Changement de directeur à l'Ecole des Mines de Paris (octobre 1984)

A la mi-1984, Pierre LAFFITTE, qui est sénateur suppléant des Alpes Maritimes, apprend que le décès du sénateur en titre est proche, et se rend compte qu'il devra choisir entre le poste de directeur de l'Ecole des Mines de Paris et celui de sénateur. Il choisit ce dernier, et passe le relais de la direction de l'Ecole à l'un de ses adjoints, Jacques LEVY, qui était le directeur adjoint chargé de la recherche.

MINES Revue des Ingénieurs, janvier 1985

M. Pierre LAFFITTE, déchargé à sa demande des fonctions de directeur, a été nommé le 2 octobre 1984: président du Conseil de perfectionnement de l'Ecole nationale supérieure des mines de Paris, en remplacement de M. Paul GARDENT, conseiller d'Etat, ancien ingénieur général des Mines, ancien directeur général des Charbonnages de France (68-80).

Agé de 59 ans, ancien élève de l'Ecole polytechnique (1944), ingénieur général des Mines, M. Pierre LAFFITTE fut notamment directeur général adjoint du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) de 1959 à 1962, avant d'être sous-directeur (1963), puis directeur de l'Ecole nationale supérieure des mines de Paris (1973-1984). Président de la Conférence des Grandes Ecoles depuis 1979 (après en avoir été secrétaire général de 1968 à 1979, il est président fondateur de Sophia-Antipolis et président de l'AFAST (Association franco-allemande pour la science et la technologie). M. LAFFITTE a été en outre président du Comité de la recherche du VIIIe Plan.

M. Jacques LÉVY, ingénieur général des Mines, a été nommé directeur de l'Ecole nationale supérieure des mines de Paris, à compter de la même date.

Né en janvier 1937, ancien élève de l'Ecole polytechnique (1956), docteur d'Etat en Science physique (1968), ingénieur général des Mines, M. Jacques LEVY fut ingénieur des Mines à l'Arrondissement minéralogique d'Oran, en Algérie (1961-1962), puis successivement professeur de métallurgie (1962), et directeur du département métallurgie (1973) à l'Ecole nationale supérieure des mines de Saint-Etienne. Nommé en 1976, directeur des recherches à l'Ecole nationale supérieure des mines de Paris, il s'était vu confier parallèlement les mêmes fonctions en 1980 à l'Ecole nationale supérieure des mines de Saint-Etienne. M. Jacques LÉVY est par ailleurs expert en matériaux pour un certain nombre d'organismes, notamment pour le National Bureau Standart (NBS américain).

A l'occasion de leur entrée dans leurs nouvelles fonctions, une réunion amicale fut organisée le mercredi 24 octobre à l'Ecole.

Les discours suivants y furent prononcés.

DISCOURS DE M. PIERRE LAFFITTE

J'ai pris mes fonctions à l'Ecole des mines il y a plus de quelque vingt et un ans. Dans l'assistance, quelques vétérans se souviennent de cette période où l'Ecole des mines bénéficiait certes d'un brillant passé, mais de peu de moyens. Elle n'avait pas pris part au puissant mouvement de développement schématisé par la création de l'Institut français du pétrole, du Commissariat à l'énergie atomique, du BRGM, le formidable accroissement de la recherche publique de l'après-guerre en France dont le CNRS et les Universités avaient largement bénéficié.

Comme la plupart des Grandes Ecoles, nous avions peu d'argent public. Toutefois, quelques ressources annexes, provenant du mécénat industriel, grâce à la Fondation que Raymond FISCHESSER avait fait créer 15 ans auparavant. Créer un MIT français paraissait utopique.

En fin 1962, étant encore au BRGM, j'avais pu faire insérer, avec la complicité d'un géologue de la DGRST, une rubrique nouvelle «ECOLE DES MINES», dans l'enveloppe recherche, secteur Sciences de la Terre. Une rubrique ECOLE DES MINES, à côté des rubriques CEA, CNRS, BRGM... Certes, il s'agissait de sommes modiques comparées à ces organismes puissants, mais de sommes nettement plus grandes que ce que l'Ecole était habituée à manier: 1,6 MF au titre des Sciences de la Terre disponible au budget 64, en queue de IVe Plan. La rubrique était créée. Dotée à nouveau en 1965, avec les années fastes de la recherche, la progression s'est poursuivie.

Nous tenions le nerf de la guerre.

