Horace Benedict de SAUSSURE (1740-1799)

Célèbre géologue suisse, 1740-1799

En 1760, un premier voyage à Chamonix suscite son enthousiasme. A 22 ans, il est nommé titulaire de la chaire de philosophie de l'université de Genève.

Son intérêt pour la structure du globe terrestre et des montagnes l'entraîne à partir de 1768 à voyager longuement en Europe et dans les Alpes. Premier scientifique à escalader le Mont Blanc, il atteint son sommet en 1787.

Homme d'étude et d'observation, il n'édifia aucun système. Son travail de documentation fut pourtant fondamental, notamment pour Hutton.

L'«Agenda» publié dans le Journal des Mines de Floréal, an IV, est également inséré dans son grand ouvrage «Voyage dans les Alpes, précédé d'un « Essai sur l'histoire naturelle des environs de Genève» paru de 1777 à 1796.


Publié dans Annales des Mines, juillet-août 1989, pp. 24 et suiv., d'après des publications antérieures du Journal des Mines de Floréal, an IV et du comte de Berchtold :

Qui veut voyager bien...

Les voyages scientifiques au XVIIIe siècle

Au siècle des Lumières, l'homme de sciences sort de son cabinet de travail pour aller à la rencontre du monde. Mais pour voyager bien, il ne suffit pas d'emporter son savoir dans ses bagages: deux voyageurs chevronnés prodiguent à leurs confrères de judicieux conseils théoriques et pratiques, de l'art de s'alimenter ou de choisir son navire à celui de bien «séparer l'opinion de l'observation».

En cette fin du XVIIIe siècle, les savants, les techniciens, les experts, et parmi ceux-ci les ingénieurs des Mines, sont mis à contribution pour mobiliser les forces vives et les ressources du pays. Afin d'inventorier et de mettre en valeur les richesses nationales, on envoie les représentants du peuple les plus qualifiés en mission dans les départements français pour tirer des enseignements profitables au développement économique de la nation, les hommes de sciences voyagent même à l'étranger. Pour les aider dans l'accomplissement de leur tâche, le Journal des Mines publie quelques conseils prodigués par M. de Saussure, que complètent judicieusement les extraits de l'ouvrage du Comte Berchtold.


Extraits de: «Essai d'instruction pour diriger les voyageurs dont les recherches ont pour but l'utilité de leur patrie, etc.», par le COMTE BERCHTOLD, an IV;
et:
«Agenda, ou tableau général des Observations et des Recherches dont les résultats doivent servir de base à la théorie de la Terre», par M. DE SAUSSURE, an IV.

L'AGENDA DE M. DE SAUSSURE

Lorsqu'on doit contempler des objets aussi compliqués que ceux qu'il faut étudier pour fonder sur l'observation les bases de la théorie de la terre, il est indispensable de se former à l'avance un plan, de se prescrire un ordre, et de minuter, pour ainsi dire, les questions que l'on veut faire à la nature.

Comme le géologue observe et étudie pour l'ordinaire en voyageant, la moindre distraction lui dérobe, et peut-être pour toujours, un objet intéressant. Même sans distraction, les objets de son étude sont si variés et si nombreux qu 'il est facile d'en omettre quelques-uns: souvent une observation qui paraît importante, s'empare de toute l'attention et fait oublier les autres; d'autres fois, le mauvais temps décourage, la fatigue ôte la présence d'esprit, et les négligences, qui sont les effets de toutes ces causes, laissent après elles des regrets très-vifs, et forcent même assez souvent à retourner en arrière; au lieu que si l'on a un agenda sur lequel on jette de temps en temps les yeux, on retrace à son esprit toutes les recherches dont on doit s'occuper. Cet agenda, borné d'abord, s'étend et se perfectionne dans la proportion des idées que l'on acquiert, et peut servir même à des voyageurs qui, sans être versés dans la géologie, veulent rapporter de voyages des observations utiles à ceux qui étudient cette science. (Voyage dans les Alpes, tome Ier, discours préliminaire).

D'après ces principes, j'ai toujours préparé à l'avance pour chacun de mes voyages, un agenda détaillé recherches auxquelles ce voyage était destiné. Mais ici je me propose un plan plus étendu; je voudrais diriger le voyageur, et même le philosophe sédentaire, dans toutes les recherches dont il doit s'occuper s'il est animé du désir de contribuer aux progrès de la théorie de notre globe. Je ne me flatte pas de former un tableau complet de tout ce qui reste à faire; ce ne sera qu'une esquisse imparfaite, mais cette esquisse servira du moins en attendant qu'on en ait une meilleure.

