 en 1831, 103 en 1841, 100 en 1850. Les instructions des dossiers sont donc de plus en plus nombreuses. L'autorité de magistrature technique du CGM s'exerce également sur d'autres sujets : questions contentieuses soulevées par le ministre de tutelle, ou portées au Conseil d'Etat, droits de douane, questions fiscales avec la redevance, statuts des sociétés anonymes, organisation du service des Mines, projets de réformes de la loi de 1810.

Le travail est considérable, d'une grande diversité. Le CGM oriente la politique minière et celle de l'énergie tout en instrumentant l'intervention de l'Etat. Il participe à la sauvegarde du patrimoine national : protection des forêts en modérant, tout au moins jusqu'en 1830, l'utilisation du charbon de bois par la fixation de quotas de consommation, lutte contre la pollution des cours d'eau provoquée par le lavage du minerai en prescrivant de grands bassins de décantation, sauvegarde des gîtes houillers et des minières de fer trop souvent exploitées de manière anarchique au début du siècle.

Il oeuvre dans une matière difficile et aléatoire, la prospection minière. Mais il est à la fois partie et juge. D'un côté ses membres, dans leur rôle de scientifiques, font progresser les connaissances (géologie, techniques de sondage, laboratoires d'analyse) et recommandent l'expérimentation critique. D'un autre, dans leur rôle d'administration, ils ont pour mission de promouvoir la production de la houille. Avec ce double rôle la synthèse objective n'est pas facile. Partagés entre rigueur scientifique et incitation à entreprendre, ils privilégient assez souvent celle-ci au détriment de celle-là. Le cas n'est pas rare lors de l'octroi des concessions, lorsqu'il s'agit d'apprécier la certitude d'exploitation utile, souvent présumée plus que démontrée.

De même, pour la sidérurgie, les oppositions sont écartées dès lors qu'elles peuvent faire obstacle au progrès technique. Elles sont réputées presque toujours non fondées. Les formules utilisées dans les « considérants » qui précèdent tous les avis difficiles ou importants révèlent bien ce débat. Celui-ci est presque toujours voulu réellement contradictoire. Avant de prescrire et d'imposer, il faut entendre et comprendre tous les points de vue. C'est à la fois un principe et une pédagogie. Le souci d'analyse contradictoire se transpose au sein même du CGM. Les avis du CGM ne donnent pas toujours lieu à une position unanime de ses membres. Dans ces rares cas les majoritaires et les minoritaires motivent leurs positions. Les avis du CGM, précédés de leurs « considérants » montrent bien que la loi de 1810 n'est pas simple à appliquer, qu'elle donne lieu à interprétations, qu'elle comporte des lacunes.

L'autorité de l'administration et des pouvoirs établis est tempérée par une assez grande liberté d'expression locale, révélée par les nombreuses pétitions, et les fréquentes requêtes au gouvernement et au Conseil d'Etat. Les séances du CGM révèlent ainsi les mobiles, les intérêts, les conflits des acteurs économiques locaux, qu'il s'agisse des habitants, des municipalités, des propriétaires terriens, des entrepreneurs concurrents ou non, qui s'estiment lésés ou favorisés par l'introduction de nouvelles activités.

Avec la loi de 1810 vont s'organiser et se concilier deux types d'intérêts, fonciers et industriels. Vont être associés deux développements, celui de l'agriculture et de la ruralité, et celui de l'industrie minière et sidérurgique. Localement tout est imbriqué, principalement durant la première moitié du siècle. La proximité obligée mélange et réunit. S'ajoutant aux initiatives des capitalistes des grandes villes, vont se révéler celles d'un nombre important d'entrepreneurs locaux, attachés assez souvent à de toutes petites entreprises, mais qui ont un sens et une simple raison de géographie économique locale, surtout en ce début d'industrialisation handicapée par son espace cloisonné. Des gîtes d'une houille médiocre sont concédés pour leur intérêt d'intérêt public local, car ils permettent aux cultivateurs d'amender leurs terres avec de la chaux, comme en Mayenne. De petites unités de transformation de la fonte ou du fer, affineries, taillanderies, forges, ateliers de maréchalerie pour les instruments aratoires constituent autant de petits dossiers de maintenance ou d'évolution d'activité. Cette pluriactivité de la ruralité suscite la transformation de capitaux fonciers dormants, en capitaux industriels à risques.