Vingt et un ans après, pour le budget 1985, très peu de Grandes Ecoles émargent directement au budget recherche et beaucoup envient notre rubrique. Car pour 1984, elle représente 66 MF pour la seule EMP. En 1985, l'Ecole des mines de Paris et les trois Ecoles des mines (qui ont été inscrites dans notre sillage) 125 millions sont inscrits à l'enveloppe recherche. Il nous appartient d'aider d'autres ministères à suivre les traces du nôtre...

Laissant de côté la Fondation que R. FISCHESSER et le secrétaire général BOURDON désiraient réserver à des actions d'enseignement, nous avons bâti Armines, Association déclarée en janvier 1967, avec un administrateur civil, NEHLIL, et recruté notre ami OSSARD. Nous suivions l'exemple de SupAero qui disposait d'une Association pour l'Etude des Problèmes Avancés, Association qui a géré nos premiers contrats.



(C) Photo MINES ParisTech

Jean OSSARD (ci-dessus) était affecté à la direction des recherches de l'Ecole des mines jusqu'en 1968. Pierre LAFFITTE lui demande alors d'être le premier directeur d'ARMINES, un outil essentiel pour gérer la recherche partenariale de l'Ecole des mines de Paris, puis de l'ensemble des 6 Ecoles des mines. Ossard décède en 1995 d'un cancer, et son adjoint Michel VERGNAUD, qui devait lui succéder, décède lui-même dans un accident de moto. Dans ces circonstances difficiles, Benoît LEGAIT est appelé en 1995 à assurer l'intérim dans les fonctions de directeur d'ARMINES, avant de devenir lui-même directeur de la recherche de l'Ecole des mines de Paris, puis en 2001 directeur de l'Ecole.
En 1996, Pascal IRIS (ing. civil des Mines, Nancy, 1972) prend la direction d'Armines.
J. OSSARD avait également créé TRANSVALOR SA pour valoriser les brevets des Ecoles des mines, en 1984. Cette filiale d'Armines sera réorientée au début des années 2000 vers la maturation et le développement industriel et commercial de logiciels scientifiques selon deux approches : développement de projets en interne, avec maturation initiale puis création de business units dédiées au sein de l’entreprise ; participation au capital et à l’administration de spin-off. En 2010, avec près de cinquante salariés pour un chiffre d’affaires de 5,2 millions d’euros, Transvalor gère plusieurs opérations à différents niveaux de maturité, et des participations dans trois spin-off.



Dix-sept ans plus tard, en 1984, Armines gère plus de 1 000 contrats et son chiffre d'affaires supérieur à 100 millions de Francs place Armines dans un rang honorable parmi les vendeurs européens de matière grise... Doté d'un Commissaire du Gouvernement, Armines a désormais pignon sur rue, est connue dans l'industrie comme un partenaire commode, rapide, efficace et sûr. Et nous avons déjà des filiales d'Armines en Australie et aux Etats-Unis.

Bien vite, après avoir récupéré des caves et des demi-étages, nous avons abandonné la stratégie dite des sourds-muets, visant à construire une annexe à mi-chemin entre le 60, bd Saint-Michel et la Maison des Mines, stratégie simple et logique, mais qui se heurtait à des oppositions tenaces et inexpugnables.

Le projet alternatif d'un grand parc scientifique sur Palaiseau, combattu par la puissante DATAR et par le Budget conjugués n'a pas vu le jour. L'action officielle ne marchant pas, nous avons manoeuvré, avec J.M. FOURT, puis avec M. BLANCARD de façon moins officielle - la Vallée-aux-Loups à Chatenay-Malabry, des locaux parisiens de la SNECMA, des locaux militaires sur les bords de l'Yvette à Palaiseau, enfin une implantation pour une location symbolique à Corbeil qui ne s'appelait pas encore Evry. Enfin avec TINCELIN et FINE, une location à la ville de Fontainebleau ... Toutes choses qui étaient en marge et ne pouvaient s'officialiser ... Seul un accord de la DATAR arraché en fin 1968, contre l'engagement de développement d'une cité scientifique internationale dans le Sud-Est de la France, nous a permis de sortir de l'ombre. D'où la puissance de Sophia-Antipolis dont l'Ecole des mines est la mère et la reconnaissance officielle de Fontainebleau et Evry.

Argent - Souplesse - Mètres carrés. Il ne s'agit-là que de moyens permettant d'attirer nombre d'hommes de qualité.

Devenir un pôle de savoir et de savoir-faire comparable aux pôles d'excellence des Etats-Unis ou d'Europe Occidentale, implique à la fois la souplesse de fonctionnement, l'ouverture sur le monde, l'imagination, bref, tout un état d'esprit. Ceci se construit, se met en place, se protège à l'intérieur jusqu'à ce que cela s'impose comme nécessaire à chacun. Alors un tel état d'esprit peut s'entretenir et se développer de soi-même. Il est clair que depuis de longues années, c'est le cas à l'intérieur de l'Ecole.

