Joseph Louis François BERTRAND (1822-1900)

Fils de Alexandre Jacques François BERTRAND (1795-1831 ; X 1814 ; médecin et journaliste) et de Marie Caroline BELIN. Petit-fils de Louis Alexandre BERTRAND, négociant, et de Françoise GOUPIL. Frère de Alexandre BERTRAND (1820-1902 ; archéologue, normalien, membre de l'Académie des inscriptions et belles lettres). Virginie, soeur de Alexandre Jacques François BERTRAND, avait épousé le mathématicien Jean Marie Constant DUHAMEL (1797-1872 ; X 1814), directeur des études de Polytechnique de 1848 à 1851 puis professeur d'analyse, membre de l'Académie des sciences en 1840, qui fonda une Ecole préparatoire à Polytechnique, lié à Isaac Pereire et très fortuné à la fin de sa vie.
Epoux de Louis Céline ACLOCQUE. Le frère de Louise Céline ACLOCQUE, Marcel ACLOQUE (1820- ; X 1839, corps des ponts et chaussées, ing. en chef de la Cie des chemins de fer Paris-Lyon) était un camarade de promotion de Joseph BERTRAND.
Père de Marcel Alexandre BERTRAND (X 1847-1907 ; X 1867 corps des mines), de Joseph Désiré BERTRAND (1853-1929 ; X 1873) et de Léon Gratien BERTRAND (1858-1951 ; X 1878). Beau-frère du grand mathématicien Charles HERMITE (1822-1901 ; X 1842), qui avait épousé Louise BERTRAND en 1848. HERMITE et BERTRAND entreront la même année (1856) à l'Académie des sciences, mais se brouilleront par la suite.
Religion catholique.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1839 ; entré major, sorti classé 6 sur 87 élèves en 1841) et de l'Ecole des Mines de Paris (entré classé 4 en 1841, sorti en 1845). Corps des mines (Congé illimité le 1/6/1846).


Le Génie Civil, 20e année t. 26 :

Académie des Sciences. Séance du 9 avril 1900.

L'Académie des Sciences vient de faire une perte considérable en la personne de l'un de ses Secrétaires perpétuels, M. Joseph BERTRAND, décédé à Paris le 3 avril 1900, à l'âge de 77 ans.

M. Joseph Bertrand était né à Paris, le 11 mars 1822. Enfant prodige, il satisfit, à l'âge de 11 ans, à toutes les épreuves d'entrée à l'École Polytechnique, d'où son père lui-même était sorti. Il y entra, à 17 ans, le premier de sa promotion; il en sortit également le premier [information contredite par le Registre Matricule de l'Ecole polytechnique : il serait sorti classé 6ème sur 87 élèves et serait entré 4ème sur 4 élèves à l'Ecole des Mines, ce que confirme le Registre Matricule de l'Ecole des Mines] et entra à l'École des Mines. Ingénieur au corps des Mines, il devint, en même temps, professeur de mathématiques au Lycée Saint-Louis, examinateur, puis professeur à l'Ecole Polytechnique et professeur à l'École Normale.

En 1842, il faillit périr dans l'accident célèbre du chemin de fer de Versailles; il eut le nez broyé et en porta les traces toute sa vie. [Cet accident eut lieu le 8 mai 1842 et tua l'amiral Dumont d'Urville].

En 1856, il succéda à Sturm à l'Académie des Sciences; et, en 1874, à la mort d'Elie de Beaumont, il fut élu secrétaire perpétuel dans la classe des sciences mathématiques. La même année, il remplaça, à l'Académie française, l'illustre J.-B. Dumas.

En 1862, il fut nommé titulaire de la chaire de physique et mathématique du Collège de France: c'est cette chaire qu'il conserva le plus longtemps. Il y a trois ans, il y faisait encore des leçons magistrales, et il avait tenu à conserver son titre de professeur au Collège de France.

