Auguste MICHEL-LEVY (1844-1911)


Auguste Michel Levy, élève de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1862, entré 17ème et sorti major). Sorti classé 1er de l'Ecole des Mines. Corps des mines.

Fils de Michel LEVY (1809-1872), Médecin consultant de l'Empereur et médecin général inspecteur des Armées, et de Adèle DUPONT. Il fit changer son nom en MICHEL-LEVY. Père de :

Décrit dans le registre matricule de Polytechnique comme : Cheveux noirs - Front ordinaire - Nez moyen - Yeux bruns - Bouche moyenne - Menton rond - Visage ovale - Taille 181 -

Résumé de la carrière

Ingénieur des mines, il débute comme secrétaire du Conseil général des mines (1867). En 1870, il est enrôlé dans le "Bataillon des mineurs auxiliaires du génie", sous l'autorité de Jacquot. Attaché au service des topographies souterraines, il est rattaché à celui de la Carte géologique de la France (1876). Ingénieur en chef, il publie, avec Delafond, "Bassin houiller et permien d'Autun et d'Épinac". Lorsque Jacquot prend sa retraite, la direction du service lui échoit (1887). Il applique à la géologie ses connaissances de physicien, emploie le microscope polarisant pour l'étude des roches. Ayant succédé à Elie de Beaumont à la chaire de géologie du Collège de France, il est élu membre de l'Académie des sciences en 1896. Il est le fondateur de la minéralogie micrographique.



Auguste Michel-Lévy
(C) Archives familiales

Biographie de Auguste MICHEL-LEVY par Louis de LAUNAY, Ingénieur en Chef des Mines, Membre de l'Institut, Professeur à l'Ecole des Mines de Paris.

Cette Notice, lue à l'Académie des Sciences dans la séance du 8 décembre 1913, a été publiée dans Annales des Mines, mars 1914.

Quand on envisage à distance et avec le recul que donne la mort l'oeuvre considérable d'Auguste Michel-Lévy, on y aperçoit d'abord, ce me semble, deux points culminants qui brillent d'une lumière toute particulière : la création de la science pétrographique française avec la reconnaissance du vrai rôle des terrains cristallophylliens et la synthèse des roches ignées. Dans les deux cas, Michel-Lévy a travaillé souvent en collaboration avec celui qu'il appelait volontiers « mon maître et ami Fouqué », et dont il ne m'aurait pas pardonné d'oublier le nom au début de cette étude. L'oeuvre exécutée en commun doit rester commune, bien qu'il soit peut-être possible de discerner la part qui revient à chacun : Michel-Lévy plus géomètre et plus attiré par les problèmes généraux de la géologie ; Fouqué plus chimiste et physicien et, comme géologue, s'étant davantage restreint à l'étude des roches volcaniques. C'est sur les découvertes capitales de Michel-Lévy comme pétrographe que je voudrais surtout insister, et je le ferai bientôt sans m'astreindre à suivre un ordre chronologique, où les travaux de diverses natures se trouvaient enchevêtrés ; mais il ne sera pas inutile de rappeler d'abord quelques dates, afin de montrer comment et à quelle époque ces découvertes sont venues prendre leur place dans la science française.

Auguste Michel-Lévy est né le 17 août 1844.

En 1864, il sortit le premier de l'École polytechnique et entra à l'Ecole, des Mines. Dès son passage dans cette école, pendant ses voyages d'élève, il eut l'occasion d'examiner, avec un de ses camarades, Choulette, qui devait être prématurément enlevé à la science, les filons métallifères de la Bohême. Attirés tous deux par ces questions, ils obtinrent, en 1869, une mission officielle pour retourner étudier un sujet connexe, les filons classiques de la Saxe. Deux mémoires relatifs à ce grand problème des minerais filoniens ont paru dans les Annales des Mines de 1869 et 1870. On y constate la très forte empreinte des théories d'Elie de Beaumont sur le Réseau Pentagonal : théories qui, à ce moment, exerçaient, par leur apparence de rigueur géométrique, une attraction presque irrésistible sur tous les jeunes ingénieurs. Jusque dans les dernières années de sa vie, Michel-Lévy continua à subir cette fascination qui l'amena, après de Lapparent et Marcel Bertrand, autres disciples du même maître, à s'enthousiasmer pour un réseau tétraédrique dont je m'abstiendrai de parler, ayant eu le regret, sans doute par ma faute, de me trouver sur ce point en contradiction avec un maître que j'ai eu si souvent, ailleurs, l'occasion d'admirer très vivement. Nous retrouverons également bientôt un écho des leçons d'Elie de Beaumont - et là, au contraire, comme en tant d'autres matières, ces leçons furent singulièrement fécondes - dans le domaine de la pétrographie stratigraphique, à laquelle s'appliquèrent, plus ou moins directement, presque tous les premiers travaux de Michel-Lévy. En sortant de l'École des Mines (1868), Michel-Lévy fut attaché, à Paris, au secrétariat du Conseil général des Mines, puis chargé de la surveillance des carrières de la Seine, et, ultérieurement, du contrôle des appareils à vapeur. Nous n'avons pas ici à examiner, en détail, sa carrière administrative qui devait le conduire, en 1907, au grade d'Inspecteur général de première classe. Cependant on ne saurait oublier, en étudiant son oeuvre si considérable, que cette oeuvre, au lieu d'être favorisée par ses fonctions mêmes et de constituer, comme il arrive pour d'autres, une tâche professionnelle, est restée, pendant la plus grande partie de sa vie, un surcroit à des occupations d'ingénieur, qui absorbèrent - nous nous garderons de dire inutilement, mais avec une utilité extra-scientifique, - une grande partie de son activité et de son temps.

Attiré aussitôt par les nouvelles méthodes d'examen pétrographique appliqué aux roches qu'avait inaugurées, en 1858, l'Anglais Sorby et que Von Rath, Gerhardt, Vogelsang, Zirkel et Rosenbusch avaient contribué à répandre en Allemagne, Michel-Lévy se mit de bonne heure à étudier, par ces procédés nouveaux, les roches diverses du Plateau Central, dont il avait, dès 1870, commencé l'étude sur le terrain comme adjoint à la Direction de la carte géologique, et il fut. tout naturellement amené à leur comparer d'autres roches de provenances variées.

A quelques semaines de distance, Fouqué faisait, le 1er décembre 1873, une communication à l'Institut sur les inclusions vitreuses des roches de Santorin et, le 15 février l874, Michel-Lévy présentait à la Société géologique un premier mémoire qui a fait époque, sur quelques caractères microscopiques des roches acides anciennes. Cette communauté d'efforts devait, l'année suivante (1875), entraîner, entre les deux savants, une collaboration effective qui dura toute leur vie et qui s'est traduite notamment par le grand ouvrage de la Minéralogie micrographique, paru en 1879.

La méthode inaugurée par Fouqué et Michel-Lévy était toute nouvelle ; elle constituait un progrès triomphant sur tout ce qui avait pu être fait jusqu'alors; elle donnait des caractéristiques précises, au moyen desquelles on pouvait désormais classer les roches par groupes rationnels, les nommer et, en citant ces noms, faire comprendre aussitôt de quoi on voulait parler ; elle permettait d'éliminer enfin toutes ces dénominations vagues de trapps, wacks, roches vertes, porphyres, etc., qui avaient, jusqu'alors, servi à masquer l'impuissance des petrographes, sorte de caput mortuum remplaçant, en pétrographie, les éléments « dosés par différence » en analyse chimique. Elle donnait également l'essor aux opérations de la synthèse en fournissant, seule, la possibilité de reconnaître une constitution cristalline dans les sortes d'émaux blancs analogues à des verres dévitrifiés que donnent les produits artificiels de fusion et de recuit. Nouvelle et fructueuse, elle devait nécessairement susciter à ses promoteurs l'hostilité de ceux qui, ayant conquis sans elle une haute situation scientifique, ne se sentaient plus le courage de se remettre à l'école.

Nous regardons aujourd'hui comme tout simple, tout élémentaire et même indispensable d'examiner une roche au microscope avant de la classer dans un groupe déterminé; et, si on nous offrait un moyen de pénétrer dans la structure des minéraux, au delà de l'examen microscopique, il nous semble évident que nous l'accueillerions avec joie. Aussi, pour rendre pleinement justice aux initiateurs, convient-il de rappeler des luttes oubliées et des discussions véhémentes, qui ont eu jadis, à l'Académie des Sciences, un écho. Je ne saurais mieux faire que d'en emprunter deux exemples au discours prononcé par Michel-Lévy. lorsque après la mort de Fouqué il remplaça son ami dans sa chaire du collège de France. Parlant de leurs deux communications de 1873-1874, il ajoute :

« Nous eûmes à peu près pareil succès, chacun de son côté. Au cours de la discussion qui suivit ma communication, un des maîtres incontestés de l'ancienne Pétrographie (il ne le nomme pas, mais c'était, je crois, Delesse) me fit observer, non sans quelque malice, qu'on n'étudiait pas les montagnes au microscope et qu'une plaque mince d'un centimètre carré de surface ne pouvait vraiment synthétiser l'histoire d'une roche quelconque. De son côté, Henri Sainte-Claire Deville, le maître respecté et aimé de Fouqué, lui disait avec bonhomie, en examinant quelques-unes des plaques minces de son élève favori : « Les pétrographes sont des chasseurs qui tirent au jugé. »

Ne soyons pas, d'ailleurs, à notre tour, injustes pour ces vétérans laissés en arrière par le progrès et reconnaissons avec eux que le microscope ne suffit pas à lui seul sans l'examen approfondi des conditions de gisement et sans un prélèvement rationnel des échantillons à examiner. Il peut même, si on l'emploie mal, présenter, par une précision illusoire, des dangers que je comparerais volontiers à ceux des calculs algébriques en physique ou de l'analyse chimique en géologie. Seule, une exploration préalable du terrain, à laquelle le microscope vient ensuite apporter son merveilleux appui, empêche de « tirer au jugé » et permet de « regarder les montagnes au microscope ».

A partir de cette époque, la voie de Michel-Lévy était toute tracée; elle s'est écoulée sans incident notable, et il suffira d'en marquer ici quelques étapes caractéristiques : études locales sur le Morvan jusqu'en 1878 ; sur le Maçonnais et le Beaujolais de 1878 à 1882 ; puis sur le Lyonnais jusqu'en 1887 ; enfin sur l'Auvergne ; en même temps, expériences sur la synthèse des minéraux et des roches, résumées dans un livre de 1882 ; mission d'Andalousie en 1885 pour l'étude des tremblements de terre; direction de la carte géologique de 1887 jusqu'à sa mort; nomination à l'Institut à la place de Daubrée en 1896; cours au collège de France en remplacement de Fouqué depuis 1909.

Dans cette période active d'une quarantaine d'années, il a eu l'occasion de résumer ses principaux travaux en quelques ouvrages qu'il faut signaler aussitôt comme ayant été les livres de chevet de tous les pétrographes français : la Minéralogie micrographique, publiée en 1879 avec la collaboration de Fouqué ; la Synthèse des minéraux et des roches, publiée en 1882 avec la même collaboration ; puis les Minéraux des roches par Michel-Lévy et Lacroix (1888); la série des Mémoires sur les feldspath, qui s'échelonnent de 1894 à 1904 : la Classification des roches éruptives (1889), les Notes sur la chaîne des Puys, le Mont Dore et le massif de la Limagne (1891); la Classification des magmas des roches éruptives (1897 et 1898).

S'il est permis d'exprimer à ce propos un regret, ce sera seulement qu'un tel maître dont tous ceux qui ont touché à la pétrographie en France ont reçu les précieuses leçons, n'ait jamais recommencé et complété, comme lui seul aurait pu le faire, ce bel ouvrage sur la Minéralogie micrographique, que les progrès de ses études et ceux de ses élèves l'auraient amené à reprendre avec des aperçus nouveaux. Nous attendons aujourd'hui de son disciple, M. Lacroix, cette pétrographie française qui nous a manqué jusqu'ici. Si Michel-Lévy l'avait écrite plus tôt, elle aurait permis à notre esprit national de soutenir, contre l'obscurité et la confusion fréquente des méthodes allemandes, codifiées en de nombreux ouvrages didactiques qui ont fait le tour du monde, une lutte que son autorité mondiale aurait rendue facile et qui, sans lui, n'a pu être continuée avec le même succès.

Je n'ai fait, jusqu'ici, qu'indiquer, dans ses très grandes lignes, l'oeuvre de Michel-Lévy. Je dois maintenant en préciser davantage les résultats principaux.

Pétrographe avant tout, Michel-Lévy fut naturellement amené, au cours de sa vie, à envisager les divers points de vue que peut comporter l'étude des roches. Il s'est attaqué tour à tour : à la synthèse des minéraux et des roches, qui permet de reconstituer expérimentalement les procédés employés par la nature, à la cristallographie qui lui a fourni les moyens de reconnaître avec précision les feldspaths ot les autres minéraux constituants d'un magma ; à la détermination et à la classification des structures rocheuses par l'examen microscopique ou par l'analyse chimique ; à la reconnaissance de leur âge et de leur évolution avec le temps ; à l'histoire de leur mise en place plus ou moins profonde et de leurs réactions métamorphiques sur les terrains encaissants. On aperçoit aisément comment ces divers sujets, que nous examinerons successivement, se rattachent les uns aux autres et présentent, sous leur diversité apparente, une fondamentale unité.

1° Synthèse des minéraux et des roches. - Dans l'énumération précédente, nous retiendrons d'abord, pour en marquer toute la portée, les synthèses artificielles des minéraux et des roches qui constituent peut-être, pour Fouqué et Michel-Lévy, leur plus beau et plus durable titre de gloire.

