PAROLES PRONONCÉES AUX OBSÈQUES de M. PIERRE TERMIER,

INSPECTEUR GÉNERAL DES MINES,
DIRECTEUR DU SERVICE DE LA CARTE GÉOLOGIQUE DE LA FRANCE,
PROFESSEUR A L'ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES MINES,
MEMBRE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES,
à Grenoble, le 27 octobre 1930.

I. - DISCOURS DE M. Emm. DE MARGERIE,
Correspondant de l'Institut,
REPRÉSENTANT L'ACADÉMIE DES SCIENCES.

La mort frappe à coups redoublés parmi les membres de l'Académie des Sciences : au moment même où nos confrères parisiens vont rendre les derniers devoirs au vénérable géomètre alsacien Paul Appell, nous voici réunis autour du cercueil de Pierre Termier, le grand géologue dauphinois, qui vient de quitter si prématurément la vie, ici même, a Grenoble, au coeur de ces Alpes qu'il aimait tant, et dont l'étude, toujours plus approfondie, aura été la préoccupation dominante de sa belle carrière scientifique.

Pierre Termier, né à Lyon en 1859, appartenait à la section de minéralogie de l'Académie des Sciences depuis 1909. Cette année même, les suffrages unanimes de ses confrères l'avaient appelé à la vice-présidence, et nous nous apprêtions à le voir, dans quelques semaines, placé pour un an à la tête de l'illustre compagnie.

Des voix autorisées vous diront, tour à tour, ce que fut l'ingénieur des mines, le professeur, le chef de service et le savant. Je voudrais seulement, puisque l'Institut de l'France a bien voulu me confier la tâche de saluer une dernière fois, en son nom. la mémoire de notre ami, retracer ici les traits essentiels de l'homme, et faire ressortir en peu de mots les aspects extérieurs de l'oeuvre - inachevée, hélas! comme toute oeuvre humaine - que notre éminent confrère laisse derrière lui.

C'est le paléontologiste Albert Gaudry que Pierre Termier, officiellement, remplaçait à l'Académie des Sciences quand il y fut admis, à l'âge de cinquante ans, le 2? mars 1909. Bien que ces deux savants n'eussent guère de points de contact quant à l'objet de leurs travaux, puisque l'un scrutait le mystère des origines de la vie, alors que l'autre, comme son célèbre prédécesseur Élie de Beaumont, cherchait surtout à reconstituer l'histoire des grandes chaînes de montagnes, il y avait cependant entre eux le lien commun d'une langue très riche et très sûre, résultant, chez l'un comme chez l'autre, d'une solide culture littéraire, et qui donne à tous leurs écrits, en dehors même de la pensée à laquelle cette forme élégante sert de vêtement, un charme et un intérêt durables.

Mais, à vrai dire, c'est de son maître Marcel Bertrand, disparu quelques années auparavant, en 1907, après une lente agonie spirituelle, que Pierre Termier, en entrant à l'Académie, prenait la succession morale, rôle bientôt confirmé, d'ailleurs, auprès de ses pairs, par la qualité de ses communications et l'importance de ses découvertes : il suffit de parcourir les quarante volumes, parus depuis vingt ans, des Comptes rendus de nos séances pour se faire une idée, sinon de la valeur technique, tout au moins de l'étendue de son apport à la science de la Terre. La plupart de ces Notes ne sont, du reste, que l'amorce de mémoires plus développés, que Pierre Termier donnait ensuite soit à la Société géologique de France - dont il devint, par trois fois, le président - soit au Service de la Carte géologique qu'il dirigea sans interruption depuis la mort de son confrère Auguste Michel-Lévy jusqu'à ces derniers jours. Il est impossible d'énumérer ici, même de façon sommaire, les titres de ces contributions innombrables; je me contenterai de citer, parmi les plus brillantes : les Notes de 1903 sur la structure des Alpes Orientales et la synthèse des Alpes, thèmes que ses études dans le Tyrol avaient éclairés d'une vive lumière, comme l'ont reconnu peu à peu presque tous les géologues, français ou étrangers, qui se sont attaqués à ces difficiles problèmes - à commencer par ses amis Haug, Kilian, Steinmann, Zürcher, pour ne parler que des disparus. Mais que d'autres morceaux il y aurait lieu de mentionner, touchant aux questions ou aux régions les plus diverses - depuis l'origine, des " mylonites " du Massif Central de la France jusqu'aux recouvrements de la Corse, de l'île d'Elbe, des Monts Cantabres et de l'Afrique du Nord ! Et je n'ai rien dit des travaux de Pierre Termier sur la pétrographie pure, ni de ses vues sur le métamorphisme...

Animateur incomparable, on peut dire que Pierre Termier, suivant la définition grecque, portait véritablement " Dieu en lui " : son enthousiasme débordant lui a suscité, dans tous les milieux où son action s'est fait sentir, de nombreux disciples; et le plus grand des services que l'Histoire le louera d'avoir rendus à notre science favorite sera, probablement, d'être parvenu à lui recruter, par son exemple, des adeptes convaincus et fervents.

Pierre Termier était le chef vénéré d'une descendance nombreuse, dont le développement augmentait presque chaque année par des unions et des naissances nouvelles. Quand on le voyait au milieu de tous ses enfants et petits-enfants, il faisait vraiment figure de patriarche. Mais il semble que la fatalité se soit plu à arracher successivement les plus beaux fleurons de cette couronne : après sa dévouée compagne, tenue à l'écart de la vie active, pendant de longues années, par un mal implacable, après ses deux fils dont l'un périssait sous ses yeux, victime d'un accident stupide, après son gendre enfin, le géologue Jean Boussac, tué à l'ennemi en 1916, et en qui revivaient avec tant d'éclat ses propres goûts scientifiques, que de deuils cruels Pierre Termier n'a-t-il pas éprouvés, parmi les êtres chers que le mariage de ses filles avait donnés à sa famille ! Et pourtant, soutenu par la foi profonde qui inspirait tous ses actes, il supportait ces coups incessants avec une sérénité qui ne s'est jamais démentie, en laissant aux mouvements de sa pensée cette aisance lucide et cette puissance d'évocation que l'on retrouve jusque dans ses moindres écrits...

Nous abordons ici un des côtés de l'oeuvre de Pierre Termier qui suscitera sans doute dans l'avenir quelques divergences d'appréciation, comme l'on en a déjà vu se produire de son vivant : le rôle de l'imagination dans la science. Au rebours d'un positivisme étroit n'assignant d'autre but aux efforts de l'esprit humain que de constater l'existence d'un certain nombre de faits matériels sans lien et sans loi, la philosophie à laquelle Pierre Termier, sans jamais la formuler d'une façon explicite, a toujours adhéré de toute son âme, comporte des ambitions plus hautes : Pierre Termier croyait fermement que les choses, dans le monde qui nous entoure, ont un sens, et il s'efforçait, dans le domaine qu'il avait choisi, de discerner, en dépassant le cadre de notre expérience quotidienne, des enchaînements et des causes profondes. Au début de ses études sur les Alpes, un géologue étranger, croyant discréditer d'un mot ses hypothèses hardies sur le rôle des " charriages ", avait qualifié notre confrère de géopoète. Pierre Termier, bien loin de prendre cette épithète en mauvaise part, y vit au contraire une formule qui résumait d'un mot, avec bonheur, son propre idéal. Car, poète, il l'était, certes, en écrivant tant de pages admirables, rédigées pour des réunions d'anciens élèves ou en vue de séances académiques, lues devant des Congrès internationaux ou écrites simplement pour un journal. Vous connaissez tous, Messieurs, les trois volumes dans lesquels Pierre Termier a réuni quelques-uns de ces essais, dédiés A la Gloire de la Terre ou célébrant, avec un lyrisme communicatif, La joie de connaître, ou enfin, - et ce dernier tome revêt, dans les circonstances actuelles, les caractères d'une sorte de testament - ses méditations sur La vocation de savant. Je ne crois pas me tromper en affirmant que ce précieux triptyque joue, dès à présent, chez une partie de la jeunesse intellectuelle française, le rôle d'une véritable anthologie.