Les enjeux industriels sont considérables. Des dommages collatéraux existent. De très nombreux contentieux vont intervenir : entre les deux types de propriétaires (ceux du sol et ceux du tréfonds), entre exploitants de mines (pour des questions de périmètres de concession, de recherches, de droit d'invention), entre les sidérurgistes et leur voisinage (pollution des cours d'eau par les boues de lavage du minerai de fer, crainte des communes d'un renchérissement du prix du bois). D'autres conflits se manifestent : entre opérateurs industriels de la filière sidérurgique (approvisionnements en minerai de fer, en charbon de bois, concurrence), et entre tous les acteurs privés et l'autorité administrative par des réclamations et des requêtes contre des arrêtés préfectoraux, des décisions ministérielles, des ordonnances.

La réalité minière et sidérurgique du XIXème siècle comporte ainsi une dimension contentieuse et judiciaire importante. Le développement du droit des affaires en résulte. Les conflits d'attribution de compétence sont fréquents. Les recours administratifs et en cassation sont nombreux. De 1810 à 1850, Lamé Fleury cite 59 arrêts de la Cour de Cassation et 81 du Conseil d'Etat sur des questions liées à la mise en oeuvre de la loi de 1810. La compétence juridictionnelle peut donner lieu à interprétation. En principe tout ce qui concerne la procédure administrative d'instruction du dossier, et le contenu du décret de concession avec son cahier des charges ne relève pas des tribunaux ordinaires mais des tribunaux administratifs et du Conseil d'Etat. Relèvent des Tribunaux ordinaires, des Cours d'appel, de la Cour de Cassation tous les autres litiges, tels ceux concernant les titres de propriété, les dommages occasionnés par les concessionnaires aux terrains de la surface et leur indemnisation.

Pour les mines concédées et les forges autorisées sous l'Ancien Régime, les titres de propriétés sont souvent incertains, les périmètres des concessions approximatifs, et la consistance des usines peu précise. Pour les biens nationaux, pourtant vendus par adjudication, la justification peut être imparfaite. Dans ce contexte le CGM est obligé d'effectuer un travail de vérification de type notarial, financier et fiscal, avant de transmettre des dossiers au Conseil d'Etat. Et c'est assez souvent au détriment de l'exigence de type scientifique, nécessaire à l'appréciation de la certitude d'existence des mines demandées en concession.

Législation sur les mines et la sidérurgie de 1698 à 1900 - Rappel chronologique 


Description sommaire des registres des délibérations du CGM (extrait)

La participation d'auditeurs au Conseil d'Etat aux séances du CGM :

9 janvier 1811 : quatre : de Laubépin, Tascher, Patry, Deprez Crassier, Perrier

17 février 1812 : trois : Deprez-Crassier, Chassiron et Lamare

7 avril 1813 : un : Lamare

11 août 1813 : fin de la participation

La présidence effective du CGM :


Mines : certitude d'une exploitation utile et danger imminent
Réglementation de la sidérurgie

1° La certitude d'une exploitation utile - Les exploitations inexploitées et le retrait de concession.

L'exploitation utile est un principe essentiel du droit minier français. L'instruction ministérielle du 3 août 1810 précise : « Il y a lieu à demande de concession, lorsque le gisement des couches minérales est tellement reconnu qu'il y a certitude d'une exploitation utile.». Il faut d'abord des recherches positives, ne se limitant pas aux affleurements. Il faut également une connaissance assez précise de la géologie du gîte, de l'allure des couches et de leur constitution, de la qualité des minerais, et un plan général du site.

L'enjeu est d'intérêt public. Des titulaires de concessions obtenues sans que l'existence du gîte soit constaté abusent du titre qui leur a été octroyé et induisent des tiers en erreur en obtenant des capitaux pour mettre en valeur des richesses dont l'existence n'est pas prouvé par des recherches suffisantes. Le dossier de la concession de houille de Saint-Bérain en est une illustration frappante. Les plus grands noms du barreau s'opposent, pour les parties civiles Berryer, Baroche, Odilon Barrot, comme pour la défense Teste, Dupin, Crémieux. Les accusés David-Samuel Blum et Cleemann sont condamnés pour escroquerie à trois ans de prison, 3.000 F d'amendes et réparation. La concession achetée 146.000 F en 1827 est apportée pour 3.500.000 F en 1837 à une société anonyme d'exploitation. Enfin disposer du tréfonds sans s'être assuré qu'il renferme une matière concessible, c'est aussi attenter aux droits de la propriété, et faire peser sur le sol une servitude contraire aux lois civiles, et sans objet.