Jusqu'à eux, on avait généralement regardé, avec une sorte de respect stupéfait et comme le produit de réactions mystérieuses, ces magmas rocheux homogènes, où plusieurs minéraux cristallisés ont dû prendre naissance en même temps. Les essais de synthèse qui, pour les minéraux isolés, avaient donné en France quelques très remarquables résultats, étaient restés, pour les roches mêmes, timides et incertains. Il semblait que, pour réaliser un tel phénomène, la nature eût dû faire intervenir un temps indéfini, des masses énormes, des forces indéterminées. La reproduction d'un minéral, soit dans nos produits d'usine artificiels, soit dans nos laboratoires, était chose admise, mais non celle d'une véritable roche. Ceux qui auraient pu tenter des expériences synthétiques se seraient d'ailleurs trouvés dans l'impossibilité d'apprécier exactement s'ils avaient réussi, faute de savoir discerner au microscope la véritable nature des substances obtenues. C'est pourquoi le développement des synthèses de roches a coïncidé, dans les mains de Michel-Lévy et de Fouqué, avec celui de la pétrographie microscopique, qui, en reconnaissant la présence d'inclusions vitreuses, liquides, gazeuses, dans les minéraux des roches et en montrant l'ordre de consolidation de ces minéraux a, de plus, fourni des indications précieuses sur leur formation.

Parmi les synthèses les plus importantes des roches ignées, exécutées par Fouqué et Michel-Lévy, on peut citer celles de diverses roches volcaniques, basaltes, andésites, leucotéphrites, etc., obtenues par fusion purement ignée et recuit alors que tous les géologues avaient auparavant soutenu la nécessité de faire intervenir l'eau et les minéralisateurs. Ce résultat a été enregistré par les savants étrangers comme un des plus beaux succès de la science française. Zirkel le qualifiait, eu 1881, d'extraordinaire et d'à jamais mémorable.

Il est, en effet, tout à fait curieux de penser qu'en prenant les mêmes poudres de minéraux et les soumettant à des températures diverses, avec fusion et refroidissement dans dos conditions variées, sans l'intervention d'aucun produit étranger, on puisse obtenir des groupes de minéraux totalement différents, avec les structures les plus diverses.

Peu d'années avant sa mort, Michel-Lévy eut à revenir sur ces travaux de synthèse dans son cours au Collège de France et s'attacha alors avec juste raison à montrer, en analysant les travaux de ses successeurs, tels que Doelter, Morozewicz, etc., que leurs méthodes avaient procédé des siennes. On sait comment, dans certains pays voisins, il se trouve toujours à point nommé un savant national, auquel on puisse attribuer la gloire des découvertes faites à l'étranger. Les synthèses pétrographiques n'ont pas échappé à cet accident. Il était juste de remettre les choses au point.

Une importante conclusion générale de ces études est la loi énoncée par Fouqué et Michel-Lévy sur l'ordre de cristallisation dans un mélange de silicates fondus, tel que celui dont sont composées, à quelques variantes près, toutes nos roches. Dans un tel mélange, la cristallisation s'opère sans exception, suivant l'ordre même de la fusibilité des silicates. La synthèse confirme en même temps et précise les notions que peut fournir l'étude directe des gisements rocheux sur les productions d'épanchement ou de profondeur plus ou moins grande. En résumé, les roches d'épanchement ont pu être, en moyenne, reproduites par fusion purement ignée. Pour les roches de profondeur, telles que le granite, il faudrait, faire intervenir de l'eau sous pression et certains fondants jouant le rôle de catalyseurs, comme cela paraît avoir été le cas de l'acide tungstique dans la cristallisation de l'albite (Hautefeuille) et dans celle des éléments principaux d'un granite (Morozewicz). Pour ces roches de profondeur à structure granitique, ni Michel-Lévy ni ses successeurs n'ont pu encore aboutir, et l'on peut seulement signaler la production de verres compacts renfermant des traînées de cristaux de quartz avec des lamelles de biotite, des sphérolites et des cristaux fins de sanidine. Ces éléments d'un granite, qui n'ont pas réussi à se grouper en une structure granitique, ont été produits en 1898 par Morozewicz au-dessous de 1.000°. Vingt ans auparavant, Michel-Lévy avait déjà obtenu des grains d'orthose et des lamelles de mica brun, sans quartz, dans un verre analogue.

La difficulté à laquelle on s'est heurté jusqu'ici dans ce problème capital est, on le conçoit, l'impossibilité pratique de réaliser un récipient dans lequel on puisse impunément chauffer au-dessus de 500° un excès d'eau enfermé hermétiquement. Le platine à 10 % d'iridium, seul métal qui résiste au-dessus du rouge, est excessivement poreux et laisse échapper en quelques heures les gaz et les vapeurs à haute pression dont l'influence disparaît par conséquent. Jusqu'au jour où l'on aura tourné cette difficulté par un artifice que nous ne concevons pas encore, il est peu probable que l'on arrive à reproduire des roches telles que les granites, pour lesquelles tout nous conduit à admettre une fusion très homogène par énormes masses sous un couvercle épais de terrains imperméables et en présence de la vapeur d'eau.

2° Cristallographie.- J'ai commencé, vu sa haute valeur scientifique, par la synthèse des roches. Mais on conçoit que toute étude pétrographique, quelle qu'elle soit, se trouve dominée par un problème de détermination, qui appartient d'abord à la cristallographie pour la reconnaissance des minéraux constituants et dans lequel intervient ensuite une appréciation beaucoup plus délicate et plus discutable des groupements minéralogiques divers en structures.

Deux mots d'explications ne seront peut-être pas inutiles pour montrer l'importance d'un travail auquel Michel-Lévy s'est attaché avec une insistance particulière.

Le premier point, pour parler d'un sujet quelconque, est de le définir. Toute science naturelle a donc pour base nécessaire une classification destinée d'abord à établir une langue commune entre les savants et ensuite à traduire par la langue même, des groupements que l'on cherche à rendre aussi rationnels et précis que possible. Les naturalistes se heurtent là, dès le début, à une difficulté extrême ; car les classifications que l'on se propose d'établir ne sauraient être autrement qu'artificielles, donc conventionnelles et, dans une certaine mesure, provisoires, puisque la nature procède par continuité et par transitions, tandis qu'une classification a besoin de coupures tranchées, de démarcations nettes. D'où ces divergences de vues entre écoles rivales qui, trop souvent, donnent l'impression d'une tour de Babel et de là aussi, suivant l'école momentanément triomphante, ces changements perpétuels dont l'enseignement même reçoit sans cesse le contre-coup fâcheux.

En minéralogie, il y a heureusement une première base fixe et solide, c'est la détermination des minéraux par leurs formes cristallines et leurs propriétés optiques. Ces minéraux présentent, le plus souvent, entre eux, ces coupures nettes, ces démarcations tranchées, dont on a besoin pour la classification. Mais il arrive précisément que les groupes de minéraux les plus importants pour le pétrographe, à savoir les silicates, et d'abord les feldspaths, échappent, dans une certaine mesure, à la loi précédente. D'où une difficulté dont il est facile de comprendre la cause. Les roches ignées qui constituent l'écorce terrestre semblent sans doute extrêmement variées dans leur composition et dans leur structure ; et l'étude détaillée qu'en font les pétrographes peut sembler confirmer cette impression première, puisque l'objet de leurs travaux est précisément de mettre en évidence des différences sur lesquelles est fondée la classification. Mais cette variété apparente masque une unité fondamentale, qui réapparaît dès qu'on s'adresse à l'analyse chimique, où toujours se caractérisent à peu près exclusivement les quatre ou cinq mêmes corps : silicium, aluminium, calcium, magnésium, fer, alcalis. Il se passe là quelque chose d'analogue à ce qui se produit, dans le monde des organismes, pour les innombrables combinaisons dans lesquelles on retrouve le carbone, l'hydrogène, l'oxygène et l'azote.

On en a la preuve quand on prend au hasard un millier d'analyses de roches choisies sans aucune idée préconçue et quand on en cherche la moyenne. Cette expérience, qui a été recommencée à diverses reprises par les chimistes américains, donne toujours les mêmes moyennes, et il en résulte que toute notre écorce est un silicate d'alumine renfermant 60 p. 100 de silice et près de 16 p. 100 d'alumine (soit les trois quarts du total), dans lequel interviennent encore, pour 24 p. 100, les autres éléments alcalins ou alcalino-terreux que j'ai énumérés plus haut : tout le reste, qui est la source de nos éléments chimiques, de nos industries minières, etc., n'intervenant dans le total que pour 1 p. 100.

Ce sont donc uniquement des variétés de silicates alumino-potassiques, sodiques, calciques,magnésiens ou ferreux, entre lesquelles s'est établie une ventilation qui a constitué les diverses espèces de roches, et Michel-Lévy a pu chercher à expliquer toutes ces variétés par l'association d'un silicate ferro-magnésien basique, avec un silicate alcalino-calcique, formant la scorie feldspathique acide. Dans cet alliage, soumis à des phénomènes de liquation, de différenciation, à des interventions de catalyseurs volatils, à des solidifications partielles, suivies par la prise en masse d'un magma eutectique, se sont produites des cristallisations en plusieurs temps, avec des mélanges, dans les individus cristallins eux-mêmes, de diverses formes définies associées en proportions variables .

Tout cela donne des résultats très compliqués et qu'il est cependant indispensable de démêler si on veut arriver à une détermination, à une classification rationnelle. C'est ce qui explique le soin tout particulier que tous les pétrographes ont apporté à définir les feldspaths, représentants les plus nets de la scorie silicatée alcalino-calcique.

Or les feldspaths, non seulement se ressemblent beaucoup entre eux et ont des formes cristallines très voisines; mais, en outre, quand on aborde le groupe des plagioclases qui en forme la plus grande partie, on est amené à y voir, soit, avec Tschermak, des mélanges isomorphes en toutes proportions de deux termes extrêmes, l'albite et l'anorthite, soit, avec Fouqué, une série d'espèces intermédiaires entre l'albite et l'anorthite à composition déterminée. En sorte que, dès le premier pas, on perd ce terrain solide sur lequel on aurait pu compter, en minéralogie, pour aborder un de ces champs de discussion où se donnent carrière, souvent avec des arguments de presque égale valeur, les opinions contradictoires.

Pratiquement, on éprouve une difficulté extrême à se procurer des feldspaths suffisamment purs et homogènes pour permettre de déterminer, sur le même échantillon, la composition chimique et les propriétés optiques. Non seulement la même roche peut renfermer plusieurs feldspaths différents, mais, en outre, comme l'a remarqué M. Lacroix, chaque cristal, considéré individuellement, est fréquemment lui-même constitué par des zones de propriétés différentes et souvent fort éloignées, où interviennent, en outre, de nombreux produits secondaires. La conclusion de Michel-Lévy était que la loi de Tschermak devait être considérée comme une approximation probable et non comme une vérité mathématique rigoureuse.

Cette question des feldspaths a beaucoup occupé, chacun de leur côté, Fouqué et Michel-Lévy. Le premier a résumé ses longs travaux dans un ouvrage paru en 1896. Le second a fait paraître ses études sur la détermination des feldspaths en trois fascicules espacés de 1894 à 1904.

Dans ce travail, il a donné, pour la détermination des feldspaths microscopiques, des méthodes rapides et précises qui n'ont guère été modifiées ni perfectionnées depuis par d'autres minéralogistes.

Il a étudié d'abord les angles d'extinction en zone dans les sections parallèles à l'allongement, ou perpendiculaires au plan d'aplatissement et de macles, et, traçant des courbes d'égale extinction et d'égale biréfringence, il a fourni le moyen de déterminer un plagioclase microlithique sur une section quelconque, quand les macles de l'albite et de Carlsbad y coexistent, ce qui est un cas fréquent.

La méthode des éclairements communs, ou positions d'égale intensité lumineuse, lui a fourni un autre procédé pratique, qui vient s'ajouter fructueusement à la recherche des zones principales d'extinction.

Par ce moyen, la pétrographie microscopique a pu échapper au reproche qu'on lui faisait au début d'être peu précise. Par là aussi la pétrographie française a trouvé, dans l'étude des feldspaths microlithiques devenus déterminables avec exactitude, une base de classification bien supérieure à celle des savants étrangers qui se contentaient d'employer les macrolithes, éléments plus exceptionnels et, en quelque sorte, produits adventifs d'une pâte où ils ont été apportés déjà solides, pour être englobés dans sa solidification.

On pourrait, en outre, rappeler ici de nombreux travaux minéralogiques de Michel-Lévy sur les auréoles polychroïques, sur les variétés de silice dites quartzine et lutécite, sur l'emploi général des gammes de biréfringence maxima, avec comparateur formé d'un quartz en biseau, pour la détermination générale des minéraux dans les roches, etc.

3° Classification et structure des roches. - L'étude des structures de roches éruptives a été, pour Michel-Lévy, un sujet de recherches constant. A diverses reprises, il s'est attaqué, par des méthodes diverses, à établir une classification rationnelle, qu'il a d'abord fondée presque exclusivement sur l'examen microscopique pour y adjoindre ensuite, à la suite de l'école américaine et norvégienne, l'emploi de l'analyse chimique.

Dans le premier ordre d'idées, il a particulièrement insisté sur les types de passage qui, dans les roches acides, rattachent les uns aux autres les granites et les porphyres les plus vitreux : toutes les structures de ces roches étant, en définitive, caractérisées par les divers modes d'association des deux minéraux qui cristallisent en dernier lieu, orthose et quartz. La série qu'il a établie passe du granite à la granulite, à la pegmatite, à la microgranulite, à la micropegmatite et au quartz globulaire. Michel-Lévy attachait une importance particulière, et je crois avec beaucoup de raison, au maintien de la structure appelée par lui granulitique, qui avait seulement le tort de donner lieu à des confusions par l'emploi fâcheux d'un nom déjà employé dans un autre sens. Les structures auxquelles il a donné le nom de micropegmatite et de structure ophitique ont été généralement adoptées par les pétrographes.

Ultérieurement, Michel-Lévy s'est appliqué, après Iddings, à classer les roches par des diagrammes représentatifs de leur analyse chimique. Sa méthode consiste à mettre en évidence : d'une part, les scories ferro-magnésiennes, c'est-à-dire la proportion relative des éléments donnant naissance à des minéraux colorés, fer, magnésie, chaux (ou alumine) ; de l'autre, les éléments blancs, ou éléments de fumerolles, potasse, soude et chaux feldspathisée. La proportion de silice est inscrite à côté des triangles représentatifs. Par cette méthode, on manifeste très simplement tous les caractères essentiels de la roche, notamment les rapports caractéristiques de la potasse à la soude, l'excès ou le défaut d'alumine, etc.