Un dernier trait, à l'honneur de celui qui fut, pour beaucoup d'entre nous, un maître très écouté, et, pour tous, un ami sincère : nul, à notre époque, n'a parlé de la beauté des montagnes avec plus d'art et plus d'amour que l'homme dont nous pleurons aujourd'hui la perte - vous permettrez au Président du Club Alpin Français de le constater devant vous. Par une rencontre singulière, il se trouve que Pierre Termier occupait à l'Académie des Sciences le fauteuil dont Ramond, le vainqueur du Mont-Perdu, avait été, à cent ans d'intervalle, le premier titulaire; et je n'ai pas besoin de vous remettre en mémoire tout ce que doit au peintre des Pyrénées le culte moderne des hautes cimes.

Comme son confrère et intime collaborateur Wilfrid Kilian, qui l'a précédé de quelques années dans la tombe, Pierre Termier vient dormir son dernier sommeil au milieu d'un paysage qui lui était cher entre tous, non loin de cette propriété familiale de Varces à laquelle tant de souvenirs, doux ou cruels, l'attachaient... Quelles que soient nos croyances ou nos incertitudes, inclinons-nous très bas devant cette âme si haute, devant ce grand chrétien que l'esprit de son Maître avait vraiment marqué d'un signe indélébile, et dont l'Évangile demeura, toujours, l'unique règle de vie.


Buste de Pierre Termier
Musée de minéralogie MINES ParisTech
Photo R. Mahl, 2001

II. - DISCOURS DE M. le Professeur Charles JACOB,
Vice-président de la Société géologique de France,
Représentant la Société géologique de France et l'Université

Dans la belle notice qu'il avait consacrée à Marcel Bertrand, le fondateur de la Tectonique moderne, dont le souvenir, respectueusement cultivé, a hanté toute sa vie, M. Pierre Termier évoque une ultime course commune dans les Alpes et parle d'un village perdu de la haute montagne où le cadran solaire arrête le passant par cet avertissement sévère : " Il est plus tard que vous ne croyez. "

Qui donc, dans l'apothéose toute récente du centenaire de la Société géologique de France, où la célébrité internationale de celui que nous pleurons contribua à nous parer d'un si vif éclat, qui donc pouvait seulement supposer qu'à quatre mois d'intervalle à peine nous allions nous trouver en face d'un cercueil ? L'hommage venu du monde entier répétait, à travers toutes les adresses, et parmi les grands noms, celui de Pierre Termier. Et, dans l'amphithéâtre de la Sorbonne, en présence du chef de l'Etat et des délégations assemblées, lorsqu'il fallut un héraut pour chanter l'hymne de la géologie française, notre président en exercice, M. Alfred Lacroix, qui déplore si profondément d'être retenu aujourd'hui à l'Académie des Sciences par les devoirs de sa charge et par un autre grand deuil scientifique, M. A. Lacroix fit tout naturellement appel à son confrère, M. Pierre Termier. Une voix s'éleva ; elle célébra avec magnificence la gloire du siècle écoulé, pour risquer ensuite, avec finesse, l'annonce des temps nouveaux.

" Il est plus tard que vous ne croyez ! "

Aujourd'hui, un grand voile de deuil assombrit l'horizon de toute la géologie française. Il s'étend sur la Société géologique, dont M. Pierre Termier fut, pendant près d'un demi-siècle, l'un des membres, des lauréats et des présidents les plus actifs, les plus écoutés et les plus aimés. Il s'étend sur la cohorte serrée et laborieuse des collaborateurs de la Carte géologique, habitués à s'enorgueillir d'un tel chef de file. Il s'étend aussi - le Corps des Mines me permettra de le dire - sur les laboratoires de géologie de nos universités : leurs directeurs, tous en rapport, souvent étroit, avec M. Pierre Termier, étaient tentés de réclamer pour l'un des leurs le magnifique professeur qui, par la parole et par la plume, a porté si loin, dans le domaine des sciences de la terre, le renom de la pensée française.

L'heure n'est point venue de reprendre tout entière l'oeuvre géologique de M. Pierre Termier; il est de ceux qui peuvent attendre, ayant, par des écrits largement tracés, ouvert de grands sillons. Un confrère, un ami, un admirateur se trouvera, dans les séances où nous entretenons le culte du souvenir, pour exprimer, comme il convient, la reconnaissance commune.

Ici, dans le désarroi de notre angoisse, en face de ces Alpes qu'il a tant aimées, la pensée sereine de M. Pierre Termier nous permet toutefois de saluer les principales étapes de sa carrière et les paysages sur lesquels son labeur a projeté de lumineuses clartés.

Tout jeune ingénieur, au sortir des grandes écoles, encore préoccupé surtout, comme il a écrit lui-même " de beaux vers, de belles intégrales et de belles escalades ", c'est avec le rude problème du granite et du métamorphisme que, près de Saint-Étienne, le néophyte s'est rencontré. Dans le Massif Central français, il abordait aussi les vieilles chaînes d'une Europe ancienne, démantelées déjà à l'aurore des temps secondaires. Il devait y revenir plus tard, mieux armé et après un long voyage.

C'est tout près d'ici, dans les Grandes Rousses, puis dans le robuste massif du Pelvoux, que des études minutieuses, fécondes en " belles escalades ", ont fait pénétrer Pierre Termier dans les Alpes. Il s'agissait encore de vieux massifs, que les exigences d'un esprit aux vues larges ne voulurent pas considérer seuls. Comment les situer dans l'édifice alpin? Pour le savoir, il faut aller plus à l'est, pénétrer dans le Briançonnais, où il rencontre ses grands amis, Emile Haug et Wilfrid Kilian, étudier la Vanoise. Dans ces zones internes se décèlent déjà de grands mouvements tangentiels ; là, s'entassent d'épaisses séries " compréhensives " ; là, le métamorphisme transforme les sédiments, mais par quel mécanisme ? toutes passionnantes " énigmes " qui, retournées bien des fois, engagent Pierre Termier sur les voies les plus difficiles et lui acquièrent bientôt une solide expérience des questions alpines. En même temps il commence à dessiner de grandes coupes, déjà marquées tout à la fois par une belle hardiesse et par une singulière harmonie.

Mais l'heure arrive où un grand mouvement prépare une conception d'ensemble pour toutes les Alpes. En Suisse, M. Maurice Lugeon décrit de grandes vagues entassées les unes sur les autres. Si l'on dépasse le Rhin, Pierre Termier nous fixera sur un spectacle plus grandiose encore. Dans l'axe des Alpes du Tyrol, la partie la plus belle, les Hautes Tauern, découpées en cimes hardies et où miroitent d'importants glaciers, correspond à un massif bien curieux. Pierre Termier part l'étudier. Les Hautes Tauern montrent une vaste " fenêtre ", et, pardessus, toutes les Alpes Orientales ont déferlé. La chaîne entière fut autrefois en route vers le Nord. Une grande synthèse - la synthèse des Alpes - s'édifie, à laquelle reste indissolublement attaché le nom de Pierre Termier.

Quelle émotion pour vous, Maître, lorsque, dans notre récent Centenaire, un représentant de l'Université d'Innsbrück vous apporta le parchemin armorié par lequel vous étiez déclaré Docteur honoris causa ! Vingt-cinq ans après vos beaux travaux, les Alpes Orientales venaient à Paris saluer le maître qui a élucidé leur structure. Je tiens de vous - hélas ! la dernière fois que vous me fîtes le bon accueil habituel dans votre bureau de la Carte - combien cette attention autrichienne vous avait touché !

Les Alpes, suivies par Pierre Termier depuis l'Apennin et la Corse jusqu'au Massif Central français et au Danube, puis les régions si complexes et encore si obscures de la périphérie occidentale de la Méditerranée, voilà bientôt matière à des hypothèses d'une échelle planétaire, à propos des grandes secousses du globe au cours de la plus récente des trois ères géologiques.