C'est pourquoi la recherche est le préliminaire obligé de toute demande en concession. Mais elle porte trop souvent sur des affleurements et l'emploi des coûteux sondages reste limité. Il faut attendre la circulaire du 31 octobre 1837 pour une affirmation sans ambiguïté « la première chose à faire pour solliciter une concession d'un gîte minéral, et pour que l'administration puisse donner suite à la demande, c'est de justifier qu'il y a matière à concession » ou encore « que l'on ait d'abord constaté l'existence de la mine », ou encore « que la première condition à remplir est de justifier qu'une mine existe ». Cette circulaire reconnaît qu'avant cette date il en a été souvent autrement : «  des concessions sont demandées avant qu'on se soit assuré si des mines existent dans les terrains que l'on indique ; quelquefois ajoutant trop de créance à des découvertes annoncées prématurément, on a commencé l'instruction, fait des publications et affiches, et beaucoup d'inconvénients sont résultés de cette marche trop précipitée ». Il n'y a pas lieu d'afficher une demande en concession pour une mine dont l'existence n'est pas constatée. Des concessions instituées à la fin du siècle n'ont pas davantage été productives, telle celle de zinc à Ganges (Hérault) en juin 1882.

Le CGM observe des demandes de concession spéculatives. Un sondage à Schoenecken en Moselle (bassin de Forbach) donne l'éveil aux spéculateurs. Il s’agit de prendre position plutôt que d'entreprendre. Le cas est fréquent en Algérie. L'IG Dussert observe que « le prospecteur fait part de sa trouvaille à l'Administration en vue de se constituer des droits, sans trop se soucier du moment où il pourra les exercer ». Il n'est pas exceptionnel en France. Les demandes en Vendée dans le bassin de Vouvant et Chantonnay avec les sites de Faymoreau, Boufferie, Puyrinsant, Saint-Laurs et Tabarière correspondent à ce schéma. Le discours industrialiste de certains milieux d'affaire et d'hommes politiques en matière d'exploitation houillère renforce une telle attitude.

Les avis du CGM sur les demandes de concessions illustrent cette difficile problématique de la « certitude d'une exploitation utile ». Tantôt l'exigence conduit le CGM à repousser la demande, à refuser le partage les concessions, à s'opposer à toutes les formules faisant disparaître l'unité dans la direction de l'exploitation. Tantôt une rigueur insuffisante se manifeste. Mais l'enjeu du développement de la production de houille est tel que le CGM privilégie d'écarter le risque de manquer l'occasion d'une concession.

Le cas du bassin de Quimper correspond à cette analyse. Une première demande étudiée en 1802 par l'Ingénieur des Mines est instruite par le CGM du 10 août 1814 qui limite sa recommandation à la poursuite des recherches en mettant à disposition une sonde. La demande en concession est renouvelée en 1826 par Cossé de Brissac et co. Deux ans plus tard un second CGM (14 juillet 1828) examine à nouveau le dossier. Le gîte est constitué par plusieurs veines irrégulières, peu épaisses et par des amas dans du schiste friable. Le CGM estime toutefois, après de nouvelles recherches qu'il y a maintenant lieu à concession. Celle-ci est instituée par OR du 15 avril 1829. Peu de temps après, la concession ayant été cédée à la société anonyme des hauts fourneaux et forges de Pont-Hallec, plusieurs demandeurs se manifestent pour de nouvelles concessions. Il y a certes un grand nombre d'indices de couches de houille, mais les recherches sont peu fructueuses ; là où elles ont été faites il n'y a pas d'espoir d'amélioration en allant plus profond. Le CGM incite des «explorateurs» à poursuivre les recherches là où aucun travail n'a été entrepris. A l'issue de trois avis du CGM en 1834 et 1835 une deuxième concession (Kergogne) est instituée par OR 14 septembre 1835. Deux ans plus tard (le 30 mars 1837) le CGM n'est pas favorable à une troisième concession. En 1840 la production cumulée de deux concessions instituées est de 2.100 tonnes. L'analyse n'a pas été conduite plus avant pour déterminer si, compte tenu du contexte géographique et économique, les avis du CGM correspondent ou non à une certitude d'exploitation utile.

  Le cas de Chaudefonds, Maine-et-Loire révèle un choix d'intérêt général momentané. Le point de départ est conforme à la loi, le demandeur Pellé est autorisé à faire des recherches. Trois ans plus tard, l'ICM ne regarde pas comme positivement prouvé que les mines de Chaudefonds soient de nature à procurer une exploitation lucrative pour le concessionnaire. Mais il est utile que l'exploitation se fasse pour les fours à chaux. Les commentaires du rapporteur approuvés par le CGM situent bien la difficulté : « les recherches de mines ne peuvent presque jamais être faites en France que sur une très petite échelle et il est en conséquence extrêmement rare qu'elles fournissent la certitude d'une exploitation utile ». Puis il ajoute un commentaire étonnant qui n'est pas réellement contredit par le CGM : « ce que la loi a voulu c'est qu'il y ait certitude de l'existence d'une mine parce que sans cela l'OR de concession serait sans objet et n'instituerait qu'une propriété imaginaire ; mais qu'une mine soit plus ou moins riche, qu'elle promette aux concessionnaires des avantages plus ou moins grands, c'est ce dont avec raison la loi a négligé de s'occuper ; qui ne voit d'ailleurs qu'en prenant à la lettre et comme base de la jurisprudence cette condition, le gouvernement se porterait garant du succès de toutes les entreprises de mines ? Une OR serait un certificat qu'une concession est exempte de toutes les chances incertaines d'une telle exploitation ; les capitalistes pourraient en toute sécurité faire des spéculations ». Il conclue par une affirmation « dans l'espèce il y a certitude d'un gîte houiller ». La concession est accordée par OR du 23 novembre 1835.