Il a démontré ainsi deux lois intéressantes :

1° La proportion de magnésie est éminemment caractéristique (beaucoup plus que le fer) de la quantité de magna ferro-magnésien entrant dans la composition définitive de la roche, ou de sa basicité. La magnésie tend régulièrement vers zéro quand la silice augmente, quand l'acidité s'accroît ;

2° Quand on considère une famille de roches homogènes, tout se passe comme si, à un magna ferro-magnésien, venait s'ajouter, par apports successifs, une quantité d'abord rapidement croissante d'alcalis, d'alumine et de silice; puis, une fois atteinte la saturation de la potasse, de la soude et de l'alumine, la silice croît et semble remplacer le magna ferro-magnésien.

Encore à la fin de sa vie, Michel-Lévy, dans son cours au Collège de France, est revenu souvent sur ces études pour apporter des retouches à ses conclusions. Il a alors spécialement examiné la question de la différenciation en vase clos (Brögger, 1890) ou de la consanguinité (Iddings, 1892) pour montrer ce qu'elles présentent d'excessif et insister sur la feldspathisation, ou pegmatisation par les fumerolles suivant la vieille tradition française d'Elie de Beaumont et Daubrée, qui leur a toujours attribué un grand rôle dans la genèse des roches et des gîtes métallifères. Il a fait voir à ce propos ce qu'il y a d'hypothétique à vouloir appliquer, dans le cas des mélanges silicates à trois ou quatre éléments qui constituent les roches, les lois de l'eutectisme démontrées seulement pour les solutions étendues de deux éléments l'un dans l'autre; mais, en même temps, il a signalé les applications de détail que pouvaient présenter ces observations sur les alliages pour expliquer certaines structures de consolidation simultanée.

4° Age des roches éruptives. Mode de formation et de mise en place. Genèse des terrains cristallophylliens. - Dès ses premiers travaux de 1874, Michel-Lévy a compris le parti que l'on pouvait tirer des nouveaux procédés d'examen microscopique qu'il avait importés en France et puissamment contribué à développer pour classer les roches d'après leur âge. Logiquement, cet âge devait présenter avec leur structure une relation qu'Elie de Beaumont et Grüner avaient déjà pressentie et sur laquelle Elie de Beaumont avait attiré l'attention par des aperçus géniaux, comme il l'a fait pour l'âge des plissements montagneux et celui des gisements métallifères, mais que les moyens d'étude dont il disposait ne lui avaient pas permis de préciser. Etudiant au microscope la série des roches éruptives anciennes, Michel-Lévy s'est appliqué à déterminer quel âge correspondait aux divers types de structures et à en formuler la loi.

A cet égard, il lui est arrivé d'abord ce qui arrive presque fatalement aux novateurs, ce qui était arrivé à Elie de Beaumont lui-même pour les systèmes montagneux. Partout dans le domaine des sciences naturelles, on ne saurait approcher de la vérité autrement que par approximations successives et, même en physique ou en chimie, on a vu les premières lois trop simples, dans lesquelles on avait réussi à grouper un nombre d'observations insuffisantes, être ultérieurement remplacées par des lois plus compliquées, tenant compte de détails d'abord inaperçus. Il en sera ainsi jusqu'au jour, encore bien lointain, où toutes nos petites lois provisoires viendront se fondre et se condenser dans la loi unique qui logiquement devrait résumer toute cette complexité des problèmes. En attendant ce futur problématique, nous nous apercevons sans cesse que l'intervention de quelque astre inconnu, de quelque Neptune insoupçonné, vient troubler les premiers calculs de nos orbites planétaires.

L'ordre établi par Michel-Lévy, en 1875, dans la chronologie des roches acides anciennes, reste vrai dans son ensemble, en tant qu'ordre relatif. Nous continuons à admettre la même succession des granites, granulites (ou granites à mica blanc), micro-granulites (ou porphyres granitoïdes), porphyres pétrosiliceux et globulaires, porphyrites, etc., et l'on peut encore énoncer avec quelques rectrictions les deux propositions par lesquelles il concluait son étude :

1° Que la série des roches acides est continue et que leur nature n'a pas brusquement changé d'une période à une autre ;

2° Qu'il y a une relation intime entre la texture de ces roches et l'âge de leurs éruptions.

Mais il ne paraît plus exact d'attribuer, comme il le faisait dans cette oeuvre de jeunesse, à ces différences de structure, une valeur d'âge absolue, en supposant « que la nature chimique et la quantité des dissolvants et des minéralisateurs ont dû varier à mesure que le refroidissement du globe s'accentuait ». Nous ne considérons plus qu'un granite tertiaire, comme celui de. l'île d'Elbe, doive nécessairement présenter une autre structure qu'un granite ancien. Nous admettons au contraire, et Michel-Lévy lui-même avait été conduit peu à peu à admettre de très nombreuses récurrences dans une série pétrographique qu'il avait commencé par croire unique. Dans la théorie actuelle, on attribue volontiers à des différences entre les conditions de cristallisation, où la profondeur notamment a joué un grand rôle, l'influence prépondérante, qui avait paru d'abord devoir être réservée au refroidissement progressif du globe.

Mais, si quelques réserves sont aujourd'hui nécessaires pour cet ancien travail sur l'âge des roches, il faut, au contraire, applaudir sans restriction à la vision véritablement prophétique que Michel-Lévy a eue, dès 1877, sur l'origine des terrains dits cristallophylliens et sur la mise en place des granites. C'est en 1877 qu'il a fait voir le premier, en contradiction avec l'école allemande, comment se produisaient les gneiss granitiques et granulitiques.

Puis, dans un mémoire de 1887, il a développé sa théorie des terrains cristallins dits primitifs, produits par recristallisation de sédiments : théorie combattue avec une extrême vivacité par tous ceux qui prétendaient retrouver dans les gneiss et micaschistes la première croûte de consolidation du globe. Il a montré comment ces roches ne sont que d'anciens terrains métamorphisés pouvant appartenir à tous les étages géologiques et il est arrivé enfin à faire triompher universellement des idées dont l'adoption a constitué, dans notre science, une révolution considérable. Il a fait voir, en même temps, comment s'étaient mises en place les roches de profondeur à type granitique avec rôle essentiel de la vapeur d'eau, dont une partie est restée emprisonnée dans leur masse et a contribué plus tard, dans leur refusion, aux émanations aqueuses du volcanisme. Il a insisté également sur la lente absorption connexe des terrains encaissants, sur la digestion plus ou moins complète de leurs lambeaux, sur la pénétration à distance, la feldspathisation et le développement de minéraux divers. Quand on parle aujourd'hui couramment de gneiss ou de granites secondaires et même tertiaires ; quand on part de cette notion directrice pour expliquer la genèse des chaînes plissées, il ne faut pas oublier l'époque où ma génération a pu voir les défenseurs de la « croûte primitive » sourire dédaigneusement quand on voulait expliquer les gneiss du Plateau Central par le métamorphisme de sédiments relativement peu anciens.

CONCLUSION.

Je suis arrivé au bout de cette étude déjà longue, et je n'ai rien dit des nombreux travaux où Michel-Lévy a réuni des observations utiles et des idées intéressantes, de ses études stratigraphiques sur le Morvan, le Beaujolais ou l'Auvergne, de ses recherches sur les Alpes, de ses expériences sur les tremblements de terre. Je dois cependant conclure, en rappelant le rôle capital joué par Michel-Lévy comme initiateur et comme directeur de la Carte géologique.

Jusqu'en 1905, Michel-Lévy n'a pas eu l'occasion de professer officiellement. Les circonstances ne lui ont pas permis de rendre ainsi à la science française tous les services que celle-ci aurait pu attendre de lui. Mais, sans être chargé d'aucun enseignement, il se mettait, avec une complaisance et une bonté inlassables, presque paternelles, à la disposition de tous ceux qui désiraient apprendre l'usage du microscope appliqué aux roches. Combien de matinées n'a-t-il pas perdues ainsi à me guider, moi comme bien d'autres, et, si je rappelle ici ce fait personnel, on croira aisément que mon but unique est de lui témoigner une profonde reconnaissance dont rien n'a pu, dans la suite, altérer le souvenir.

Le service de la Carte géologique a été le champ d'action principal de Michel-Lévy pendant toute sa carrière. Dès 1870, il était adjoint à la direction et commençait à exercer une influence très effective en contribuant à élargir fortement les cadres des collaborateurs pour réaliser un achèvement plus rapide qu'il jugeait désirable avant tout. Depuis 1887, il resta directeur du service jusqu'à sa mort. Grâce à la haute autorité que lui assuraient, à la fois, son caractère et sa situation scientifique, il a pu remplir avec succès une fonction délicate en laissant à de très nombreux collaborateurs toute liberté pour l'expression de leurs vues personnelles, sans compromettre pourtant, autant qu'on l'eût pu craindre, l'homogénéité de l'oeuvre. Lui-même a signé onze feuilles de la Carte géologique au 80.000e, et, sans sa direction, il en a été publié 150. Cette carte au 80.000e qu'il a laissée presque entièrement terminée, à l'exception des Pyrénées et de la Corse, constitue, dès à présent, un point de départ précieux pour toutes les études scientifiques et pratiques, une base solide pour des rééditions ultérieures où les inévitables défauts d'un premier jet seront peu à peu effacés. Dans ses dernières années, où il sentait venir la mort avec mélancolie, il exprimait souvent le voeu d'assister, avant son départ, à l'achèvement définitif d'une oeuvre qu'il avait tant contribué à faire aboutir. Il n'a pas eu cette joie entière. Néanmoins son nom restera attaché à l'exécution de ce grand travail, comme celui d'Elie de Beaumont à son organisation première.



Albert Michel-Lévy (à gauche) en course géologique, avec Elisabeth Jérémine (1879-1964) et Edouard Roch, vers 1930
(C) Archives familiales

Albert MICHEL-LEVY (1877-1955) fit des études à l'Institut national agronomique, puis à l'Ecole forestière de Nancy. D'abord fonctionnaire des eaux et forêts, il s'orienta ensuite vers la géologie sous l'influence de son père Auguste MICHEL-LEVY. Sa thèse porta sur les terrains primaires du Morvan et de la Loire (1908). Il fut professeur sans chaire (1923) puis professeur à la Sorbonne (1936-1946), élu à l'Académie des Sciences (1945), président de la Société géologique de France (1935). Il dut vivre quelques années loin de Paris pour éviter les persécutions anti-juives.
Albert utilisa des micro-explosifs pour synthétiser certains minéraux et reproduire ainsi certains effets du métamorphisme, sous microscope polarisant.
Commandeur de la Légion d'honneur et de l'ordre de l'Empire britannique.


Albert MICHEL-LÉVY
(C) Collection familiale




Mireille CHRISTOPHE née MICHEL-LÉVY
Fille de Albert, elle a poursuivi la tradition familiale en intégrant le laboratoire de Jean WYART en 1946. Elle fait au CNRS beaucoup de synthèses de minéraux, d'abord en liaison avec son père et avec Jean WYART, puis elle étudie les milieux bien plus anhydres avec les météorites et les échantillons lunaires.
(C) Collection familiale

Marié à Mlle Kiefe, Albert MICHEL-LEVY a lui-même eu comme enfants :

Référence : Albert Michel-Lévy (1877-1955), Bulletin de la Société géologique de France, 6eme série, t. IV, 1956, pp. 597-621.


Cette photo a été prise en 1889 par Paul Helbronner (1871-1938, X 1892, membre de l'Académie des sciences en 1927). On y voit, de gauche à droite, Albert Michel-Lévy (alors âgé de 12 ans), Adèle (devant lui), leur maman (épouse de Auguste), sa fille Marguerite, Auguste Michel-Lévy et François Coustet.
(C) Archives familiales



NOTICE HISTORIQUE

SUR

Auguste MICHEL-LÉVY,


MEMBRE DE LA SECTION DE MINÉRALOGIE,

LUE DANS LA SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE DU 21 DÉCEMBRE 1914
PAR


M. ALFRED LACROIX,
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL.

Messieurs,

Aux heures les plus graves de notre Histoire nationale, l'Académie des Sciences a toujours tenu à proclamer bien haut sa foi inébranlable dans les destinées de la Patrie en n'interrompant en rien l'ordre régulier de ses travaux. C'est pourquoi, alors que nos frontières sont encore envahies par l'ennemi, l'un de vos Secrétaires perpétuels vient, comme de coutume, vous rappeler en cette séance annuelle le souvenir de l'un de nos confrères disparus.

Mais, depuis cinq mois, tous les objets de nos recherches, toutes ces préoccupations qui constituent l'aliment essentiel de notre vie scientifique, ne forment plus qu'un voile léger à travers lequel, inlassablement, notre pensée s'efforce de préciser les détails du drame qui se joue si près de nous et suit avec autant d'admiration qne d'espoir les héroïques efforts de nos armées. A notre table de travail, dans nos laboratoires presque déserts, comme aussi jusque dans les plus minimes circonstances de l'existence de chaque jour, ce sont les mêmes images qu'à toute heure font apparaître les moindres incidents et tout nous y ramène.

Aussi, an moment de retracer devant vous la vie d'un savant qui eut l'heureuse fortune de pouvoir développer sans entraves les dons exceptionnels que lui avait prodigués la Nature, ne puis-je m'arracher à la vision de ces jeunes hommes qui, mêlés à la Nation armée entière, font noblement et joyeusement le sacrifice de tous leurs rêves de science pour arroser de leur sang les plaines des Flandres, de Picardie et de la Marne; les montagnes des Ardennes, de l'Argonne et des Vosges. A tous ceux qui tombent ainsi au champ d'honneur et d'une façon particulière à ceux qui constituent comme notre famille intellectuelle, quand ils ne sont pas les fils de notre sang, un hommage est dû en cette séance destinée à commémorer le passé et à glorifier le présent de la Science française; un hommage à la fois reconnaissant et ému, car, par leur mort glorieuse, ils servent encore la Science, puisqu'ils contribuent à maintenir à notre Pays le pouvoir de développer librement dans l'avenir toutes les formes de son génie immortel.


