TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XVI (2002)
Michel DURAND-DELGA
Pierre-Bernard Palassou (1745-1830),
pionnier de la géologie des Monts-Pyrénées

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 13 mars 2002)

Résumé.
Palassou (1745-1830), dont on retrace les origines familiales et la vie, est incontestablement le premier géologue des Pyrénées. Originaire d'Oloron (Béarn), il séjourne essentiellement à Paris de 1766 à 1788. Il y acquiert sa formation scientifique et son grade ecclésiastique d'" abbé tonsuré " (non prêtre). Familier de l'académicien Guettard et ami de Antoine Laurent de Lavoisier, il est incité à étudier (à partir de 1774) le versant nord des Pyrénées. Son important mémoire Essai sur la Minéralogie des Monts-Pyrénées connut deux éditions (1781 et 1784) et lui ouvrit les portes de l'Académie des sciences (1781). Il y reconnaît l'organisation régulière de la chaîne, avec des " bandes " de calcaires alternant, en direction WNW-ESE, avec des roches argileuses (schistes), affectés de forts plongements vers le NNE. Cette sédimentation marine de la " deuxième époque " s'appuie sur des noyaux de " granit en masse " (première époque), sur l'origine duquel l'abbé refuse de trancher.
Revenu en Béarn (1788), Palassou passe la période révolutionnaire soit à Pau, soit dans sa propriété d'Ogenne. Financièrement ruiné mais devenu la notabilité scientifique de sa province, l'abbé publie, sous la Restauration, plusieurs gros ouvrages où il complète et classe par sujets ses observations anciennes. Il maintient ses interprétations initiales, comme l'importance de l'érosion par les eaux courantes ; la classification parmi les argiles des " ophites " qu'il a découvertes et dont il refuse la signification " volcaniques " ; l'origine marine des calcaires, où il cite les premiers fossiles, et des sédiments qui alternent avec eux ; l'inclinaison des couches et leurs contournements sont pour lui originels. Palassou note aussi l'importance des poudingues (" pierres roulées ") dont certains, les " poudingues de Palassou ", d'âge éo-oligocène, perpétuent sa mémoire.
Eloigné depuis longtemps du bouillonnement scientifique de Paris, Palassou terminera sa longue vie dans la sagesse du gentilhomme campagnard.

Mots-clés : Chaîne de montagnes - Pyrénées - granite - ophite - sédimentation - érosion - XVIIIe siècle - XIXe siècle.

Abstract.
First geologist of the Pyrenees mountains, P. B. Palassou (1745-1830) is a native of Béarn. His family origins and life are related. From 1766 to 1788, he stays principally in Paris, where he acquires scientific knowledge and ecclesiastic education. Friend of Lavoisier and familiar with the academician Guettard, the " abbé " (no priester !) Palassou is incited to study (from 1774) the Pyrenees chain. He publishes (1781 and 1784) two editions of his important volume Essai sur la Minéralogie des Monts-Pyrénées, crowned by his election as Corresponding member of the Académie des sciences. In that work, he asserts the regular organisation of the chain, with limestone strips (WNW-ESE " bandes ") alternating with schists (marine sedimentation, 2nd geological period), resting on " granit en masse " cores (first period).
Definitively returned (1788) to Béarn, Palassou lives during the Revolution years either in Pau or in his Ogenne domain. Scientific regional notability but financially ruined, he publishes, from 1815, some big volume, completing and treating by subjects his former observations, persisting in his first views : capital role of the current streams ; clayey signification of the Pyrenees " ophites ", discovered by him ; marine origin of the limestones and associated sediments ; slope and contortions of the sediment layers, well observed, but conceived as contemporary with the deposits. Palassou notes the importance of conglomerates (" pierres roulées "), among them the future Tertiary " poudingues de Palassou ".
He ended his long life as a country squire, far from the scientific Paris bubbling.

Key-words : Mountains chain - Pyrenees - granite - ophite - sedimentation - erosion - XVIIIth century - XIXth century.

Palassou est sans contexte le plus ancien géologue de la chaîne des Pyrénées. Il en explora, au cours de la période 1774 à 1780, le versant français, tout en laissant au jeune Ramond la gloire de l’ascension des cimes comme le Mont-Perdu. Telle est la différence essentielle avec Horace-Bénédict de Saussure qui, à la même époque, parcourait les Alpes, tant en naturaliste qu’en sportif. L’abbé béarnais se contenta, lui, de sommets plus modestes. Après avoir séjourné à Paris, où il fut lié à Antoine Laurent de Lavoisier, son ambition mesurée le cantonna, de 1788 à la fin de sa longue vie, dans une province éloignée des grands foyers intellectuels.

Le nom de Palassou n’est pas ignoré par ses compatriotes d’Oloron, où il naquit, ni de Pau, où il vécut un temps, chacune de ces villes lui ayant dédié une rue. Une «Société Palassou» fut même fondée en 1930 à Oloron, mais elle disparut dès la mort de son fondateur en 1934. Diverses notices [3, 4, 5, 6, 8] ont, en Béarn, été consacrées à l’abbé. Sa correspondance avec son ami le baron de Laussat a été publiée par J. Staës [19], qui l’a accompagnée de nombreux et très précieux commentaires, certains étant inspirés par les écrits inédits du chanoine J.-B. Laborde [7]. On peut aussi consulter à la Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle (Paris) les nombreuses lettres que Palassou adressa au naturaliste toulousain Picot de Lapeyrouse (Ms 1993).

Chez les géologues qui se sont intéressés aux Pyrénées, le nom de Palassou était bien connu, sans qu’on sache très bien de qui ou de quoi il provenait. Ce nom est en effet attaché à deux types de roches: les «poudingues de Palassou», qui résultent d’une étape capitale de la démolition des Pyrénées à l’Eo-Oligocène ; l’ophite «de Palassou», cette roche «éruptive» sombre à laquelle notre abbé consacra tant de pages. Ces deux appellations ne doivent cependant pas occulter l’œuvre essentielle du béarnais : son Essai sur la Minéralogie des Monts-Pyrénées, qui connut deux éditions en 1781 et 1784 dans la capitale, et qui ouvrit à son auteur les portes de l’Académie des sciences.

I. Origines et jeunesse de Palassou

Issu d’un milieu marchand d’Oloron, Palassou n’avait, a priori, aucune raison d’être attiré par les choses de l’esprit. Les recherches du chanoine Laborde [7] attestent l’ancienneté de sa famille dans cette cité. Un «ostau de Palassou», cité dans un dénombrement en 1385, est peut-être à l’origine de la maison où naîtra, le 9 juin 1745, Pierre-Bernard, sur la paroisse Sainte-Croix, dans la rue Biedebaig (ou Viedebat), devenue l’actuelle rue Palassou, au confluent grondant des gaves d’Aspe et d’Ossau.

La famille Palassou s’était consacrée au commerce et à l’industrie de la laine. Le bisaïeul de l’abbé, Bertrand (v. 1629-1702) fut jurat [19], c’est-à-dire conseiller municipal, de sa ville. Le grand-père Bernat (( 1697) est cité [7] comme trésorier de la compagnie Saint-Jean-Baptiste du « lanefice » d’Oloron en 1675. Le nom du grand-oncle Pierre-Albert (v. 1661-1733) mérite d’être cité. La fortune familiale peut être liée à ce marchand qui, parti à Saragosse (les relations transpyrénéennes étaient alors intenses), acheta le 2 mai 1715 la moitié de l’abbaye d’Ogeu, village aux portes orientales d’Oloron, pour la considérable somme de 36 000 livres, à Jean, baron de Jasses, président à mortier du parlement de Navarre. Pierre-Albert Palassou devenait ainsi «abbé-lai», ou laïque.

Cette très ancienne et singulière qualification était utilisée en Béarn et dans quelques vallées de Bigorre (cf. J. Bourdette, Notice des abbés-lais du pays de Labéde ou Lavedan, 1911, doc. U 2090, Arch. départ. Pau). Elle s’appliquait au possesseur d’un fief avec maison, souvent noble, jouxtant l’église d’un village ou d’un lieudit. L’abbé-lai bénéficiait de privilèges spéciaux, honneurs locaux et intérêt à la dîme de la paroisse. Inversement il devait assurer l’entretien du curé – pour lequel il avait droit de présentation – et de l’église. Son titre ouvrait dans certains cas – une vingtaine sur près de 300 «abbayes» en Béarn – les portes de la noblesse. Ce n’était pas le cas pour l’abbaye d’Ogeu, dont les quatre Palassou qui se succédèrent comme abbés-lais ne sont qualifiés de nobles dans aucun acte paroissial de leur paroisse Sainte-Croix d’Oloron, et ne furent jamais, à ce titre, inclus dans le Grand Corps aux Etats de Béarn (J. de Bertier, le Vote en 1789 du Second Ordre au Béarn. Bull. Ass. Noblesse française, n° 165, 1980, p. 26-37). Le revenu de l’abbaye d’Ogeu, annuellement, «ne s’élevait pas au-delà de 2 400 francs», selon son bénéficiaire [13, p. 66].

De Pierre-Albert Palassou, sans enfant, l’abbaye d’Ogeu passa à son neveu François (v. 1686-1740), lui-même sans descendance, puis au frère puîné de ce dernier, Simon-Pierre (v. 1690-1765). Il est probable que celui-ci s’identifie au Palassou qui fut membre d’une «compagnie de capitalistes béarnais» qui tenta d’exploiter des bois propres à la mâture des navires du roi, au milieu du XVIIIe siècle [13, p. 69]. Ce troisième abbé-lai d’Ogenne eut trois filles et trois fils de son épouse Marie-Suzanne Laurens (v. 1724-1751) qui mourut très jeune en laissant six orphelins.

L’aîné, qui avait alors six ans, est notre futur géologue. Il suivit ses études secondaires au collège des jésuites à Pau, puis passa quelques années au Collège de Guyenne à Bordeaux [19, lettre, p. 192]. Il avait vingt ans en 1765 quand la mort de son père fit de lui le chef de famille et le quatrième Palassou abbé-lai d’Ogeu. Peut-être menait-il joyeuse vie. Peut en témoigner l’anecdote [19] suivant laquelle, en cette même année, il aurait été victime d’un guet-apens organisé par un collègue de son feu père. Ce négociant lui aurait fait signer, sous la menace de sbires masqués et armés, un engagement d’épouser sa fille, que notre abbé-lai aurait engrossée, et une quittance d’une prétendue dot de 10000 livres. Reprenant ses esprits, Pierre-Bernard s’enfuit à Pau, fit enregistrer par notaire la mauvaise manière qui lui avait été faite, ce document n’indiquant cependant pas son irresponsabilité de base à l’égard de la demoiselle. Quoi qu’il en soit, il en sortira ruiné !

On le retrouve à Paris. Dans quelques actes notariés passés lors de séjours à Pau de 1766 à 1768 [19], il est dit «mousquetaire du roi» et, jouant de sa qualité d’abbé-lai, il est abusivement qualifié de «noble», ce qui devait faciliter ses rapports sociaux. Par acte du 11 avril 1771, où il est dit encore «noble» mais non plus «mousquetaire», il vend à Messire Simon Duplaa, seigneur d’Escout, sa moitié de l’abbaye laïque d’Ogeu, pour 92 400 livres [13, p. 66]. Belle somme qui, même diminuée des parts à payer à ses frères et sœurs (leur «légitime»), a pu lui permettre de vivre dans la capitale. On lit cependant que son affaire de 1765 lui en avait coûté 80 000 francs [19]…

Fut-il atteint par la grâce ? En tout cas, dès mai 1776, lors de sa première intervention devant d’Académie des sciences [plumitif des séances, t. 95], il est qualifié d’«abbé Palassou», et cette appellation, même dans la correspondance officielle sous l’Empire et la Restauration, le suivra tout au long de sa vie. A sa mort, son grand ami le baron de Vallier en précisera l’origine, que le chanoine Laborde a jugée incontestable [7]. Il paraît ainsi certain que l’ancien mousquetaire suivit des études ecclésiastiques (dans le créneau 1769-1775) et qu’il obtint, on ne sait quand, le premier degré de la cléricature, celui d’«abbé tonsuré». Cela n’empêchait pas, bien au contraire, la vie dans le monde parisien : « la tonsure était le plus simple degré, un pur signe et n’enchaînait à rien … » [Sainte-Beuve, Volupté, XXIV, 1834]. Comme l’a écrit Jean-Gratian de Laussat [in 19, p. 125] : «Sous ce costume économique [il] alla cultiver à Paris l’histoire naturelle et la bonne compagnie».