Au reste, je dois avertir que plusieurs des observations et des questions que je propose ici comme problématiques, paraissent déjà avoir été résolues. Mais comme la plupart des solutions de ce genre ne sont fondées que sur des analogies, dont le contraire est toujours physiquement possible, je pense qu'il convient de tenir les yeux des naturalistes toujours ouverts sur les grands faits qui peuvent intéresser une théorie aussi importante et aussi difficile.

Aucun auteur ne doit donc prendre en mauvaise part que je propose ces observations sous la forme du doute; car je propose, sous cette même forme, des faits que je crois avoir moi-même le plus solidement établis.

Cette introduction précède une succession de chapitres décrivant les différentes observations à faire en différents lieux, qu'il s'agissent de la mer, des fleuves, des montagnes ou de l'intérieur des mines.

Voici des extraits du chapitre XXII, dont le sujet est: «erreurs à éviter dans les observations relatives à la géologie» :

Il y a des erreurs dans lesquelles il est facile de tomber, lorsqu'on n'a pas un long exercice de l'art d'observer dans un genre donné, et contre lesquelles il est utile de prémunir au moins ceux qui commencent.

Il est très-facile de se tromper sur les distances relatives à des objets éloignés. Toutes les étoiles et les planètes paraissent à la même distance. Les montagnes éloignées paraissent être toutes dans le même plan (...).

On se trompe aussi souvent en mêlant l'opinion à l'observation, et en donnant celle-là pour celle-ci; comme quand on affirme avoir vu des vestiges de volcans éteints, parce qu'on a vu des pierres ou noires ou poreuses, ou de formes prismatiques, sans daigner les décrire avec soin, mais en les qualifiant simplement de laves ou de basaltes.

Enfin, une source fréquente d'erreurs, est une trop grande confiance à la fidélité de sa mémoire ou à la justesse de ses premiers aperçus. Ces deux genres de confiance marchent souvent de front, et l'on ne peut se préserver du danger des erreurs qui en sont souvent les suites, qu'en notant sur les lieux toutes les observations auxquelles on attache quelque importance, sur-tout si elles sont un peu compliquées, et en emportant des échantillons soigneusement étiquetés des objets qui forment le sujet de ces observations; car ce n'est pas seulement des objets rares et singuliers, qu 'il faut emporter des échantillons. En effet, le but d'un voyageur géologue n'est pas de former un cabinet de curiosités, mais c'est des choses les plus communes en apparence qu'il faut prendre des morceaux, lorsque l'exacte détermination de leur nature peut intéresser la théorie. On se ménage ainsi les moyens de confirmer ou de rectifier ses premiers aperçus, et de faire des recherches approfondies et des comparaisons qu 'il est impossible de faire sur les lieux (...).

Saussure donne ensuite une liste précise des instruments dont il est indispensable de s'encombrer... sans oublier le matériel de réparation!

Il passe ensuite aux conseils concernant les vêtements, l'équipement du voyageur.

Quant aux soins qu 'exige la personne même du voyageur, il faut un habit léger, de drap, sans doublure, blanc, de même que le chapeau, pour qu 'il soit moins réchauffé par les rayons du soleil, avec des gilets, les uns frais pour les régions et les vallées chaudes, les autres chauds, pour les régions et les sommités froides; une bonne redingotte; des lunettes vertes, et un crêpe noir pour les neiges et garantir les yeux et le visage de leur impression; enfin, si l'on doit passer la nuit en plein air, une tente ou canonnière, une peau d'ours sur laquelle on se couche, et des couvertures de laine.

Un bâton solide et léger: le mien, pour les Hautes-Alpes, est un planton bien sec de sapin, long de 7 pieds et de 18 lignes de diamètre par le bas, avec une forte pointe de fer assujettie par une virole : ces dimensions paraîtront fortes, mais il n'y a rien de trop pour les rocs escarpés, les glaciers, les neiges, lorsqu'on est obligé de prendre son point d'appui loin de soi, et de reposer tout le poids de son corps sur son bâton, en le tenant dans une situation très-inclinée et même horizontale, comme cela se voit dans la vignette du voyage dans les Alpes, tome I, page 356, in-4 (...).