Enfin l'hypothèse de la continuité des couches, admise jusqu'en 1840, a provoqué de grandes erreurs d'appréciation du potentiel des gisements. Un rapport fait à l'Académie des Sciences en 1842 par Dufrénoy et Elie de Beaumont, tous deux membres du CGM, soutient la première étude publiée sur ce sujet par Amédée Burat et souligne que  « l'on suppose presque toujours une trop grande régularité aux terrains houillers. De grandes erreurs ont été commises sur le calcul de la richesse des terrains houillers, que l'on établit généralement en attribuant aux couches de houilles une puissance moyenne que l'on cube ensuite dans toute l'étendue du terrain ». En 1818, concernant le gîte de Schoenecken, le CGM pense que « le terrain houiller de la Sarre s'étend dans le département de Moselle, et donne l'espérance de nouvelles découvertes qui rendront un jour ce département florissant en mines de houille. »

En conclusion sur ce sujet et pour les concessions étudiées durant la première moitié du 19ème siècle, lorsqu'il s'agit d'apprécier la certitude d'exploitation utile, celle-ci est bien autant présumée que démontrée.

Les concessions inexploitées

Le nombre des concessions inexploitées est considérable, 692 concessions pour un total de 1228 en 1875, soit 56% . La distinction entre mines épuisées après avoir été productives et mines jamais réellement productives n'est pas faite à ce stade de l'analyse. L'hypothèse est que cette lacune ne contredit pas l'observation suivante. Le nombre élevé de concessions inexploitées révèle a posteriori que beaucoup de concessions accordées n'ont pas été assez productives pour correspondre au principe de certitude d'exploitation utile. Se pose alors une question supplémentaire, mal résolue par la loi de 1810. Que faire à l'égard de ces 692 propriétaires de concessions inexploitées devenant sans objet ? La circulaire du 24 avril 1891 dispose que, s'il n'y a pas de cause légitime à l'inexploitation, la déchéance est prononcée. Après quoi la mine est mise en adjudication. Si aucun acquéreur ne se manifeste la concession est attribuée à l'Etat. L'appréciation de la nature illégitime ou non de l'abandon est donc importante. L'étude est à entreprendre, à la lumière des trois exemples figurant en note.

En 1875 le plus grand nombre de mines inexploitées concerne la houille (264 mines) pour un total de concessions de houille de 615 (soit 43%). Ainsi, presque une concession sur deux est inexploitée. Pour les autres types de mines la proportion d'inexploitation est encore plus élevée : fer 66%, mines diverses (sel, schistes bitumineux, minerais vitrioliques) 68%, autres métaux 75%. Observons aussi que, en vingt ans, de 1855 à 1875, ces concessions inexploitées n'ont cessé d'augmenter, en nombre et en pourcentage : en 1855 il y en a 358 soit 42%, en 1865 il y en a 627 soit 54 %.

L'évolution des ces concessions inexploitées peut être suive par l'analyse des séances du CGM consacrées, chaque année, pour chaque département aux redevances. En Moselle en 1867 (CGM 19 mars 1869), sur un total de 41, 26 concessions sont inexploitées dont 9 de houille (sur 11), et 13 de fer (sur 24). En Haute-Saône en 1867 (CGM 2 avril 1869), sur un total de 21, 15 sont inexploitées, dont 5 de houille (sur 9), dont 9 de fer (sur 9). En Saône-et-Loire en 1867 (CGM 4 juin 1869), sur un total de 52, 30 sont inexploitées, dont 14 de houille (sur 23), dont 11 de schistes bitumineux (sur 20). Dans la Loire en 1867 (CGM 2 juillet 1869), sur un total de 72, seules 28 concessions de houille et d'anthracite sont en exploitation, et toutes les concessions d'autres minerais sont en chômage.