Palassou dut suivre avec assiduité les cours des plus célèbres professeurs du temps (notice nécrologique par le baron de Vallier, citée in [7]), tels Rouelle et son gendre Jean Darcet. En tout cas, le Béarnais se targue d’avoir obtenu l’amitié de Jean-Etienne Guettard (1715-1786), académicien influent, et du jeune Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794), qui était à peine son aîné. C’était à l’époque du grand projet, que ces derniers entreprenaient avec Antoine-Grimoald Monnet, d’Atlas minéralogique de la France, sous les auspices de J.-B. Bertin, ministre secrétaire d’Etat de 1762 à 1781, et qui avait les mines dans son département ministériel. Palassou fut ainsi invité à s’occuper des Pyrénées. On pourrait s’interroger sur la date du début de ses recherches si le Béarnais n’avait pas précisé [10] : «lorsqu’en 1774 […] le désir d’examiner la véritable structure des Pyrénées me conduisit pour la première fois au sein de ces montagnes…». Cela établit que l’abbé, lisant son premier texte devant l’Académie des sciences au printemps 1776, n’avait encore consacré que peu de mois des étés 1774-1775 à ses courses pyrénéennes.

Il a aussi été dit [2, p. 37] que l’abbé avait été précepteur du jeune duc de Guiche, de l’illustre maison des Gramont, de souche basco-béarnaise. Le fait n’est pas invraisemblable, Palassou ayant eu par la suite maintes relations avec cette famille, qui le protégea.

A la date du 22 mai 1776, on lit donc dans le «plumitif» des séances de l’Académie des sciences que «M. Palassou est entré [à la séance] et a lu un mémoire intitulé Description des différentes matières contenuës dans les Pyrénées». Nicolas Desmarest et de Jussieu étaient chargés de l’examen de ce texte, mais aucun rapport ne semble avoir suivi. On soulignera que Darcet ne présentera son propre Discours sur les Pyrénées… devant l’Académie que le 4 décembre suivant.

Nous savons que Palassou logeait alors à l’hôtel de Nevers, rue du «Bacq», d’où on le voit se préparer à partir pour les Pyrénées. En effet, son compatriote, le célèbre médecin Théophile Bordeu (1722-1776), qui habitait Paris et était gravement malade, se fit accompagner par l’abbé, car il désirait aller aux eaux de Bagnères-de-Bigorre [18]. Ils remonteront de concert à Paris au cours du mois d’août.

Et l’on aborde ici les circonstances de l’édition de l’Essai sur la Minéralogie des Monts-Pyrénées, l’œuvre majeure du Béarnais.

Contrairement à ce qui est généralement admis, la première édition de l’ouvrage est de 1781, la date de 1784 correspondant à une deuxième impression. Mais le texte est beaucoup plus ancien, du moins dans son stade essentiel, comme le prouvent les lignes écrites par Condorcet, secrétaire perpétuel de l’Académie, et datées du 1er avril 1778, à l’appui du privilège d’impression, accordé par l’illustre assemblée.

C’est en fait à la fin de la séance du mercredi 11 juin 1777 (plumitif, t. 96 bis, 1777, p. 374) que «l’abbé Palassou [corrigeant «Palaisseau» !]» présenta un mémoire «sur un voyage minéralogique dans les Pirrennées». La «lecture», évidemment partielle, de ce travail sera faite les samedis 14 et 21 juin suivants par Lavoisier, depuis peu élu Associé de l’Académie. Ce dernier, le chevalier d'Arcy, Desmarest et de Jussieu sont désignés comme commissaires, chargés d’en rendre compte.

Ce sera seulement à la séance du 1er avril 1778 qu’un rapport détaillé sera présenté. Il est signé par d’Arcy, Lavoisier et Desmarest. Guettard assistait à sa lecture. Le texte est évidemment de Lavoisier. Le chevalier, futur comte, d’Arcy (1725-1779), mathématicien et astronome en même temps que maréchal de camp (= général de brigade) avait été «directeur» (= l’actuel « président ») de l’Académie, et sa présence n’était que symbolique. Desmarest, lui, authentique naturaliste, d’un mauvais caractère reconnu, peut être responsable de quelques réticences du rapport, en particulier dans sa phrase finale. Nous donnerons le texte de ce rapport (plumitif, t. 97, 1778, p. 121-124) pour deux raisons : ce sont des lignes inédites du grand Lavoisier, et l’on saura aussi, à leur lecture, ce qui, à cette époque, apparaissait, à deux bons juges, comme le plus important de cette œuvre du Béarnais.

II. Le rapport de Lavoisier et Desmarest (1778)

«L’Academie nous a chargés de lui rendre / compte d’un mémoire ou plutôt d’un ouvrage / considérable de M. l’abbé Palasson [n modifié en u], sur la / minéralogie des Pirennées.

Nous ne nous étendrons pas sur les / observations détaillées qui forment la bâse de / l’ouvrage de M. l’abbé Palasson, l’academie / en connoit une partie par la lecture qui lui a été / faite du principal de ses mémoires : nous nous / bornerons en conséquence à présenter ici des / résultats généraux et à tracer en peu de mots le / tableau de l’état des Pirennées tel que nous / le concevons d’après les observations de M. / l’abbé Palasson.

Ces montagnes au premier coup d’œil / semblent n’offrir qu’un cahos confus et ne / présenter que des idées de dégradations et de / destruction ; mais à travers ce désordre même / M. l’abbé Palasson a crû reconnoître des / loix constantes et retrouver la marche régulière / de la nature.

Qu’on se figure une masse irrégulière, une / montagne primitive de granit dont la superficie / très inégale forme dans des endroits des pics / très elevés, et offre dans d’autres des creux et / des valées profondes, telle est, suivant ce que les / observations de M. l’abbé Palasson semblent / l’indiquer, la base ou le noyau qui compose / l’intérieur des Pirennées ; non pas qu’il regarde / les granits comme des matières prémieres, ces / pierres au contraire sont evidemment composées / de débris et elles reposent sans doute sur un sol / primitif plus ancien [cette idée ne nous semble pas ressortir clairement des éditions imprimées de l’ouvrage] ; mais dans l’état actuel / de nos connoissances, le granit paroît être le / terme des observations et les Pirennées ne / paroissent pas avoir offert en aucun endroit, à / M. l’abbé Palasson [n modifé en u] des occasions de pénétrer / jusqu’aux matières qu’il recouvre, ces granits / sont presque toûjours en masse irréguliere / et qui ne présentent aucun ordre, quelques fois / aussi ils forment des espèces de bancs, alors / leur inclinaison avec la perpendiculaire est de / 30 dégrés de nord nord est, au sud sud ouest [cela signifie une inclinaison de 60° vers le NNE ! ] / et leur direction de l’ouest nord ouest à l’est sud / est.

C’est sur cette masse de granit que paroîssent / reposer les bancs qui se présentent le plus commu/nement à la surface des Pirennées ; ces bancs / sont un assemblage de couches alternativement / calcaires et argilleuses, mais ces couches ne sont / pas tellement tranchées qu’elles ne se mêlent / souvent ensemble, de sorte qu’il n’est pas aisé / d’assigner le passage de l’une à l’autre / de ces matières. Ces bancs qui s’étendent depuis / le pied des pirennées presque jusqu’à la cime / des plus hautes Montagnes, sont placés dans / la même direction que ceux de granit et leur / marche forme de même un angle de 73. dégrés / à l’Est avec la méridienne [angle estimé en allant du Sud au Nord !]. Quoique leur / inclination varie souvent elle est plus communé/ment du S.S.O. au N.N.E. formant avec la / perpendiculaire un angle d’environ 30. degrés [= 60° vers le NNE !]. /

Toute cette partie des pirennées que M. / l’abbé Palasson regarde comme de formation / secondaire relativement au granit, a été formée / suivant lui sous les eaux de la mer, les coquilles / et les madrépores qu’on y trouve rarement / il est vrai, mais dont cependant il a rapporté / des échantillons [ils avaient été montrés antérieurement lors de séances de l’académie, et confiés à Lavoisier] sont de fortes présomptions / en faveur de cette opinion ; mais un autre point / qui paroît encore mieux prouvé d’après les observations de M. l’abbé Palasson, c’est / que cet assemblage de bancs formoit au sortir / des eaux de la mer un solide continu et non / interrompu. Peu à peu l’eau des pluyes et sur/tout celle provenant de la fonte des neiges, ont / formé des ruisseaux et des torrens, elles sont creusé / des ravins qui en s’aggrandissant ont formé / avec le tems, de profondes valées et la masse de / la montagne s’est trouvé sillonnée et comme / déchiquetée en differents endroits.

Mais si les eaux en formant ainsi des / impréssions profondes ont occasionné des bouleversemens, locaux et particuliers, elles / n’ont rien dérangé de l’ordre général des bancs / et les coteaux escarpés qui bordent les valons / presentent à chaque pas par la correspondance / des matieres qui se trouvent des deux côtés des / témoins certains de l’arrangement primitif des matieres et de la continuité des bancs. C’est / principalement dans ces valées que M. l’abbé Palasson a été à portée d’observer la marche / de ces bancs alternativement calcaires et / argilleux la nature des matieres qui les / composent, leur inclinaison, leur direction et / l’uniformité de cette marche est telle suivant / M. l’abbé Palasson, qu’il pretend avoir suivi / les mêmes bancs transversalement de vallées / en vallées dans un prolongement de plus de / trente lieues [= 120 km].

M. l’abbé Palasson dans la carte jointe / à son mémoire indiqué [sic] par des caracteres minéralogiques, les observations immédiates qu’il a / faites dans les vallées [dans les éditions imprimées, cette carte générale est, sans doute pour des raisons de format, remplacée par des cartes locales partielles], il a joint ensuite par / une ligne ces observations les unes aux autres. / Et il suppose que ces lignes représentent la / marche des bancs : quoique cette conclusion puisse / paroître probable jusqu’à un certain point / on ne peut se dissimuler que les observations immédiates ne méritent infiniment plus de / confiance et ce sont principalement ces dernieres qui sont précieuses aux yeux de l’académie.

D’après cette disposition générale des / pirenées on conçoit que les vallées peu / profondes ne doivent souvent être creusées / que dans les bancs calcaires et argilleux que / les vallées très profondes au contraire doivent / non seulement atteindre le granit mais / qu’elles doivent même l’entamer plus ou moins / et si on joint à cette circonstance les inégalités / considérables qui se trouvent dans la surface / de la bâse graniteuse, il en résulte qu’on / doit fréquemment passer en voyageant dans / les pirennées du granit dans les pierres / calcaires et sciteuses [sic] et réciproquement les / mêmes phénomènes se trouvent sur les / pics les plus élevés, tantôt ils sont recouverts / de plusieurs bancs de pierres calcaires et / argilleuses, tantôt ils ne présentent que du / granite à découvert.

Ces observations sembleroient donc etablir / deux époques très marquées dans la formation / des pirennées, 1° celle des granits qui paroîssent / être eux-mêmes de formation secondaire. 2° celle des pierres calcaires et argilleuses qui, / suivant M. l’abbé Palasson ont été déposées / par la mer et qui portent des caractères non / equivoques de leur origine. A ces deux ordres / de choses on pourroit en ajoûter un troisième. / Les eaux en creusant les vallées dont sont / sillonnées les pirennées ont deplacé de grandes / masses de matières et les ont transportées d’un / lieu elevé dans un inférieur. Ces débris se / retrouvent dans les plaines qui sont au pied des / pirennées et ils y forment des bancs d’un / troisième ordre, lesquels sont en grande partie / composés de quartz, de granits, de schites [sic] roûlés / tels qu’on les trouvent [sic] dans les pirennées.

Telles sont les conséquences que nous ont / parûes presenter les observations de M. l’abbé / Palasson [n corrigé en u], nous y joindrons de courtes réflexions / qui termineront ce rapport en admettant avec / M. l’abbé Palasson l’existence de couches / alternatives de matières calcaires et argilleuses / dans les valons qu’il a parcourus en reconoisst / même que ces couches traversent les montagnes / intermediaires comme il le suppose, nous croyons / qu’on doit suspendre son jugement sur les / limites de ces couches que M. l’abbé Palasson / ne suppose pas sans doute, exactement droites, / et nous pensons qu’il est très possible et même / très probable que ce qu’il a pris d’une vallée à / l’autre pour la continuation d’un même banc /, soit au contraire la suite d’une [sic] autre qui a / changé un peu de direction, d’après cela nous / regardons avec M. l’abbé Palasson les lignes / paralleles tracées sur sa carte, plutôt comme / propres à indiquer la direction des bancs en / général que comme représentant les bancs / eux mêmes. Nous desirerions aussi que M. / l’abbé Palasson s’attachat à multiplier les / preuves sur l’existence des corps marins dans / les couches calcaires et argilleuses. Ces réflexions / n’empêchent pas que nous ne regardions / l’ouvrage de M. l’abbé Palasson comme / propre à éclaircir l’histoire de la formation / des pirennées qui etoit peu connûe ; ses observa/tions sont consignées dans une carte minéralogique très détaillée à laquelle il a joint une / description de matiere qu’on trouve dans ces / montagnes, et un grand nombre de coupes de / profils et de perspectives de terreins [l’ouvrage imprimé ne les comporte malheureusement pas, sans doute à cause du coût] / qui facilitent l’intelligence de son travail ; le / zèle de M. Palasson doit y être encouragé / et nous croyons que son ouvrage mérite d’être / imprimé sous le privilège de l’Académie en / observant ainsi qu’il est d’usage que l’académie / ne se rend jamais garante ni de l’exactitude / des observations qui lui sont présentées ni des / explications et des sistêmes des auteurs».