Enfin, pour la nourriture, lorsque l'on doit séjourner plus long-temps dans les déserts éloignés des habitations et même des chalets, on peut porter quelques pièces de viande salée ou assaisonnée; mais le salep de pommes de terre de M. Parmentier, avec des tablettes de bouillon et du pain, forment la nourriture la plus restaurante et du plus petit volume; un petit réchaud de fer, un petit sac rempli de charbon, et une casserole de cuivre ou de fer étamé, forment ma vaisselle de montagne; on trouve des écuelles et des cuillers de bois dans les derniers chalets. Il convient cependant de porter habituellement dans sa poche un gobelet de résine élastique, pour étancher sans aucun apprêt, la soif importune que l'on éprouve si souvent dans ces voyages (...).

Il conclut:

On voit, d'après cet exposé, que l'étude de la géologie n'est faite ni pour des paresseux ni pour des hommes sensuels, car la vie du géologue est partagée entre des voyages fatigans et périlleux, où l'on est privé de presque toutes les commodités de la vie, et des études variées et approfondies dans le cabinet. Mais ce qui est plus rare encore, et peut-être plus nécessaire que le zèle qu 'il faut pour surmonter ces obstacles, c 'est un esprit exempt de préventions, passionné de la vérité seule, plutôt que du désir d'élever ou de renverser des systèmes, capable de descendre dans les détails indispensables pour l'exactitude et la certitude des observations, et de s'élever aux grandes vues et aux conceptions générales. Cependant il ne faut point que ces difficultés découragent; il n'est aucun voyageur qui ne puisse faire quelque bonne observation et rapporter au moins une pierre digne d'entrer dans la construction de ce grand édifice. En effet, on peut être utile sans atteindre à la perfection; car je ne doute pas que, si l'on compare avec cet agenda les voyages minéralogiques, même les plus estimés, et à plus forte raison ceux de l'auteur de cet agenda, l'on n'y trouve bien des vides, bien des observations imparfaites et même totalement oubliées; mais j'en ai dit la raison dans l'introduction: d'ailleurs plusieurs de ces idées ne me sont venues que depuis que j'ai fait ces voyages, c'est pour cela que j'ai travaillé avec intérêt à cet agenda, dans l'espérance de mettre des jeunes gens, dès l'entrée de leur carrière, au point où je ne suis arrivé qu'après trente-six ans d'étude et de voyages.

LE VADEMECUM DU VOYAGEUR PATRIOTIQUE
Les conseils du Comte de Berchtold

BERCHTOLD (Léopold, comte de)

Philanthrope allemand, 1734-1809
Polyglotte et grand voyageur, il publie à Londres en 1782 «An essay to direct and extent the inquiries of patriotic travellers».

Le premier conseil est de ne pas voyager sans préparation.

L'étude de l'histoire naturelle, de la chimie, de la physique, de la mécanique, de la géographie, de l'agriculture et des principaux procédés des arts et métiers, doit précéder toute espèce de voyage, si l'on veut en retirer quelque fruit: il est à propos aussi que le voyageur sache dessiner et lever un plan, qu 'il ait au moins quelques notions de médecine, de chirurgie et de l'art vétérinaire; qu'il sache aussi nager, monter à cheval, manier les différentes armes, et qu'il ait quelque idée de la navigation. L'auteur va jusqu 'à désirer qu 'il sache jouer de quelque instrument, parce que ce talent facilite l'entrée des sociétés, et parmi les instrumens, il recommande la flûte, comme étant le plus portatif. Le voyageur naturaliste nous paraît avoir peu besoin de ce moyen d'introduction qui n'est pas toujours sans inconvéniens.

La connaissance des hommes s'acquiert sans doute en voyageant; mais on la paie souvent bien cher si l'on attend jusque-là. Nous avons un moyen plus facile d'entreprendre cette étude, c'est, comme le dit M. Berchtold, d'interroger notre propre coeur.

Le second conseil est de bien connaître son pays, avant de voyager dans les pays étrangers; sans cette précaution, l'attention s'égare au milieu des objets qui s'offrent à elle; elle néglige souvent ce qui devait la fixer pour se porter sur des choses vulgaires. D'ailleurs, l'homme instruit sur les productions, les ressources, les intérêts, les moeurs, les lois de son pays, offre de l'instruction en échange de celle qu'il réclame: il lui est par-là même plus facile d'obtenir qu 'on se prête à satisfaire sa curiosité.