Mais il y a l'extérieur. La seule Grande Ecole à s'engager résolument dans une politique de recherche; seule Ecole à contracter massivement avec l'industrie et les services, seule à disposer d'unités décentralisées; seule à payer du personnel sur une Association... Etre différent est dangereux. Cela irrite. Cela inquiète.

Les administrations innovantes - DATAR, DGRST - nous appuyaient.

La tutelle nous soutenait en s'inquiétant un peu.

Les administrations de contrôle renâclaient. Et certains ministres de tutelle s'en sont émus.

Nous avons été soumis à de multiples audits - Commission dite DEJOU - Commission dite BISSONNET. Les conclusions, loin de casser la dynamique de l'Ecole, ont abouti à nous conforter avant de nouvelles attaques.

Je me souviens du temps, où à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Ecole, on m'accusait et on accusait l'Ecole de privilégier le développement des Centres. « L'Ecole des mines a pour mission de former des ingénieurs; il ne faut pas suivre le mauvais exemple des Universités qui ne pensent qu'à la recherche»... Cela se disait encore il y a moins de dix ans. Aujourd'hui, presque tout le monde admet qu'il est indispensable de lier enseignement et recherche, et l'Ecole des mines, loin d'être critiquée, est citée en exemple.

Je me souviens des remarques concernant le caractère peu traditionnel de nos introductions de compte rendu d'activité, peu orthodoxes, irritants, donc frappants.

Je me souviens du temps où Sophia-Antipolis était considérée avec quelque ironie. Aujourd'hui, cette technopole constitue l'un des fleurons que l'on porte à l'actif de notre Ecole, et que l'on cite en exemple en France et hors de France, et qui contribue dans les sphères industrielles et politiques, à la bonne image de l'Ecole. J'en reçois souvent confirmation, par exemple, quand des personnalités aussi variées que Chaban-Delmas ou Beffa, le patron d'Olivetti ou Mme Edith Cresson en témoignent. Aujourd'hui même 24 octobre, Les échos dans leur supplément, font honneur à l'Ecole à Sophia.

De même, les actions en faveur de la diffusion de la culture scientifique et technique...

De même, nos actions, encore limitées, en faveur des créations d'entreprises.

Comment convaincre l'extérieur que l'on est un futur modèle?

L'Ecole des mines n'est pas une institution de même nature que le CEA, l'IFP, l'INSERM, etc. Elle n'est pas issue d'une volonté politique déterminée et d'une stratégie politico-administrative continue et suivie, j'allais dire : à la Guillaumat, Blancard, Giraud, et la Direction des carburants. Elle ne dispose pas de gros bataillons permettant un lobbying permanent.

Il nous a donc fallu, dès que nous sommes sortis de l'ombre, bâtir des réseaux de protection. Certes, il y avait la Direction des Mines du temps de sa splendeur, je pense en particulier à Claude DAUNESSE, en des temps désormais révolus.

Certes, il y a les anciens, mais leur ombre est faible, leur individualisme fort; les préoccupations de chacun concernent souvent plus leur administration, leur organisme ou leur entreprise. L'avenir de l'Ecole ne leur paraît pas toujours une préoccupation centrale.

Construire des réseaux de protection, d'amitiés ne se fait pas selon un processus simple, susceptible d'entrer dans un programme d'ordinateur.

Il faut plutôt chercher dans le domaine des Humanités que dans celui des Sciences exactes des guides. Stendhal ou Tocqueville. Je pense à Lucien LEUWEN ou à certaines pages de l'Ancien Régime et la Révolution qui montrent que ces affaires touchent plus au sentiment qu'à la raison, à la passion plus qu'à la logique.

Il n'existe pas de recette, mais je pense que l'on peut parler d'ingrédients, tels que enthousiasme, disponibilité, imagination.

Une certaine fraîcheur proche de la naïveté, peut aider, car elle est contraire de mesquinerie. La capacité d'écoute, l'ouverture et l'adaptabilité permettent de contourner les obstacles, ce qui vaut mieux que de les vaincre. Car les vaincus deviennent ennemis. Si l'on imagine une nouvelle voie, il est sage d'en glorifier ceux qui vous ont fermé la première, et peut-être deviendront-ils amis. N'ayant pas de gros bataillons, il nous faut des amis. Des amis parmi l'ensemble des autres Ecoles. Je crois que la Conférence des Grandes Ecoles peut en être convaincue, nous sommes heureux d'y avoir des amis nombreux.