C'est le moment de revenir aux vieilles chaînes, cette fois-ci avec le fil conducteur des roches écrasées, des " mylonites " suivant un terme de Lapworth que Pierre Termier a adopté et très largement étendu. Le socle, aujourd'hui rigide et calme, de la vieille Europe montre lui aussi de grands charriages; mais ceux-ci sont d'âge primaire et les travaux initiaux de Saint-Étienne, repris par Pierre Termier, ouvrent à ses élèves des perspectives nouvelles.

Nous touchons alors, dans une ascension progressive et dans un champ qui s'élargit sans cesse, la période des beaux livres : A la gloire de la Terre, La joie de connaître, La vocation de savant, destinés aussi bien au grand public qu'à nous autres, les spécialistes. Quelle fierté pour nous, aussi bien les principaux que "les obscurs, les sans-grade", de lire et de relire cet hommage au travail de la pensée! La joie de la recherche, " la grande allégresse, celle d'avoir vécu dans l'enthousiasme, l'espoir, le rêve, un rêve infiniment désintéressé. Ce sont d'éternels amoureux ! " ajoute M. Pierre Termier, en parlant des hommes de science, " il ne faut jamais plaindre les amoureux. Je veux croire que, par delà la mort, leurs voeux seront comblés, réalisés leurs songes, apaisés leurs désirs et qu'ils seront à jamais rassasiés, ces amants de la Vérité, comme il est dit que doivent l'être, durant toute l'éternité, ceux qui ont eu faim et soif de justice. "

Toute l'activité scientifique et toute la vie intime de Pierre Termier sont inséparables l'une de l'autre: elles témoignent d'un très haut idéal pour correspondre à une oeuvre de foi.

Puis-je, à mon tour, évoquer notre dernière course commune ?

Le ciel se montrait presque trop beau, d'un azur plus profond encore que " l'azur triomphal du ciel briançonnais". Nous cheminions, assez haut, sur le granite axial des Pyrénées. Dans un cadre grandiose, Maître, très alerte, vous me précédiez. Durant un arrêt, la conversation glissa vers les confidences. Passa le souvenir, toujours douloureux, de Jean Boussac, l'émule fauché si jeune par la guerre et que ma génération ne cesse de regretter. Il fut question, aussi, Maître, d'autres de vos enfants, prématurément retirés de ce monde. " La rançon des nombreuses familles! " laissâtes-vous bien tristement tomber. Certes, dans ces deuils répétés, vous fûtes atteint au plus profond de vous-même. Mais toujours votre foi vous fit vous redresser. Ces morts vous étaient constamment présents. De l'au-delà, ils vous accompagnaient. A toute votre famille, si cruellement éprouvée, je sais que vous ne nous permettez d'apporter qu'une seule consolation : l'espérance.

Quant à nous, meurtris, nous allons, nous aussi, nous redresser. D'autres nous suivront que votre noble exemple et votre inspiration guideront, encore. Mais tous vos confrères de la Société géologique de France se résigneront mal à ne plus vous voir au milieu d'eux et à ne plus entendre votre voix. Et c'est le coeur navré qu'en leur nom je vous adresse, ici-bas, un très respectueux et dernier adieu.

III. - DISCOURS DE M. LANTENOIS,
Inspecteur général des Mines, Vice-Président du Conseil général des Mines,
Représentant M. le Ministre des Travaux Publics et le Conseil général des mines

Au nom de M. le Ministre des Travaux Publics, de Monsieur le Sous-Secrétaire d'Etat des Travaux Publics, du Conseil général des Mines et du Corps des Mines, j'apporte un suprême hommage à M. Pierre Termier, inspecteur général des mines, directeur du service de la Carte géologique de la France, professeur de géologie générale à l'École des Mines de Paris, membre de l'Institut. Il me sera permis d'y ajouter l'expression des profonds et douloureux regrets que me laisse le départ soudain et inattendu de celui dont je m'honore d'avoir été l'ami.

Un grand savant, un grand écrivain, un grand orateur, et, qui plus est, un très grand honnête homme vient de disparaître.

Des voix plus autorisées que la mienne ont dit la place éminente qu'a tenue Pierre Termier dans la science géologique. Je me bornerai ici à rappeler très simplement les étapes de sa belle carrière d'ingénieur, de professeur et d'administrateur et à essayer de dégager quelques-uns des traits caractéristiques de la physionomie de cet homme supérieur, dans le domaine moral aussi bien que dans le domaine intellectuel.

Né à Lyon le 3 juillet 1859, Pierre Termier entra à l'École polytechnique en 1878, avec le numéro dix et en sortit en 1880 avec le numéro un.

Dans sa période d'études mathématiques, avant et pendant le séjour à l'École polytechnique, il avait déjà cette soif de connaître, cet amour de la science qui n'a fait que croître avec le temps.

Dans son livre La vocation de savant il a dit la révélation que fut pour lui, entre seize et dix-sept ans, la rencontre de la beauté mathématique, qui est belle surtout, a-t-il écrit, parce qu'elle est nécessaire. La vocation de savant est la suite de deux autres volumes de Pierre Termier, A la gloire de la Terre et La joie de connaître, parus dans ces dernières années avec le modeste sous-titre, Souvenirs d'un géologue. Les plus hautes pensées philosophiques sont déposées dans ces livres magnifiques, véritable message à la jeunesse française et dont le style s'apparente à celui de nos meilleurs écrivains français.

Toute l'oeuvre littéraire de Pierre Termier est consacrée à l'exaltation de la science, à la glorification de la Terre. Vous y trouverez, à chaque ligne, les accents du lyrisme le plus élevé, de la réalité la plus saisissante, de la plus fine psychologie. Ces belles pages révèlent, si on se prend à les méditer, l'harmonie intime de l'homme, son attachement effréné à la vérité, à toutes les vérités, qui a fait de Pierre Termier un héros de vertu, de pensée et d'action, un vrai grand homme.

Mais n'anticipons pas et revenons à l'année 1880, à l'École des Mines de Paris. La passion de Pierre Termier pour la minéralogie et la géologie ne tarda pas à s'y manifester. Il a rappelé plus tard, dans une réunion de l'Amicale des élèves de cette École, les précieuses heures passées par lui dans la collection des minéraux.

" N'avez-vous pas goûté, disait-il, des joies qui sont " parmi les plus profondes et les plus pures de votre jeunesse, en ces après-midi de printemps où le soleil couchant, par-dessus les arbres du Luxembourg, inondait de clarté les salles blanches, incendiait les vitrines et semblait, pour quelques instants, prêter la vie à toutes ces formes magnifiques et inanimées. "

Du voyage d'études réglementaire de l'École, qu'il effectua en Allemagne, il rapporta un important travail sur les éruptions du Harz, paru aux Annales des Mines en 1884. Ce fut le numéro 1 de la liste de ses publications dont la longueur dit assez l'infatigable activité de ce chercheur jamais lassé.

A sa sortie de l'Ecole des Mines, il fut nommé ingénieur ordinaire à Nice, y séjourna deux années (1883-1885) et fut séduit aussitôt par la beauté de la grande chaîne de montagnes alpines dont l'étude géologique devait devenir son plus grand titre de gloire. Déjà aussi, il s'intéressait, comme géologue, à la Méditerranée qu'il traversa plus tard si souvent et dont il nous a dévoilé l'énigme géologique et nous a chanté le charme et la grandeur en termes inoubliables. Il a, comme vous le savez, beaucoup voyagé, en de nombreux pays, et notamment en Corse, en Algérie, en Tunisie et au Maroc. C'est dans son dernier voyage an Maroc qu'il a ressenti les premières atteintes de la maladie qui l'a emporté. Il est mort, peut-on dire, à la peine.