Messieurs,

La fin du siècle dernier, qui a vu l'aurore de tant de découvertes retentissantes dans les sciences biologiques et dans les sciences physiques, a été signalée aussi par l'apparition, dans d'autres disciplines, de méthodes nouvelles qui, pour avoir fait moins de bruit, n'en ont pas été moins transformatrices. Parmi ces disciplines, il faut mettre en bonne place celle qui concerne l'étude des roches. Le facteur principal de son évolution a été le microscope; cet instrument en a fait une science précise et lui a, en outre, ouvert définitivement les vastes horizons qui lui avaient été fermés jusqu'alors.

La Science des roches serait d'un intérêt fort limité si elle devait se borner à une simple description; décrire n'est pas une fin, mais un moyen d'aller plus avant. Ce qu'il importe principalement de connaître en cette matière, ce sont les relations qui unissent entre eux les divers matériaux de l'écorce terrestre; c'est la recherche de leur mode de formation, de leur origine, et aussi de leur devenir; ce sont en un mot quelques-uns des plus passionnants chapitres de l'histoire de la Terre et même d'au delà, puisque cette étude englobe les météorites qui nous arrivent des espaces célestes.

Il n'a été possible d'aborder avec succès ces importantes questions qu'une fois découverts et interprétés les moindres détails de la composition, comme aussi de la structure des principales roches. La connaissance approfondie de leurs types, considérés individuellement, a permis de remonter à leurs liaisons mutuelles, mais pour cela l'aide de la Chimie est devenue indispensable. Cette étude chimique, tentée déjà, mais restée presque stérile, n'a véritablement porté ses fruits que le jour où le microscope a fourni le moyen de distinguer, dans la composition actuelle des roches, les caractères originels de ceux résultant de ces multiples actions physiques ou chimiques qui, aussitôt qu'une masse rocheuse est en place, tendent à la modifier, ou même à la transformer au point de faire parfois disparaître tous ses caractères initiaux. Dès que la parenté réciproque des grands groupes eut été mise en lumière, s'est posée la question des lois régissant l'évolution des magmas fondus dont ils proviennent et encore celle du mécanisme grâce auquel un même magma peut fournir tant de roches dont la complexité parait déroutante.

Ainsi se sont succédé les deux phases d'observation et d'analyse qui se retrouvent dans l'histoire de toutes les sciences de la Nature; elles préparent celle de la synthèse par laquelle les résultats des phénomènes naturels sont reproduits dans le laboratoire. Là encore, le microscope a joué son rôle bienfaisant. Son emploi a conduit à l'interprétation d'expériences qui, sans lui, n'auraient pas eu de lendemain; il a rendu en outre possible une œuvre expérimentale nouvelle d'une grande fécondité.

Cette évolution d'une science, appelée jusqu'ici la Pétrographie, mais qu'il serait plus logique aujourd'hui de désigner sous le nom de Pétrologie, puisqu'elle n'est plus seulement descriptive, mais qu'elle tend chaque jour à devenir plus interprétative et à s'élever davantage à la recherche des causes générales, cette évolution a été l'œuvre d'un petit nombre de savants, parmi lesquels deux de nos confrères, Fouqué et Michel-Lévy, se sont fait une place glorieuse.

Il y a peu d'années, Berthelot prononçait de ce fauteuil l'éloge de Fouqué, l'un des compagnons de sa jeunesse. Ayant pour la première fois à remplir l'un des devoirs de la haute fonction que je dois à votre bienveillance, je vais chercher à faire revivre et la vie et l'œuvre de Michel-Lévy, dont je m'honore d'avoir été l'élève et l'ami.

I.

La vie de Michel-Lévy s'est développée harmonieuse et belle. Ce fut celle d'un homme doué d'une haute conscience, d'un noble caractère, servis par une vaste intelligence et une volonté consciente de sa force.

Possesseur d'une fortune indépendante qui lui a permis d'ignorer les âpretés de la lutte pour l'existence, d'un pas égal et sûr, il a parcouru toutes les étapes d'une brillante carrière dans l'un des corps les plus considérés de l'État et là, comme dans la Science, il s'est élevé rapidement jusqu'aux plus hauts sommets.

Auguste Michel-Lévy naquit le 7 août 1844, à Paris; mais, par ses origines, il se rattachait aux deux provinces dont la perte le fit cruellement souffrir et qu'il n'aura pas eu la joie de voir redevenir françaises; son père était né à Strasbourg, sa mère était lorraine.

En 1844, son père professait au Val-de-Grâce; plus tard, pendant la guerre de Crimée, il se distingua dans les fonctions d'inspecteur général du Service sanitaire de l'armée d'Orient. Hygiéniste militaire réputé, écrivain scientifique de race, il dirigea l'Ecole d'application du Val-de-Grâce, fut l'un des créateurs de l'Ecole du Service de Santé de Strasbourg et joua un rôle prépondérant dans la médecine militaire du Second Empire. Président de l'Académie de Médecine dès 1857, il dut sa grande notoriété à la droiture et à l'indépendance de son caractère autant qu'à ses multiples compétences.

C'était un père de la vieille école, très bon, mais d'une sévérité inflexible pour ses enfants. Peut-être est-ce à cette éducation rigide que notre Confrère dut ce goût de l'autorité, l'une de ses caractéristiques qu'il portait empreinte jusque sur son visage. En tout cas, il avait conservé pour ce père une grande vénération et un souvenir profondément admiratif, dont l'expression prenait parfois dans sa bouche une forme touchante. Il ne m'eut pas pardonné de retracer sa vie sans rappeler tout ce qu'il devait à son premier éducateur.

Elevé dans un milieu très cultivé, à la fois scientifique et littéraire, il se signala dès le début de ses études par l'égalité de ses succès dans toutes les directions. De nombreux prix remportés au Concours général de 1859 à 1861 semblaient le destiner plus particulièrement aux Lettres; ce fut cependant une carrière scientifique que lui fit suivre la volonté paternelle.

Bachelier ès lettres et ès sciences en 1861, il était admis l'année suivante à l'École Polytechnique; il en sortait premier et cette première place, il l'avait encore lorsqu'il quitta l'Ecole des Mines en 1867.

Tout d'abord secrétaire du Conseil général des Mines, il remplit en 1869 une mission officielle en Saxe, pour compléter des études commencées en Silésie et en Bohême au cours de son voyage d'Élève-Ingénieur, puis, au début de 1870, il entrait au Service de la Carte géologique détaillée de la France pour ne plus le quitter.

Survint la guerre, puis la Commune; en qualité de capitaine du Génie auxiliaire, il fit bravement son devoir, comme le font aujourd'hui ses fils, dont le plus jeune, géologue comme lui, blessé, il y a quelques semaines, dans les tranchées de l'Aisne, vient d'être fait chevalier de la Légion d'honneur en face de l'ennemi. Officier d'ordonnance du général Seré de Rivières, le célèbre constructeur des fortifications de Paris, Michel Lévy fut, à 27 ans, lui aussi décoré au titre militaire.

Le calme revenu, il reprit sa place dans le Corps des Mines.

Quelques dates marqueront les principales étapes de sa carrière administrative, qui s'est déroulée tonte entière à Paris. Ingénieur des Mines de première classe en 1879, ingénieur en chef en 1883, il atteignit le sommet de la hiérarchie comme inspecteur général de première classe en 1907. Dès 1887, il avait pris la direction du Service de la Carte géologique de la France.

Dans l'Enseignement supérieur, il avait en 1880 reçu le titre tout honorifique de Directeur adjoint du laboratoire des Hautes-Études, annexé à cette chaire d'Histoire naturelle des corps inorganiques du Collège de France, dont il devint le titulaire 24 ans plus tard.

En avril 1872, son mariage avec Mlle Henriette Saint-Paul avait donné à Michel-Lévy la compagne d'élite qui devait embellir sa vie et l'entourer de cette atmosphère de calme et de tendresse qui, pour un homme de science, plus que pour tout autre peut-être, est une condition de succès et le soutien bienfaisant de toutes les heures. De cette union sont nés deux fils et deux filles. L'existence de Michel-Lévy s'est écoulée, tranquille et heureuse, dans ce milieu familial.

La maladie vint un jour frapper à sa porte; ce colosse, qui semblait bâti pour défier les ans, dut renoncer aux courses géologiques, l'une des joies de sa vie; puis, il lui fallut se soigner d'une façon de plus en plus sévère.

Son activité scientifique n'avait pas été atteinte, mais un matin, sa femme bien-aimée lui fut brusquement enlevée et de ce coup, cruel entre tous, il ne devait pas se relever. Avec elle étaient partis, pour ne plus revenir, la joie de son foyer, l'enthousiasme pour la recherche et jusqu'au désir de vivre.

Lorsque peu de mois plus tard, vers la fin de mai 1911, je vins lui annoncer mes préparatifs pour une lointaine Mission, il m'accueillit avec une sombre tristesse : « Vous avez tort de partir ainsi, me dit-il ; vous m'abandonnez, vous ne me retrouverez pas à votre retour. »

Son état ne tarda pas à empirer; ses enfants qui l'entouraient de soins délicats et s'ingéniaient à adoucir l'amertume de son chagrin, s'inquiétèrent de le voir pour la première fois rester, pendant de longues heures, inactif, l'œil perdu dans l'espace, y cherchant peut-être quelque ombre de son bonheur évanoui, puis, le 27 septembre, doucement, il s'éteignit sans souffrances.

II.

Rarement on vit, comme en Michel-Lévy, l'enveloppe matérielle refléter d'une façon aussi frappante la personnalité morale.

Je me plais à me le rappeler tel que je le vis pour la première fois, il y a plus de trente ans, au cours d'une excursion géologique dans les montagnes du Beaujolais : Dominant ses compagnons de sa haute stature; portant droite sa tétc aux traits accentués, d'une mâle beauté, celle d'un bronze antique; le regard dominateur, mais bon; la bouche volontaire; la barbe très noire et frisée. Appuyé sur son bâton, l'épaule à demi couverte d'un plaid, dans ce cadre sauvage, il évoquait irrésistiblement l'idée du chef.

De l'aube à la nuit, sans relâche, il parcourait alors montagnes et vallées, épuisant ses compagnons par la continuité de son pas allongé et par sa dévorante activité physique et intellectuelle; accomplissant chaque jour strictement le programme qu'il s'était tracé la veille, sans se laisser distraire, ni rebuter par aucune fatigue, par aucun obstacle.

Souvent, en haut d'une côte, il s'arrêtait pour consulter sa carte et, en face du panorama se déroulant devant lui, il exprimait avec puissance, chaleur, clarté, la conception qu'il venait de se faire rapidement du terrain parcouru; il acceptait les objections, mais non sans y répondre, d'une voix quelque peu impérieuse et à l'aide d'arguments pressés.

Ceux qui l'ont vu ainsi dans la plénitude de sa jeunesse ou de son âge mûr ont pu comprendre ce qu'avaient été et ce que devaient être sa vie et sa carrière, toutes droites, sans défaillance, sans compromission d'aucune sorte. Il se faisait une très haute idée de tous ses devoirs et il les remplissait tous, jusqu'au bout, avec toutes ses forces, ne tenant compte d'aucune contingence extérieure.

Jugeant les autres d'après lui-même, s'il se trouvait en contradiction avec un de ses amis sur une question importante et s'il avait dû renoncer à le convaincre, il ne lui en tenait pas rigueur, mais il le plaignait sincèrement de ce qu'il appelait son erreur et — il le lui disait. Sa droiture innée ne lui laissait voir aucune de ces petites intrigues qui parfois flottent, légères, autour des hommes occupant une grande situation et ceci jetait comme une note de naïveté sur ce caractère par ailleurs avisé et perspicace.

Michel-Lévy était doué d'une puissance de travail peu commune, aussi, son œuvre scientifique qui, à elle seule, eût suffi à occuper toute entière une vie bien remplie et qui, en 1896, le fit entrer à l'Académie en remplacement de Daubrée, est-elle venue comme par surcroit s'ajouter à sa brillante carrière d'ingénieur, sans l'entraver en rien. Il aimait d'ailleurs ses fonctions administratives et les remplissait ponctuellement; pendant de longues années, il a joint à son Service de la Carte géologique celui des carrières, puis celui de la surveillance des appareils à vapeur du département de la Seine.

Suivant de près les progrès de la Mécanique pratique, il était passionné pour l'automobilisme, dont il avait dû suivre de près les débuts comme ingénieur des Mines. Il a puissamment contribué au merveilleux essor de cette industrie par ses inventions personnelles et par les conseils qu'il prodiguait aux constructeurs. C'est à ce double titre qu'il dut de figurer parmi les premiers membres d'honneur de l'Automobile-Club et de présider en 1903 le Congrès de l'alcool.

Membre du Conseil d'administration du Conservatoire des Arts et Métiers, lorsque fut créé le Comité technique du Laboratoire d'essai, il en assuma la lourde présidence.

Après avoir été dans sa jeunesse secrétaire de l'économiste Michel-Chevalier pour la rédaction du Rapport de l'Exposition de 1867, il fut chargé par son ami, Alfred Picard, du Rapport général pour l'industrie à la suite de l'Exposition de 1900. Il a publié à ce sujet un substantiel volume.

Enfin, très intéressé par tout ce qui concerne l'hygiène, sans doute à cause de ses origines, il fut un membre écouté du Conseil supérieur d'hygiène de France et du Conseil d'hygiène publique et de salubrité du département de la Seine qu'il présida l'un et l'autre.

Dans ses multiples fonctions, Michel-Lévy apportait ses qualités maîtresses de travail, de compétence étendue et de conscience. Il était de ceux qui n'acceptent une charge que pour la remplir. Dans les Commissions, aussi bien qu'à l'Académie, il ne se résignait pas aux rôles muets et n'hésitait jamais à mettre au service des causes justes ou utiles sa parole chaude et convaincante.

III

L'un des traits saillants de la carrière scientifique de Micliel-Lévy a été son amitié et sa collaboration avec celui qu'il appelait « son cher maître et ami Fouqué ». Ils ont signé de leurs deux noms quelques-uns de leurs plus beaux travaux et la plus grande partie de leur œuvre est tellement enchevêtrée qu'on ne peut prononcer le nom de l'un sans que vienne sur les lèvres le nom de l'autre.