III. La période autour de l’édition de l’Essai sur la minéralogie des Monts-Pyrénées

Avant même le rapport précédent, Palassou avait été proposé comme éventuel Correspondant de l’Académie (il le deviendra en 1781), lors de la séance annuelle de nominations du 13 août 1777 – le chimiste Macquer et Lavoisier étant commissaires pour son cas –, le même jour que «le chevalier Dolomieu».

Une question se pose : pourquoi l’ouvrage du Béarnais attendit-il presque trois ans avant d’être imprimé ? La réponse doit tenir à son coût. En effet, le chanoine Laborde rapporte [7] que Palassou sollicita du ministre Bertin – qui était, d’une certaine manière, à l’origine des recherches de l’abbé – son aide pour l’impression du mémoire. La réponse fut favorable … dans son principe mais ne put être suivie d’effet par suite de l’état des finances de l’Etat. La seule gravure des planches était évaluée à environ « 2 000 écus » [soit environ 6 000 livres – ou francs –] ! «Alors – a écrit Laborde – Palassou se décida à faire imprimer son travail à ses frais après avoir supprimé plusieurs parties à cause de la grande dépense qu’elles auraient occasionnée».

Il dut cependant rassembler les fonds nécessaires pour mettre l’impression en route, après avoir obtenu, le 28 mars 1781 [l’édition a dû suivre de peu], le certificat, signé par le marquis de Condorcet attestant que «l’Académie a jugé cet ouvrage digne de paroître sous son privilège», et cela près de trois ans après le rapport favorable de 1778. On peut supposer que cette édition connut le succès et que l’abbé rentra dans ses frais d’impression. On hasardera une hypothèse au sujet du tirage de l’Essai. Dans une lettre à Picot de Lapeyrouse (datée du 21-1-1812 : MNHN, bibl. centrale, Ms 1993), Palassou évoque l’impression de son Essai en « 1782 » [sic] et 1784, posant dans la foulée la question : que coûterait un tirage à 500 exemplaires d’un nouvel ouvrage de 400 pages ? Il est donc vraisemblable que ce même chiffre avait été décidé en 1781.

Si la vente des deux éditions dut être facilitée par l’impression dans la capitale et l’introduction de l’abbé dans les cercles intellectuels et mondains de Paris, l’ouvrage ne récolta pas que des compliments. Ainsi, après avoir passé lui-même quelques semaines en excursions dans les Pyrénées [Durand Delga, Le voyage de 1782 aux Pyrénées du chevalier Déodat de Dolomieu, éd. Acad. Sci. Paris, 2003, à l’impr.], Dolomieu prend de haut le travail du Béarnais et, sans le citer, écrit : «Quel est le naturaliste assez courageux et même assez présomptueux pour entreprendre la description générale et particulière des Pyrénées ? Je crois qu’il y a de la ridiculité à vouloir renfermer tous les faits des Pyrénées dans un seul volume, fut-il même in quarto [c’est le cas de l’Essai de Palassou !]. La description exacte de la moindre partie de cette chaîne sera plus instructive que la longue énumération de toutes ses vallées, de tous ses torrents, de ses mines, de ses eaux minérales et thermales, etc.» [Dolomieu, 1e Lettre au duc de La Rochefoucauld, in Lacroix, Bull. Soc. Ramond, 1918].

De son côté, le naturaliste lyonnais Latourette [correspondant de Picot de Lapeyrouse, MNHN, bibl. centrale, Ms 1992], répondant le 25 octobre 1782 à une lettre de Lapeyrouse, qui venait de lui annoncer la fin de son voyage avec Dolomieu, écrivait : «Je vous félicite, Mr, du beau voyage que vous venés de faire dans les Pirénées, vous vous plaignez avec raison deceque les naturalistes sont encore privés d’une bonne description de ses riches mgnes, car l’ouvrage de Mr. Darcet n’est qu’un discours et celui de l’abbé Palassou laisse tout à désirer». Charmants confrères !

La vente de la première édition de l’Essai dut permettre à l’abbé de restaurer sa situation pour qu’il puisse acheter en 1782 pour 16 000 livres le petit domaine de Susbielle, dans l’actuelle commune d’Ogenne-Camptort, non loin de la ville de Navarrenx. Il ne se déplaçait que de 15 km par rapport à sa ville natale d’Oloron. Le bien n’était pas considérable. Son revenu annuel n’avait pas dû beaucoup augmenter depuis son évaluation de 1676 : 130 francs, 3 sols, 4 liards, 36 poules [7]. Mais, outre la maison de maître et la métairie voisine – dont l’ordonnance subsiste encore, alors que le manoir a été très modifié –, l’achat entraînait l’attribution du fief noble d’Ogenne. Sa vente avait été consentie par Jean de Casamajor, marquis de Jasses, héritier de la famille de Navailles-Saint Saudens qui possédait ce bien depuis 1604.

A la différence du reste du royaume, régi par l’édit de Blois (mai 1579), l’achat d’un fief comme celui de Susbielle-Ogenne entraînait la noblesse pour son auteur, cette fois régulièrement. C’est ainsi que «Pierre de Palassou» fut admis dans le corps noble des Etats du Béarn, et il prêta serment à Pau le 20 septembre 1788. Qualifié de «M. d’Ogenne», il figure ainsi parmi les 169 nobles béarnais susceptibles de voter, au titre du Second Ordre, pour l’élection des députés aux Etats généraux (J. de Bertier, Bull. Assoc. Noblesse française, n° 165, 1980, p. 26-37).

IV. L’Essai sur la minéralogie des Monts-Pyrénées et les mémoires ultérieurs

L’Essai ne porte pas de nom d’auteur. L’attestation de privilège de l’Académie, qui figure en fin d’ouvrage, est accordée à « M. l’A. P*** » (figure 1). On ignore la raison de ce relatif anonymat. A noter aussi que le retard apporté à l’impression du mémoire a permis d’ajouter au texte présenté en 1777 devant l’académie, des observations supplémentaires et des commentaires liés à des ouvrages parus entre temps.


Figure 1. Page de titre de l’Essai sur la Minéralogie des Monts-Pyrénées (éd. 1781) et page finale avec le privilège de l’Académie des sciences (éd. 1784).

L’édition la plus connue, celle de 1784, compte 331 pages, 12 planches gravées de dessins de paysages, 1 carte générale à 1/900 000 («organisation physique des Pyrénées», [figure 2] : versant français seul, au sud d’une ligne Bayonne - Tarbes - Saint-Martory - Tarascon-sur-Ariège - Perpignan), enfin 7 cartes locales (la première, du Labourd, à 1/169 000). Cette édition est légèrement réduite par rapport à celle de 1781 : celle-ci s’achevait par un «catalogue de Plantes observées dans cette chaîne de Montagnes» (p. 306-329) et par des commentaires aux trajets de voyages vers les Pyrénées (p. 329-346). Une carte (n° IX, éd. 1781) y représentait les itinéraires à partir de la capitale, avec leurs caractéristiques minéralogiques principales. On voit ainsi que l’abbé alla : 1) de Paris à Perpignan par Dijon, Lyon, Montpellier et Narbonne avec un écart Lyon-Autun ; 2) de Paris à Narbonne, par Orléans, Limoges et Toulouse ; 3) de Limoges à Tarbes, par Périgueux, Bergerac, Agen et Auch ; 4) d’Orléans à Tours, Poitiers, Bordeaux. On en conclura que Palassou effectua au moins quatre voyages d’études dans les Pyrénées. En outre, il a suivi (carte VIII, éd. 1781) un itinéraire sur le versant espagnol, du Somport à Bielsa.


Figure 2. Carte de situation montrant les vallées des Pyrénées visitées par Palassou ; extrait de la carte générale de l'Essai. Agrandir

Dans son «Introduction», l’abbé indique d’emblée son résultat majeur : loin d’être un chaos, la chaîne montre une «uniformité constante de [sa] structure intérieure». Au-dessus de masses «graniteuses», «les Monts-Pyrénées sont composés de bandes calcaires et de bandes argilleuses […] qui se succèdent alternativement», selon le type d’organisation prôné ailleurs par Guettard et l’abbé de Sauvages, qu’il cite.

L’ouvrage est ensuite consacré à la description de trente itinéraires, qui remontent les vallées pyrénéennes du nord au sud. Il débute par le Pays basque pour finir en Roussillon, les régions à l’est de la Garonne étant traitées beaucoup plus sommairement que la Bigorre, le Béarn et les Pyrénées les plus occidentales. Ces itinéraires sont :

1 à 5 (carte I) : Pays basque (de Bayonne au « Pas d’Irun » ; vallée de Baïgorry ; sud de Saint-Jean-Pied-de-Port et de Saint-Palais) ;

6-7 (carte II) : Béarn (de Navarrenx : vers Sainte Engrâce ; vers le pic d’Anie via Arrette) ;

8 à 10 : Béarn (vallée d’Aspe et val de Canfranc, Aragon ; vallée d’Ossau - val d’Aran) ;

11 à 14 : Bigorre, Lavedan (val d’Arrens ; val de Cauterets ; gave de Pau, de Lourdes à Gavarnie ; vallée de Barèges, en Bastan) ;

15-16 : Bigorre, haut-Adour (vallée de Campan , vers le Tourmalet ; vers Bielsa) ;

17 : Bigorre (vallées d’Aure et du Louron) ;

18 à 20 : Comminges (vallée de Larboust ; Garonne supérieure, de Montréjeau à Luchon et au val d’Aran) ;

21 à 23 : Couserans (Saint-Martory-haute vallée du Lez ; sud de Saint-Girons vers le port de Salau et vers Lers, via Massat) ;

24-25 : Comté de Foix (Tarascon à Vicdessos ; haute Ariège) ;

26 : Donnezan et Capcir, haute vallée de l’Aude (Usson à Montlouis) ;

27-30 : Pyrénées orientales (vallées de la Têt, du Tech et vers La Junquera ; de Perpignan à Cerbère).

Chaque chapitre expose successivement, en principe : 1) description «minéralogique» (la marge des pages indique, sur deux colonnes : la direction des bancs ; leur inclinaison) ; 2) mines et indices miniers ; 3) observations historiques, pittoresques, sociologiques. Sur les cartes locales, des signes minéralogiques attestent du but initial essentiellement utilitaire de l’ouvrage : minéraux (blende, cuivre, fer, plomb, pyrite) ; ressources en eaux (fontaines minérales chaudes ; minérales ; salées) ; matériaux (gravier, grès, pierre à plâtre, pierre calcaire, sable, schiste ou terre argileuse) ; ouvrages (mines anciennes, fours à chaux, forges, tuileries).

La période pendant laquelle Palassou effectua ses observations coïncide avec celle (1766-1779) où les ingénieurs-géographes établissaient, dans les Pyrénées françaises et leur piémont, les feuilles méridionales de la célèbre – quoique médiocre en montagne – carte dite de Cassini. Cette carte, basée sur la triangulation, donnait une planimétrie utilisable, avec ébauche des lignes de côtes, des reliefs et de l’hydrographie, mention des localités et lieudits, et des principales routes. Par contre aucune altitude n’est mentionnée [Pelletier, 1990, La carte de Cassini, Presses de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées, 263 p.].

Palassou a pu utiliser les feuilles parues, la première en 1770 (Tarbes), les dernières en 1779-1781 (Bagnères, Cauterets). Et cela d’autant mieux que l’un des ingénieurs-géographes, François Flamichon, devint son ami. Celui-ci participa aux levers sur Bayonne (en 1766 et 1771), Tarbes (1768), Saint-Jean-Pied-de-Port (1770) et Cauterets (1772-1773). Flamichon n’apparaît plus après 1773 dans l’organisation de Cassini. Il se fixa à Pau, où il fut fort actif [Desplat : François Flamichon …, Revue Pau et Béarn, 1973, p. 117-136]. Palassou, qu’il accompagna souvent dans ses tournées, le cite souvent. Flamichon dessina un grand nombre de panoramas pour l’abbé, mesura bon nombre d’altitudes et finit par rédiger une Théorie de la Terre qui sera imprimée en 1816, post-mortem.

On doit fureter tout au long de l’Essai de Palassou pour connaître ses idées sur les divers aspects de la constitution physique des Pyrénées. Beaucoup plus tard [11, 12], il reprendra telle ou telle question concernant la chaîne et l’on pourra s’assurer que, sauf rares exceptions, il aura maintenu, malgré les progrès de la connaissance durant presque un demi-siècle, ses options de jeunesse, comme d’Archiac l’a déjà remarqué [1]. Voyons donc les principaux sujets sur lesquels l’abbé a exprimé son opinion.