Quoiqu'il en soit, il m'apparaît qu'en 1984, l'Ecole des mines est un des rares lieux où l'enthousiasme, l'adaptabilité et l'imagination sont au pouvoir. Et après des années d'effort, on commence à le savoir à l'extérieur.

Il est clair que l'Ecole est en bonne santé. Et comme je l'ai dit à nombre d'entre vous, le moment me paraissait opportun pour transmettre le flambeau directorial.

On m'a confié la présidence du Conseil de Perfectionnement.

On m'a formellement demandé de continuer à définir, conformément aux textes, la politique générale de l'Ecole.

Et en tant que vice-président d'Armines, je continuerai de me pencher sur la politique d'Armines.

Ce n'est donc pas un départ complet.

Mais si l'Ecole se porte bien, la charge de son pilotage quotidien est fort lourde ; les réseaux de relations universitaires, industrielles, financières, politiques, et syndicales externes s'ajoutent aux réseaux internes et aux réseaux administratifs; et les lois de la République ne vont pas vers la simplification ; et nous avons de nouveaux problèmes liés à la croissance.

Croissance du budget 1985 qui sera pour nous un bon budget.

Croissance de locaux, des promotions, des réseaux de relations...

Il fallait un homme au courant, dévoué, compétent, rigoureux, doté d'une grande capacité de travail et susceptible de poursuivre une tâche ambitieuse et difficile.

Jacques LÉVY que vous connaissez tous, a déjà une bonne pratique. A mon sens, il s'imposait pour prendre les responsabilités importantes pour notre avenir.

Le président et le directeur de l'Ecole avec le président d'Armines et avec ceux des Ecoles soeurs poursuivront leur action dans l'esprit qui est le nôtre.

Nous savons que notre Tutelle et les Ministères les plus concernés par notre action, Redéploiement industriel et Commerce extérieur et Recherche et Technologie au premier chef, mais aussi Education nationale, Agriculture, Environnement et bien d'autres, nous font confiance.

L'avenir est à ceux qui osent et réalisent. Il nous est donc ouvert.


Jacques Lévy en 1983, peu avant sa nomination comme directeur de l'Ecole des mines de Paris (ici photographié dans les locaux de l'Ecole des mines à Fontainebleau, lors d'une manifestation concernant l'environnement).


DISCOURS DE M. JACQUES LEVY

Nous avons souhaité, Pierre LAFFITTE et moi, marquer notre changement de fonction par une petite réunion amicale. D'abord merci à tous ceux qui nous ont fait le plaisir de venir ce soir. C'est aussi l'occasion de faire devant vous quelques réflexions sur l'histoire de l'Ecole telle que je l'ai vécue, sa mission et ses perspectives d'avenir.

Oserais-je avouer que mon premier contact avec l'Ecole fut plutôt décevant. Certes, le retour sur les bancs de l'Ecole après quelques mois passés en Algérie n'était pas spécialement propice à l'enthousiasme. Certes, aussi, le cadre libéral de l'Ecole venant après la contrainte éprouvante, mais rassurante, de l'Ecole polytechnique et de la taupe, exigeait une adaptation difficile et une remise en question. Mais surtout la ligne directrice des programmes n'apparaissait pas très clairement aux élèves : l'impression dominante, fausse sans doute, était que le programme recouvrait tout ce dont il était nécessaire d'avoir entendu parler pour être un bon ingénieur d'exploitation dans l'industrie lourde. Les prestations étaient souvent fort brillantes: mais la perspective générale n'apparaissait pas évidente et il en est résulté, pour moi, un sentiment de frustration qui est certainement pour partie à l'origine de ma vocation d'enseignant. Pour être tout à fait honnête, rappelons aussi que, ainsi que l'écrit Lévi-Strauss dans sa préface à «Tristes Tropiques», « le seul moyen que les adultes aient trouvé pour rester à l'école est de devenir enseignant»! Ajoutons enfin une opportunité à Saint-Etienne en 1962 d'enseignement de la métallurgie dont, entre parenthèses, j'ignorais tout et l'on comprendra pourquoi je me suis lancé dans cette carrière.

C'était l'époque où, dans le monde entier, la recherche connaissait un développement très rapide. Les contacts avec l'industrie métallurgique stéphanoise, avec la recherche expérimentale et avec les systèmes d'enseignement étrangers, notamment anglais et américains achevèrent de me convaincre de l'inadaptation du système de formation de nos Ecoles pour faire à l'évolution des technologies modernes.