Son premier voyage en Corse, comme ingénieur, lui valut une lettre de félicitations du Ministre des Travaux Publics " pour les renseignements nombreux et fort intéressants recueillis sur le pays et les très bons conseils donnés aux exploitants et explorateurs. "

En 1885, une chaire se trouva vacante à l'École des Mines de Saint-Étienne. L'attrait de la recherche désintéressée, de la connaissance pure, l'y poussa aussitôt et sans doute, également, le désir d'instruire la jeunesse, de l'élever, de la former. Pierre Termier aimait la jeunesse par dessus tout. " La jeunesse, a-t-il écrit, qui la chantera comme elle est digne d'être chantée ? " Certain jour, avant la guerre, au cours d'une excursion géologique d'élèves dans le Plateau Central, à laquelle j'avais le plaisir d'assister, comme je le félicitais de l'influence heureuse qu'il avait, à tous points de vue, sur ses élèves, il me répondit : " Faut-il parler d'élèves ? On ne devrait avoir que des disciples ".

Pierre Termier fut professeur d'abord de physique et d'électricité, puis de minéralogie et de géologie à l'École des Mines de Saint-Étienne de 1885 à 1894. Il fit tout de suite une très forte impression sur son auditoire par la clarté de son exposition, la facilité et l'élégance de sa parole. Ce sont les termes mêmes des notes qui figurent à son dossier personnel du Ministère des Travaux Publics. En même temps sa vocation de savant s'affirmait et était reconnue de tous.

Dès 1886, il obtint d'être attaché au Service de la Carte géologique de la France et entreprit une série d'études, principalement dans le centre de la France et dans les Alpes.

A Saint-Étienne, il se lia avec Urbain Le Verrier. Dans les Alpes, se noua sa grande intimité avec Marcel Bertrand. Nous avons tous présentes à la mémoire les pages magnifiques qu'il a consacrées au souvenir de ces deux savants.

Se trouvant à Saint-Étienne dans un milieu minier et industriel, dont le puissant intérêt ne pouvait manquer de l'attirer, Pierre Termier ne négligea point de parfaire son instruction et son expérience d'ingénieur des mines qui était déjà excellente. Il a donné sa mesure comme ingénieur dans la catastrophe du Puits de la Manufacture du 6 décembre 1891 où sa belle conduite lui fit obtenir une lettre de félicitations du Ministre des Travaux Publics " pour le courage et le dévouement exceptionnels dont il a fait preuve en portant secours aux victimes ".

En 1891, Mallard, qui occupait la chaire de minéralogie à l'École des Mines de Paris, mourut subitement. La succession de ce grand savant fut donnée à Pierre Termier, qui professa ce cours durant dix-huit ans.

En 1895, Michel-Lévy, directeur du Service de la Carte géologique de la France, s'adjoignit Pierre Termier.

En 1909, Pierre Termier fut nommé membre de l'Académie des Sciences. En 1911, il succéda à Michel-Lévy comme directeur de la Carte géologique de la France. Il déploya, dans ces fonctions, des qualités incomparables d'administrateur.

En 1912, il commença à professer le cours de géologie générale de l'École des Mines de Paris. Ce qu'il fit de ce cours, ses élèves peuvent le dire. Il s'attacha à leur inculquer, d'une part, le goût de l'observation précise, du fait exact scrupuleusement enregistré et, d'autre part, la passion des idées générales, la recherche hardie des causes, l'audace de la synthèse toujours poussée plus avant, mais sous le contrôle incessant et rigoureux d'une critique attentive et d'une absolue bonne foi. Pierre Termier se piquait, en effet, d'être, non un géologue de cabinet, mais un géologue de terrain.

Il se plaisait à dire : " Le géologue est comme Antée. Il acquiert de nouvelles forces en touchant le sol. "

Pierre Termier professait son cours dans une langue pure et imagée qui faisait l'admiration des élèves.

Tous ceux qui ont eu le bonheur de suivre ce cours en ont gardé une impression inoubliable.

Cette séduction, Pierre Termier l'exerçait avec plus de force encore au cours des voyages géologiques de plusieurs jours, qu'il conduisait lui-même chaque année. Un véritable lien d'affection se créait à ce moment entre lui et ses élèves.

Ici, nous touchons au domaine moral. Pierre Termier n'a pas été seulement un très grand savant, un excellent ingénieur, un administrateur accompli, un littérateur prestigieux, il était avant tout, je le répète, un très grand honnête homme. Tout était haut chez lui, l'intelligence, le caractère et le coeur. Il était foncièrement bon, d'une bonté absolue, très éclairée, sans faiblesse. De toute sa personne se dégageait un charme pénétrant. J'oserai dire que sa présence était un bienfait pour qui vivait à coté de lui. Il s'est fait aimer de tous.

On peut lui appliquer, trait pour trait, les lignes mêmes qu'il a écrites sur Marcel Bertrand, dont il se disait, à juste titre, le fils spirituel.

" Son âme était merveilleusement belle. Elle avait l'essor de l'aigle et, quand elle était redescendue, la simplicité d'une âme d'enfant. Elle allait naturellement à la lumière, à toutes les grandes idées, à tous les sentiments nobles, à tout ce qui est tendresse et dévouement, à tout l'art et à toute la poésie. Elle était ineffablement désintéressée. "

Vous savez que Pierre Termier était doué d'une admirable éloquence. Dans ses nombreuses missions à l'étranger, il a été le porte-parole, non pas seulement de la science française, mais de la France même. Il nous honorait tous, il honorait son pays.

Je me souviens de nos rencontres aux Congrès géologiques de Toronto, de Bruxelles et de Madrid. Au banquet final du Congrès de Toronto, j'avais auprès de moi des Canadiens français qui étaient, pendant son discours, comme suspendus à ses lèvres. Les deux France se rejoignaient, d'esprit et de coeur. Quels beaux souvenirs!

Le Corps des Mines est très fier d'avoir compté Pierre Termier parmi ses membres. Et lui-même était heureux d'être des nôtres.

Aux discussions du Conseil général des Mines auxquelles il assistait régulièrement, tous les vendredis, en qualité d'inspecteur général des Mines, directeur du Service de la Carte géologique de France, il faut bien avouer qu'il ne prenait qu'un intérêt médiocre. Les questions purement administratives le laissaient froid. Mais qu'une question technique vint à se poser touchant à la géologie pure ou à la géologie appliquée et aussitôt, interpellé par le président, il éclairait le Conseil par une remarque simple et pleine de sens, dont l'importance était souvent décisive.

Pierre Termier était commandeur de la Légion d'Honneur. Il a été trois fois président de la Société française de minéralogie et trois fois président de la Société géologique de France. Il était vice-président de l'Académie des Sciences et devait en être président en 1931.

La vie privée de Pierre Termier commande, non seulement le respect, mais l'admiration. Ce fut, certes, une vie belle et lumineuse, mais traversée de nombreux deuils et de beaucoup de douleurs, profondément, durement senties, supportées avec la résignation la plus haute du parfait chrétien.

Pierre Termier se maria en 1883 à une femme admirable, une vraie sainte, qui mourut, après une très longue maladie. Digne compagne d'un tel homme !

Sept enfants naquirent de cette union, deux fils et cinq filles. Les deux fils, deux gendres et plusieurs petits-enfants sont morts ; que de tristesses autour de Pierre Termier, mais aussi quelle force d'âme, quelle dignité dans la souffrance !

Au cours du dernier été, il avait réuni à Varces, selon sa coutume, ses nombreux enfants et petits-enfants, et il faisait à ceux-ci de belles lectures de nos grands auteurs français. Pour lui, en effet, non seulement l'art et la morale ne s'opposent pas, mais c'est tout un. Il était pénétré jusqu'aux moelles de la grande sensibilité catholique. Admirable et réconfortant spectacle que celui de cette forte famille groupée autour de son Patriarche et recueillant pieusement sa parole. Il paraissait alors en excellente santé. Sa constitution robuste, affermie par les grandes courses qu'il n'a jamais cessé de faire dans la montagne, semblait défier les injures du temps. Hélas! ce n'était qu'une apparence. L'accident fatal et lamentable est survenu sous la forme d'une broncho-pneumonie à forme grave qui l'a emporté en quelques jours après qu'il eut reçu les suprêmes consolations de la religion.