M. Joseph Bertrand était grand-officier de la Légion d'honneur.

Ses obsèques ont eu lieu le 6 avril.

Des discours ont été prononcés sur sa tombe par MM. Jules LEMAITRE, directeur de l'Académie française; Maurice LEVY, président de l'Académie des Sciences; BERTHELOT, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences; Gaston DARBOUX, membre de l'Institut, au nom de la Société de secours des Amis des sciences; A. CORNU, membre de l'Institut, au nom de l'École Polytechnique; DUCLAUX, membre de l'Institut, directeur de l'Institut Pasteur; Gaston PARIS, membre de l'Institut, administrateur du Collège de France, et Georges PERROT, membre de l'Institut, directeur de l'Ecole Normale supérieure.


Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME I, pages 412 et suiv.

En 1856, les sièges de Sturm et Binet à l'Académie des Sciences furent attribués à MM. Joseph BERTRAND et Charles HERMITE. Tous deux nés en 1822, destinés à être unis un jour par des liens particulièrement intimes (Hermite a épousé Louise Bertrand, la soeur de Joseph Bertrand, et l'une de leurs deux filles épousa Emile Picard), ils n'avaient attendu ni l'un ni l'autre leur sortie de l'Ecole Polytechnique pour se signaler à l'attention des géomètres.

Même la première publication de M. Bertrand a vu le jour avant que l'âge de l'auteur eût permis de lui ouvrir les portes d'une Ecole où l'on savait depuis longtemps que sa place était marquée. C'était une Thèse sur la théorie mathématique de l'électricité. Elle lui valut le grade de docteur, et c'est avec ce titre que M. Bertrand fut admis en tête de la promotion de 1839 ; fait absolument unique dans les Annales polytechniciennes, et que, pour cette cause, il convenait de rappeler ici. En 1843, M. Bertrand publia deux mémoires sur la théorie des Surfaces isothermes orthogonales, où se manifestait, pour la première fois, l'emploi géométrique des infiniments petits dans la théorie des surfaces. Si depuis longtemps cet emploi était consacré pour les courbes, son application aux surfaces offrati de très grandes difficultés ; l'auteur était le premier à les avoir surmontées. L'une des particularités de cette étude consistait dans une démonstration géométrique simple de propriétés à la connaissance desquelles Lamé avait été conduit par l'Analyse.

Divers mémoires sur la théorie générale ainsi que sur la Courbure des surfaces ; des démonstrations, obtenues par la géométrie, de propositions analytiquement établies par Puiseux et Gauss ; une étude, riche en théorèmes devenus classiques, sur les Normales principales des courbes à double courbure ; une autre sur les Tautochrones ; une Note établissant, par une voir remarquablement facile, la proposition de Cauchy, relative aux Polyèdres réguliers d'espèce supérieure indiqués par Poinsot ; un travail de 1852, renfermant des théorèmes qui concernent les Surfaces applicables l'une sur l'autre ; enfin une Note de 1858, sur la Surface des ondes ; tels sont les traits principaux de l'oeuvre à proprement parler géométrique de M. Bertrand. L'ensemble de cette oeuvre s'inspire de Poinsot comme de Dupin, et tend à substituer, le plus souvent possible, des considérations très simples de géométrie à l'emploi exclusif des méthodes analytiques (Chasles, Rapport sur les progrès de la Géométrie).

C'est, du reste, principalement à l'occasion de ses recherches d'Analyse pure, de Mécanique rationnelle et de Physique mathématique, que M. Bertrand s'est trouvé conduit aux questions géométriques qui viennent d'être énumérées. Attaché depuis cinquante ans à l'enseignement de l'Ecole Polytechnique, d'abord comme répétiteur, puis comme examinateur d'admission, enfin, à partir de 1856, comme professeur d'Analyse ; chargé depuis 1847, au Collège de France, du cours de Physique mathématique en premier lieu comme suppléant, après 1862 comme successeur de Biot, il a trouvé dans son enseignement mainte occasion de contribuer au progrès de l'Analyse, notamment dans son mémoire de 1852, d'une originalité remarquée, Sur les intégrales communes à divers problèmes de Mécanique.