Fouqué, de seize ans plus âgé que Michel-Lévy, avait longtemps cherché sa voie dans les directions les plus diverses, avant et après son séjour à l'Ecole Normale supérieure; il s'était enfin décidé pour la Géologie et s'était lancé, à la suite de Charles Sainte-Glaire Deville, dans l'étude des gaz des volcans. Il les étudiait surtout en chimiste, lorsqu'en 1866, au cours d'une Mission que l'Académie lui avait confiée pour suivre l'éruption du volcan de Santorin, un compagnon de voyage, le géologue de Verneuil, lui signala l'intérêt de l'étude minéralogique des roches et appela son attention sur les récents travaux microscopiques de Sorby. Dans son inlassable curiosité, Fouqué se jeta sur ce sujet nouveau pour lui et s'y intéressa si fort qu'il en fit bientôt l'objet principal de ses recherches.

Quelques années plus tard, après la guerre, Michel-Lévy s'exerçait à étudier, à l'aide des méthodes nouvelles, qui commençaient à se propager en Allemagne, les roches anciennes, recueillies par lui en Saxe et dans le Morvan.

Les deux savants ne se connaissaient pas; chacun de son côté travaillait isolé, sans guide, sans encouragement, lorsqu'ils furent présentés l'un à l'autre au cours d'une réception chez Daubrée, directeur de l'École des Mines (1875).

Et, aussitôt, la communauté de leurs aspirations, la joie de trouver enfin une âme sœur, à qui s'ouvrir de questions mûries dans le silence, les attira invinciblement l'un vers l'autre. Mettant désormais en commun leurs résultats acquis, la foi dans l'avenir de leurs recherches, comme aussi plus tard leurs élèves, ils scellèrent une amitié qui, sans aucun nuage, dura jusqu'à la mort. Rien n'est émouvant comme une amitié de ce genre, faite de mutuelle sympathie, de mutuelle estime, entre deux hommes, dont les caractères étaient, par ailleurs, aussi dissemblables que possible, mais que réunissait un égal amour de la recherche scientifique, de la recherche désintéressée.

Il est toujours troublant de se demander quelle est, dans une collaboration, la part qui revient à chacun des collaborateurs; parfois l'un écrase l'autre. Les longues années que j'ai passées dans l'intimité de ces deux esprits d'élite et la bonté avec laquelle ils se livraient à leurs disciples, me permettent de préciser quel fut le caractère de cette union, dans laquelle chacun des participants apportait le meilleur de soi.

Fouqué, plus chimiste et plus physicien, averti sur toutes les sciences naturelles, observateur et expérimentateur hors pair, plus minéralogiste que géologue, était spécialement sollicité par tout ce qui touche au volcanisme. Michel-Lévy, plus géomètre, rompu aux méthodes mathématiques, plus au courant des problèmes généraux de la Géologie, apportait une compétence très documentée sur les roches anciennes.

Fouqué, dialecticien habile, possédant au plus haut point l'esprit d'analyse et de critique, était sceptique vis-à-vis des théories en général, — sans excepter les siennes. Michel-Lévy, esprit à tendances dogmatiques et généralisatriees, recherchait les solutions définitives; il était attiré par toutes les synthèses — et il tenait fort à celles qu'il avait conçues.

Fouqué, pessimiste, mais tenace, travaillait lentement, sans cesse repolissant son œuvre; il ne livrait qu'à regret un manuscrit et il le retouchait jusqu'à la dernière heure. Michel-Lévy, enthousiaste, mais se laissant abattre, esprit primesautier, possédait une facilité extraordinaire de compréhension et d'assimilation ; sans effort, il couvrait d'un seul jet de sa longue écriture les pages qui, rapides, s'entassaient sur son bureau et partaient à l'impression sans une rature.

A ces qualités si dissemblables, chacun des deux collaborateurs joignait une égale confiance dans la rectitude du jugement de son ami et le même souci de mettre en relief la part prise par celui-ci dans l'œuvre commune.

On comprend aisément combien dut être féconde la fusion de ces deux esprits, se complétant et se corrigeant d'une façon aussi heureuse.

IV.

L'enchaînement de l'œuvre de Michel-Lévy est remarquable. Cette œuvre apparaît dans son ensemble comme constituée par une trame géologique servant de support solide à une partie principale, essentiellement minéralogique et pétrologique. On y trouve des études descriptives et beaucoup de développements sur des questions de méthode. De même que tous les Mémoires pétrographiques de Michel-Lévy ont été une conséquence d'observations géologiques effectuées sur le terrain, tous ses travaux de Minéralogie théorique ont eu pour origine quelque difficulté rencontrée dans des recherches sur les roches. Bien que son esprit eut un besoin constant de généralisation, presque toujours il a été théoricien plus par besoin que par principe, de telle sorte qu'il est possible de trouver le point de départ exact de chacune de ses spéculations d'ordre général.

Avant d'aller plus loin, certaines précisions sont nécessaires. L'emploi des procédés d'étude optique des minéraux est devenu si universel et paraît aujourd'hui si impérieux que l'on a peine à croire que beaucoup de ces procédés ont moins de vingt ans d'existence et qu'aucun d'eux n'en a quarante. Leur début fut difficile en France.

Il est rare qu'un point de vue assez nouveau pour révolutionner une branche des connaissances humaines ait reçu immédiatement l'accueil mérité. Ses initiateurs se heurtent d'ordinaire à des difficultés sans nombre, faites de préventions d'ordre théorique, de paresse ou de répugnance vis-à-vis d'habitudes nouvelles, auxquelles se joignent parfois aussi des causes d'ordre encore moins élevé.

Rien de tout cela n'a manqué à l'éclosion de la nouvelle Pétrographie. Elle fut accueillie chez nous avec méfiance par les géologues qu'effarouchait l'introduction de mesures précises et de formules mathématiques, là où jusqu'alors la loupe avait paru suffire. Les géologues redoutaient aussi une sorte de main-mise par les nouveaux venus sur des questions considérées jusqu'alors comme du ressort exclusif de la Géologie. En même temps, les travaux pétrographiques étaient traités avec quelque dédain et beaucoup de suspicion par les minéralogistes qui, eux au contraire, leur reprochaient un manque de précision dans les observations optiques et, sans se l'avouer, craignaient une invasion des géologues, comme s'il pouvait exister des cloisons étanches entre les domaines scientifiques et surtout entre ceux-là.

Au cours d'une séance de la Société géologique de Erance, l'un des premiers Mémoires de Michel-Lévy fut accueilli par cette boutade, — qui ne voulait pas être aimable —, d'un grand Maître d'alors : « On n'étudie pas les montagnes avec un microscope, et une plaque mince d'un centimètre carré ne peut synthétiser l'histoire d'une roche. »

A un exposé chaleureux des nouvelles méthodes minéralogiques, Henri Sainte-Claire Deville répondait un jour avec une bonhomie, — qui était bienveillante : « Les pétrographes sont des chasseurs qui tirent au jugé » ; parole injuste, — car Michel-Lévy avait écrit déjà l'un de ses plus beaux Mémoires — et qui ulcéra les deux savants, à la recherche d'encouragements à leurs études solitaires, mais parole qui ne fut pas inutile, car, jamais oubliée, elle contribua puissamment à les pousser vers la recherche et la découverte de solutions de plus en plus précises.

Ces difficultés de la première heure ont pesé lourdement et pèsent encore sur l'enseignement et, par suite, sur le développement de la Pétrologie dans notre pays. Cette science est toujours sans domicile légal, sans état civil bien défini; branche de la Minéralogie, utilisant dans un but géologique la Cristallographie et les méthodes délicates de l'Optique physique, faisant appel de plus en plus aux ressources de la Chimie et, depuis hier, de la Chimie physique, elle reste enseignée dans les Facultés par des naturalistes à des jeunes gens qui, pour la plupart, n'avaient guère entendu parler de Minéralogie jusqu'alors et n'ont, en fait de connaissances physiques et chimiques, que les souvenirs de l'enseignement secondaire.

Tant que durera cette situation, à l'inverse de ce qui se passe partout au delà de nos frontières, les pétrologues resteront réduits chez nous à un petit état-major, suivi par trop peu de soldats.

Michel-Lévy a réalisé le type accompli du pétrologue; minéralogiste autant que géologue, il avait l'esprit ouvert sur toutes les directions des sciences physiques et naturelles qui viennent se rencontrer dans l'étude des roches. En Minéralogie, il fut surtout un créateur de méthodes et ce n'est pas un éloge banal de pouvoir dire qu'en Géologie il sut évoluer aussi vite que les problèmes de cette science et toujours les dominer. Cette caractéristique se retrouve dans toute son œuvre que je vais chercher à explorer méthodiquement.

V.

Le seul procédé employé autrefois pour la détermination des propriétés optiques d'un minéral et qui est encore en usage, lorsque cela est possible, consiste à tailler dans un gros cristal des plaques épaisses, géométriquement orientées, à l'aide desquelles sont établies les relations existant entre l'ellipsoïde optique et les axes cristallographiques, puis mesurées les constantes optiques.

La question se pose tout autrement pour le pétrographe; les lames taillées dans une roche doivent être fort minces (leur épaisseur ne dépasse pas trois centièmes de millimètre); elles coupent dans des directions quelconques un nombre souvent considérable de cristaux très petits, appartenant à des espèces minérales différentes. C'est au milieu de ce fouillis, en apparence inextricable, qu'il s'agit de procéder à des déterminations exactes. Tout à fait au début, les pétrographes durent se contenter de chercher un peu à l'aventure le moyen de reconnaître quelques-unes des propriétés établies antérieurement sur des cristaux maniables.

A Michel-Lévy revient le mérite d'avoir apporté les premières méthodes véritablement exactes, adaptées à ces nouvelles conditions de recherche. Son attention, comme aussi celle de Fouqué, avait été frappée par ce fait que les minéraux constitutifs des roches présentent fréquemment des allongements ou des aplatissements favoris; dans ce cas, leurs sections possèdent des formes allongées. Ces directions d'allongement, réel ou apparent, constituent des repères précieux, de même aussi que certains plans de macles. On sait, d'autre part, que toute section d'un cristal biréfringent, qui n'est pas perpendiculaire à un axe optique, examinée entre deux niçois croisés, présente pour une rotation totale quatre positions d'extinction complète et quatre d'intensité lumineuse maximum.

A l'aide d'une analyse mathématique délicate, Michel-Lévy a étudié le problème général des variations continues des angles que, dans une même zone, ces directions d'extinction font avec l'arête de zone, c'est-à-dire avec un des repères dont il vient d'être parlé. Il a fait voir que toutes les courbes qui représentent ces variations passent par zéro et par un maximum, d'ordinaire caractéristique.

Il a donné ensuite les solutions particulières aux principales zones et aux diverses macles de tous les minéraux qui entrent dans la constitution des roches, en partant des données si laborieusement acquises par les travaux antérieurs de Des Cloizeaux. L'apparition de la méthode de la recherche statistique des maxima marque une date dans l'histoire de la Pétrographie.

Les feldspaths ont une importance capitale pour la connaissance des roches éruptives, puisqu'ils se trouvent dans presque toutes et qu'ils constituent l'élément dominant de la plupart d'entre elles. Aussi, ces minéraux ont-ils fait l'objet des recherches d'un grand nombre de cristallographes, au premier rang desquels se placent Des Cloizeaux et Fouqué; Michel-Lévy leur a consacré quelques-uns de ses plus intéressants Mémoires. Il a montré, en particulier, l'importance que présentent pour leur diagnostic les propriétés de la zone de symétrie perpendiculaire au plan d'accolement de la macle de l'albite, surtout dans le cas où la macle de Carlsbad est associée à cette dernière.

Après avoir mis en lumière l'utilité des positions d'extinction et le parti qu'il est possible d'en tirer, Michel-Lévy a abordé avec le même succès l'étude des positions d'égale intensité lumineuse, créant, la méthode des éclairements communs, si commode pour l'analyse des diverses macles des plagioclases et des associations zonées de ces minéraux ; elle lui a servi à discuter l'identité probable du microcline et de l'orthose.

Enfin, il a concentré un grand nombre de données numériques dans des épures stéréographiques qui sont sur la table de tous les pétrographes et fournissent aisément la solution élégante de la plupart des problèmes que pose l'étude des feldspaths.

L'un des phénomènes optiques qui frappent le plus l'observateur examinant une lame de roche est l'éclat des couleurs de polarisation, couleurs qui dépendent de la biréfringence du minéral, de l'orientation de ses sections, de l'épaisseur de la plaque considérée. Jusqu'à Michel-Lévy, cette propriété de la biréfringence était négligée ou employée d'une façon empirique; il a montré l'importance de la notion de sa valeur maximum et déterminé cette constante pour un grand nombre de minéraux à l'aide de l'appareil ingénieux, le comparateur à lame de quartz, qu'il a imaginé.

Toutes ces méthodes nouvelles d'observation ont été exposées dans des Mémoires spéciaux, puis elles ont été coordonnées dans deux Ouvrages didactiques dont l'influence éducatrice a été très grande.

Le premier, paru en 1879, est la Minéralogie micrographique. Cet in-quarto, publié avec beaucoup de luxe par le Service de la Carte géologique, a révélé au public scientifique français la nouvelle Pétrographie; il a fait époque, non seulement par l'abondance des observations et des vues personnelles des deux auteurs, mais encore par la limpidité du langage dans lequel se reconnaît la marque de Fouqué et par l'élégance des développements mathématiques, dus à la plume de Michel-Lévy.

C'est dans le texte de ce Livre que les auteurs ont présenté, en outre, mais d'une façon malheureusement trop sommaire, leurs idées sur la classification des roches éruptives; c'est dans les admirables planches en couleur de leur somptueux atlas qu'ils ont initié les naturalistes à la variété des structures des roches et à la splendeur des spectacles que fournit l'examen, en lumière polarisée, d'une lame mince, taillée dans le moindre caillou, fût-il granite ou lave noire sortant d'un volcan.