Puissent ses enfants, ses petits-enfants et toute sa famille éprouver un adoucissement à leur inconsolable douleur, à la pensée que tous ceux qui ont connu Pierre Termier ou qui ont seulement lu ses écrits, partagent aujourd'hui leur tristesse et que son nom restera universellement admiré et vénéré par les géologues de tous les pays, longtemps après que nous tous, ici présents, aurons disparu.

Cher et grand ami, vous avez accompli votre tâche humaine de pèlerin de la Terre, de missionnaire de la bonne parole. Laissez-moi vous répéter le mot simple et profond par lequel vous aimiez de terminer les lettres que vous m'adressiez, jadis, en des pays lointains:

A Dieu.

IV. - DISCOURS DE M. LIÉNARD,
Inspecteur général des Mines,
Directeur de l'Ecole nationale supérieure des Mines de Paris,
représentant l'Ecole nationale supérieure des Mines de Paris.

Au nom de l'École nationale supérieure des Mines de Paris, atterrée par la nouvelle du coup si imprévu qui la met en deuil, je viens rendre un hommage suprême de reconnaissance et d'affection an Maître éminent qui fut professeur à l'École des Mines de Paris depuis 1894, l'inspecteur général des Mines Pierre Termier.

Pierre Termier fut d'abord nommé à la chaire de minéralogie laissée vacante par le décès de Mallard; malgré l'aridité de cette science, il sut y intéresser de nombreuses générations d'élèves. Mais Pierre Termier était avant tout géologue et c'est dans la chaire de géologie qu'il donna toute sa mesure.

Je n'entreprendrai pas de retracer la part considérable qu'il prit aux progrès de cette science depuis quelque quarante ans. Je laisse ce soin à d'autres voix plus qualifiées que la mienne. Je veux simplement être ici le témoin de l'influence extraordinaire et bienfaisante que ce maître exerça sur les élèves qui eurent l'avantage de suivre ses leçons. Il avait une parole chaude, pleine, convaincue, où l'élévation des pensées se traduisait par l'éloquence des termes et qui entraînait ses auditeurs dans les régions supérieures où son intelligence était habituellement fixée. Bien des vocations de géologues se sont développées sous son souffle et nous verrons son génie renaître dans des disciples qu'il aura formés.

L'action si profonde de Pierre Termier n'est pas due seulement à sa science et a l'intérêt puissant qu'il savait communiquer à fous les sujets qu'il traitait. Elle venait encore de sa grande bonté et du dévouement inlassable avec lequel il se donnait à ceux qui l'approchaient. Tous ces dons exceptionnels étaient l'épanouissement naturel de sa foi si vive et si complète qui fut le guide de toute sa vie et qui lui assure aujourd'hui la félicité parfaite.

Mon hommage serait bien incomplet si, à côté du savant et du chrétien, je n'évoquais le souvenir de l'homme éprouvé et si courageusement résigné au cours de ses épreuves. Il conservait la douceur de son regard et l'amabilité des rapports, mais combien ne devait-il pas souffrir de ces deuils si proches et si répétés ! Il n'en parlait pas. Une fois cependant sa plume a trahi son secret quand il nous dit que chaque jour il aspire à revoir ses fils dans cette " Patrie inimaginable où il n'y a plus que de la joie! "

Oui, toute la vie de Termier est d'un exemple admirable. Soyons-lui reconnaissants, nous qui l'avons connu et qui le pleurons, de nous avoir ainsi élevés au-dessus de nous-mêmes par les exemples qu'il nous a donnés. Quelles émotions n'avons-nous pas ressenties en écoutant ou en relisant telle de ses conférences où il nous transportait avec lui des sommets de la science dans les régions lumineuses de l'Au-delà !

Et ces émotions sont durables. J'en ai la preuve touchante dans ces témoignages que j'ai reçus d'anciens élèves qui se souviennent de ce qu'ils lui doivent et mesurent la perte de l'École des Mines d'après le bien qu'ils avaient reçu de lui.

Si nous tous qui l'avons connu à l'École des Mines, professeurs, élèves, disciples, éprouvons une si grande peine de la disparition de Pierre Termier, quel doit être pour vous, Mesdames, le vide qu'il vous laisse... et quelle immense douleur !

Je m'incline devant vous, avec le respect le plus profond, et si une consolation peut vous être apportée, veuillez la trouver dans l'admiration et l'affection que nous conservons tous pour un tel Maître.

V. - DISCOURS DU M. RAGUIN,
Ingénieur au Corps des Mines,
Représentant le Service de la Carte Géologique de la France.

Au nom du Service central de la Carte géologique et des collaborateurs de ce service, je voudrais évoquer la perte immense et la douleur que nous éprouvons dans ce deuil de notre directeur très aimé.

Il y a des tristesses qui ne peuvent se dire, ou dont l'expression ne peut être qu'imparfaite, mais cependant nous ne devons pas laisser s'achever ces funérailles sans rappeler un aspect essentiel de la merveilleuse activité scientifique et de l'influence si éclairée et si bienfaisante de notre Maître dans son rôle de directeur de la Carte.

Presque dès son arrivée à Saint-Étienne, comme professeur à l'Ecole des Mines, il fut nommé, en 1880, collaborateur adjoint du Service de la Carte géologique et entreprit aussitôt l'exploration des régions voisines. Ce fut d'abord vers les volcans, puis vers les plateaux de granite et de gneiss des vieux massifs qu'il dirigea ses recherches. Avec une soif ardente de comprendre, d'approfondir les problèmes dont il discernait mieux que quiconque la grandeur et le mystère, il s'orientait déjà vers l'étude des plus difficiles questions des schistes cristallins, domaine où il devait, quelques années plus tard, se manifester comme un initiateur de génie.

Déjà aussi, il faisait preuve de ce goût - j'allais dire de cette affection - du terrain, sans lequel on n'est pas vraiment un géologue. Par un contact intime avec le terrain, durant les longues journées du lever de la carte, par un soin sans cesse dirigé à l'observer, à le pénétrer, à en saisir les surprises, à se laisser guider même par les modalités souvent subtiles de sa structure, il en était devenu le familier, et ce pays de ses premières recherches, il nous a dit l'avoir beaucoup aimé.

Il estimait que l'analyse du tectonicien et la dissection du pétrographe n'amoindrissent jamais la beauté du monde, mais au contraire l'exaltent pour qui sait vraiment la voir.

Peu d'années après, les Alpes de Savoie devinrent son deuxième champ d'études principal, et je suis bien sûr que nulle part ici-bas il n'a éprouvé des joies d'artiste et de poète aussi puissantes et aussi radieuses que pendant ses courses dans la haute montagne. Jusqu'à son dernier jour les problèmes de la chaîne des Alpes furent ceux qui le passionnèrent le plus. Son plus grand titre de gloire scientifique reste d'en avoir présenté la synthèse après ses découvertes fondamentales dans le Tyrol.

Son premier mémoire alpin, sur le massif de la Vanoise, publié au Bulletin du Service, est un document magistral. Il fait époque, car il montre l'évidence du passage graduel d'une série sédimentaire à une série métamorphique, et c'était même la première preuve nette de la possibilité d'un tel passage.

Ceux qui ont été plus tard dans les Alpes s'initier à ses travaux ont été frappés de la précision des tracés qu'il a apportés; il a fallu qu'il passât partout. sans s'inquiéter de la fatigue, en des régions très dures, mettant au service de sa passion de connaître une énergie insurmontable. Rarement, jamais peut-être, des cartes géologiques en pays difficile n'auront été levées avec un tel souci de conscience professionnelle et d'exactitude scientifique. On entrevoit ce que l'étude géologique d'un pays comme l'Oisans, avec des difficultés d'alpinisme quelquefois accrues encore par les exigences d'une solution géologique, peut représenter de véritable courage et, je le crois vraiment, d'héroïsme.

Je n'énumérerai pas les publications et les cartes très nombreuses qu'il a apportées au Service. Pour certaines, il collabora avec divers géologues de l'Université. Par ces collaborations et les amitiés qu'il noua ainsi, surmontant s'il le fallait des divergences d'opinion scientifique, il nous laisse un exemple très important, car le géologue chargé d'un domaine déterminé aurait facilement tendance à s'y isoler jalousement, perdant de vue l'ensemble, au détriment de l'oeuvre à accomplir.