Il faut, en troisième lieu, avant d'entreprendre quelque voyage que ce soit, épuiser l'instruction qu'on peut se procurer par les livres. On aurait tort d'attendre qu 'on fût dans le pays, pour en apprendre la langue, ce serait prolonger son absence sans utilité. L'auteur prétend que pour se familiariser avec les opinions d'un Peuple, il est bon même d'étudier ses proverbes. Quant à moi, je conseillerais de fréquenter d'avance des habitants du pays où l'on se propose de voyager: on en trouve fréquemment l'occasion dans les grandes villes. Ces liaisons sont utiles sous plusieurs rapports: elles procurent dans l'étranger une meilleure réception; elles mettent à portée de connaître bien des détails qu'on ne trouve pas dans les livres; elles peuvent même, jusqu'à un certain point, suppléer aux voyages. L'étranger qui vit parmi nous, et qui a besoin de nous trouver communicatifs, le devient par-là même, et quelquefois plus qu'il ne le serait dans son propre pays.

Muni de ces connaissances préliminaires, on n'a plus, en quelque sorte en voyage, qu'à rectifier et à étendre les premières idées qu'on s'est formé des différens objets. Les progrès que l'on fait sont rapides, parce qu 'on sait ce qu'il faut observer, quand, comment, où, et de quelle manière, sur-tout, si l'on s'est fait à l'avance et sur chaque matière, une bonne série de questions. On ne court jamais le risque d'errer dans le vague, et l'on ne perd pas de temps en tâtonnement: nous ne saurions trop insister sur la nécessité de ces dispositions préparatoires, dont on ne se dispense jamais, sans éprouver dans le cours de ses voyages les plus vifs regrets.

L'ouvrage que nous avons sous les yeux, contient des détails qui peuvent sembler minutieux à ceux qui n'ont pas voyagé; les autres en sentiront le prix, et sauront gré à l'auteur de ne les avoir pas supprimés. Voici quelques-uns de ces avis.

1. Se munir des cartes les plus détaillées qu 'on pourra trouver, collées sur toile, et pliées pour être portatives.
Les malles hautes et courtes sont les meilleures, parce qu'on peut les mettre sur toutes sortes de voitures. Si l'on porte des livres, il faut que la couverture soit de niveau avec la tranche, et qu'ils ne soient pas reliés avec du carton, mais seulement en peau comme le sont les livres espagnols.
Les objets qu 'un voyageur doit porter avec lui, sont une bonne montre à secondes, un baromètre, un thermomètre, une boussole, un télescope, un briquet, des bougies, une lanterne sourde, et une boîte contenant tout ce qui est nécessaire pour dessiner et pour laver les plans.

2. Avoir des tablettes sur lesquelles on note à mesure, en peu de mots, ce qu'on a vu ou entendu dire de remarquable; transcrire ces notes, chaque soir, sur son journal de voyage, en leur donnant plus de développement; il faut s'en faire une loi, et qu'aucun motif, tel que la fatigue, les plaisirs, la société, ne permettent d'y manquer. Il est bon d'avoir, pour les notes et le journal, une écriture secrète, abrégée, et cependant très-lisible pour soi-même, afin de pouvoir écrire ses pensées avec plus de liberté. On portera toujours ce journal sur soi dans une large ceinture bouclée, de manière qu'on ne puisse pas courir le risque de le perdre.

3. La santé et la sûreté du voyageur exigent certaines attentions, qui ne doivent cependant pas être trop scrupuleuses. Voici quelques-unes des principales:

Dans les pays chauds, faire un fréquent usage des bains, ne pas laisser ses fenêtres ouvertes pendant la nuit; si l'on dort durant le jour, que ce ne soit pas à l'ombre d'un arbre, ou près d'une chenevière, mais de préférence dans un fauteuil, la tête élevée, le corps un peu en avant, et après avoir ôté tout ce qui pourrait gêner la circulation.

Dans les pays humides, avoir soin de faire sécher les draps.

Dans plusieurs pays méridionaux on supplée au feu de cheminée par des braisières; avoir soin que le charbon soit presqu 'entièrement consumé et prêt à se réduire en cendres.

Dans les pays froids, ne pas s'approcher subitement du feu si l'on a quelque partie du corps gelée, mais la frotter, au contraire, avec de la neige pour ranimer la circulation, et jusqu'à ce qu'on éprouve une douleur vive dans cette partie.

Manger et boire sobrement, sur-tout si l'on voyage à cheval ou dans une voiture cahotante. Il est mal sain, suivant l'auteur, de manger immédiatement après avoir fait une longue marche à pied, ou de s'asseoir alors près d'un grand feu; il blâme aussi l'usage immodéré des fruits, ainsi que celui des vins cuits d'Italie et de Grèce, qui échauffent beaucoup et détruisent promptement l'estomac: nous avons éprouvé également que le lait ne convient pas à ceux qui sont obligés de faire des marches forcées.

Ne jamais traverser de rivières pendant la nuit dans un bac ou à gué, sans une nécessité pressante.