Le second Ouvrage a été publié dix ans plus tard ; présenté sous la forme d'un manuel, il constitue surtout une mise au point des méthodes optiques, créées ou perfectionnées par Michel-Lévy. Peut-être n'est-il pas sans intérêt de dire à quelles circonstances il dut le jour.

En 1885, après la mort de Wurtz, Charles Friedel, désireux de continuer l'œuvre de son Maître, dans la chaire de Chimie organique de la Sorbonne, abandonna l'enseignement de la Minéralogie. Michel-Lévy, à qui il conseilla de briguer sa succession, fut séduit par la perspective de pouvoir exposer ses idées dans cette illustre Maison, mais un obstacle se dressa devant lui; il n'était pas docteur, ni même licencié. Réunissant alors en un corps de doctrine tout ce qu'il avait écrit sur l'Optique minéralogique, il en fit une thèse et il la déposa à la Faculté des Sciences, en même temps qu'une demande de dispense de la licence. Sa notoriété scientifique rendait cette requête très légitime, aussi fut-elle accueillie favorablement, mais sous la réserve que cette thèse ne serait soutenue — qu'une fois la chaire de Minéralogie pourvue d'un titulaire.

Michel-Lévy avait compris. Avec sa rapidité de décision habituelle, le jour même, il retira son manuscrit qui, plus tard, à peine remanié, forma la partie théorique d'un Livre : les Minéraux des Roches, complété par une description des propriétés optiques d'un grand nombre d'espèces minérales, à la rédaction duquel il voulut bien associer un de ses jeunes élèves qui ne se doutait guère alors qu'il aurait, vingt-cinq ans plus tard, l'honneur de rendre sous cette coupole l'hommage suprême à son Maître regretté.

Michel-Lévy a publié encore de nombreuses Notes sur les propriétés optiques de divers minéraux ; je n'en rappellerai que deux.

L'un des premiers, il a étudié en détail ces curieux halos polychroïques qui, dans certains minéraux et en particulier dans les micas, entourent des inclusions microscopiques de zircon. Leur origine était alors inconnue; depuis lors, ils ont été reproduits par l'action d'un sel de radium et il parait démontré qu'ils sont dus à des radiations alpha, émises par le zircon. MM. Joly et Rutherford ont même cherché à tirer de ce minuscule phénomène une bien grosse conclusion : l'âge, exprimé en années, de la roche dans laquelle il est observé.

Un travail plus important est celui par lequel Michel-Lévy a précisé les diverses modalités que présentent les variétés fibreuses de la silice anhydre, pouvant conduire par leur groupement au quartz doué du pouvoir rotatoire. A l'aide de pseudomorphoses siliceuses du gypse, recueillies dans le sol même de Paris par le fin naturaliste qu'était Muuier-Chalmas, il a défini ce qu'il a appelé la lutécite et la quartzine, puis il a découvert dans les fibres constituant la calcédoine et certaines agates, un nouveau type de structure des corps cristallisés, la structure hélicoïdale qui a pris une grande importance théorique, le jour où notre confrère, M. Wallerant, l'a retrouvée dans nombre de substances organiques et a pu en faire la synthèse à l'aide de corps doués du pouvoir rotatoire.

VI.

S'il est important, pour la connaissance des roches, de déterminer la nature de leurs minéraux: constituants, il n'est pas moins utile de mettre en lumière leur structure, c'est-à-dire la façon dont ils s'associent, dont ils s'agencent entre eux.

Michel-Lévy a apporté des contributions très importantes sur ce sujet. Dans un Mémoire célèbre, datant de 1875, il a mis de l'ordre dans les notions acquises, les a systématisées, fournissant en outre beaucoup de données personnelles, surtout en ce qui concerne les roches quartzifères.

Il a montré, le premier, la continuité existant entre les divers types de structure des roches granitiques et de celles que l'on nommait alors les porphyres. Avec une perspicacité remarquable, il a suivi en particulier les passages graduels existant entre ces associations de quartz et de feldspath qui, depuis cette époque, sont appelés des micropegmatites et ces sphérolites à croix noire, considérés à tort comme appartenant à une substance spéciale, le felsite. Ces faits sont aujourd'hui si bien passés dans le domaine public qu'ils paraissent avoir été toujours connus; il est d'autant plus juste de rappeler que Michel-Lévy est l'auteur de leur découverte qu'un pétrographe éminent de l'autre côté du Rhin a cherché, il y a quelques années, à en attribuer l'honneur à l'un de ses élèves.

L'étude de ces roches si caractéristiques des Pyrénées, auxquelles à la fin du XVIIIème siècle, Palassou a donné le nom d'ophites, parce que leur couleur verte tachetée lui rappelait la peau des serpents, a permis à Michel-Lévy d'éclairer leur véritable nature, de définir leur structure, la structure ophitique, l'une des plus répandues parmi les roches basiques.

Ces recherches l'avaient préparé aux travaux d'ordre encore plus général qu'il a entrepris avec Fouqué. Ils se sont efforcés de construire une classification des roches éruptives, sujet épineux qui, en dépit de tentatives répétées de tous côtés, n'a pas encore reçu sa solution définitive.

Une classification naturelle doit tenir compte de tous les caractères et les faire intervenir dans l'ordre de leur valeur respective; il est plus facile d'exprimer ce que devrait être la classification idéale des roches éruptives que de la réaliser. Leur composition minéralogique est essentiellement régie par la constitution chimique du magma fondu dont elles sont issues; les conditions physiques de leur consolidation ne sont que des facteurs secondaires. Par contre, ces conditions physiques sont les régulatrices de la structure ; elles sont, elles-mêmes, sous la dépendance du mode de mise en place, profond ou superficiel, du magma.

Fouqué et Michel-Lévy n'ignoraient rien de tout cela; mais pour des raisons dont l'exposé n'a pas sa place ici, des obstacles de nature diverse leur ont fait rejeter l'emploi de la composition chimique comme pierre angulaire de la classification, alors que d'autre part, en 1879, l'influence des facteurs physiques sur la cristallisation n'était encore établie que d'une façon trop incomplète pour pouvoir être utilisés dans le même but. Aussi, les deux collaborateurs se sont-ils proposé une tâche plus modeste. Ils ont basé leur système, non sur les causes, mais sur les résultats, s'adressant aux seuls caractères objectifs de la composition minéralogique et de la structure en attachant une importance primordiale à la nature des feldspaths, créant en outre une ingénieuse nomenclature qui permet de définir clairement et nettement toute roche éruptive d'après ses propriétés les plus facilement constatables. Cette nomenclature, allégée de considérations d'âge géologique dont ils l'avaient tout d'abord surchargée, constitue un instrument de travail pratique et durable, parce qu'il n'est lié à aucune hypothèse géogénique : c'est là sa force, mais aussi sa faiblesse.

Au début de sa carrière, Michel-Lévy attachait beaucoup d'importance à certaines idées sur les relations qu'il croyait avoir trouvées entre la structure des roches éruptives et leur âge. Toutes ses observations subsistent; elles ont permis d'établir la chronologie des anciennes éruptions constatées sur le sol de la France, mais elles ne doivent pas être généralisées à trop grande distance. Il semble en outre nécessaire d'en donner une explication théorique différente. Les variations de structure des roches ne sont pas dues à un affaiblissement avec le temps de la puissance de cristallisation dans l'écorce terrestre, même en admettant le correctif de nombreuses récurrences des séries éruptives; je viens de rappeler en effet que ces variations dépendent des conditions physiques de la consolidation des magmas. Michel-Lévy l'a du reste reconnu lui-même parles contributions qu'il a apportées à l'histoire des granites.

Pour être complet, il me faudrait rappeler parmi ses substantielles monographies celles des porphyres et des porphyrites micacées du Morvan, du granite de Flamanville, du kersanton de Bretagne, des roches leucitiques carbonifères du Charollais, de la protogine des Alpes, des péridotites et des cipolins d'Andalousie, du porphyre bleu de l'Esterel et surtout ce beau Mémoire, dans lequel il a jeté tant de lumière sur la constitution pétrograpbique de la Chaîne des Puys, de la Limagne et du volcan en ruines du Mont-Dore.

VII

Les seules observations directes, qu'il soit possible de faire sur la genèse des roches éruptives, sont celles que fournissent les paroxysmes des volcans actuels. Les particularités de l'épanchement de leurs laves, les phénomènes chimiques qui les accompagnent, livrent peu à peu leurs secrets, mais le volcanisme n'est qu'un phénomène épidermique, s'il est permis de s'exprimer ainsi. L'ensemble des laves épanchées à la surface du globe ne constitue qu'une masse insignifiante par rapport a celle des roches intrusives, des roches plus ou moins profondes, telles que les granites; celles-ci ne sont jamais venues au jour, leurs affleurements ne sont visibles aujourd'hui que grâce aux actions tectoniques qui les ont amenées à notre portée, puis grâce aux érosions qui plus tard ont raboté leur couverture initiale.

Sur le mode de formation de tout cet ensemble, par suite du manque d'observations directes, nous ne pouvons raisonner que par induction. A cet égard, l'étude des modifications subies par les sédiments au contact du granite et inversement celle des transformations éprouvées par ce dernier, en un mot l'ensemble des phénomènes désignés sous le nom de métamorphisme de contact exomorphe et endomorphe, sont d'une importance de premier ordre.

Cette question a de tout temps préoccupé les géologues et particulièrement les géologues français. Michel-Lévy l'a éclairée d'intéressantes vues nouvelles.

Deux écoles se trouvent en présence, lorsqu'il s'agit d'expliquer la nature même des phénomènes de métamorphisme exomorphe. L'opinion de l'École allemande a été formulée avec précision par l'un de ses représentants les plus autorisés : les roches touchées par le granite, a-t-il écrit, ont fourni leur matière, le magma éruptif sa chaleur et la pression; dès lors, les transformations métamorphiques sont de nature exclusivement physique.

Contre cette théorie du vase clos, Michel-Lévy a fourni des observations frappantes. Tout d'abord, dans les schistes de Saint-Léon (Allier), il a vu les sédiments métamorphisés de deux façons différentes. Le magma granitique a été injecté en nature, lit par lit, entre leurs feuillets (métamorphisme par injection) et, en outre, ces feuillets ont été profondément modifiés dans leur composition même (métamorphisme par superposition). Ils sont devenus riches en feldspaths, en micas et ont pris peu à peu l'apparence de gneiss, et notamment de ces gneiss du Morvan que Michel-Lévy avait décrits antérieurement sous le nom de gneiss granulitiques. Des observations du même ordre ont été faites ensuite par lui en Normandie, dans le Massif Central, dans celui du mont Blanc.

La conséquence à tirer de ces données est formelle et Michel-Lévy l'a nettement exprimée en disant que les phénomènes de contact ne consistent pas seulement en transformations physiques, que souvent celles-ci sont accompagnées de modifications chimiques dues à des apports de matière provenant du magma granitique, apports entraînés par des minéralisateurs dont l'activité a été d'autant plus intense que leur action s'est exercée à une plus grande profondeur. Cette notion des minéralisateurs, empruntée à Élie de Beaumont et à Henri Sainte-Claire Deville, a joué un rôle capital dans toutes les spéculations théoriques de Michel-Lévy.

Ses idées sur le métamorphisme de contact ont été défendues par ses élèves directs à l'aide d'observations recueillies en Bretagne et dans les Pyrénées, et cela avec autant de ténacité que la théorie adverse par l'Ecole allemande; depuis lors, au delà de nos frontières, et notamment en Finlande, aux Etats-Unis, en Allemagne même, les observations se multiplient qui leur apportent chaque jour des confirmations nouvelles.

Des discussions du même ordre se sont produites au sujet des transformations que peuvent subir les magmas éruptifs à leur contact avec les sédiments, et devant lui, Michel-Lévy a retrouvé les mêmes adversaires.

En parcourant les montagnes du Beaujolais et du Lyonnais, ainsi que la falaise dominant la plaine de la Limagne, il avait rencontré au milieu du granite des lambeaux discontinus de roches, appelées par les anciens géologues cornes vertes et cornes rouges à cause de leur compacité et de leur couleur. Il remarqua que toujours, à leur voisinage, le granite se charge d'amphibole, devient moins acide et passe peu à peu à des diorites et à des gabbros. Il eut vite établi la liaison de cause à effet existant entre ces deux observations ; la modification du granite est le résultat de l'assimilation par son magma de ces cornes, restes de calcaires métamorphisés. Depuis lors, des faits analogues ont été découverts dans d'autres régions françaises et particulièrement dans les Pyrénées : ils ont fourni une confirmation de ces vues ingénieuses sur la propriété que possèdent les magmas éruptifs de se modifier, à grande profondeur, par digestion des roches au contact desquelles ils se trouvent amenées. Michel-Lévy généralisait encore davantage, il voyait dans le phénomène de l'assimilation une explication du mode de mise en place des grands massifs granitiques; il se les représentait comme constitués par d'énormes pyramides s'élargissant vers leur base et comme ayant fait leur place dans l'écorce terrestre à la façon d'un puissant corrosif.

 

Ses travaux sur le métamorphisme de contact ont conduit Michel-Lévy à une ample généralisation concernant l'origine si discutée des schistes cristallins.

A plusieurs reprises, il s'est efforcé d'établir que ce qui s'est produit en petit sur les bords des massifs granitiques a dû se réaliser sur une plus vaste échelle à des profondeurs encore plus grandes pour donner naissance aux gneiss, aux micaschistes qui ne seraient dans cette hypothèse que des sédiments métamorphisés par injection en nature du granite lui-même ou par imbibition des produits volatils et transportables émanés de son magma. Il y aurait ainsi continuité entre le métamorphisme de contact et ce qui a été appelé le métamorphisme général pour masquer par un mot notre ignorance sur sa véritable nature.

Il semble peu probable que les schistes cristallins aient une origine unique; il est bien plus vraisemblable que la question est fort complexe et que des mécanismes variés ont été mis en jeu dans leur genèse. Mais il n'en est pas moins certain que celui imaginé par Michel-Lévy s'applique à un très grand nombre de cas.