En 1895, l'année d'après son arrivée à l'Ecole des Mines de Paris, il fut adjoint à Auguste Michel-Lévy à la direction du Service de la Carte géologique.

Son activité de géologue de terrain n'en fut nullement diminuée et de nombreux travaux issus de ses tournées, tantôt pétrographiques, tantôt tectoniques, ou minéralogiques, ou ayant le caractère de synthèse régionale, vinrent enrichir les publications du service. Un des monuments les plus remarquables qu'il nous laisse est son lumineux mémoire sur les Montagnes entre Briançon et Vallouise

Le Briançonnais demeura sa prédilection, contrée de montagnes si claires, colorées et variées, tantôt douces et fleuries, tantôt dessinées avec hardiesse, sous un ciel presque toujours très beau. Comme il a su le chanter, ce pays briançonnais, et surtout dans ses courses d'élèves, en des accents qui s'envolaient au vent, dans le soleil, et qui plus encore sont gravés dans notre coeur, que conservés, hélas ! dans notre souvenir.

Il y a dix-neuf ans, le 1er novembre 1911, il était nommé à la succession de Michel-Lévy, directeur du service, situation bien digne d'un géologue d'un tel mérite et d'un maître aussi incontesté.

Comment parler de cette période essentielle de sa belle carrière, car elle nous semble présente encore, et nous avons difficulté et grand chagrin à l'envisager comme du passé, étant si proche et sans recul !

Il demeurait le savant actif, jamais lassé de la recherche ; il abordait lui-même des problèmes majeurs qui le captivaient toujours, sur les nappes internes des Alpes, sur les énigmes du Trias, la Corse, problèmes dont dépendait d'ailleurs l'interprétation de beaucoup de cartes de notre pays; et ceci sans parler de voyages nombreux à l'étranger, de travaux sortant du cadre de nos frontières. Car il restait, avant tout, le géologue, simple, infatigable, passionné, attaché au terrain dont l'analyse concrète, disait-il, est infiniment plus féconde que les spéculations pures.

Il le fut jusqu'à la fin et les géologues collaborateurs du service pouvaient aimer en la personne de leur directeur vraiment un des leurs. Les plus éminents d'entre eux, les professeurs, trouvaient auprès de lui un accueil très éclairé, une vue très large des grands intérêts et des progrès de la recherche. L'harmonie favorable à l'épanouissement de toute science régnait toujours, car Pierre Termier était si compréhensif, si élevé et en même temps si modeste, prêt volontiers à modifier une vue théorique si les faits constatés y tendaient, n'hésitant pas néanmoins à porter un jugement motivé dans d'autres cas.

Aux jeunes collaborateurs, combien il était précieux d'aller s'entretenir avec lui, toujours accueillant, recevant toutes les confidences, dirigeant les hésitants et leur inspirant une nouvelle ardeur. Par quelques phrases précises, il savait remettre de l'ordre et de la lucidité dans les idées quelque peu obscures qu'on venait lui exposer parfois. Beaucoup, plus ou moins consciemment, reçurent de lui la bienfaisante empreinte qu'un maître de génie peut donner à ses élèves.

Mais, je le crois aussi, pour beaucoup, elle ne fut pas seulement de l'ordre scientifique, cette empreinte, mais encore de l'ordre moral.

Ceux qui eurent le bonheur de le voir venir avec eux parcourir quelques jours leur terrain de travail n'oublieront jamais ces jours-là. Il se montrait vraiment l'ami très familier et très bon; il était un initiateur incomparable; l'on avait comme une révélation, voyant avec des yeux nouveaux un univers plus beau. Doué lui-même d'une vue très intuitive, on avait quelquefois auprès de lui le sentiment qu'il donnait de la lumière, non parla chaîne des raisonnements, mais par un mouvement tout direct de l'esprit.

Non, certes, ces favorisés qui le pleurent aujourd'hui (et ils sont nombreux) n'oublieront jamais ce bienfait, jusqu'au jour de leur accession aux splendeurs éternelles inimaginables dont il a parlé quelquefois, mais dont surtout on sentait toujours la présence dans sa pensée quand il nous évoquait, en quelle langue magnifique, les plus radieuses beautés d'ici-bas.

Non, Maître, nous n'oublierons jamais ce que vous nous avez donné.

VI. - DISCOURS DE M. DEMAY,
Ingénieur en chef des Mines, Professeur à l'Ecole nationale supérieure des Mines de Saint-Étienne.
AU NOM DES ANCIENS ELÈVES DU PROFESSEUR PIERRE TERMIER.

L'émotion me serre le coeur devant la dépouille terrestre de celui qui fut pour nous tous, ses élèves, pour moi particulièrement, un Maître incomparable et, avec la nuance de respect et d'admiration qui s'imposait de notre côté, un ami.

La science française, par la voix d'un de ses représentants les plus éminents, vient de rendre hommage au très grand savant que fut Pierre Termier, au savant illustre dans le monde entier, dont nous étions si fiers lorsque nous portions nos pas hors de France. Mais je suis sûr que l'hommage de reconnaissance et d'affection de ses anciens élèves et disciples doit aussi être cher au maître qui leur a tant donné de soi-même; d'abord son enseignement si vibrant, si richement évocateur du passé de la terre, que nous en sommes encore éblouis comme d'une leçon de la veille et que j'ai pu maintes fois en recueillir l'écho, à peine amorti après quarante ans, chez ses très anciens élèves de l'École des Mines de Saint-Étienne ; puis ses conseils dictés par une âme très liante, à qui le souci des paroles utiles ni même le désir d'éveiller la passion du vrai, ne laissaient oublier la vie morale des autres âmes; enfin son amour, flamme vive, dont bien des générations ont senti tour à tour la chaleur, amour presque impersonnel du Maître pour ceux qui se pressent autour de lui, miraculeusement rajeunis chaque année, amour de la jeunesse qui réserve tant de joie à ceux qui savent se donner.

Après les douces joies de la famille, malheureusement payées par la cruelle souffrance de deuils répétés, cette joie fut de celles que notre Maître goûta pleinement. Et je crois bien qu'au milieu des épreuves les plus dures, elle soutint le courage magnifique qu'il puisait dans sa profonde foi religieuse. C'est pour nous une consolation de penser qu'ayant tout reçu de lui, nous, ses élèves, avons pu, chacun pour notre petite part, lui donner cette joie et ce réconfort.

Avec quelques autres, j'ai eu la chance de recevoir plus encore : une aide scientifique prolongée au delà des années d'école et une amitié plus personnelle, plus intime. De ma mémoire remontent nos échanges d'idées sur les problèmes géologiques qui nous passionnaient, les conversations graves on enjouées tenues certains soirs de course, aux moments de repos, sur les sujets les plus divers, les échanges de lettres où la géologie, certes, n'était pas oubliée, mais où le coeur pourtant tenait la plus grande place. Dans ses lettres, d'une manière toute simple et naturelle, Pierre Termier était le grand écrivain que ses beaux livres ont fait connaître. La justesse et la force de l'expression, l'éclat d'un style sans emphase faisaient mon admiration ; mais j'accordais bien plus de prix a l'affection qui m'était témoignée de manière si délicate.

J'ai peine à croire que tout cela est maintenant du passé sans retour possible, que tous ces échanges ont été brusquement coupés.

Au nom des anciens élèves et disciples de Pierre Termier, j'adresse à tous les membres de sa famille mes condoléances respectueuses et profondes. Qu'ils veuillent bien être sûrs que nous sommes, dans ce deuil, très près d'eux et comme une véritable et vaste famille du Maître.

Au Maître qui nous a formés, qui nous a aimés, je dis au nom de tous notre reconnaissance, notre amour et notre adieu.

VII. - DISCOURS DE M. Maurice GIGNOUX,
Professeur de géologie à l'Université de Grenoble,
AU NOM DU LABORATOIRE DE GÉOLOGIE DE GRENOBLE.