A. La morphologie des Pyrénées.

Palassou a bien vu le caractère linéaire de la chaîne, dont il a fixé la direction moyenne, en remarquant le décalage vers le nord de la ligne de faîte, au niveau du val d’Aran. Il fait peu d’allusions, dans l’Essai, aux altitudes des sommets de la chaîne, qu’il a été accusé de n’avoir observés que de loin. H. Béraldi [2] s’en est moqué. Sa malignité lui a fait écrire que Palassou n’est même pas monté au port de Vénasque (2 445 m) au sud de Luchon, mais qu’il s’est arrêté à «l’hospice» (1 386 m), en trouvant «moyen d’escamoter les Monts Maudits» [= la Maladeta]. Or le Béarnais précise en noir sur blanc qu’en août 1782 : « je parvins à la crête du port de Vénasque », mais non à la cime de la Maladeta, très difficile d’accès et que même Ramond et ses compagnons n’ont pu qu’approcher [14].

L’abbé abordera le sujet des altitudes en 1819 [12, p. 416-428], d’après les mesures de nombreux «physiciens», parmi lesquels son ami Flamichon, que Palassou sollicita à ce sujet. Mais ce furent surtout Reboul et Vidal qui eurent le plus grand rôle, le premier fixant le sommet le plus élevé, fort discuté, dans le massif de la Maladeta, au Néthou plus précisément : 1787 toises, soit 3373 m (actuelle estimation, 3 408 m). Palassou se prévaudra de l’avoir «toujours pensé» …

«La nature change continuellement la surface de notre globe ; elle élève les plaines, abaisse les montagnes ; et l’eau est le principal agent qu’elle emploie» [9b, 1784, p. 87]. L’abbé explique que l’intensité de l’érosion des torrents pyrénéens produit les amas de «blocs énormes de granit et de matières terreuses» de la vallée d’Azun (= Arrens) en amont d’Argelès, que l’on sait maintenant être du fluvio-glaciaire. Il relate certains épisodes montrant la puissance des eaux : après deux mois de pluie, les dégâts causés en Catalogne en 1617, qui auraient entraîné plus de 50 000 morts [12, p. 323] ; plus personnel, le résultat des furieux orages qu’il essuya, avec Flamichon, dans la vallée de Gavarnie, les 30 et 31 juillet 1780.

L’affirmation de l’action capitale des eaux courantes en montagne n’avait dès cette époque rien de très original. Dans les Pyrénées, justement, le chimiste Jean Darcet avait écrit, dans un opuscule [Discours en forme de dissertation sur l’état actuel des Pyrénées et sur les causes de leur dégradation, 1776] que le matériel arraché aux montagnes, était transporté par les eaux courantes dans les plaines et jusqu’aux rivages. Il s’appuyait sur ses observations de 1774 dans les montagnes entre le gave d’Aspe et le haut Adour [M.J.J. Dizé, Précis historique sur la vie et les travaux de Jean d’Arcet…, Paris, an X]. Son « discours » aurait fait sensation lors de son cours inaugural au Collège de France et il répéta l’exercice devant l’Académie des sciences (qui l’accueillera en 1784) le 4 décembre 1776, six mois après le premier exposé de Palassou sur les Pyrénées.

L’abbé estime que l’ampleur de cette érosion peut être évaluée. Il accepte l’estimation d’Antoine de Gensanne [Histoire naturelle de la province de Languedoc, 1776, t. II, p. 123] qui avait «trouvé, par des observations non équivoques, que ces vicissitudes [= actions atmosphériques] abaissent la surface des Pyrénées, d’environ 10 pouces par siècle», c’est-à-dire 2,7 mm par an. Palassou en conclut qu’«il s’écoulera un million d’années avant leur destruction totale». L’action des eaux a dû se produire à partir d’un état initial où les Pyrénées «n’étaient probablement qu’une masse continue, dont la partie la plus haute consistait en un vaste plateau», à bancs presque horizontaux (l’abbé pense aux couches peu inclinées de Gavarnie, celles du Marboré). On peut difficilement placer notre Béarnais parmi les partisans incontestables d’une longue durée pour le passé du globe quand il écrit [12, p. 340] : «notre chronologie est bien propre à faire naître des doutes, car l’espace de six ou sept mille ans [les six ou sept jours de la Genèse] paraîtra peut-être trop brève [depuis le retrait de la mer] pour attribuer à l’érosion des eaux pluviales la formation des vallées»

Dans ses Voyages physiques dans les Pyrénées en 1788 et 1789[Le Clerc, Paris, 1795, 420 p.], l’ingénieur-géographe F. Pasumot critiquera Palassou, et aussi Ramond, d’avoir imaginé que les cours d’eau pyrénéens, du fait de l’alternance de couches dures ou tendres fortement inclinées vers le NNE, ont d’abord creusé des vallées longitudinales E-W qui, par la suite, ont été capturées par les actuelles vallées transversales, N-S. A cette manière de voir, Pasumot opposera l’affirmation que les vallées sont, et ont été dès l’origine, transversales à la chaîne.

Palassou trouvera un argument en faveur de l’idée que les gorges pyrénéennes sont «l’ouvrage des eaux», et probablement «des torrens» dans le fait que les «angles saillants» d’une rive correspondent aux «angles rentrants» de la rive opposée, en reprenant la terminologie de Bourguet. Il en verra un exemple en vallée d’Aspe [9b, p. 76].

B. Le «granit», soubassement de la chaîne

Palassou considère que la formation du granite a précédé l’arrivée de la mer, ce qui semble montrer que le Béarnais exclut, dans son Essai, l’origine aqueuse de cette roche. Il décrira les «masses prodigieuses» de «granit en masse» (il dira aussi «granit central») à l’est de la vallée d’Aspe. On peut le croire tenté de suivre Horace-Bénédict de Saussure, qui en fait «l’ouvrage de la cristallisation», voire Barral [Histoire naturelle de l’isle de Corse, 1783] qui, croyant voir l’association de laves au granit, attribue ce dernier au «feu des volcans». Cependant Palassou, constatant l’absence de tels volcans dans les Pyrénées, se sent obligé de «suspendre son opinion [sur] une des opérations les plus secrètes de la nature». Beaucoup plus tard [12, p. 342-368], il nuancera son opinion : «si l’on ignore encore l’origine du granite, la plupart le regardent comme le produit d’une cristallisation aqueuse» [11, p. 305].

Mais il est une autre sorte de «granit». En effet, « adossé en général contre » le granite en masse [9b, p. 171-174], un «granit stratifié» (ou «feuilleté») – qui sera plus tard [12, p. 88] qualifié de «gneis» – peut montrer des intercalations de calcaires, et il est disposé «en couches qui suivent la direction des pierres calcaires et argilleuses» marines qui le surmontent. L’abbé estime qu’il s’agit de débris arrachés au «granit en masse», charriés par les torrents avant de se déposer «dans les eaux de la mer». Il reviendra longuement sur cette question [12, p. 342-368] : la réunion de ses anciennes observations avec celles, plus récentes, de Dolomieu, Charpentier et Ramond «semble ne pas permettre qu’on place au même rang, les granits en masse et les granits disposés par couches. Ces derniers paraîtraient avoir été formés de débris du granit central, comme je l’ai dit, dans l’Essai sur la Minéralogie des Monts-Pyrénées». En quarante ans, aucune évolution ne s’est produite chez le vieil homme !

C. Les roches sédimentaires marines de la «seconde époque».

Palassou a constaté qu’au-dessus des granites, les «Monts-Pyrénées sont composés de bandes calcaires et de bandes argilleuses qui se succèdent alternativement» [= qui alternent] en «couches parallèles qui s’étendent à des distances considérables» [9b, p. 170]. On sait aujourd’hui que ces alternances, bien réelles quoique moins régulières que ne le pensait le Béarnais, s’expliquent soit par des successions litho-stratigraphiques, soit par des répétitions tectoniques, inimaginables à l’époque de Palassou.

L’abbé ne pouvait donc au hasard des itinéraires, que mentionner la suite des roches traversées.

Les pierres à chaux [9b, p. 126-127] sont «ou le résultat des débris de corps marins, réduits en poussière […] ou elles peuvent être composées de coquilles entassées les unes sur les autres». En fonction de la disposition observable de ces calcaires, «on est autorisé à croire que le gluten [= substance visqueuse] des coquillages a servi à fixer sur un plan incliné les corps marins qui, dans la suite des temps, se sont convertis en pierre calcaire».

Palassou parle indifféremment de «calcaires» ou de «marbres». Sous la seconde appellation (en particulier les «marbres statuaires»), il énumère des roches dont la plupart sont – on le sait aujourd’hui – du Dévonien moyen ou supérieur : le «veiné de vert et de rouge» de Campan, [9b, p. 206], les variétés polychromes de marbres mêlés à une «substance argileuse» de la vallée d’Aspe, dans la région de Lescun [9b, p. 69] où l’on reconnaît les actuelles «griottes». D’autres marbres, tels ceux de Sarrancolin [9b, p. 216] appartiennent au Crétacé supérieur.

L’abbé cite aussi le «marbre blanc de Loubie» (= Louvie], en vallée d’Ossau [9b, p. 94]. Dans ses mémoires inédits, partiellement publiés en 1934, il révèle qu’au commencement de la Révolution, il envisagea avec son ami Flamichon d’exploiter ces roches : ils en expédièrent plusieurs blocs à Paris, par voie d’eau jusqu’à Bayonne, de là par mer jusqu’à l’embouchure de la Seine et remontée au «Port Saint-Nicolas» de la capitale. Hélas, la teinte grisâtre et les petites fentes de ce marbre de Loubie s’opposèrent à la tentative de nos apprentis capitalistes !

Palassou remarqua un type particulier de «marbre gris» avec une «infinité de corps circulaires», «marins» [9b, p. 253], en vallées d’Aspe (Pène d’Escot) et de Baretous [9b, p. 53 et 63], comme en vallée d’Ossau [9b, p. 92] et à Saint-Girons, et il est tenté d’en faire les «dépouilles d’une seule famille de coquillages». Il doit s’agir de nos calcaires oolitiques.

Le Béarnais affirme [12] avoir trouvé le premier en 1776 des fossiles dans les Pyrénées : en vallée d’Aspe, des « calcaires à Madrépores » au Pourtalet [9b, p. 71, cf. pl. V], que nous savons maintenant dévoniens, et des « coquilles bivalves pétrifiées » aux Eaux-Chaudes [9b, p. 98], qui lui ont été données par Flamichon, et il a lui-même recueilli près de Loubie des « morceaux de marbres, avec des impressions de coquilles bivalves » [9b, p. 94]. Après avoir été mis sous les yeux de l’Académie, ces échantillons furent confiés à Guettard et à Lavoisier.

La seule allusion que Palassou fasse à la dolomie [12, p. 56], roches baptisée depuis 1792, et dont on sait la fréquence dans les Pyrénées, est pour dire qu’il n’a pu la mettre en évidence « par la collision » : il faut sans doute lire par la « phosphorescence » liée au choc, que Dolomieu, inventeur de cette roche, considérait comme un moyen de reconnaissance.

2° « L’argille » est, avec le « granit » et le calcaire, la troisième roche essentielle que cite Palassou [9b, Introduction], ajoutant que « la plupart des matières argilleuses sont disposées par couches, généralement connues sous la simple dénomination de schiste ». En fait, dans le cours du texte, divers termes apparaissent, que l’auteur semble utiliser dans le sens de roches de plus en plus indurées : terre glaise, argile, marne, schiste mol, ardoise argileuse et ardoise marneuse, schiste argileux, « schiste dur argileux mêlé de quartz ». Les terres argileuses peuvent être « différemment colorées, rouges, jaunes ou grises » dans la région de Saint-Jean-Pied-de-Port [9b, p. 18], où il s’agit de faciès triasiques. Des « schistes rouges argileux » au Sud d’Urdos et au col du Somport [9b, p. 71-72] correspondent à notre Permien, schistosé.

Quant à l’origine des argiles, « il semble qu’on pourrait imaginer, sans choquer la vraisemblance, qu’une grande partie de cette terre provient de la destruction de végétaux » [9b, p. 147], et Palassou se retranche derrière Monnet … Encore que, selon Buffon – ajoute-t-il – « les cailloux les plus durs, les laves des volcans et tous nos verres factices se convertissent en terre argilleuse par la longue humidité de l’air » [9b, p. 154].

L’abbé affirme que les « schistes argilleux », comme les « pierres calcaires » des Pyrénées, sont des dépôts marins, résultant d’un « travail de la nature lent et paisible » [11, p. 306]. L’alternance des roches est due à plusieurs causes, parmi lesquelles des « courans périodiques, à des époques différentes » [14, p. 39-45].

Les cornéennes. Classées par Palassou parmi les « schistes argilleux », se trouvent les « pierres de corne ». Il finit par employer, mais à regret [13, p. 114] ce terme, qu’il refusait en 1781 dès l’introduction de son Essai. Il y indiquait pourtant [9b, p. 177] qu’à l’est de Barèges, les « schistes durs contiennent une pierre verdâtre assez dure pour donner des étincelles lorsqu’on la frappe avec le briquet [= morceau d’acier] ; entre les masses de cette pierre verdâtre qui semble approcher de la nature de l’ophite, on voit des couches de marbre gris fissile ». L’abbé décrit ainsi les roches singulières que l’on nommera plus tard « barégiennes » : cornéennes calciques rubanées dérivant par métamorphisme thermique d’alternances schisto-carbonatées d’âge dévonien, qui fournirent à Picot de Lapeyrouse et à Dolomieu, en 1782, les remarquables minéraux que décrira en détail Alfred Lacroix dans sa Minéralogie de la France. Palassou conclut que ces roches – que retrouvera Pasumot – bordant la vallée de Barèges, qu’on les désigne « sous le nom de schiste argileux, ou de pierre de corne », sont des matières « dont l’argile est un des principaux éléments ».