Le retrait de concession

L'inexploitation d'une concession est prévue par l'art.49 de la loi de 1810, mais ne comporte pas de sanction, conformément au voeu de Napoléon. L'administration et le propriétaire du sol ont peu de moyens d'action devant l'inertie du concessionnaire. C'est pourquoi la section de l'Intérieur du le Conseil d'Etat avait établi dès le 22 juin 1812 un projet de décret relatif à l'abandon des mines par déclaration expresse ou par cessation de travaux : « le concessionnaire d'une mine inexploitée depuis un an serait mis en demeure de reprendre les travaux dans le délai de six mois, et en cas d'inexécution, la mine serait vendue en justice ». Malheureusement ce texte n'a pas eu de suite.

Avec la loi du 27 avril 1838, un motif supplémentaire de retrait apparaît, mais les sanctions demeurent inopérantes. Le fait nouveau concerne les inondations de « plusieurs mines situées dans des concessions différentes » et les travaux d'assèchement à exécuter en commun et à frais communs par les concessionnaires (art.1 et 2). La mine « sera réputée abandonnée » si la quote-part des frais communs n'est pas payée dans un délai de deux mois et, à l'expiration d'un délai de recours, l'administration fera procéder à l'adjudication de la mine abandonnée (art.6). Cette loi dispose aussi que de telles sanctions s'appliquent dans deux autres cas : le refus de paiement des travaux que l'administration peut faire exécuter aux frais des concessionnaires, et tous les cas prévus par l'art.49 de la loi de 1810. La loi d'avril 1838 organise en quelque sorte une expropriation pour cause d'utilité publique, fondée sur le refus de participer à des travaux de sécurité d'intérêt général. Mais les exploitations en chômage qui «n'inquiètent ni la sûreté publique ni les besoins des consommateurs» restent la propriété des concessionnaires. Il ne s'agit donc pas d'une déchéance pure et simple qui aurait été en contradiction avec la sûreté donnée à la propriété des mines par l'article 7 de la loi de 1810.

En définitive, l'administration hésite. Les cas de retrait définitif de concession sont extrêmement rares, six jusqu'en 1880, en excluant les trois arrêtés du ministre de la Guerre du 14 septembre 1849 concernant l'Algérie, annulés par arrêt du Conseil d'Etat du 24 juillet 1852. Aucune déchéance n'a été prononcée par application de la loi de 1838.

2° La déréglementation de la sidérurgie.

La loi de 9 mai 1866 rend une liberté complète à l'industrie métallurgique dans le cadre du droit commun de toutes les industries.

Avant et après 1789 le même souci d'intervention du pouvoir est manifeste. La sidérurgie a été comme les mines affaire d'Etat. L'arrêt du Conseil du 9 août 1723 imposait déjà une autorisation pour établir hauts fourneaux et forges, et sanctionnait l'infraction d'une amende de 3.000 livres. Les deux motifs exposés par le comte de Girardin, rapporteur de la loi de 1810 au Corps législatif, s'inscrivent dans la même orientation interventionniste de l'Etat : « le cours d'eau, considéré comme action motrice est toujours réservé au gouvernement », et « les établissements de même nature établis avec l'autorisation du gouvernement sont, par là, sous sa protection spéciale. Cependant ils seraient bientôt sans valeur et sans utilité, si chacun pouvait de son propre mouvement, former d'autres établissements qui absorberaient les matières premières, ou consommeraient le combustible ».

Cette dernière formulation est intéressante. L'orientation interventionniste est étroitement associée aux conditions objectives d'un contexte de rareté des principaux facteurs de production. Il s'agit d'optimiser des ressources rares. Avec de nouvelles conditions d'approvisionnement en matières premières et en combustible et moins de rareté, la problématique de l'orientation interventionniste et celle de l'intérêt général changent. Dans cette mesure, la déréglementation devient inéluctable dans un contexte technologique et économique renouvelé.

L'Instruction du 3 août 1810 précise la pensée du comte de Girardin : « L'IM expose la nature et le gisement des minerais qu'on se propose de traiter ; il entre dans le détail de tous les moyens d'activité que les localités peuvent présenter ; il en déduit l'utilité ou le danger de l'entreprise, fait connaître si elle peut être nuisible ou non à des entreprises déjà établies : s'il juge l'établissement utile il explique la méthode qui lui paraît la plus économique à suivre pour le traitement du minerai, l'espèce et la quantité du combustible qu'il conviendrait d'y appliquer, la meilleure disposition des fourneaux et foyers, les moyens mécaniques qui produiraient les effets les plus avantageux pour atteindre le but qu'on se propose, et par conséquent la force motrice qu'il faudra employer ».

De nombreux propriétaires d'usine à fer interprètent en leur faveur cette Instruction pour s'opposer à tout nouvel établissement susceptible de concurrencer le leur. C'est la facilité du monopole et des avantages acquis. Mais la réglementation introduit l'obligation de satisfaire aux besoins des consommateurs. Le ministre des Finances, auquel l'administration des Forêts est rattachée, participe à l'affirmation de la liberté d'entreprendre, même si celle-ci implique une augmentation du prix du bois. Le CGM développe la même idée en se fondant sur le progrès et la croissance.

