Alfred Louis Olivier LEGRAND DES CLOIZEAUX (1817-1897)


Extrait de la NOTICE HISTORIQUE SUR Francois-Sulpice BEUDANT ET Alfred-Louis-Olivier LEGRAND des CLOIZEAUX, MEMBRES DE LA SECTION DE MINÉRALOGIE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES
LUE DANS LA SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE DU 15 DÉCEMBRE 1930 PAR M. Alfred LACROIX, SECRETAIRE PERPETUEL.

MESSIEURS,

Il serait difficile de trouver contraste plus frappant avec la carrière et l'œuvre de Beudant que celui fourni par la carrière et l'œuvre du confrère, dont je veux vous entretenir maintenant, ALFRED DES CLOIZEAUX.

Dès sa jeunesse, il fut captivé d'une façon impérieuse et exclusive parles recherches originales de Minéralogie; bien peu de sujets l'ont intéressé véritablement, en dehors de sa famille, de la Cristallographie géométrique et de l'Optique des cristaux. Sans réserve, il leur a consacré toute son existence.

Véritable bénédictin, toujours au travail auquel rien ne pouvait l'arracher, il n'était pas attiré par les théories, aussi n'en a-t-il construit ou discuté aucune, mais il était passionné pour les observations minutieuses et les déterminations numériques, et il en a fait plus que les plus entraînés des hommes de science de son temps. Son honnêteté scientifique rigide lui faisait un devoir de l'exactitude et de la précision, mais de la précision réfléchie; il était ennemi de cette précision illusoire que donnent les mesures angulaires poussées jusqu'à des fractions de seconde et effectuées sur des quantités qui, par suite d'imperfections de structure ou d'autres causes, peuvent varier de nombreuses minutes, et même davantage, d'un cristal à l'autre, ou même dans un même cristal.

Bien qu'il ait professé sous des formes diverses pendant cinquante ans, l'enseignement ne l'enthousiasmait pas; il n'aimait ni parler en public ni faire parler de lui. Sa véritable place était non dans un amphithéâtre, mais dans sa maison, seul, à sa table, devant son goniomètre ou ses microscopes. Là, bien défendu contre les fâcheux par l'affection des siens, à l'abri des bruits du dehors, il vivait son rêve, au milieu de ses livres, de ses brochures, de ses instruments, de ses chers cristaux.

La plupart des minéralogistes de la seconde moitié du siècle dernier ont été plus ou moins consciemment ses disciples, mais je crois avoir été à peu près son seul élève direct. Les années passées à travailler à ses côtés ont été parfois rudes, car, exigeant et sévère pour soi, il n'admettait autour de lui ni tiédeur ni à peu près, mais elles ont été pour moi d'une valeur inestimable et parfois pleines de charme. Lorsqu'au cours de l'hiver, après une longue séance de travail, arrivait la chute du jour, avant d'allumer une antique lampe à huile, il aimait à pousser son fauteuil près de la cheminée et, tout en tisonnant un minuscule feu de bois, à me conter ses souvenirs de jeunesse, évoquant, non pas sa personne, à lui, mais celle de ses maîtres; certains d'entre eux n'avaient-ils pas connu plusieurs des fondateurs de la Minéralogie moderne, Romé de l'Isle, Haüy, Dolomieu dont le beau-frère, le marquis de Drée, collectionneur célèbre, tenait en particulière estime son jeune ami ?

J'ai gardé un souvenir toujours vivant et reconnaissant de la bonté et de la bienveillance, jalousement dissimulées, de l'homme, comme aussi une admiration profonde et respectueuse pour le savant. C'est une dette que je paie, en ce moment, Messieurs, en vous parlant de lui et de son œuvre.

ALFRED-LOUIS-OLIVIER LEGRAND DES CLOIZEAUX est né à Beauvais, le 17 octobre 1817, d'une de ces familles de vieille bourgeoisie qui ont donné tant de bons serviteurs à notre pays et de membres éminents à l'Institut de France.

Sous l'ancien régime, son grand-père paternel, Etienne Jacques Legrand Des Cloizeaux, était (1779) conseiller-rapporteur du point d'honneur près des maréchaux de France, pour le bailliage et le siège présidial de Beauvais. Un tel magistrat au titre, un peu long et solennel, était adjoint aux lieutenants des maréchaux, chargés de surveiller la bonne tenue morale des gentilshommes et des officiers, et notamment de mettre obstacle aux duels. La Révolution l'avait trouvé échevin, puis pair, de sa ville natale. Il avait ensuite été élu successivement par ses concitoyens chef de légion, puis de brigade de la garde nationale, commandant de la place de Béarnais, adjoint au maire; pendant 23 ans, enfin il avait rempli les fonctions de juge de paix pour finir comme juge suppléant au Tribunal civil.

Son petit-fils fut, dès sa prime jeunesse, animé par un intérêt très vif pour l'histoire naturelle; notre futur confrère aimait à se rappeler sa collection minéralogique de collégien. Envoyé à Paris pour achever ses études, il eut la bonne fortune d'y rencontrer comme professeur de Mathématiques spéciales, un savant mathématicien, Armand Lévy, que des avatars curieux avaient conduit à la Minéralogie. Brillamment sorti de l'Ecole normale supérieure, Lévy n'avait pu trouver de chaire dans l'Université métropolitaine, en raison de son origine israélite, aussi avait-il accepté une place de professeur au collège de l'île Bourbon, mais, à sa sortie de Rochefort, le navire qui le portait, chassé par la tempête, avait été jeté à la côte anglaise, près de Portsmouth; il s'était réfugié à Londres et il y était resté, vivant de leçons de Mathématiques. Les circonstances lui firent fréquenter des minéralogistes ; il entra à la Société géologique de Londres et fut même membre de son conseil. Afin d'améliorer sa situation matérielle, comme l'avait fait de Bournon, il accepta d'entreprendre la description d'une collection minéralogique réputée, celle de Turner, réunie par Heuland. Il y travailla de nombreuses années et, pour la commodité de cette entreprise, il imagina un nouveau système de notation cristallographique. Passé plus tard en Belgique pour surveiller l'impression de son catalogue descriptif, il professa simultanément plusieurs sciences à l'Université de Liège. La Révolution de 1830 le ramena à Paris et lui ouvrit enfin les portes de l'enseignement officiel. De puissants protecteurs, mathématiciens, le firent nommer maître de conférence à l'Ecole normale supérieure et professeur au Collège Charlemagne.