L’existence des « pierres de corne » de Barèges remet en question, estime l’abbé, leur attribution aux « roches dites primitives ». Ne s’agit-il pas de « matières secondaires », remaniant des « molécules détachées » du granite voisin ?

4° Certaines roches détritiques sont citées occasionnellement. Si l’on s’étonne que Palassou ne fasse pas allusion au puissant « grès rouge » pyrénéen d’âge permo-triasique, que dénommera Jean de Charpentier, il insiste par contre sur deux types d’accumulations de roches très grossières.

1) Les poudingues de Mendibelza : dès l’introduction de l’Essai, le Béarnais notera l’existence dans les hauts reliefs des Pyrénées occidentales (du pays de Soule à la vallée d’Aspe) d’amas énormes de « galets siliceux, liés par un gluten » [9b, p. 24, 40, 44], déposés par les « eaux de la mer ». Ce sont nos actuels « poudingues de Mendibelza », d’épaisseur kilométrique et d’âge albien. Il est curieux que le terme de « poudingue » ne soit pas employé pour ces roches. Pourtant Palassou connaissait ce récent dérivé du « pudding-stone » anglais, qu’il utilise pour des « poudingues » (permiens) des Aldudes [9b, p. 12]. Il faudra attendre le mémoire de 1815 pour que l’abbé tente une explication [11, p. 306] de ces terrains, en invoquant « des mouvements impétueux et désordonnés » de la mer « dans quelques parties de la chaîne », qui se seraient produits « en même temps » qu’ailleurs se déposaient des roches redressées et organisées, elles, en bandes régulières WNW-ESE.

2) Les poudingues dits de Palassou. On sait qu’ils forment d’énormes accumulations, d’âge Eocène supérieur-Oligocène, au pied nord de la chaîne, dont ils traduisent l’érosion à la suite d’exhaussements d’origine tectonique (l’ancienne « phase pyrénéenne » de Stille). Le professeur toulousain Leymerie dédiera, en 1878, ce poudingue à « l’ancien et sagace géologue Palassou [qui] avait su le distinguer » [cf. Durand-Delga, Trav. Comité fr. Hist. Géol., 3è s., t. XIV, 2000, p. 93-94]. D’Archiac [1, p. 188] remarque justement que le Béarnais ne fait aucune allusion dans ses travaux aux collines de l’Ariège et de l’Aude où Leymerie observa et baptisa ces poudingues. On peut par contre trouver une allusion à de telles roches dans les « atterrisemens de cailloux calcaires » [12, p. 369-370] au nord de la vallée d’Ossau. Si, dans l’Essai [9b, p. 89-91], il est brièvement parlé de cette « formation […] de pierres roulées », par contre le sujet est développé dans un chapitre [12, p. 309-374] de la Suite … de 1819. L’abbé y parle « d’amas de cailloux […] tous généralement calcaires […] ; leur texture est grossière ; ils ne souffrent pas le poli et proviennent d’une sorte de pierre de liais » [= calcaire à grain fin]. Les éléments peuvent atteindre « deux pieds [= 60 cm] de diamètre » et même, exceptionnellement, 1 m3 [11, p. 120]. Ces « masses prodigieuses de débris accumulés », situées au-dessus de « matières marneuses », apparaissent dans des « coteaux ou collines », particulièrement sur la rive gauche du gave de Pau, et Palassou semble lier la qualité des vins de Jurançon à leur présence ! A ses yeux, ces accumulations pourraient être fluviatiles et d’origine relativement proche, mais cela reste à démontrer.

Comme ailleurs, l’abbé qualifie également de « pierres roulées » parfois perchées, des alluvions, évidemment quaternaires, du gave d’Oloron [9b, p. 37] ou du haut Adour [9b, p. 156], on ne saurait affirmer qu’il ait bien saisi la signification du futur « poudingue de Palassou ». Toutefois [11, p. 120], il sépare nettement les poudingues très grossiers visibles à Jurançon des « cailloux de la plaine du gave [de Pau] et du Pont-Long ».

L’ophite « de Palassou ». Cette roche, que l’abbé découvrira dès le début de ses recherches, l’a préoccupé toute sa vie. Il en présentera des échantillons à l’Académie des sciences, qui figureront dans le cabinet d’histoire naturelle de Lavoisier. Citée d’abord [9b] ponctuellement, puis traitée dans un article spécial confié au Journal des Mines [10], l’ophite fera l’objet de longs développements, spécialement en 1819 [12, p. 100-305].

Cette « pierre argileuse, verdâtre, dont quelques parties sont assez dures pour donner des étincelles, lorsqu’on la frappe avec le briquet ; cette pierre que nous nommerons ophite […] est enveloppée d’une croûte ferrugineuse de couleur brune » [9b, p. 9-10]. Elle est « principalement composée d’hornblende et de lames de feld-spath » [10]. Palassou en indique les affleurements principaux : en Pays basque, la « pierre d’Atheray », parfois « couverte […] de schorl verdâtre » [9b, p. 40] ; le bassin de Bedous [9b, p. 66-67] en vallée d’Aspe ; le pont de Pouzac sur le haut Adour [9b, p. 186], le site le plus oriental étant au sud de Saint-Martory [9b, p. 249-250].

L’abbé nous révèle [12] que le terme d’ophite, sous lequel les Anciens désignaient d’autres roches, également verdâtres à couleur peau de serpent, lui a été suggéré (à côté de celui, possible, de « granitelle ») par le chimiste Bayen. Celui-ci analysa des échantillons que le Béarnais lui remit en 1777. Un temps, en butte aux contestations de naturalistes consultés par lui, Palassou parla de la « pierre verdâtre des Pyrénées » [10, p. 41]. Plus tard, il admit la synonymie de son ophite avec la « diabase de M. Broignard » [= Brongniart], le « trapp » des Suédois, le « grunstein » de Gottlob Werner [13, p. 139-153]. Il discutera les liens et les différences avec la serpentine (certains observateurs lui assimilaient l’ophite) et avec le « pyroxène en roche » ou « schorl en masse ».

L’abbé a toujours considéré que son ophite résultait de la recristallisation de matières argileuses. La voyant associée à des calcaires, il s’est acharné à tenter d’établir la situation relative des deux roches, constatant aussi le voisinage de gypses (qui peuvent, dit-il, dériver de l’action d’acide sulfurique sur du calcaire) et de « schistes ». Dans le bassin de Bedous, la « peyre-franque », « pierre calcaire jaunâtre, solide, dure, à nombreux trous », qui doit correspondre à notre actuelle « cargneule », accompagne l’ophite, dite ici « nioure ». Dans les environs de Dax et de Salies (de Béarn), des marnes à « cristaux de quartz rouge, opaque, connus sous le nom d’Hyacinthes de Compostelle » lui sont également associées. Cette description est exactement celle des termes du Trias des Pyrénées et d’Aquitaine !

Palassou discutera longuement de l’âge de l’ophite, que certains estimaient « primitive » mais que lui pense, du fait de l’association avec des calcaires, « de seconde origine » [12, p. 191]. Se fiant à des dispositifs locaux, il conclura [12, p. 305] que l’ophite de Dax est antérieure aux calcaires, gypse, etc., voisins, alors que l’« ophite des Pyrénées » paraît de même âge que les calcaires et schistes « alternants ».

L’abbé s’est toujours heurté à maintes oppositions. Ainsi le naturaliste J. F. Borda d’Oro (1718-1804) qualifiait de « basalte » la roche des environs de Dax, ce dont se gausse le Béarnais du fait de l’absence de vraies laves et de basaltes prismés, comme il le fit remarquer à Borda lors de la visite qu’il lui fit. Dolomieu, à propos du gisement-type de Pouzac dont Palassou lui avait envoyé des échantillons à Barèges en août 1782 [cf. Durand-Delga, 2002, op. cit.], tout en éliminant une origine « volcanique » du fait de l’absence de « basaltes prismatiques », voyait dans l’ophite « un produit du feu », ce qu’Alfred Lacroix, en 1918, traduira en parlant de massif intrusif.

Palassou s’est amèrement plaint [11, p. 296-298] que sa découverte de l’ophite ait été suivie de 25 ans de silence de la part des autres naturalistes. Ce ne fut pas le cas par la suite, la plupart des observateurs contestant l’origine sédimentaire de l’ophite, à laquelle Palassou s’accrochera jusqu’à sa mort. Cela entraînera l’acrimonie et même la tristesse du vieux savant, perceptible dans sa correspondance avec Jean de Charpentier – qu’il avait voulu convaincre, mais en vain – et avec Picot de Lapeyrouse.

L’absence de volcans dans les Pyrénées sera la base du raisonnement du Béarnais. Il allumera en 1823 [14] un contre-feu à la découverte des volcans éteints de Catalogne, qu’avait observés l’abbé Pourret, naturaliste narbonnais réfugié en Espagne (et qui y mourra) lors de la Révolution française. Palassou exclura, à juste titre, que ce volcanisme, que nous savons maintenant être plio-quaternaire, ait un quelconque lien avec les ophites.

D. Géométrie et dynamique géologique dans les Pyrénées

Palassou ne se contenta pas, à la différence d’autres naturalistes qui le suivirent, tel Pasumot, de donner un catalogue de roches. Il tenta aussi, avec les faibles lumières de l’époque, d’en imaginer les rapports en essayant d’arriver aux causes des phénomènes.

Quand il écrit l’Essai, l’abbé distingue clairement « deux époques très distinctes dans la formation des Pyrénées [9b, p. 170] : - la première [celle] des masses prodigieuses de granit […] généralement base à l’enveloppe extérieure du globe » ; - la deuxième [qui] réunit les couches parallèles [c’est-à-dire les « bandes » de calcaires et d’argiles] qui s’étendent à des distances considérables, les amas de galets, les pierres calcaires […] qui attestent qu’une grande partie des Pyrénées est l’ouvrage de la mer ».

Une telle distinction n’a rien de très original au XVIIIe siècle. Le singulier, dans une chaîne de montagnes comme les Pyrénées, est que les sédiments de la « deuxième époque », à en croire Palassou, se sont déposés suivant une forte inclinaison sur leur base granitique. Il faut en conclure qu’avant l’arrivée de la mer, « il existait déjà de grandes montagnes, purement graniteuses » [9b, p. 171] qui, en fonction de leur dispersion observable, formaient « plusieurs points d’appui ou noyaux ». L’abbé ne dévoile pas sa pensée sur le mode de formation, ni sur les causes de localisation de tels « noyaux ».

Viendra se greffer sur cette question le problème de l’âge des calcaires, qui n’est pas abordé dans l’Essai, mais le sera plus tard. Dans la Suite de 1819 [12], Palassou rappelle que « des minéralogistes très habiles », tels Saussure [non 1771, mais 1792] comme Delamétherie ont distingué : une « espèce primitive » de calcaires, à cassure grenue, d’un « marbre salin » (= cristallin), blanche, luisante et cristallisée ; et une « espèce secondaire », « à cassure compacte ».

Dans les Pyrénées de l’Ariège, Picot de Lapeyrouse [Excursion dans une partie du comté de Foix, 1788] avait lui aussi séparé ces deux catégories : d’une part, les calcaires situés dans les hautes régions, « sans débris de corps marins » et « contemporains des roches les plus antiques » ; d’autre part, en dehors de la grande chaîne, les calcaires à restes animaux, déposés « sous les eaux », ce qui, pour le naturaliste toulousain, manifestait « deux époques bien distinctes, bien avérées dans la formation des montagnes ».

Plus près du terrain de chasse de Palassou, Pasumot [Voyages physiques dans les Pyrénées, 1795] reprendra la même idée. N’observant pas de « corps marins » dans les calcaires autour de Barèges, entre Cauterets et Campan, il en déduira qu’il s’agit de « calcaire primitif ». Il rappelle cependant que, juste à l’ouest, dans la vallée d’Ossau, Palassou a cité des fossiles : sans s’étonner que les calcaires de ces deux régions soient en continuité latérale !

Palassou, en 1819, contestera cette séparation entre « calcaire primitif » et « calcaire secondaire », en raison de l’alternance de ces deux types de calcaires avec des schistes argileux, le tout étant le « produit d’un travail simultané ». Il note ainsi que, près des Eaux-Chaudes, des calcaires compacts et grenus à fossiles marins (donc du deuxième type), situés au contact du granite, se placent sous des alternances où des calcaires « à cassure grenue », les marbres de la Loubie (du premier type) sont situés plus loin du granite, donc pour lui plus jeunes. On soulignera que ces considérations n’ont aucune valeur dans un tel débat, du fait de la complexité tectonique de la région. Plus valable sera la remarque de Charpentier, qui écrivit en 1812 à Palassou que, ni la couleur ni la texture ne permettent de décider de la catégorie des calcaires car il a trouvé des marbres (= faciès du premier type) à « corps marins » (caractères du deuxième type).