Le pragmatisme libéral du CGM se manifeste dès février 1811 à l'occasion des avis donnés sur les droits de douane : «Il est nécessaire de conserver une concurrence sur les divers points de l'Empire entre le gros fer venant de l'étranger et les fers français, pour empêcher nos maîtres de forges de trop hausser les prix de leurs fers et les forcer à introduire des améliorations dans leurs procédés de fabrication ». En 1815 le CGM se préoccupe des monopoles : « S'il est utile dans l'intérêt général du commerce, et surtout de l'agriculture qu'une matière de première nécessité comme le fer et l'acier soit au plus bas prix possible, il en résulte que l'introduction des fers et aciers étrangers ne doit pas en général être prohibé, puisque cette prohibition pourrait dans la suite procurer à nos maîtres de forges, les moyens de faire une sorte de monopole ». En 1821 le CGM préconise des hausses différenciées, généralement moindres que celles demandées par les maîtres de forges, et surtout limitées à la courte période de trois ans.

Une dynamique d'évolutions diverses est perceptible. Pour en cerner le contenu il est proposé de retenir plusieurs périodes d'environ vingt années, dont les principaux premiers jalons seraient 1811, 1830/1831, 1851/1852, 1866/1869.

Si les ordonnances donnent une première mesure du travail du CGM, elles constituent aussi un indicateur de l'activité, des priorités industrielles et même politiques pour l'Empire. En 1812 18 décrets impériaux sont promulgués, dont 10 concernent les départements extérieurs de l'Empire. Ces départements occupent une place non négligeable durant la première année du CGM : les concessions du bassin houiller de la Sarre sont traitées au cours de 5 séances dont 4, exclusivement consacrées à ce sujet, inaugurent ses premières séances. Les huit autres décrets de 1812 concernant des départements français se répartissent ainsi : aucun pour des usines à fer, 1 pour la concession d'argent d'Allemond en Isère, 1 pour la concession de la mine de fer de La Voulte également en Isère, 1 pour la concession de houille de Ségure dans l'Aude, 3 pour des fours à plâtre en Seine et Côte-d'Or, 1 pour une vitriolique à Thoiras dans le Gard, 1 pour de la tourbe.

Dix ans plus tard, en 1822 il y a 63 ordonnances royales. Elles concernent 30 autorisations pour des usines à fer (6 pour des hauts fourneaux, 3 pour forges catalanes, 6 pour des affineries, 10 pour des établissements transformant le fer, 5 pour des patouillets et bocards), 11 pour des verreries, 3 pour des usines vitrioliques et 3 pour des sujets divers. Elles instituent 16 concessions (houille 9, mines de fer 2, mines diverses 5).

En 1832 il y a quatre vingt six ordonnances, dont 38 pour des usines à fer (hauts fourneaux 7, forge catalane 1, affineries 12, transformation 5, bocards et patouillets 4, lavoirs 9).

La protection spéciale s'estompe rapidement

La dynamique industrielle l'emporte souvent sur le respect de la législation. Ceci est manifeste au vu des nombreuses régularisations a posteriori concernant soit l'établissement de nouveaux établissements, soit le maintien d'usines à fer antérieures à 1810.

En fait la protection spéciale des usines ne concerne pas celles déjà établies. Elle vise à instrumenter le progrès technique et le développement industriel au nom de l'intérêt général. Le ministère des Finances, autorité de tutelle de l'Administration des Forêts, contredit les positions prises par celle-ci  : «le développement d'une industrie quelconque, lorsqu'elle ne compromet pas la sûreté ni la salubrité publique contribue toujours au bien être des populations, et le respect dû à la liberté du commerce ne permet pas d'y apporter de telles entraves». Ceci rend au CGM la tâche plus facile pour rejeter les nombreuses oppositions des maîtres de forges en place, motivées par la rareté du bois.

L'administration des mines accepte en 1852 une décentralisation partielle, mais répugne encore à une ample déréglementation. Elle affirme même, dans sa circulaire du 16 octobre 1852, les mérites de la réglementation des installations lourdes de la sidérurgie : « Au fond les établissements métallurgiques, autres que les patouillets et bocards, et les lavoirs à mines, ont une trop grande importance pour que le gouvernement ait pu vouloir modifier, en ce qui les concerne, le régime consacré par 1810/…. Le plus souvent , la création d'une usine métallurgique dans une localité, affecte de grands et nombreux intérêts ; elle modifie quelquefois, sur une large échelle, les conditions d'approvisionnement du pays en combustible ; elle apporte, dans les prix du fer et des autres métaux, des changements qui doivent influer sur les autres industries locales ; elle donne aux permissionnaires eux-mêmes, certains droits de servitude sur les terrains d'autrui, et, pour ces motifs, les décisions à prendre ne sauraient être entourées de trop de soins et de prudence ». N'y a-t-il pas là une illusion réglementaire, qui tarde à prendre en compte la complexité de grands établissements métallurgiques, dont la dynamique et la surveillance échappent à l'administration ?