Au milieu de ce concert de voix attristées qui viennent d'offrir a ce cercueil le suprême hommage, il en est une qui, de très loin, de très haut, par-dessus toutes, résonne encore dans ces montagnes, dans ce laboratoire de Grenoble, au nom duquel je parle ici. C'est celle de l'ami fidèle et sûr que Pierre Termier trouva en Wilfrid Kilian.

Ensemble les deux amis ont peiné, travaillé, appliquant aux mêmes problèmes leurs deux grandes intelligences si différentes. Leurs deux noms ont bien souvent été associés, sans qu'il fût souvent facile de démêler, dans l'oeuvre commune, la part qui revenait à chaque ouvrier ; ainsi que les bâtisseurs de cathédrales, ils travaillèrent à une science anonyme, la seule qui puisse survivre.

Comme des voix qui, tour à tour, s'écartent ou se rapprochent suivant les dessins du contrepoint qui réunit leur chant, ainsi celles de Kilian et de Termier ont parfois semblé chanter aux deux extrémités du clavier, l'une s'élevant jusqu'aux hauteurs d'une merveilleuse divination, l'autre, comme pour soutenir la première, redescendant prendre appui sur les bases fermes des détails concrets ; mais toujours une harmonie profonde les ramenait à l'unisson, car tous deux ils ne poursuivaient que la vérité, dans laquelle se résolvent toutes les dissonances.

Cette voix de son compagnon, Pierre Termier l'a entendue jusqu'à son dernier jour. Au début de ce mois, il m'écrivait encore : " Pas un jour ne se passe sans que j'évoque le souvenir de ce très cher et fidèle ami ". Et à nous aussi, aujourd'hui, il nous a semblé qu'elle venait se mêler à nos pleurs et à nos prières.

Voix d'outre-tombe, voix d'un mort parlant à un autre mort, et dont il me suffit de réveiller l'écho pour que vous l'entendiez, plus grave et plus auguste que nos voix de vivants d'un jour, accueillir Pierre Termier dans l'éternelle harmonie.

VIII. - DISCOURS DE M. Maurice LUGEON,
Professeur à l'Université de Lausanne.
AU NOM DES GEOLOGUES ETRANGERS.

Ce n'est pas un discours que je viens prononcer. Ce sont simplement quelques mots d'adieu à celui qui nous quitte. C'est un adieu que j'apporte au nom des géologues de mon pays et je puis me présenter au nom de tous les géologues, car aujourd'hui, tous ceux qui s'occupent de la science de la Terre sont attristés, ne peuvent comprendre ce départ. Puis je viens pleurer ma peine et celle des géologues alpins, plus douloureusement frappés. Car nous formons comme une grande famille. Notre tâche de chercheurs nous oblige souvent au travail en commun, non en laboratoire, non en chambre close, mais en pleine nature. Et là, sur le terrain, nous apprenons à nous connaître mieux que ne peuvent le faire des savants qui cultivent d'autres domaines.

Et c'est ainsi que se forme cette grande famille des géologues alpins ; nous sommes comme des frères, sachant ce qui se passe dans la famille d'un autre frère. Nous connaissons les enfants, les femmes et les joies, mais aussi les peines de ces amis. Et celui qui nous quitte a eu de grandes joies, mais combien a-t-il eu de peines! Et si nous l'aimions tant, ce n'était pas seulement pour son savoir, ce n'était pas parce qu'il faisait resplendir notre science aimée, mais encore parce que tous nous sentions en lui l'homme bon, le grand honnête homme, comme un de mes prédécesseurs vous l'a dit, le pacificateur, et l'homme qui avait tant souffert sans jamais se plaindre pour ne pas attrister l'entourage.

Je l'ai bien connu ; ce fut un de mes grands amis, un être que je chérissais et il ne me semble pas possible qu'il nous abandonne, qu'il parte, alors que sa tâche n'était pas finie. Quel vide !...

Sa tâche n'était pas finie. Dans son laineux discours prononcé le jour du Centenaire de la Société géologique de France, il y a quelques mois, il nous avait esquissé ce que devait devenir notre science, et sans doute l'aurait-il fait marcher encore vers les inconnues. Promettons-lui de poursuivre la route en pensant toujours à lui, en ayant le sentiment que nous lui aurions fait plaisir. Promettons-lui de faire fructifier ses pensées dernières. C'est le plus bel hommage que l'on puisse rendre à un homme de science que de pouvoir dire de lui, le jour où il nous quitte pour toujours, que son corps s'en va, mais que sa pensée demeure, nous pénètre et nous pénétrera toujours; et en plus, en se guidant sur ses ultimes pensées, la science peut, grâce à lui, projeter longtemps sa lumière vers l'avant et faire disparaître un peu des ténèbres de l'inconnu.

Pierre Termier a dicté des ordres Nous lui obéirons.

IX. - DISCOURS DE M. Pierre LORY,
SOUS-DIRECTEUR DU LABORATOIRE DE GEOLOGIE DE GRENOBLE,
AU NOM DES GEOLOGUES ALPINS.

Dans la perte immense que viennent de faire la famille de Pierre Termier, ses amis, ses collègues, ses élèves, la science et la France entière, un des groupes le plus directement touché, ce sont les géologues alpins, qui tous le regardaient comme le plus grand d'entre eux.

Les" Géologues Alpins ", entité qui n'est pas un organisme officiel, mais qui n'en possède pas moins une forte existence intellectuelle et morale dans le coeur de ceux qu'elle réunit - et ce coeur est douloureusement endeuillé.

Ils ont pensé que cette douleur et leur pieux hommage devaient être exprimés devant ce cercueil; ils ont voulu en confier le soin au plus ancien de ceux qui se trouvent présents à cette cérémonie. Voilà comment je prends ici la parole, quoique doublement écrasé par cet honneur qui me dépasse et par le chagrin où m'a plongé la mort de celui auquel, depuis que je l'ai connu, j'avais voué autant d'affectueux attachement que de respect et d'enthousiaste admiration.

D'autres voix, combien plus autorisées, ont dit le savant illustre, celui qui, par sa pensée géniale, la probité de son travail, la magie de sa plume et de son verbe, a porté si loin, si haut, le renom de la Géologie française.

La figure que je dois évoquer devant vous, c'est celle de Termier à la montagne et devant la montagne, tâche à laquelle ce m'est un chagrin de me sentir tellement inférieur.

Notre Maître était un alpiniste dans toute la valeur du terme. Aussi, profond est le deuil du Club alpin français, de sa section de l'Isère en particulier, qui tenaient à très grand honneur de le compter parmi leurs membres depuis un quart de siècle.

Il aimait la montagne pour elle-même, pour toute sa beauté et tout ce qu'elle donne à l'esprit et au corps de qui va vers elle sachant la comprendre. Jamais il n'a sous-estimé les qualités d'adresse, de courage, de sang-froid, de dévouement qu'exige et développe la haute montagne.

Ces qualités, lui-même les possédait; ceux-là le savent bien qui l'ont vu alerte, prompt, solide dans le rocher ou sur la neige. Sans jamais s'écarter de son but scientifique, il a atteint nombre de grandes cimes, comme le Pelvoux, les Agneaux, la Roche de Jabel, dont c'était la première ascension, la Grande Ruine, l'Etendard, la Grande Casse, l'Invergnan, le Grand Paradis.

Au goût de l'effort physique, il joignait l'acceptation totale de l'inconfort, qui, souvent, est le lot matériel du géologue alpin. Mais, en revanche, de quelles splendeurs jouit celui-ci, et combien plus qu'en plaine, - son oeil suivant jusqu'au loin le dessin des terrains et des plis, - lui est donnée concrète cette " joie de connaître " que notre-Maître a célébrée ! Joie qu'amplifiait encore son urne admirable de poète, d'artiste, de mystique chrétien.

Bien d'autres géologues, depuis Saussure, sont allés à la montagne, et certains ont su la goûter, la chanter même : pas un au même degré que Termier ; j'en appelle aux lecteurs de l'Alpe de Sarenne.