Le Béarnais conclura donc en 1819 [12, p. 92-93] que la distinction entre calcaires « primitifs » et « secondaires » n’est pas possible dans les Pyrénées. Seul cas particulier : les couches calcaires situées au milieu « d’autres couches de granit feuilleté (gneis) » en sont contemporaines, mais leur formation « semble en général moins antique que celle du granit en masse fondamental ».

Palassou sera ainsi amené à voir dans ces « gneis », « une roche mixte […] qu’on pourrait justement appeler de transition ».

La deuxième époque, après ce terme « de transition », verrait donc la sédimentation alternante, effectuée parallèlement à la surface inclinée des granites, et qui apparaît donc en bandes calcaires et argileuses, plongeant vers le NNE. L’abbé semble considérer que ces dépôts se sont formés rapidement, les couches de plus en plus jeunes devant évidemment se trouver de plus en plus loin de la chaîne.

Il existe pourtant une singularité : les calcaires du Mont-Perdu, où Ramond a découvert des fossiles, se trouvent à quelque 3 000 m d’altitude et ils sont au cœur de la chaîne. Ils « attestent que l’Océan n’a point de bornes insurmontables, et qu’il couvre le globe de la terre au gré de son inconstance » ! La nature marine et l’altitude de ces dépôts peu inclinés (que l’on sait maintenant appartenir au Paléocène ibérique) amèneront en 1823 Palassou [14, p. 46-71] à les placer à la fin de « ce majestueux ouvrage », par « l’accumulation des matières calcaires […] des environs de Gavarnie, moins mêlées de schistes argileux et qui sont remplies de dépouilles marines ».

Postérieurement à l’Essai, le Béarnais, habitant Ogenne, s’intéressera [11, p. 310-410] aux « terrains situés au pied des Pyrénées » occidentales. Il remarque, au nord, des « alternances » sédimentaires de la chaîne, dont « il n’est pas douteux qu’elle fut créée la première », les « couches inclinées des côteaux et des collines qui la précèdent du côté du nord [et qui] succédèrent aux précédentes ». C’est là « une formation qu’on pourrait appeler tertiaire » [12, p. 67], seul cas où ce vocable apparaît sous la plume de Palassou.

Ce n’est pas tout. En se déplaçant encore plus au nord, sous les sables de l’Aquitaine occidentale, Palassou a vu des calcaires à « corps marins » en couches horizontales, qui doivent « être l’ouvrage postérieur des eaux de la mer ».

Telle apparaît, sur le méridien du Béarn, l’ébauche d’une succession stratigraphique, les termes étant d’autant plus jeunes que leur pendage est plus faible. C’est une manière originale de retrouver ainsi le principe de superposition d’une série sédimentaire !

E. Palassou devant les couches inclinées ou ployées

Toute sa vie, Palassou demeurera fidèle à l’idée que les roches des Pyrénées qu’il reconnaît comme des sédiments marins ont conservé la position géométrique qu’elles avaient au moment de leur dépôt. Il le dit [9b, p. 124-126] dans l’Essai : « au-dessus de hautes éminences, uniquement composées de masses de granit […] les bancs calcaires et argileux » montrent une inclinaison correspondant à « la pente [originelle !] de leur base ». « On est autorisé à croire que le gluten des coquillages a servi à fixer sur un plan incliné des corps marins qui, dans la suite des temps, se sont convertis en pierre calcaire ». Pour les roches argileuses, Palassou rappelle les expériences faites avec une eau chargée de limon, remplissant un récipient : par évaporation du liquide, ce limon va se déposer sur les parois du vase. La répétition du phénomène lui semble pouvoir aboutir à former des couches limoneuses inclinées sinon verticales.

Il y reviendra longuement en 1815 [11, chap. « De l’inclinaison des couches », p. 411-434]. Il pose d’abord le problème : « L’inclinaison des bancs ou couches est envisagée par quelques observateurs, comme une loi générale de la nature ; d’autres la regardent comme des accidens ou des effets partiels, produits par des causes particulières, telles que des tremblemens de terre locaux, des affaissemens, des soulèvemens etc. Pour moi, je persiste à présumer que l’inclinaison générale des couches date de la même époque que leur origine ». Il ajoute : « Il faut convenir que les matières sont douées d’une propriété glutineuse, qui les fait adhérer les unes aux autres […], un pareil gluten ne pourrait-il pas avoir servi pareillement à la formation des couches inclinées ou verticales ? ». C’est, mutatis mutandis, l’adaptation à la géologie d’une espèce de théorie du phlogistique !

L’abbé manie l’ironie : « Si les couches inclinées eussent été primitivement horizontales, il faut convenir que le globe terrestre aurait subi d’épouvantables et nombreuses catastrophes … heureusement l’homme ne paraît pas en avoir jamais été témoin ».

Palassou rapporte les opinions qui régnaient à ce sujet et les hésitations de certains savants, et non des moindres. Buffon qui, parti de l’idée que l’inclinaison des couches dépend de la pente de leur base, conclut ultérieurement que « les matières des Pyrénées étaient jadis horizontales » avant que leur masse ait « penché, tout en bloc […] dans le moment d’un affaissement, sur une base inclinée ». Saussure [Voyages dans les Alpes, t. I, p. 217], après avoir longtemps cru au redressement de couches d’abord horizontales ou inclinées, est arrivé « à penser que la nature peut avoir formé de ces bancs très-inclinés, et même perpendiculaires à la surface de la terre », pour revenir enfin [idem, t. II, p. 96] à l’intervention de « mouvements violents, qui ont redressé des plans originellement horizontaux ». Et Palassou d’appeler à la rescousse de son propre point de vue de Buch, Humboldt et Picot de Lapeyrouse à propos du Mont-Perdu, tout en convenant que Ramond [Journal des Mines, n° 68, p. 96] admet inversement, dans les Pyrénées, « le soulèvement ou l’affaissement de couches horizontalement déposées », comme d’ailleurs Dolomieu. Notre abbé termine son tour de table en se rassurant grâce à l’affirmation de Delamétherie [Journal de Physique, an VIII] : « L’idée de la formation des montagnes par soulèvement ou par affaissement, est entièrement abandonnée ; presque tous les géologues conviennent qu’elles ont été formées à peu près telles que nous les voyons ».

Cas inquiétant cependant, celui des poudingues [11, p. 422]. Quand ceux-ci sont redressés, Palassou admet qu’ils ont subi « l’effet de quelques causes particulières, tels que celui d’un affaissement local, d’un tremblement de terre ». Et il précise qu’à ses yeux, le dépôt de couches « perpendiculaires à l’horizon, ou très-inclinées » concerne surtout des matières « de corps très-légers, ou d’un limon très fin », sédimentées avec lenteur.

Dans cette question, une observation, qu’il fit en 1801 au pic du Midi d’Ossau, lui semble décisive. Dans ce cas, exceptionnel pour lui, il voit que des calcaires, orientés WNW-ESE, plongent dans des sens opposés (au nord, vers le NNE ; au sud vers le SSW), sans que les bancs « décrivissent une ligne circulaire [= une courbure continue] pour environner [la] montagne de granit ». Aux yeux de Palassou, « il est difficile de concevoir que les dépôts aient pu se former en sens contraire à la surface du granit » si cela ne résulte pas de la disposition lors du dépôt. En effet, pour le Béarnais, on ne peut pas admettre que ces couches « formassent primitivement un plan horizontal » : en effet, si l’on place à l’horizontale les calcaires de l’un des flancs, les calcaires de l’autre flanc sont amenés sous le granite (« primitif »), ce qui lui paraît absurde… L’idée d’un simple plissement anticlinal, dans un cas de ce type, était encore étrangère aux naturalistes.

Et pourtant Palassou a fort bien observé les replis des ensembles sédimentaires, que Flamichon a dessinés pour lui dans ses paysages. En pays de Soule (Figure 3), le très beau pli en chevron de calcaires (Jurassique) de la montagne de Lichans [9b, pl. III-1] et, dans la gorge de Larrau, les bancs, légèrement recourbés, des « marbres gris » de la « Muraille des géants » (ce sont les « calcaires des Canyons » d’âge crétacé supérieur) qui, en allant vers le nord, se redressent à la verticale [9b, pl. III-2]. Ou encore, dominant Pragnères, en haut gave de Pau (Figure 4), les replis, parfois apparemment fermés, dans des calcaires que nous savons dévoniens [9b, pl. IX-2]. Ces replis relèvent évidemment de la tectonique, discipline exigeant un état d’esprit complètement ignoré à l’époque. Palassou observe que « toutes ces couches arquées, festonnées en coin etc. conservent leur parallélisme ». Elles se sont « formées par simple dépôt » turbulent. Il invoque les expériences d’un Dr Paccard (Journal de Physique, 1781) qui fit des essais de sédimentation dans l’eau d’un récipient, en ajoutant successivement, à intervalles variables, des « terres différentes » (par leur couleur) qui, en se sédimentant, auraient formé des « couches parallèles, localement concaves, parfois pliées en coin »…

Plus tard [11, p. 420-421], l’abbé parlera « des ondulations et plusieurs formes tortueuses qu’une matière molle semble uniquement susceptible de prendre ». Eliminant les « grandes catastrophes », parfois envisagées à l’époque, comme affaissements de cavernes, tremblements de terre, volcans, il conclut à « la construction paisible, simple, uniforme d’un amas de roche qui n’est dégradé qu’à sa surface ». On croit comprendre qu’il ne s’agit plus à ses yeux de caprices de sédimentation (hypothèse de 1781) mais d’adaptations superficielles, par collapse si l’on veut, de couches litées (la « matière molle » de Palassou) sur des pentes abruptes.


Figure 3. Planches de l’ouvrage de Palassou (éd. 1781), dessinées par F. Flamichon, montrant des calcaires du pays de Soule affectés de plis.



Figure 4. Planche de l’ouvrage de Palassou (1781) montrant des plis dans les calcaires de Pragnères, le long du gave de Pau.

On voit, dans ces tentatives d’expliquer des faits pourtant bien observés par l’abbé, son allergie totale à envisager que des « mouvements violents » aient pu redresser ou ployer des couches déposées dans une disposition primitivement horizontale. Notre Béarnais est cependant gêné par son attitude. Il lui arrive de se dire « éloigné de vouloir rien affirmer », tout en ajoutant qu’« on ne prendrait aucun parti si l’on ne voulait embrasser que celui qui réellement est au-dessus de tout doute … ».

F. Phénomènes de dynamique interne dans les Pyrénées

Les eaux minérales. Généralement chaudes, elles ont été citées, car par cas, dans l’Essai. Qu’elles s’observent seulement à l’est de la vallée d’Aspe a fait supposer à Palassou [9b, p. 75-76] « que les montagnes graniteuses renferment le principe de chaleur de ces sources ». Cela l’amène à affirmer [9b, p. 198], à propos des eaux de Bagnères, « qu’il existe […], dans le sein des Pyrénées, un foyer immense, qui échauffe continuellement les eaux minérales dont ces montagnes abondent ».

En 1815 [11, p. 435-468, Mémoire sur la cause de la chaleur des eaux minérales des Pyrénées], l’abbé écrira qu’il y a une totale absence de volcanisme dans les Pyrénées (le volcanisme d’Olot, en Ampurdan, ne lui était pas encore connu) ; que la température maximale des eaux s’observe en Roussillon ; que le foyer d’échauffement des eaux ne peut être commun à l’ensemble des sources, qui sont dispersées sur une trop grande distance. En Chalosse, où existent des eaux thermales, il est porté à croire [12] « qu’il existe [là] des feux souterrains », sans aucune trace de volcanisme.

Alors qu’imaginer ? Palassou cite d’Aubuisson [1806], indiquant qu’on regarde généralement « les couches de pyrite comme de grands foyers de chaleur souterraine » d’où peuvent dériver « la chaleur des eaux thermales, et même les phénomènes volcaniques, mais on n’a pu donner encore aucun exemple de pareilles combustions ». Du coup, Palassou estime que le réservoir de chaleur est à placer à de grandes profondeurs, voire peut-être « au sein du granit central », et « plusieurs physiciens attribuent même la cause de la chaleur des eaux, aux feux qu’ils supposent au centre du globe » [11, p. 464]. Cependant, « comme il est difficile de pénétrer jusqu’aux principes secrets des choses », l’abbé se contentera de conclure « avec plusieurs physiciens, que la chaleur souterraine est une des merveilles de la nature, impénétrable à l’esprit humain » !