Notre confrère a eu, en outre, le mérite de contribuer à faire abandonner cette opinion, si ancrée jadis dans l'esprit de tous les géologues, qu'il existerait un âge des gneiss et des micaschistes, antérieur aux sédiments paléozoïques les plus anciens, alors qu'en réalité l'âge des schistes cristallins est variable et qu'il peut même être relativement récent dans certaines chaînes de montagnes.

VIII.

L'attirance qu'avaient sur Michel-Lévy les conceptions nouvelles l'a jeté de bonne heure dans le courant qui aujourd'hui entraîne avec une force irrésistible tous les pétrologues dans la voie chimique. Son esprit mathématique se mouvait avec aisance dans la multitude des données que ne cessent de réunir de nombreux analystes. Il y chercha et il sut y trouver des rapports intéressants entre les divers oxydes entrant dans la composition des magmas; il excellait dans l'art de mettre en évidence ces relations par des procédés graphiques.

A l'aide de ses paramètres magmatiques, il a précisé la constitution chimique des roches, demandant à ces rapports moins un système cohérent de classification qu'un instrument de recherche permettant de suivre les variations des types qui caractérisent une même province pétrographique. C'est lui qui a montré l'importance que présente, pour la compréhension des magmas, la notion de la quantité maximum de feldspaths révélée par le calcul des analyses de roches. Il opposait cette quantité à celle des éléments non feldspathisables qui servent à former les minéraux ferromagnésiens. Il a imaginé d'ingénieux diagrammes pour faire saisir d'un seul coup d'œil les caractéristiques chimiques des roches, leur parenté ou les dissemblances qu'elles offrent avec leurs voisines. Cette notion, complétée, a servi de base à la classification chimico-minéralogique des pétrographes américains.

Toutes ces recherches n'étaient aux yeux de Michel-Lévy qu'un moyen d'arriver à une conception d'ensemble sur l'origine première de toutes les roches éruptives ; il s'est plu à de nombreuses reprises à exposer le système auquel il avait été conduit.

Il admettait à l'origine un phénomène de différenciation; mais tandis que tous les autres pétrographes avaient jusqu'alors regardé ce phénomène comme se produisant en vase clos par simple fusion de silicates et d'oxydes, notre confrère pensait que le facteur principal de la différenciation réside dans l'action des minéralisateurs. A ses yeux, toutes les roches résultent du mélange en proportions variables de deux types de magmas, présentant des caractéristiques générales constantes, atténuées par des variations locales.

Le premier de ces magmas, pauvre en silice, est essentiellement ferromagnésien ; il l'appelait la scorie, en reprenant une expression chère à Daubrée ; le second est alcalin, alumineux et riche en silice.

C'est le magma alcalin qui, véhiculé par des minéralisateurs, modifie le ferromagnésien pour produire les roches intermédiaires ; il peut aussi, grâce au jeu de ces mêmes minéralisateurs, s'accumuler dans les parties supérieures de l'écorce terrestre pour donner naissance aux roches granitiques, elles-mêmes susceptibles d'être modifiées par assimilation des terrains en contact; il peut enfin se diffuser dans les sédiments pour les transformer en schistes cristallins ou bien encore ne les modifier que partiellement sur la bordure des massifs éruptifs.

On voit que, dans cette théorie, Michel-Lévy réunissait en un seul faisceau toutes les conclusions de ses travaux pétrologiques.

« Ainsi, a-t-il écrit, l'hypothèse que nous venons de développer aurait l'avantage de tenir compte des fumerolles volcaniques, des phénomènes de métamorphisme endomorphe et exomorphe des roches profondes, de l'ordre habituel de sortie des produits éruptifs différenciés, enfin du mécanisme même de la différenciation, tel qu'il nous est connu dans les familles naturelles des roches. »

Puis il ajoutait mélancoliquement :

« Il faut d'ailleurs bien des observations nouvelles, de bien nombreuses analyses et des synthèses heureuses pour en corroborer la vraisemblance. »

Tel est le sort qui, pour longtemps encore, attend tous les efforts de généralisation géogéniqne; mais qu'importe, si ces approximations successives jalonnent la route qui conduit à la Vérité !

IX.

J'arrive au point culminant de l'œuvre commune de Fouqué et de Michel-Lévy, à leurs travaux de synthèse minéralogique.

La science française occupe une place d'honneur dans cette direction. Citer les noms de Durocher, d'Ebelmen, de de Senarmont, de Daubrée, de H. Sainte-Claire Deville, de Ch. Friedel, d'Hautefeuille, de Fouqué et de Michel-Lévy, c'est évoquer toutes les méthodes générales créées dans le but de reproduire les minéraux naturels.

Deux tendances se distinguent dans l'œuvre considérable de ces savants. Les uns, surtout chimistes, se sont proposé de fabriquer les minéraux afin d'obtenir des matériaux plus purs que ceux qui font l'objet des études des minéralogistes, et d'arriver ainsi à la détermination certaine de leur constitution chimique; ce résultat obtenu, ils ont parfois complété les séries naturelles en construisant de toutes pièces des corps de même formule, inconnus jusqu'alors à l'état de minéraux. Les recherches de H. Sainte-Claire Deville et Caron sur les apatites et les wagnérites fluorées, chlorées, bromées et iodées sont un modèle du genre.

D'autres, à la fois chimistes et naturalistes, ont voulu avant tout éclairer la genèse des minéraux en cherchant à imiter les particularités qu'ils présentent dans leurs gisements afin d'en tirer des conclusions géologiques.

Fouqué et Michel-Lévy ont réuni dans leur œuvre ces deux points de vue, tout en donnant la préférence au second. Ils ont publié en outre un ouvrage d'érudition : La synthèse des minéraux et des roches (1882), dans lequel ils ont encadré leurs recherches personnelles.

Au cours des éruptions volcaniques qu'il avait suivies avec tant de sagacité, Fouqué avait spécialement appliqué sa puissance d'observation à démêler les conditions dans lesquelles s'effectue la cristallisation au milieu des laves, il avait vu surgir de la mer Égée les andésites peu fusibles de Santorin ; il avait suivi pas à pas les torrents de feu dévalant le long des pentes de l'Etna et du Vésuve, et il était arrivé à cette conviction que la théorie assez nuageuse de la fusion ignéo-aqueuse des laves, alors en honneur parmi les géologues, devait être inexacte. Il se représentait une lave incandescente, au moment de son épanchement, comme constituée par un verre à l'état de fusion purement ignée, charriant de grands cristaux d'origine profonde et se solidifiant peu à peu sous l'influence du refroidissement et de la cristallisation; l'examen microscopique était venu renforcer cette opinion, aussi Fouqué avait-il proposé à Michel-Lévy de soumettre en commun ces vues au contrôle de l'expérience.

Jamais peut-être travail synthétique n'a été entrepris après une analyse aussi fouillée des conditions à réaliser; rarement aussi résultats plus remarquables ont été obtenus avec d'aussi minimes moyens matériels d'action. Le laboratoire de la rue Saint-Jacques au Collège de France était misérable; les expérimentateurs se servaient d'un four de quelques centimètres de diamètre pour y chauffer un creuset de platine d'une vingtaine de centimètres cubes. Ils manquaient d'instruments de mesure pour la température, mais telle était leur habileté expérimentale qu'en combinant les variations de débit du gaz, le degré d'enfoncement de leur creuset dans le four, le mode de couverture de l'un ou de l'autre, ils maniaient les hautes températures avec suffisamment d'aisance pour pouvoir réaliser à nouveau, presque à coup sûr, un résultat déjà obtenu une première fois.

Leurs expériences eurent d'abord pour but de reproduire à l'état de pureté chacun des minéraux constituants des roches; les pyroxènes, les péridots, la néphéline, la leucite, les feldspaths, etc., apparurent ainsi avec toutes leurs caractéristiques naturelles; la série connue des feldspaths fut en outre prolongée par la préparation des types de baryte, de strontiane et de plomb.

Leur principe directeur consistait à fabriquer un verre ayant la composition du minéral recherché, puis à le recuire à une température un peu supérieure à celle de son ramollissement.

Michel-Lévy a raconté lui-même l'enthousiasme avec lequel Fouqué et lui avaient vu leurs premiers efforts couronnés de succès :

« Je me rappelle le jour où nous avons reproduit pour la première fois des microlites d'oligoclase; la fusion et le recuit avaient produit une sorte d'émail blanc, analogue à du verre dévitrifié; sa poussière agissait peu sur la lumière polarisée. Fouqué était découragé. J'emportai séance tenante le petit creuset pour y faire tailler sans retard quelques plaques minces; une heure après, nous étions en extase devant un bel agrégat de microlites feldspathiques ... Nous n'avons certainement jamais ressenti une émotion plus vive, une satisfaction plus intense. »

Je crois voir d'ici la scène, telle que bien souvent elle s'est renouvelée sous mes yeux. Michel-Lévy est assis devant le microscope; il exhale en termes éclatants son admiration pour la beauté, pour les grandes dimensions des cristaux obtenus; Fouqué, l'air soucieux, marche en silence, à pas lents, dans le laboratoire; il s'arrête, écarte son ami pour regarder à son tour la préparation, hoche la tête et déclare de sa voix grave : « Monsieur Michel-Lévy, ces cristaux sont bien petits; nous devons faire mieux; je vais recommencer l'expérience. »

Et c'est ainsi que nuit et jour, pendant quatre ans (1878-1881), leur four a vu se multiplier, se répéter sans relâche les recuits, d'où sont sortis, non seulement les minéraux dont il vient d'être question, mais aussi la plupart des roches volcaniques connues, pour la première fois reproduites par la main de l'homme, avec leur composition minéralogique et avec les particularités de leur structure.

Le principal problème à résoudre consistait dans la réalisation des deux stades cristallins, mis en évidence dans les laves par le microscope : les phénocristaux qui, dans le volcan, sont d'origine intratellurique, puis la pâte microlitique datant de la période d'épanchement.

Il est remarquable que dans ces expériences Fouqué et Michel-Lévy aient eu pour guide une idée théorique dont l'exactitude absolue apparaît aujourd'hui comme très contestable. Ils pensaient que dans les magmas les minéraux cristallisent, sauf rares exceptions, suivant l'ordre inverse de leur fusibilité : les travaux plus récents montrent de plus en plus que leur ordre de succession n'est pas aussi invariable qu'on le pensait alors et qu'il dépend en partie de la proportion relative des divers minéraux associés. La fusibilité d'une espèce minérale dans un magma est souvent très différente de sa fusibilité absolue; elle peut être abaissée par la composition du milieu et il semble que ce soit dans les propriétés des solutions qu'il faille chercher la clé du problème. Néanmoins, l'idée que s'étaient faite les expérimentateurs a été suffisante comme première approximation, puisqu'on définitive elle les a conduits au succès.

Fouqué et Michel-Lévy partaient, ou bien d'une roche naturelle dont ils avaient détruit au préalable tous les minéraux en les transformant en un verre homogène, ou bien d'un mélange chimique de composition équivalente. Ils maintenaient, comme dans les expériences précédentes, le verre à une température un peu supérieure à celle qu'ils attribuaient au point de fusion du minéral cherché, puis, après un long recuit, ils refroidissaient brusquement. Par ce procédé, ils ont obtenu de grands cristaux nets de péridot et de pyroxène noyés dans un verre basaltique, imitant ainsi les scories lancées par les explosions des volcans basiques, le Stromboli par exemple. Un second recuit à température plus basse permettait ensuite de faire naître aux dépens du verre des microlites de plagioclases, de pyroxène, de magnétite ; des variations dans la température et dans la durée du recuit réalisaient les diverses structures rencontrées dans les laves.

Successivement, Fouqué et Michel-Lévy ont ainsi fabriqué des andésites comparables à celles de Santorin ou de l'Auvergne, des basaltes semblables à ceux de l'Etna, des roches leucitiques analogues à celles du Vésuve, puis des laves à néphéline rappelant celles des Canaries et bien d'autres encore, établissant d'un seul coup quel est, dans la genèse des laves, le domaine de la fusion purement ignée. Il faut bien noter que ces expériences ne prouvent pas que les produits volatils des magmas sont sans action sur la cristallisation des roches volcaniques, mais elles démontrent que l'influence de ces produits n'est pas essentielle; cette influence est sans doute réduite à un abaissement du point de fusion du magma et par suite de la température à laquelle s'effectue sa cristallisation.

Ces expériences ont apporté, en outre, une vérification expérimentale de l'influence exercée par la vitesse du refroidissement sur le degré de cristallinité des roches éruptives, influence qu'avaient déjà laissé pressentir les observations faites sur le terrain.

Notons encore la synthèse de la composition et de la structure de certaines pierres météoriques, prouvant que celles-ci sont des roches de fusion purement ignée, au même titre que les péridotites terrestres.

Une dernière expérience doit être citée. Voulant reproduire les minettes, Fouqué et Michel-Lévy fondirent des mélanges de feldspath potassique et de mica noir. A leur grande surprise, le recuit fit apparaître une composition minéralogique absolument différente, une association de leucite et d'olivine. Ce fut la première démonstration expérimentale d'un fait qui me paraît destiné à jouer un role de plus en plus important dans les discussions sur la genèse des roches, à savoir qu'un même magma peut, suivant les conditions de la cristallisation, donner naissance à des roches minéralogiquement très distinctes.

Dans les expériences de Fouqué et de Michel-Lévy, les insuccès même ont été fertiles en enseignements; toutes leurs tentatives pour reproduire par leur méthode du recuit les roches à feldspaths alcalins (trachytes) et les roches quartzifères (rhyolites) sont restées sans résultat; pour obtenir les éléments caractéristiques de ces roches, il faut donc autre chose que la fusion purement ignée, la présence de ces minéralisateurs qui, en diminuant la viscosité du magma, rendent possible la cristallisation. Persuadés par leurs recherches géologiques que telle était bien la cause de leurs mécomptes, Fouqué et Michel-Lévy fondirent du verre de granite en présence de l'eau, mais l'impossibilité d'obtenir un appareil tout à fait étanche à une température suffisante, comme aussi le manque de ressources pécuniaires, ne leur permit qu'un petit nombre d'expériences, d'ailleurs prometteuses de succès.