N'admettre auprès de soi aucun inconnu, sur-tout s'il montre l'apparence du zèle et de la serviabilité.

Avoir de bonnes armes, et ne pas rester en voiture dans les endroits dangereux.

Eviter les sociétés où l'on risque son argent et sa santé, et où l'on ne peut éviter de perdre trop de temps; fréquenter fort peu ses compatriotes : il n'y a guère à profiter avec eux pour l'objet de son voyage, et il peut y avoir beaucoup à risquer si l'on ne les connaît pas d'ailleurs.

Préférer toujours les meilleures auberges; convenir d'avance pour le prix; payer chaque jour sa dépense; tenir toujours ses malles fermées à clé; garder de la lumière pendant la nuit, si l'on n 'est pas dans une maison bien sûre.

Connaître assez les lois du pays où l'on voyage, pour ne pas risquer de les enfreindre involontairement, notamment en se chargeant d'effets prohibés.

Ne jamais recevoir de paquets dont on ignore le contenu; réduire, en général, son bagage à l'étroit nécessaire, et ne porter aucun effet précieux.

Eviter les discours indiscrets sur les affaires publiques ou particulières.

Se munir de lettres de crédit plutôt que d'argent comptant, ou même de lettres de change, qui peuvent être protestées: les lettres de crédit sont en même temps des lettres de recommandation; il faut être recommandé à l'envoyé de sa nation, à quelques commerçans et artistes: les gens les plus distingués ne sont pas ceux qui s'occupent le plus volontiers des voyageurs, et qui concourent le plus utilement à leur instruction.

Si l'on est obligé de voyager par mer, s'informer quel est le capitaine qui traite le mieux ses passagers; se procurer des lettres pour les consuls de la nation dont est le capitaine; cette circonstance, qu'on a soin de lui faire connaître, peut valoir de sa part plus d'égards.

On prévient quelquefois le mal de mer, en se couchant au milieu du vaisseau, où le balancement est le moins sensible, en faisant usage de limonade et d'autres acides; l'exercice est très-salutaire ainsi que le grand air, la gaieté et la propreté. On charme l'ennui de la navigation, en observant la manoeuvre, et en tenant soi-même un journal nautique; ce temps peut être mis aussi à profit pour apprendre une langue, ou pour cultiver les mathématiques.

Sur les liaisons qui peuvent faciliter l'instruction, l'auteur donne plusieurs avis que nous avons cru devoir recueillir: il veut que le voyageur fréquente les savans, les artistes, les sociétés qui ont pour objet les améliorations en tout genre; qu'il visite les cabinets, sur-tout ceux où l'on conserve des modèles de machines relatives à l'économie rurale et domestique; qu'il tâche d'obtenir la correspondance de quelques savans distingués et communicatifs, afin d'être au courant des nouvelles découvertes ; qu 'il fréquente aussi les libraires, parce que c'est souvent par leur moyen qu'on obtient accès auprès des écrivains célèbres; qu'il assiste aux séances des tribunaux; qu'il visite les manufactures après en avoir lu une bonne description. Il conseille encore de rechercher les hommes bizarres et singuliers, dont la singularité porte l'empreinte du génie, mais empêche souvent leurs compatriotes de les apprécier à leur juste valeur. Il avertit avec raison qu'il faut s'en rapporter rarement aux autres lorsqu'on peut voir par soi-même.

Relativement aux montagnes, il fait une remarque très-juste: c'est-là, dit-il, que le voyageur doit étudier de préférence le véritable génie d'une nation; il y retrouvera moins altérés qu'ailleurs les moeurs, le caractère et jusqu'au langage primitif; enfin, c'est dans les parties reculées d'un empire, que les bons et les mauvais effets du gouvernement se font le mieux sentir.

Un compagnon de voyage qui n'a pas un caractère liant, de l'activité et le goût des mêmes connaissances, est un fardeau insupportable.

Doutez et questionnez, a dit Newton, au lieu d'affirmer et de disputer.

Evitez la sotte prétention de vouloir passer pour un personnage considérable, et de vous faire remarquer par votre dépense.

Un homme sage est économe des minutes, car les minutes composent le temps, et le temps c'est la vie.


Fresque peinte par Abel de PUJOL (1787-1861) située dans l'Hôtel Vendôme qui abrite l'Ecole des mines de Paris. On distingue de gauche à droite : Georges CUVIER, René-Just HAÜY, DOLOMIEU, Horace-Bénédict de SAUSSURE et Alexandre BRONGNIART
(C) Ecole des mines de Paris

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