Les caractéristiques de l'enseignement français sont spécifiques et il n'était pas question de transposer en France une méthode de formation conçue pour faire des spécialistes. Mais il était tout de même désolant de constater qu'en métallurgie en particulier et dans les sciences de l'ingénieur en général, les Anglo-Saxons parvenaient, avec des étudiants de deuxième choix, à des résultats sans comparaison avec ceux que nous obtenions avec des étudiants exceptionnels qui, de plus, confirmaient leur niveau lorsqu'ils entraient dans le système anglo-saxon. Nous avons donc tâché à Saint-Etienne de faire évoluer l'enseignement vers quelque chose de plus efficace et, comme on dit aujourd'hui, de plus motivant.

J'ai compris que nous n'étions pas seuls à mener cette réflexion à Saint-Etienne et qu'il se passait quelque chose à l'Ecole des mines de Paris à la lumière d'une constatation et d'un choc. La constatation d'abord : dans les années 66-67, lorsqu'un poste était créé à l'Ecole des mines de Saint-Etienne, l'Ecole des mines de Paris en recevait 10! (Je n'ai compris que plus tard, d'ailleurs, que le poste stéphanois était obtenu grâce à l'action parisienne). Le choc ensuite : ma première rencontre avec Pierre LAFFITTE qui m'a permis de comprendre qu'un résultat de recherche pouvait servir à autre chose qu'à faire une publication.

Avec le recul du temps, l'Ecole des mines me paraît avoir fait une analyse correcte de sa place et de sa mission qui a conduit l'équipe de direction, tout particulièrement notre actuel président, Pierre LAFFITTE, à faire trois choix déterminants :

Ces choix comportent des risques, mais les avantages l'emportent clairement et le prestige que l'on veut bien accorder à l'institution en est à mon avis la conséquence directe. Il n'est donc pas question - il ne serait même pas possible -, de les remettre en cause.

L'avenir se présente on ne peut mieux pour l'Ecole, comme d'ailleurs pour l'ensemble du système de formation d'ingénieurs français. En effet, l'opinion et les Pouvoirs publics ont clairement pris conscience du fait que la formation des hommes en général, des ingénieurs en particulier, était «l'industrie de pointe» par excellence et qu'elle méritait un ordre de priorité particulièrement élevé. Il est donc de la responsabilité de l'institution de profiter de ce courant favorable et de se montrer à la hauteur de cette attente en veillant à assurer en permanence la pertinence et le niveau de la formation.

Le niveau est affaire d'exigence notamment dans le choix des personnels. Pour la pertinence, seuls l'ouverture, l'absence de dogmatisme et le dialogue permettent de se constituer des points de repère. Ceci est, pour moi, l'occasion d'insister sur un point important. L'Ecole doit être un haut lieu de la formation et de la recherche. Elle doit être aussi un lieu de rencontre et de réflexion permettant des contacts fructueux entre les ingénieurs. Ce qui a été fait au niveau du Corps des Mines me paraît exemplaire, car ce sont les mêmes personnes qui sont responsables de la formation et de la gestion des carrières et, d'autre part, les groupes de réflexion de l'Amicale réunissant des ingénieurs de tous âges ont leur point fixe à l'Ecole. Pour les élèves-chercheurs, le contact est gardé dans la mesure où nombreux sont les diplômes de l'Ecole qui exercent leurs talents dans des entreprises qui sont nos partenaires dans les contrats de recherche. Des progrès me paraissent devoir être faits pour les ingénieurs civils et j'ai déjà eu des contacts avec l'Association dans ce sens.

Pour terminer, je voudrais faire un petit commentaire sur le thème du Dalai-Lama. Lorsque les décrets qui sont à l'origine de notre réunion d'aujourd'hui ont été publiés, certains amis m'ont congratulé en me disant «Longue vie au 24e Dalai-Lama ». Cette image percutante imaginée par M. FISCHESSER m'a fait souvent réfléchir: mais je me demande si elle est tout à fait bien adaptée. En effet, elle évoque pour moi des cohortes de bonzes au crâne rasé et vêtus de robes jaunes, s'inclinant avec vénération sur le passage du chef charismatique et inaccessible : le rêve est flatteur, mais ce n'est pas vraiment dans le style de la maison ! il me semble plutôt que le directeur doit assumer des fonctions de vigilance, autre mot à l'honneur dans l'Ecole, et d'impulsion au service de l'Ecole et de l'ensemble de la collectivité.

Je serais un ingrat si ma conclusion n'était pas pour exprimer ma reconnaissance à toutes les personnes qui ont fait et qui font de l'Ecole ce qu'elle est et tout particulièrement à Pierre LAFFITTE à qui je dois d'être aujourd'hui devant vous.


Jacques Lévy, élève de Polytechnique
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