On peut dire que celui-là n'a pas entièrement connu notre Maître qui ne l'a pas accompagné dans les hautes altitudes, qui ne l'a pas vu s'y attaquer, infatigable, a quelque problème géologique, en découvrir la solution, la contrôler et, possesseur de cette nouvelle parcelle de vérité, redescendre vers le gîte, à " l'heure douce ", dans les ors pourprés du couchant, devisant familièrement, avec sa bonté qui se penchait vers tous, de tous les sujets intéressant ses compagnons, guides, collaborateurs, élèves, ses enfants aussi, puis ses petits-enfants, car bien souvent il a eu le plaisir de les emmener en montagne.

Et la conversation allait des sujets les plus simples aux questions les plus hautes, que sa parole illuminait ; mais avec soin il nous faisait remarquer que plus loin c'était toujours l'insondable opacité, le gouffre du mystère.

Pour les hauts massifs des Alpes françaises, de la Levanna au Briançonnais par la Vanoise, Belledonne, les Rousses et le Pelvoux, formidable, sans égal est le travail d'exploration géologique que Termier a mené à bien. Aussi Wilfrid Kilian correspondit-il au désir de tous en proposant qu'un beau pic du groupe du Galibier reçût le nom de " Roc Termier ".

Mais, en dehors des Alpes françaises, que de chaînes encore il avait étudiées, de l'Oural aux Rocheuses canadiennes, des Alpes Scandinaves au Grand Atlas!

On a dit ses travaux magnifiques sur la Corse, l'Ile d'Elbe, les Alpes orientales surtout. Partout son génie avait projeté, sur la structure des monts, des clartés nouvelles.

Il était le flambeau qui, devant nous, éclairait " la voie montante ", la lumière qui, tenue par un tel guide, donnait à tous, en dépit de toutes les peines, de toutes les déceptions, courage, espoir, confiance.

Hélas ! la lumière s'est éteinte. Non point lentement voilée par le brouillard de l'âge, mais hier encore si vive et si pure que, tous, nous avons peine à ne pas espérer voir notre guide reparaître, quelque nouvel obstacle surmonté.

Mais non; ce qui nous le cache désormais, c'est la barrière fatale à laquelle aboutit tout parcours humain, la frontière entre le temps et l'éternité.

Oui, notre Maître l'a franchie, mais - toute sa vie nous en donne la pleine confiance - c'est par la porte du royaume des cieux, promise aux plus grands comme aux plus humbles des hommes de bonne volonté. Par delà cette frontière du monde périssable, où lentement les montagnes s'érodent, il voit les cimes immatérielles, toujours jeunes, qui nimbent la clarté divine.

Ce ferme espoir en son bonheur suprême, et que de là-haut il continue à veiller sur ceux qu'il aimait tant et auxquels il laisse son exemple, c'est dans ce deuil la vraie consolation, la seule digne d'être offerte à cette famille en pleurs, qui sait bien à quel degré les géologues alpins partagent sa souffrance.

X. - DISCOURS DE M. Maurice GARIEL,
AU NOM DU GENERAL DE CASTELNAU.

Des savants, ses pairs ou ses disciples, ont exposé l'oeuvre du géologue et parlé de l'homme ; je voudrais m'acquitter de dire plus spécialement ce que fut le croyant.

Humble chrétien, mystique, tendre et doux, tout brûlant en même temps d'une incroyable charité, tel grandit, tel vécut, tel mourut Pierre Termier, paroissien de Saint-Jean-Baptiste de la Salle à Paris, paroissien de son cher village de Varces, tertiaire de Saint François d'Assise [ membre du troisième ordre catholique, vivant dans le monde tout en respectant les règles et l'esprit religieux].

Le Général de Castelnau aurait voulu apporter lui-même l'hommage de l'Action catholique de France à celui dont toute la vie fut celle d'un apôtre. Il nous en a chargés, nous qui, mêlés à l'Action catholique de Dauphiné, sommes les compatriotes d'adoption de Pierre Termier, et qui avons pu sentir si souvent passer sur nous dans l'intimité de la campagne dauphinoise son triple rayonnement - merveilleuse synthèse - de science, d'art et de foi.

Le dernier jour où je l'ai vu - le 28 septembre dernier - c'était, comme chaque dimanche, à cette église de Varces, perchée " sur le bras tendu d'un contrefort de la montagne ". Il en gravissait la rude montée, sans effort, sans fatigue, mais comme absorbé en ses pensées. Puis, au sortir de la messe, près de la grande croix qu'abritent les tilleuls, il s'avançait la main tendue, heureux, affable et bon.

Ce que nous voyions le dimanche, nous aurions pu le contempler chaque matin, car, chaque matin, il montait à la première messe et y communiait. Mais, en sortant, nous ne l'aurions pas vu redescendre : il montait encore, il montait tous les jours jusqu'au petit cimetière où nous conduirons tout à l'heure sa dépouille mortelle et là, tous les jours, sur le tombeau des siens, il priait pour les morts.

C'est que Pierre Termier, s'il fut un homme de science, si, géologue, nous l'admirons à la fois comme " le prophète du passé " et son poète, constamment, et dans tout ce qu'il faisait, il fut avant tout un homme de prière. Tous ceux qui l'ont connu de près le savent ; il savait en présence de Dieu, chantant dans sa vision intérieure la gloire de " sa soeur la Terre " qu'il voulait " révérer (ce sont ses expressions) - comme l'une des plus nobles filles de Dieu ", chantant " la Création splendide ", la " joie de voir ", la " joie de connaître ", la " joie de comprendre ", chantant l'hymne d'adoration des vivants tel que, disait-il, " le bruit même des sphères roulant dans l'infini ne saurait plaire autant au Créateur ". Et lui, si penché sur la terre matérielle, vivait ainsi, par les sommets de son être, dans ce monde invisible dont il disait encore qu'il est le plus réel et la vraie patrie de nos âmes.

En revenant l'autre jour de Marseille, presque mourant, dans ce voyage qui devait être le dernier, il faisait admirer encore à ceux qui l'entouraient les paysages de Provence.

Ceux qui l'entouraient étaient de ceux qu'il aimait. Car s'il chanta la joie de connaître, il connut la joie d'aimer. Il aima les siens, les très proches et les plus lointains. Il aima ses élèves, il aima beaucoup d'âmes qu'avec sa tendre et brûlante ardeur il désirait amener à la science, à la beauté et au suprême amour. Plusieurs diront qu'ils trouvèrent en lui le chemin de la conversion.

Il aima ; il souffrit donc lorsque la mort vint frapper autour de lui dans son foyer fécond, lorsque la guerre désola l'humanité et frappa son gendre à Verdun. Il pleura chaque jour sur ses fils, sur " le passé bienheureux où l'on ignorait la douleur ", mais il pleura comme un chrétien qui ne s'est jamais détourné de l'espérance et, " pareil à Simon de Cyrène ", il vit dans ses épreuves le moyen providentiel par lequel le Christ lui demandait de l'aider à porter sa croix.

Chaque année, pour retremper son courage, il montait, pèlerin, vers la montagne sainte de la Salette, prier la Vierge dont, depuis bien longtemps déjà, il récitait l'office chaque jour.

La Sainte Vierge, Saint François d'Assise, Sainte Thérèse d'Avila et Sainte Thérèse de Lisieux étaient les amis familiers de cet homme dont l'ambition suprême était de devenir l'ami de Dieu.

Dans cette recherche, dans cette compagnie, parmi ses méditations sur la formation des mondes, sur l'évolution de la terre au milieu du déroulement des siècles, il se sentait déjà, - humble et se sachant cependant supérieur aux mondes éphémères, - " citoyen de l'infini ".

Doucement et sans angoisse, il a donc franchi le grand portail des morts et il s'est avancé " vers la Patrie inimaginable où il n'y aura plus que de la joie ".

Saluons le savant, pleurons l'homme et prions pour le chrétien qui, charitable à tous, sut si magnifiquement allier La science, l'art et la foi.