Les tremblements de terre du domaine pyrénéen seront également énumérés [11, p. 260-284 ; 12, p. 375-380]. Dans l’Essai, Palassou avait rappelé les deux grands séismes du 21 juin 1660 et des 23-24 mai 1750 qui ruinèrent Bagnères-de-Bigorre. Il cite aussi les environs de Lourdes et Arudy, en vallée d’Ossau, où Flamichon, se trouvait lors de secousses en août 1777 et juin 1778. Il semble que l’abbé mette en rapport les tremblements de terre avec des dégagements de vapeur liés aux eaux thermales.

V. La vie de Palassou après l’édition de son Essai

A. Sous la Révolution et l’Empire

Tout auréolé de son élection (en 1781) à l’Académie des sciences, Palassou acheta donc en 1782 son petit domaine de Susbielle et du coup la seigneurie d’Ogenne. Il s’agissait [7] de l’un des rares villages du Béarn, et le seul de l’actuel canton de Navarrenx, dont la population était restée en majorité catholique.

En 1788, l’abbé Palassou accompagne « sur le désir de la famille de Gramont et de plusieurs notables béarnais » [12, Introduction] le duc de Guiche, chef des Gardes, que le roi envoie à Pau pour tenter, d’ailleurs vainement, de réconcilier le parlement de Navarre avec le pouvoir central. Palassou décide alors de s’installer dans son pays d’origine, et d’abord dans son domaine d’Ogenne. A 43 ans, il abandonne ainsi définitivement la capitale et ne bougera plus de sa province.

Devenu « M. D’Ogenne » – pour peu de temps ! – il se mêlera un temps des affaires politiques à l’occasion de la préparation des Etats généraux. Il semble habiter à Ogenne : le rôle de la capitation du 12 novembre 1789 indique [7] qu’il avait alors deux valets et une servante, l’imposition étant de 15 livres pour les six derniers mois de l’année. Il doit alors écrire un Mémoire pour servir de supplément à l’Essai… » de 1781-1784 : cet ouvrage, dont Ramond accuse réception dans une lettre du début 1793, fut imprimé à Pau chez Pierre Daumon en 1791. Il comptait 67 pages in-4°. « Les troubles de la Révolution firent disparaître presque tous les exemplaires de cette publication » [7], que nous n’avons pu consulter.

La nuit du 4 août et ses suites amenèrent la suppression de tous les droits féodaux. Palassou se trouve ruiné : « J’avais perdu dîme, capitaux, censives, rente viagère de l’Etat » [6]. Il se replie à Pau [11, Avertissement] car « les Ogennois étaient de grands sansculottes » [7] : leur curé Arripe avait dû fuir, mourant de froid au pied du Pic du Midi d’Ossau, dans la neige hivernale de 1792, en tentant de gagner l’Espagne. Palassou restera à Pau jusqu’au jour de la chute de Robespierre, le 9 thermidor an II (1794).

Résumant sa vie durant cette période révolutionnaire, l’abbé aurait pu dire : « j’ai vécu », à l’image de Sieyès. Et il confiera : « Je n’ai été ni oppresseur ni opprimé » (lettre à Picot de Lapeyrouse du 13 septembre 1816, Bibl. centr., MNHN, Ms 1993, n° 636).

Le 17 nivôse an III (6 janvier 1795), le citoyen Baudot, représentant du peuple à Bayonne, offre à Palassou une « mission minéralogique dans le pays conquis » en Biscaye : « plus d’un motif m’empêcha de profiter de ces offres obligeantes » [13, p. 93]. On se doute de la raison principale quand on lit, sous la plume de Muthuon qui, lui, accepta la mission : « j’ai visité et reconnu, au péril de ma vie […] un pays où celui qui recherche l’ombrage d’un pommier, est tué aussi impitoyablement que celui qui en détache quelques fruits ! » [Journal des Mines, XI, Thermidor an III, p. 27]. Par la suite, l’administration départementale sollicitera de nombreux avis de Palassou, mais au nord des Pyrénées : il écrira avec amertume que « l’ancien gouvernement » ne lui alloua, de 1788 à 1800, qu’un total de « 3 600 livres », notoirement insuffisant selon lui [15], et loin de le dédommager même de ses seules dépenses.

Sollicité, le ministre de l’Intérieur lui octroya 500 francs le 14 thermidor an IX (1801), mais il fera ensuite la sourde oreille. Répondant à la lettre de Chaptal, Palassou se permit « de représenter qu’un pareil bienfait était plus conforme aux sentiments de pitié que l’indigence inspire, qu’à la munificence d’une grande nation » [Lamare, Bull. Soc. géol. Fr., 1937, VII, p. 72].

Le 6 frimaire an XII (28 novembre 1803), Palassou est élu Correspondant par la section de minéralogie de la Première Classe (la future Académie des sciences) du nouvel Institut national des sciences et des arts. Il retrouve ainsi son ancien titre de Correspondant de l’Académie royale d’antan. A la même époque, l’abbé est proposé comme président de l’assemblée électorale (au niveau cantonal, elle regroupait tous les citoyens mâles) de Navarrenx. Il ne peut accepter car, explique-t-il dans une lettre déchirante à Chaptal (qui restera sans effet …), il n’avait « pas les moyens de [se] donner des vêtements nécessaires pour siéger dans les assemblées publiques avec la décence qu’elles demandent » [in 3]. Il ne lui « reste plus qu’une rente viagère de 800 livres sur l’Etat, provenant d’un contrat de 24 000 livres [qui rapporte donc du 3%], et le petit domaine où j’habite dont le total des contributions ne s’élève qu’à 50 livres. Ces deux propriétés pourraient à la rigueur m’empêcher de mourir de faim, mais le prix excessif de la main d’œuvre fait que les dépenses excèdent le revenu … ». Pierre-Bernard Palassou mène ainsi, à cette époque, « une vie de pauvre, en compagnie de Pierre [= Pierre Bordenave] […] qui lui servait de secrétaire et d’ouvrier agricole, et en celle d’une servante » [3] qui, l’un et l’autre, hériteront un jour d’une partie de ses biens.

Peut-être est-ce alors que se place un épisode rapporté par J. B. de Lagrèze (in Michaud, Biographie Univ., t. XXXII, p. 5-6) d’après « quelques notes autobiographiques destinées uniquement par Palassou à sa famille » : « un souverain puissant voulut l’attirer dans ses états par des offres brillantes. Palassou répondit qu’il préférait vivre pauvre dans sa patrie que d’acquérir de l’aisance sur la terre étrangère ».

En dépit de sa réputation de savant, l’abbé souffre de la situation où le place, par rapport aux notables béarnais, sa situation financière. Car il était loin de posséder le revenu nécessaire pour participer aux collèges électoraux d’arrondissement et, à fortiori, de département. Il exprime son aigreur au baron de Laussat (lettre du 22 janvier 1810, in [19], p. 148) : « Si j’ay senti quelquefois combien il étoit fâcheux de n’être pas compté au nombre des gens aisés, c’est principalement lorsque la modicité des biens que je possède m’a écarté des assemblées où j’aurois pu, en vous donnant mon suffrage [Laussat était candidat à un poste de sénateur], concilier les sentiments de l’amitié avec les devoirs que l’amour de la chose publique impose ».

Malgré une santé précaire, notre Béarnais va alors réaliser ce qui a dû être la dernière ascension de sa vie [11, p. 1-76]. Un groupe de quatre amis se retrouve au lever du jour, le 12 juillet 1801, à la Case de Broussette, au pied est du sourcilleux Pic du Midi d’Ossau, tenu pour formé de « granite en masse mêlé de porphyre ». Palassou et le baron de Laussat, tous deux quinquagénaires, atteignent la base de l’aiguille sommitale (2 885 m), dont nous savons qu’il s’agit d’une intrusion verticale d’andésites du Stéphano-Permien. La fin de l’expédition fut difficile : « Nous descendîmes avec d’autant plus de précaution, que dès le moment où le corps a reçu la moindre impulsion par une marche accélérée, il ne dépend plus de soi de s’arrêter au point que l’on désire ! ».

A cette époque, doivent se placer des recherches sur « les terrains situés au pied des Pyrénées » [11, p. 310-410]. Elles permettent de définir une « large bande pierreuse O-E, surtout calcaire [« liais » blanc], en couches inclinées » que l’on suit de Saint-Jean-de-Luz à Saint-Martory et peut-être jusqu’à la Méditerranée. Sans doute est-ce la première mention de la barre calcaire du Paléocène-Eocène inférieur sous-pyrénéen.

En 1807, le Conseil général des Basses-Pyrénées où siègent des amis de Palassou fait intervenir le préfet afin de solliciter pour le savant le poste d’inspecteur des mines du département [19, p. 213-214], qui lui sera refusé, la législation réservant cette situation aux ingénieurs des mines.

B. De la fin de l’Empire à la mort de Palassou

La Restauration se montrera pour lui plus généreuse que l’Empire. Il relate à son ami Laussat (lettre du 3 octobre 1818, in [19], p. 176) ses démarches ; « à la demande des administrations supérieures de ce département, j’ay travaillé comme un forçat et fourni un grand nombre de mémoires […]. Je ne demande pas de gratification pour mes observations relatives aux sciences, je réclame le remboursement des avances faites pour le compte du Gouvernement ». Pendant trois ans, le conseil général, favorable, et le ministre de l’Intérieur, le duc Decazes, réticent, se renvoient la balle [19, p. 177-178 et 216-217], et ce n’est que le 9 avril 1819 que le ministre, assiégé par les députés des Basses-Pyrénées, cède enfin, en accordant « une indemnité annuelle de 1 000 F sur les fonds de son ministère ». Les moyens de Palassou se trouvent ainsi doublés !

Les 25 lettres (conservées) que Palassou adressa au baron de Lapeyrouse (Bibl. centr., MNHN, Paris, Ms 1993] entre 1810 et 1818, année de la mort du Toulousain, permettent de connaître cette période de la vie de l’abbé à Ogenne. Les deux correspondants ne se connaissaient pas personnellement (ils ne se rencontreront jamais) lorsque, le 8 septembre 1810, Palassou écrit à Lapeyrouse pour lui demander des échantillons de « serpentine » de l’Ariège. Suivront, entre les deux naturalistes, des échanges de roches et surtout de plantes (le Toulousain est surtout botaniste), les deux vieillards se confiant aussi leurs problèmes de santé, et commentant les événements. L’abbé se lamente sur « la terrible explosion » de Toulouse, ville ravagée le 16 avril 1816, le bruit étant perçu à plus de 80 km (Ms 1993, lettre n° 635).

Lapeyrouse adresse à l’abbé le jeune Jean de Charpentier (1786-1855), fils de son vieil ami saxon, collègue de Gottlob Werner. Descendant de huguenots normands, le jeune homme est venu en France de 1808 à 1810 diriger les mines de Baïgorry en Pays basque puis les forges d’Engoumer dans l’Ariège. Avant de s’installer en Suisse, où il s’illustrera dans les débats sur l’époque glaciaire, Charpentier s’est installé à Toulouse chez Lapeyrouse. Il prépare son Essai sur la constitution géognostique des Pyrénées, dont la parution (Paris, Levrault, 1823) renouvellera la vision géologique de la chaîne. Du 16 au 20 juin 1812, il est à Ogenne avec Palassou, qui essaye de le convaincre de l’origine sédimentaire de l’ophite.

En 1813, l’armée française quitte l’Espagne, sous la poussée anglo-espagnole. Cet été-là résonne en Béarn « le bruit du tambour et du canon ». L’abbé reste à Ogenne « pour veiller à la conservation des misérables débris que la mauvaise fortune [lui] a laissés » (lettre du 20 juillet 1813, in [19]). A l’automne 1814, les envahisseurs espagnols sont là, ce dont profitent « des scélérats » qui criblent « de balles les toits et les contrevents » du manoir, ne fuyant qu’au son du tocsin.

Le calme rétabli, Palassou se consacre à ses terres et à la vie sociale, s’honorant de ses relations avec la noblesse locale, enrichie par le retour d’émigrés, et avec les officiers des troupes de Navarrenx. A la même époque, il met au point toute une série d'ouvrages qui seront imprimés à Pau, dont cinq recueils de mémoires, totalisant 1 400 pages. Les deux premiers [11, 12] reprennent, en les classant par thèmes, les observations et réflexions qui étaient dispersées dans l’Essai de 1781-1784. Les deux suivants [13, 14], plus éclectiques, traitent d’observations géologiques, parfois nouvelles, et de questions économiques et historiques. Le volume de 1823 aura l’intérêt de reproduire le mémoire inédit de l’abbé Pourret sur le volcanisme récent de Catalogne. Enfin, en 1828, le vieil homme, traitant de la vallée d’Aspe [15], rappellera les étapes de sa vie scientifique, et voudra apporter les « preuves de l’exactitude de plusieurs observations faites dans les Pyrénées et de mon zèle à servir la chose publique », certaines ayant été discutées par Pasumot. Et Palassou parlait encore, octogénaire, de préparer une troisième édition de son Essai de 1781 !