Comme fruits de ce professorat d'un demi-siècle, outre de brillants élèves qui ont puisé dans les leçons de M. Bertrand le germe de beaux travaux, on doit citer : le Traité de Calcul différentiel et intgral, malheureusement privé de son couronnement, le troisième volume, dont le manuscrit a disparu lors des incendies allumés par la Commune en 1871 ; les leçons sur le Calcul des probabilités, celles relatives à la Théorie mathématique de l'électricité, où la doctrine du potentiel a été singulièrement allégée et éclaircie, en même temps que l'auteur y introduisait, sur les applications de l'homogénéité aux formules de la Mécanique, des considérations fondamentales, auxquelles se rattachent ses études sur la similitude ; des leçons sur la capillarité, où M. Bertrand a simplifié la méthode de Gauss ; enfin, un cours de Thermodynamique, où les théories de la chaleur sont passées au crible d'une critique serrée, avec exposition de résultats nouveaux, obtenus par la théorie et confirmés par l'expérience.

Un travail de M. Bertrand mérite une mention spéciale pour les heureuses conséquences qu'il a entraînées, en provoquant à son tour des travaux de premier ordre : c'est une démonstration, aussi simple que courte, d'une importante proposition de Cauchy sur le nombre de valeurs que prend une fonction d'un nombre quelconque de lettres, par les permutations qu'on opère entre ces lettres. Pour l'établir, M. Bertrand avait dû formuler ce postulatum (d'ailleurs vérifié aussi loin que s'étendaient les tables), qu'entre un nombre et son double il se trouve toujours un nombre premier. Le postulatum ayant attiré l'attention de M. Tchébichef, l'illustre associé étranger de l'Académie s'est appliqué avec succès à en donner la démonstration ; et, de son côté, Serret a réussi à s'en affranchir par l'emploi d'une autre méthode.

M. Bertrand fut nommé en 1874 au poste de secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, devenu vacant par le décès d'Elie de Beaumont. M. Bouquet fut élu en cette occasion pour occuper son fauteuil.


Joseph BERTRAND était le fils de Alexandre Jacques François BERTRAND (X 1814 ; 1795-1831). D'après Larousse, celui-ci, démissionnaire après la Restauration, commence l'étude de la médecine. Reçu docteur avec une thèse "Sur la manière dont nous recevons par la vue la connaissance des corps". Il s'intéresse au magnétisme animal, et donne des cours sur ce sujet à l'Athénée. Des attaques d'hémoptysie l'obligent à interrompre ces leçons et il écrit un "Traité du somnambulisme" (1823). Pour subvenir aux besoins de sa famille, il publie des "Lettres sur les révolutions du globe" (Paris, 1824) qui contribuent à développer en France les études géologiques, puis des "Lettres sur la physique" (Paris, 1825). Co-fondateur du journal "Le Globe", il est le premier journaliste à publier un compte-rendu régulier des séances des académies et proteste contre la peine de mort appliquée aux fous. Afin d'éclairer la commission de l'Académie de médecine, chargée des questions relatives au magnétisme, il fait paraître : "Du magnétisme animal suivi de considérations sur l'extase" (1826). Il prépare un ouvrage en huit volumes sur l'"Extase", prêt pour l'impression, avant de mourir.

Joseph BERTRAND poussa fortement ses enfants dans leurs études ; trois de ses fils entrèrent à Polytechnique : Marcel, qui entra au corps des mines et que son père poussa à devenir un grand professeur, Joseph Désiré (1853-1929) et Léon Gratien (1858-1951).


Médaille commémorative en l'honneur de Joseph BERTRAND par J.C. Chaplain (1894)
(C) Photo Collections Ecole polytechnique
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Bulletin de la SABIX, numéro 40, octobre 2006