L'industriel libre de son action

La loi du 9 mai 1866 abroge les dispositions de 21 avril 1810, relative à l'établissement des forges, fourneaux et usines et aux droits établis à leur profit sur les minières du voisinage, et modifie les articles 57 et 58 de la même loi relatifs à l'exploitation des minières.

La commission instituée en 1863 au ministère des Travaux Publics pour préparer la réforme souligne « Il est temps que l'industriel soit libre de son action, puisque ce sont ses intérêts qui sont en jeu ; qu'il sache que s'il se trompe il n'aura qu'à s'en prendre à lui-même ». De même l'exposé des motifs de cette loi du 9 mai 1866 présenté par le président de section au Conseil d'Etat Cornudet montre tout le chemin parcouru pour supprimer les dispositions réglementaires qui ne correspondent plus à la réalité de la vie industrielle  : « le système de mise en tutelle de industrie métallurgique pouvait se comprendre au moment où cette industrie était naissante, où le gouvernement comprenant toute l'importance qu'elle avait, non seulement pour la prospérité intérieure de la France, mais aussi pour sa sûreté et sa puissance extérieure, sentait le besoin de la développer en quelque sorte à tout prix - les particuliers qui se livraient à cette industrie ou qu'il était bon de provoquer à s'y livrer, peu éclairés, peu expérimentés peut-être, avaient besoin d'être protégés et guidés par l'autorité de l'administration dont elle disposait - C'était aussi l'époque où l'on jugeait nécessaire de protéger les forges en France de la concurrence étrangère par un système de douanes, qui pour le fer ouvré allait jusqu'à la prohibition »

3° Le danger imminent dans les mines.

Le commentaire introductif du décret du 3 janvier 1813 sur « les dispositions de police relatives à l'exploitation des mines » en énumérant les causes générales d'accidents meurtriers exprime un objectif de prévention. Peu avant, les accidents très meurtriers dans les mines de Liège ont frappé l'opinion. Ce principe de précaution concernant la sécurité n'a quasiment jamais été mis en oeuvre. Les menaces de danger résultent très souvent de l'inobservation des obligations prescrites par les cahiers des charges, de l'insuffisance des plans, et de registres des travaux mal tenus.

L'IM peut intervenir directement, en application de l'article 5 du décret du 3 janvier 1813. Mais si l'ingénieur a le droit d'intervenir, il n'en a pas l'obligation. A lui d'apprécier les circonstances dans desquelles une pareille question se pose, et de décider, en tenant compte de ces circonstances, la nature et l'étendue des travaux à réclamer. Les moyens pratiques ne dépendent pas de lui. Il doit les demander, puis espérer les obtenir. Il peut difficilement se passer de l'assentiment de son environnement, et ceci demande du temps. Il faut enfin que les réquisitions soient payées. Les modalités ne sont donc pas réunies pour que l'IM puisse réellement agir, même s'il en avait l'intention sur la base des faits consignés dans le rapport qu'il a pour mission d'établir.

Dans les faits l'IM n'intervient pas, tout au moins directement et dans l'urgence. Les circonstances précises justifiant ce péril imminent ne sont précisées dans aucune circulaire. Il peut être tenu de réparer les préjudices subis par l'exploitant à raison des mesures prescrites, s'il était établi par le concessionnaire que les circonstances n'étaient pas de nature à les justifier. A la fin du siècle le péril imminent se manifeste à partir des années 1880 en cas de grève. Il s'agit alors de se prémunir contre des feux, des inondations, et non d'intervenir pour la sécurité d'un personnel qui n'est plus à son poste dans les travaux souterrains. Ici le concessionnaire est moins enclin à contester les décisions de l'IM.

La liste est longue des accidents meurtriers provoqués par l'insuffisance de mesures de sécurité préventives pour réduire les risques (grisou, chutes, écrasements, inondations). Les arrêtés préfectoraux de fermeture de travaux interviennent le plus souvent après les accidents. L'analyse de leur récurrence par l'administration devrait provoquer des mesures préventives. C'est loin d'être le cas. Il y a même filtrage dans la remontée de l'information, comme en témoigne la comparaison des rapports aux différents niveaux de la hiérarchie. Les accidents se succèdent sans qu'un enseignement réel soit tiré de leur répétition. Le fait ultime qui explique un accident ne constitue pas pour autant la ou les causes réelles. Les cas la Vernade et la Roche (Puy-de-Dôme), ceux du département du Gard de 1854 à 1861 sont bien révélateurs.