Ogenne devient un lieu de pèlerinage. Après Charpentier, ce sera en 1819 le médecin et botaniste daxois Léon Dufour : celui-ci dédiera au vieux savant trois « Lettres » décrivant ses excursions (1820-1821) dans les Pyrénées [in Bory de Saint-Vincent, Paris, 1821] et écrira du Béarnais : « Il était du petit nombre des savants aimables ». Le 29 juin 1820, la Société linnéenne de Bordeaux se déplace à Ogenne et tient sa séance « dans un petit bois de chênes tauzins » : l’abbé est fêté et l’on vante sa « sérénité, sa gaieté, son accessibilité et son caractère communicatif et obligeant ». Ses amis le font élire correspondant de la Société philomatique de Bordeaux (1817) et de l’Académie royale des sciences de Toulouse (1818), ce que Palassou ressent d’autant plus intensément que l’âge l’a atteint.

Paris est loin ! L’Académie des sciences le croyant mort, le remplace le 5 février 1821 dans son poste de Correspondant (il est vrai qu’il ne « correspondait » plus depuis longtemps !) par l’ingénieur toulousain Jean-François d’Aubuisson de Voisins (1769-1841), « géognoste » et hydraulicien. On peut supposer que celui-ci signala que son prédécesseur vivait toujours, puisque la bévue de la noble assemblée fut corrigée le 12 mars suivant : Palassou fut réintégré, d’Aubuisson étant – cas exceptionnel – maintenu en surnombre.

Le déjà célèbre Ami Boué, en voyage dans le Sud-Ouest, d’où ses ascendants huguenots provenaient, visite à son tour le vieil homme en 1822. Il est devenu septuagénaire, son état de santé se dégrade. En 1815, sa vue, déjà compromise par une ancienne ophtalmie, baisse au point qu’il doit dicter à son jeune domestique Pierre le courrier et le texte de ses manuscrits. Le poète Arbanère le voit en 1828, constate que l’abbé a des difficultés de parole, ne peut plus lire et a de fréquentes défaillances [Bull. Soc. Palassou, Pau, 1832, n° 3]. Broyant du noir, l’abbé déclare à son hôte : « Plus j’étudie, plus je me sens ignorant. Ma vie n’a été qu’une chaîne de conjectures vaines et d’analyses infructueuses… ». De voir l’unanimité des géologues, et en dernier le jeune Charpentier, conclure que « son ophite » est, non pas sédimentaire, mais « un produit du feu » a dû profondément meurtrir le vieil homme.

En 1817, il écrivait à Lapeyrouse : « Je monte à cheval, je visite mes voisins ». Par la suite (lettre à Laussat du 1er janvier 1830, in [19], p. 20), il écrit : « Je fais tous les jours un exercice modéré, soit à pied et quelquefois à cheval, sans sortir de mon domaine ». Il évoque ses vingt petits-neveux et ses quatre domestiques malades (ses finances se sont restaurées !). Déjà, le 31 août 1827 (lettre à Laussat, in [19]), l’aggravation de son état avait amené sous sa plume les vers de Maynard : « En attendant, je dis : Las d’espérer et de me plaindre / Des grands, des petits et du sort / J’attends ici la mort / sans la désirer ni la craindre ».

Elle vint le 9 avril 1830, à « six heures de relevée ». L’état-civil de la commune d’Ogenne porte que deux voisins « laboureurs » vinrent déclarer le décès de « Monsieur Pierre-Bernad [sic] de Palassou, Correspondant de l’Académie royale des Sciences de Paris et de plusieurs autres sociétés savantes, âgé de quatre-vingt-cinq ans ». Sa qualité d’abbé n’est pas portée dans ce texte, la particule semblant vouloir honorer celui qui avait été le bref et dernier seigneur d’Ogenne. Le convoi funèbre le conduisit le 12 avril à sa sépulture, contre le mur oriental de l’église du hameau. La pierre tombale, récemment restaurée par la municipalité (Figure 5), a été relevée et fixée à la façade du sanctuaire.


Figure 5. Pierre tombale de la sépulture de Palassou, dressée sur la façade de l’église d’Ogenne (Pyrénées-Atlantiques).

La maison de Susbielle, devenue « Palassou », se situe à un jet de pierre de la tombe du savant. L’héritier, l’un de ses neveux, vendit en 1813 pour 12 000 F la propriété au capitaine Grivet, officier à Navarrenx, dont la famille possède toujours le bien. De la terrasse du manoir, établi sur la croupe verdoyante d’une haute colline du piémont béarnais, la vue porte sur le magnifique alignement des cimes pyrénéennes. Le vieux naturaliste devenu presque aveugle, ne pouvait plus, à la fin de ses jours, qu’en imaginer l’ordonnance…

Qui était vraiment l’homme ? On ne sait rien de son apparence physique, sinon que, accepté comme mousquetaire du roi, on peut l’imaginer comme un svelte « cadet de Gascogne » ! Dans ses lettres familières au baron de Laussat, s’exprime, masquant une certaine misanthropie, un humour souriant, parfois une grivoiserie aimable. Il exprime son attrait pour l’idiome béarnais, son goût pour le chant, fut-il bachique, et, – singulièrement pour un « abbé » – son dédain pour les occupants des monastères voisins « dont le cœur ne s’ouvroit guère à la pitié ». Homme des Lumières, Palassou était aussi un ami de l’ordre et de la concorde, apparemment indifférent aux régimes politiques. Son contemporain Picot de Lapeyrouse (lettre du 20 mai 1818 au baron de Laussat, in [19], p. 298) dira de lui : « Bonne foi ! entière, base fondamentale de toutes les sciences et qui, malheureusement, est devenue très rare […]. Bientôt les sciences ne seront plus qu’un roman »…

Epilogue

Le « poudingue de Palassou », dans la découverte duquel notre abbé ne joua guère de rôle, et l’« ophite de Palassou » qu’il découvrit dans les Pyrénées tout en s’obstinant à la traiter de sédiment argileux, sont les deux faits majeurs qui ont prolongé le souvenir du naturaliste béarnais jusqu’à nous parmi les géologues. Et pourtant d’autres raisons, beaucoup plus réelles, justifient de rappeler les mérites de Palassou. Il a été le pionnier incontestable de l’exploration « minéralogique » de la chaîne des Pyrénées, presqu’en même temps qu’Horace-Bénédict de Saussure dans les Alpes. L’abbé fit des observations essentielles, qui nous paraissent aujourd’hui évidentes, sinon naïves : les Pyrénées, loin d’être le chaos que le grand Dolomieu supposait, sont une chaîne organisée, dont l’alignement « de l’ONO à ESE » est lié à l’existence de « bandes calcaires » et de « bandes argileuses », souvent inclinées à 60° vers le NNE. Cela appuie la « théorie des bandes » de Guettard, c’est-à-dire le fait que des formations géologiques à faciès contrasté se succèdent en dessinant cartographiquement des affleurements allongés. « Vous Palassou et moi Ramond », lui écrira le 1er avril 1793 le célèbre pyrénéiste, qui défendons « la théorie des bandes », nous opposons au « désordre général » que Picot de Lapeyrouse prétend être la règle des Pyrénées [in L. Cornet, Pyrénées, 1959, n° 38].

Effectivement le Toulousain avait écrit en 1788 [Fragments de la Minéralogie des Pyrénées …, cf. p. 385] : « On [Palassou était visé] s’est trop pressé de juger les montagnes […]. Ces zones, ces bandes, cet ordre, cet arrangement symmétrique, n’existent que dans les cabinets et dans les livres ».

Il faudra attendre 1813 pour que Lapeyrouse [Histoire abrégée des plantes des Pyrénées, cf. p. XXVIII] fasse amende honorable : « M. Palassou a publié un Essai sur la Minéralogie des Monts-Pyrénées en 1781. Le premier, et le seul encore, il en a fait connaître la nature, le gisement, la direction et les rapports des différentes roches dont cette vaste chaîne est composée ». Bel hommage où, sans rappeler son erreur initiale, Lapeyrouse reconnaît la justesse de vue et la priorité de Pierre-Bernard Palassou.

L’appréciation qu’en 1862 portera le vicomte d’Archiac sur l’œuvre du Béarnais est cependant réaliste. Trouvant d’emblée, dès 1776 que la chaîne pyrénéenne est ordonnée et en ébauchant ses traits, le jeune abbé était alors en avance sur Saussure qui se trouvait, dans les Alpes, au début de ses recherches. Malgré les promesses de sa jeunesse où il fut le disciple de Guettard et l’ami de Lavoisier, Palassou, replié dans sa province, renonça en fait dès la quarantaine à continuer son inventaire de la chaîne, coupant tout lien (la Révolution et sa propre ruine y contribuèrent) avec le centre bouillonnant des sciences qu’était Paris. Il ne sut pas trouver dans la lecture des ouvrages qu’il se procurait les arguments qui, sur bien des points, auraient pu l’amener à infléchir une pensée qui, jusqu’au bout, resta d’une étonnante rigidité. Si on doit le regretter, il n’en est pas moins vrai que l’abbé Pierre-Bernard Palassou a été le créateur de la géologie de cette grande chaîne.

Références

[1] d’ARCHIAC, A. (1866). Géologie et Paléontologie, F. Savy, Paris (cf. p. 134-139).

[2] BERALDI, H. (1903). Cent ans aux Pyrénées. Paris, 185 p.

[3] CORNET, L. (1955). La vie sereine de Bernard Palassou, naturaliste béarnais. Rev. régionaliste des Pyrénées, n° 127-128, p. 106-111.

[4] CORNET, L. (1956). Regards sur l’œuvre scientifique de Bernard Palassou. Rev. régionaliste des Pyrénées, n° 131-132, p. 121-130.

[5] DESPLAT, C. (1978-1979). Pierre-Bernard Palassou, naturaliste et précurseur du pyrénéisme (9 juin 1745-9 avril 1830). Revue de Pau et du Béarn, p. 127-145.

[7] LABORDE, J.-P. (Notes manuscrites sur Palassou). Arch. départ. Pyrénées-Atlantiques, Pau, dossier 1 J 200/9.

[8] LOUSTALOT-FOREST, E. (1932). La vie et l’œuvre scientifique de Palassou. Bull. Soc. Palassou, n° 2 (janvier 1932), p. 46-56 et n° 3 (juillet 1932), p. 43-52 [déposé aux Arch. départ., Pau]. Impr. Lescher-Moutoué, Pau.

[9] [PALASSOU]. Essai sur la Minéralogie des Monts-Pyrénées, 1 vol. in-4]. a (1781). 1ère éd., chez Didot jeune, A. Jombert jeune, Esprit-Paris. b- (1784). 2è éd., chez Didot jeune, Paris, 331 p.

[10] PALASSOU, (an VII = 1794). Mémoire sur l’ophite des Pyrénées. J. Mines, Paris, XLIX, 1er trim., p. 31-74.

[11] PALASSOU, (1815). Mémoire pour servir à l’histoire naturelle des Pyrénées et des pays adjacens. Pau, Vignancour, 485 p., in-8°.

[12] PALASSOU, (1819). Suite des mémoires pour servir à l’histoire naturelle des Pyrénées et des pays adjacens. Pau, Vignancour, 430 p., in-8°.

[13] PALASSOU, (1821). Supplément aux mémoires pour servir à l’histoire naturelle des Pyrénées et des pays adjacens, suivis de recherches relatives aux anciens camps de la Novempopulantie. Pau, Vignancour, 208 p., in-8°.

[14] PALASSOU, (1823). Nouveaux mémoires pour servir à l’histoire naturelle des Pyrénées et des pays adjacents. Pau, Vignancour, 192 p., in-8°.

[15] PALASSOU, (1828). Observations pour servir à l’histoire naturelle et civile de la vallée d’Aspe, d’une partie de la Basse-Navarre et des pays circonvoisins… Pau, Vignancour, 105 p., in-8°.

[16] PALASSOU, (1934). (Mémoires inédits de Palassou). Bull. Soc. Palassou, Pau, janvier 1934, n° 5, cf. p. 34-41.

[17] PALASSOU (Lettres adressées à Ph. Picot de Lapeyrouse de 1810 à 1818). In : Correspondance de Ph. Picot de Lapeyrouse. Bibl. centrale du Muséum nat. Hist. Nat. Paris, manuscrit Ms 1993.

[18] PALASSOU (Notes de M. Palassou sur M. Bordeu). Gazette thermale. Bagnères, sans date, p. 1-8 (Arch. départ. Pau, U 148/16).

[19] STAES, J. (1992). Correspondance adressée par le naturaliste Palassou à la famille de Laussat (1799-1830). [Bull.] Amis des Archives [des Pyrénées-Atlantiques], n° 13, p. 123-222.


Remerciements : Au Service des archives départementales des Pyrénées-Atlantiques (M. Staës, directeur), à MM. J. de Bertier (Bordeaux), Matheu (maire d’Ogenne-Camptort), Grivet (propriétaire du domaine de Palassou), ainsi que MM. B. Peybernès (Toulouse), l’abbé F. Crouzel (Toulouse) et J. Gaudant (Paris).


Figure 6. Cul-de-lampe, dans l’Essai… de l’abbé Palassou, pouvant symboliser, dans l’esprit de cet auteur, sa lutte pour percer les mystères des Pyrénées !