Depuis quelques années, de nouveaux expérimentateurs ont repris d'une façon méthodique des expériences synthétiques par voie de fusion. Jusqu'ici, ils ont échoué là où Fouqué et Michel-Lévy n'avaient pas réussi, mais désormais le problème est serré de près. Nous verrons certainement dans un avenir prochain, grâce à l'outillage exceptionnellement parfait de certains grands laboratoires, tels que celui de l'Institution Carnegie à Washington, s'éclairer plus complètement ces questions d'un intérêt si capital pour la géogenèse.

Fouqué et Michel-Lévy auront eu la gloire d'avoir été les premiers et aussi celle d'avoir été plus que des initiateurs.

X.

Si l'on excepte sa participation à la Mission d'Andalousie, organisée par l'Académie, sous la direction de Fouqué, pour l'étude du tremblement de terre désastreux de 1885, une courte Note sur les roches des environs de Lugano, dont les éléments furent réunis pendant son voyage de noces, et enfin un travail de début sur les filons métallifères de Saxe et de Bohême, toute l'œuvre géologique de Michel-Lévy a été consacrée à notre sol national.

On y trouve, là aussi, la caractéristique de sa méthode de travail, consistant à considérer les questions sous tous leurs aspects, avec une tendance manifeste à la recherche des conclusions générales.

Ses efforts ont porté tout d'abord sur la partie orientale du Massif Central, du Morvan au Lyonnais; il y a consacré 17 ans, de 1870 a 1887. Pendant ces années de jeunesse, il employait toute la belle saison aux recherches sur le terrain; il passait ses journées à parcourir la montagne, puis le soir, chargé d'observations nouvelles, il rentrait dans le coin de verdure où il avait installé les siens, ne séparant pas sa vie de famille de ses chères études; c'est ainsi qu'un de ses enfants est né à Autun au cours d'une de ses tournées géologiques.

En outre de ses recherches minéralogiques sur les schistes cristallins et les roches éruptives, il a précisé l'âge de ces dernières en déterminant leurs relations stratigraphiques avec les couches primaires avoisinantes dont il a poussé l'étude aussi loin qu'il était possible de le faire à cette époque. Plus tard, il a eu la joie de voir son fils en reprendre l'étude avec succès sous sa direction et en tirer une interprétation nouvelle, basée sur la découverte de gisements fossilifères et sur ces conquêtes récentes dans le domaine du métamorphisme auxquelles il avait pris une si grande part.

Le résultat capital de l'œuvre de Michel-Lévy sur le grand fragment de la zone hercynienne que constitue le Massif Central, a été la distinction de deux phases successives de plissement et de dislocation vers la fin de l'ère primaire. La première de ces phases et la plus importante a redressé et fortement plissé en une chaîne montagneuse élevée tous les terrains jusqu'aux tufs trachytiques dinantiens, avant les grandes éruptions de microgranite; celles-ci sont antérieures au dépôt du houiller (Stéphanien), discordant sur les couches plus anciennes, alors que ces dernières sont toujours concordantes entre elles. La seconde phase orogénique a superposé ses effets à ceux de la précédente, relevant et plissant les formations détritiques houillères et permiennes accumulées dans de grandes dépressions de la première chaîne qui avaient continué à s'affaisser en engouffrant de puissantes épaisseurs de sédiments. Tel est le cas pour les dépôts houillers du Bassin du Creusot et pour les sédiments permiens d'Autun, sur lesquels les couches triasiques reposent en complète discordance.

Enfin, Michel-Lévy a montré que, si le Massif Central a bien joué le rôle d' « avant-pays » résistant à l'égard des poussées plus récentes qui, durant la seconde partie des temps tertiaires, ont donné naissance à la Chaîne des Alpes, il n'a cependant pas supporté sans dommage d'aussi formidables efforts. L'étude des couches secondaires, déposées horizontalement sur la tranche des terrains primaires redressés, prouve que, malgré leur état fragmentaire de conservation, ces couches ont été soulevées à des altitudes inégales. Entre la Loire et la Saône, elles ont pris, lors des mouvements alpins, une disposition en larges voûtes anticlinales à très grand rayon de courbure dont la clé s'est ensuite affaissée en gradins; grâce à ces couches, on peut reconnaître la part de la composante alpine dans l'état actuel des dislocations des terrains primaires qui en forment le substratum.

Michel-Lévy a pu démontrer que le principal contre-coup de la formation des Alpes sur le Massif Central a été la production de tout un réseau fort complexe de fractures, dont les unes résultaient simplement de la réouverture des décrochements hercyniens antérieurs, alors que les autres, plus conformes à la direction des poussées alpines, sont orientées suivant une direction à peu près méridienne. Elles bordent de grandes aires d'effondrement qui ont servi de bassin de sédimentation aux couches tertiaires du Rhône, de la Loire et de l'Allier, à la façon des fosses hercyniennes du Bassin permo-houiller du Morvan.

Le sondage de Macholles, entre Riom et Clermont, a permis à Michel-Lévy de reconnaître que les sédiments tertiaires de la Limagne acquièrent au bord de cette fosse une épaisseur bien supérieure à celle des dépôts correspondants, qui se montrent çà et là à la surface des voussoirs voisins restés en saillie. Ce sondage, poussé jusqu'à une profondeur dépassant mille mètres, lui a fourni en outre l'occasion de constater un relèvement considérable du degré géothermique, très certainement en relation avec le foyer volcanique voisin.

Cette analyse des dislocations, qui se sont superposées dans la portion orientale du Massif Central, a entraîné Michel-Lévy à les suivre vers l'Occident pour rechercher leur influence sur les grands accidents tectoniques tertiaires et sur les phénomènes volcaniques en relation avec ces derniers. Il a été ainsi amené à entreprendre le levé de la feuille de Clermont-Ferrand, l'une de ses plus belles œuvres cartographiques. Dans cette région, après avoir fait une remarquable étude de toutes les laves de la Chaîne des Puys, du Mont-Dore et des régions voisines, il s'est efforcé de déterminer leur ordre de succession et aussi de fixer leur âge; pour cela, il a dû entreprendre l'étude stratigraphique des couches tertiaires de la Limagne, sur lesquelles il fit d'importantes constatations.

Le désir de trouver des termes de comparaison pour ses recherches sur les schistes cristallins et les phénomènes de contact du granite l'ont entraîné ensuite dans les Alpes occidentales, où il a consacré quatre années à l'exploration des chaînes du mont Blanc, des Aiguilles Rouges, des montagnes de Pormenaz et du Prarion, de part et d'autre de la haute vallée de l'Arve. Il faut rappeler sa monographie de la protogine et de ses phénomènes de contact, aussi bien que son étude stratigraphique et tectonique de ces belles montagnes; il a montré que, comme dans le Massif Central, on peut y reconnaître, antérieurement aux grandes dislocations alpines, la trace de deux phases successives de plissement, datant de la fin des temps primaires.

Ce long labeur géologique dont je ne rappelle que les grandes lignes s'est traduit non seulement par des Mémoires spéciaux, mais encore et surtout par l'établissement de onze feuilles de la Carte géologique au 1/80000. Pour la première fois, dans celles du Morvan, on vit figurer les distinctions pétrographiques de l'Ecole nouvelle.

Un esprit aussi ouvert aux généralisations et aussi pénétré par l'enseignement mathématique, que l'était celui de Michel-Lévy, devait être porté à coordonner en une vue générale et synthétique les grandes dislocations du globe. C'est ainsi qu'à la fin de sa vie, il a développé une conception théorique, réminiscence de celles d'Elie de Beaumont dont il avait été imprégné pendant son séjour à l'École des Mines. De même qu'Albert de Lapparent et que Marcel Bertrand, élèves du même Maître, il pensait qu'on doit trouver une symétrie d'ordre tétraédrique dans les accidents de l'écorce terrestre et il a cherché à établir les relations de ceux-ci avec les grands épanchements volcaniques.

Je signalerai enfin une incursion que fit notre confrère dans le domaine de la Physique du globe en entreprenant avec Fouqué, à la suite de leur mission d'Andalousie, des recherches expérimentales sur la vitesse de propagation des ondes de choc dans les terrains de nature minéralogique différente.

XI.

L'action scientifique de Michel-Lévy n'a pas été, à beaucoup près, limitée à son œuvre écrite.

Durant 41 ans, il a été mêlé à l'existence même du Service de la Carte géologique de la France, qu'il a dirigé avec éclat pendant 24 années.

Ce fut un véritable chef qui devait son autorité, non seulement au prestige de sa situation scientifique et à son caractère, mais encore à la façon dont il concevait sa tâche. Tout en restant « le Directeur », il avait su se faire des amis de la plupart de ses collaborateurs. Il leur laissait toute liberté dans l'expression de leurs interprétations géologiques, sans cependant nuire à l'homogénéité de l'œuvre commune; il les dirigeait de haut, avec une grande bienveillance, les conseillait et suivait discrètement leurs efforts, s'intéressant à leurs découvertes, même lorsqu'elles s'éloignaient beaucoup de ses études favorites. Il ne leur témoignait pas moins d'intérêt, s'ils étaient conduits à des opinions différentes des siennes sur la constitution de telle ou telle région et la souplesse de son esprit était assez grande pour lui permettre de se rallier parfois aux arguments que lui apportait un de ses élèves contre des idées lui tenant à cœur. Il sut ainsi éviter cette obstination, si fréquente chez les vieux géologues, et qui, à certaines époques, a tant nui au progrès de la Science. Il fut un des premiers en France à comprendre l'importance des nouvelles idées sur la tectonique et l'Académie n'a pas perdu le souvenir de la chaleur avec laquelle il exposa à leurs débuts les audacieuses interprétations de la structure des Alpes de notre confrère, M. Termier.

Son influence étendit la zone d'action du Service géologique, pour le plus grand bien de l'hygiène publique, en faisant insérer dans la loi que tout travail d'alimentation en eau potable des communes doit être précédé d'une enquête faite par un géologue officiel.

De longue date, il avait élargi le cadre des collaborateurs de la Carte et mobilisé au profit de celle-ci toutes les forces vives de la Géologie de la France, attirant les chercheurs isolés, aussi bien que les professeurs des Facultés et leurs élèves. On ne saurait exagérer les services qu'il a ainsi rendus à nos Universités, en fournissant à des jeunes gens, dépourvus de moyens d'action, la possibilité d'entreprendre des recherches sur le terrain, d'en tirer des sujets de Thèse, puis de les publier. Il a ainsi puissamment aidé plusieurs d'entre eux à devenir à leur tour des maîtres.

Jusqu'à lui, les publications du Service géologique consistaient exclusivement en cartes et en de rares et coûteux in-quarto consacrés à des œuvres de longue haleine. Sans sacrifier ces dernières, il a créé (1890) un Bulletin annuel, qui a facilité l'éclosion de nombreux travaux; les vingt volumes parus sous sa direction constituent un véritable livre d'or de la Géologie française.

Il a été le principal instigateur de cette belle Carte géologique de France au millionième, qu'il a publiée en collaboration avec son prédécesseur Jacquot (1888) et dont une seconde édition (1905) a été signée par lui et par M. Termier; enfin, il a fait entreprendre une carte au 1/320000, dont plusieurs feuilles ont paru.

Michel-Lévy n'a pu réaliser jusqu'au bout son rêve de voir achevé la Carte géologique de France au 1/80000, mais il présida à la publication de 151 de ses feuilles, couvrant plus de la moitié du sol de notre pays. Son nom restera attaché à la réalisation de cette œuvre nationale gigantesque, comme celui d'Elie de Beaumont est lié à sa conception et à ses débuts.

 

La carrière professorale de Michel-Lévy a été courte; il n'a occupé au Collège de France la chaire de Cuvier, d'Elie de Beaumont et de Fouqué que de 1905 à sa mort. Ses cours ont été, en quelque sorte, son testament scientifique; il y a exposé, avec son habituelle largeur de vues, la plupart des questions qui lui étaient chères; mais son véritable enseignement a été donné ailleurs.

 

Partout où il passait, son ardeur scientifique devenait contagieuse; dans ses courses géologiques, il entraînait des collègues, aussi bien que des néophytes auxquels il donnait des leçons vivantes et pratiques, celles qui ne se remplacent pas en Géologie. Il cherchait à les gagner à ses méthodes et il n'est pas exagéré de dire qu'il n'existe pas en France un seul pétrographe qui n'ait été plus ou moins directement son élève.

Mais c'est surtout à Paris, chez lui, dans son hôtel de la rue Spontini, que son enseignement individuel a été intense et fructueux. Dès huit heures du matin, on était sûr de le rencontrer au travail, heureux de donner son temps et ses conseils à tous ceux, connus ou inconnus, qui venaient les solliciter.

Son hospitalière maison était particulièrement ouverte à quelques disciples privilégiés; il aimait à les aider de son expérience dans leurs travaux et surtout à les initier à ses recherches personnelles, leur montrant ses hésitations, les difficultés rencontrées, aussi bien que les solutions acquises. Il se plaisait ensuite à les retenir à sa table, où ils trouvaient auprès des siens cet accueil affectueux et réconfortant que n'oublient aucun de ceux qui l'ont reçu. L'échange des idées se prolongeait ainsi jusqu'à l'heure fixée, invariable, où il partait pour remplir ses devoirs professionnels.

L'impression qui me reste de ces chères matinées de travail, hélas déjà lointaines, me semble bien résumer ce que fut cette vie si noble et si utile de Michel-Lévy dans laquelle était confondu le culte de la Famille, de la Science et de la Patrie.


La Liste bibliographique des travaux scientifiques de A. Michel-Lévy, compilée par Alfred Lacroix, n'est pas reproduite ici. Outre de nombreuses publications scientifiques, parues dans les Annales des mines, le Bulletin des services de la Carte géologique détaillée de la France, le Bulletin de la Société géologique de France, le Bulletin de la Société française de minéralogie et les C.R. de l'Académie des sciences, on y trouve aussi des Notices nécrologiques concernant Maillard, Jacquot, Marcel Bertrand, L. Janet, Fouqué, Des Cloizeaux, Mallard, Albert Gaudry.




(C) Collection familiale

Numérisé et mis sur le web par R. Mahl