Les dossiers d'accidents et de mesures de sûreté traités par le CGM sont plus nombreux à la fin du XIXème siècle qu'au début. Pour les 24 années (1811-1835) on dénombre 54 dossiers dont 21 pour les sites houillers de Decize, Firminy, et Rondchamp. Pour les cinq mois en 1884 (de fin juillet à fin décembre) il y a 104 dossiers. Le CGM traite très rarement de dossiers spécifiques de menaces latentes de risques identifiés. Le plus souvent ses avis concernent les règlements proposés par les préfets.

Trois exemples sont révélateurs du défaut de mesures préventives. Pour le premier à Decize les accidents mortels sont peu nombreux. Par contre pour le second à Lalle dans le Gard, le 11 octobre 1861, 105 mineurs périssent noyés en moins d'une heure, et l'analyse de cette catastrophe permet de penser qu'elle pouvait être évitée. Enfin à Anzin en 1823 il n'y a que deux lampes de sécurité Davy avant le coup de grisou et les vingt-deux morts de la fosse du Chaufour.

A la décharge de l'administration, la société civile n'est pas prête à aller au fond des choses en matière de sécurité, cela met en cause trop souvent la responsabilité des concessionnaires. Il faut non seulement connaître la cause, mais aussi imputer la responsabilité. Ceci est souvent difficile compte tenu de l'organisation du travail dans les mines. De plus sauf les grandes catastrophes, le drame passe presque inaperçu, à la différence des accidents des appareils à vapeur dans des villes et leurs zones industrielles limitrophes. Le Parquet est soucieux de ne pas entreprendre de poursuites illusoires. L'accident mortel d'avril 1839 à la mine de Fins (Allier) donne lieu à plainte contre le concessionnaire. En première instance les deux prévenus sont acquittés. Le motif est que la mort a été causée par la propre imprudence et la désobéissance des victimes. Le Procureur estime cette décision contraire aux faits établis et à la loi, il fait appel mais il perd. Dans un autre cas d'accident à Commentry, le Procureur de Montluçon, prévoyant un acquittement, malgré des faits accablants, ne poursuit pas, car : «Les acquittements multipliés, loin de produire un bon effet, ne feraient que réduire l'action du Ministère Public et habituer aux poursuites illusoires ».

Conclusion

Les avis du CGM ont une double inspiration, l'intérêt public et le progrès technologique. Ils expriment une magistrature technique. Ils dévoilent les ressorts profonds des décisions d'investissements des notables censitaires de province et font comprendre l'étroite relation entre ruralité et industrialisation. Ils révèlent aussi la représentation que leur époque se fait de la problématique industrielle, économique et sociale. Les procès-verbaux des séances du CGM constituent pour la plupart d'entre eux une source exceptionnelle. Par le vocabulaire, les références et la variété des sujets traités ils permettent de comprendre comment la loi du 21 avril 1810 a été mise en oeuvre et quels sont les critères de décision de ses membres.

Le travail entrepris sur les PV des séances du CGM est d'abord un chantier d'inventaires pour établir des instruments de recherche. Il consiste en l'inventaire systématique du contenu des registres, organisé autour de quatre bases de données en correspondance les unes avec les autres.

Les instruments de recherches présentés visent ensuite à ouvrir de nombreuses pistes de recherches à partir de cette source très largement inexploitée qui fait une synthèse de tout un ensemble d'archives spécifiques à l'administration des mines, auquel s'ajoute des éléments d'archives d'origine préfectorale, du Corps des Ponts et Chaussées, de l'administration des Forêts, et du Conseil d'Etat. Parmi les recherches envisagées quelques unes peuvent être citées  : le pragmatisme réfléchi et l'illusion réglementaire du CGM ; la concession de Firminy Roche la Molière et le retour de son propriétaire émigré le marquis d'Osmond ; la contribution du CGM à la jurisprudence des sociétés anonymes, anticipatrice de la commission des opérations de bourse ; l'établissement de la redevance ou le début du contrôle fiscal ; les avis du CGM au regard des positions du Conseil d'Etat et de la Cour de Cassation ; les concessions inexploitées et le principe de la reconnaissance d'un gîte minier telle qu'il y ait certitude d'une exploitation utile ; la contribution du CGM à la législation sociale et à celle des accidents du travail, de Beaunier à Arthur Fontaine.


Mis sur le web par R. Mahl