Heureux de rencontrer parmi ses élèves une vocation naissante pour l'étude des Minéraux, A. Lévy se plut à la développer chez Des Cloizeaux. Il lui apprit les principes de la Cristallographie, l'initia au calcul et au dessin des cristaux, puis il l'engagea à suivre les cours et à fréquenter les collections d'Alexandre Brongniart au Muséum, de Dufrénoy à l'Ecole des Mines. Il l'introduisit dans le laboratoire de Biot au Collège de France. Un peu plus tard, Des Cloizeaux devait faire la connaissance de Henri de Senarmont et s'engager à sa suite dans les recherches optiques.

Partout, l'apprenti savant s'attira la sympathie et l'estime de ses maîtres par son aptitude à la recherche, par son enthousiasme et aussi par sa distinction personnelle. Sa première note parut dans les Annales des mines, en 1842, et, depuis lors, pendant 52 ans, il n'a cessé de produire régulièrement des travaux dont quelques-uns à peine ne sont pas exclusivement minéralogiques.

Dès ses débuts, il eut la bonne fortune de faire la connaissance d'un fonctionnaire du Ministère des Affaires étrangères, de quelques années plus âgé que lui, Alexis Damour, auquel ne tarda pas à l'attacher une solide et constante amitié; sans le moindre nuage, elle dura toute leur vie et celle-ci fut très longue. Damour, était un fervent minéralogiste, autant que collectionneur passionné; à l'âge de 93 ans, il achetait encore des minéraux pour enrichir ses séries. Mais, à l'inverse de A. Des Cloizeaux, il ne se préoccupait ni de leur Géométrie ni de leurs propriétés optiques ni même de leur histoire naturelle; il s'intéressait à leur composition chimique et à leur esthétique. Analyste d'une grande habileté, lui aussi épris de précision, auteur de nombreux mémoires fort estimés, il est entré à l'Académie, d'abord en qualité de correspondant, puis de membre libre. Sa collaboration avec son ami fut féconde, car ils étaient en quelque sorte complémentaires l'un de l'autre, Des Cloizeaux n'étant guère chimiste.

Tout d'abord, Des Cloizeaux s'est livré uniquement à des recherches de cabinet. Il est assez piquant de constater que ce fut un physicien mathématicien qui l'engagea dans les études sur le terrain et lui fit prendre contact avec la Géologie.

A cette époque déjà, les physiciens étaient préoccupés par la rareté et le haut prix atteint par le spath d'Islande, indispensable aux travaux d'optique; ce double danger, comme on le sait n'a fait que s'accroître depuis lors. Or le spath d'Islande, tout en étant une variété du carbonate de calcium rhomboédrique, l'un des plus communs parmi les minéraux, n'était alors, et n'est encore, connu à l'état de pureté parfaite sous un certain volume, que dans une seule localité, en Islande. Biot obtint du gouvernement qu'une mission fut confiée à Des Cloizeaux pour lui permettre d'en préciser les conditions de gisement, déjà entrevues par Eugène Robert, membre de l'expédition scientifique de La Recherche, conduite, en 1835-1836, par Paul Gaimard. Il reçut, en outre, l'instruction de rapporter le plus possible d'échantillons du précieux carbonate.

Il fut embarqué, à Cherbourg, le 28 avril 1845, sur la gabare la Prévoyante, chargée de la protection de nos pécheurs dans les eaux d'Islande.

Après avoir touché aux îles Shetland, la Prévoyante se dirigeant droit au but, atteignait le 14 mai le milieu de la côte orientale de l'Islande et pénétrait dans le Rödefjord dont une branche, l'Eskifjord, renferme le gisement de spath.

Des Cloizeaux reconnut qu'il ne constitue pas un filon, mais une cavité, dans un basalte amygdalaire, mesurant 15 m de large sur 4 ou 5 m de hauteur; elle a été mise au jour par l'érosion due au Silfurlœkir, le ruisseau d'argent. Sur sa paroi, il vit, implantée, une masse de spath de 6 m x 3 m, association d'énormes cristaux recouverts par une croûte de lames d'une zéolite, la stilbite. Malheureusement ce spath était en partie trouble, très maclé, et par suite peu utilisable, mais le fond de la crypte était rempli par une argile brunâtre, ferrugineuse, et celle-ci renfermait, à l'état isolé, des cristaux parfaits (rhomboèdre primitif associé à des scalénoèdres très obtus) de calcite dont la plus grande dimension pouvait atteindre jusqu'à 35 cm ; eux aussi, d'ordinaire, ces cristaux n'étaient pas parfaitement transparents, mais d'autres les accompagnaient, fracturés naturellement, d'une limpidité et d'une pureté parfaites : c'était là le produit si ardemment désiré.

Des Cloizeaux y trouva non pas ces énormes morceaux, du genre de ceux qui font l'ornement de certaines vieilles collections, mais des échantillons de moindre volume; parmi eux, les solides de clivage utilisables de 7 à 8 cm d'arête étaient peu communs et plus rares encore ceux de dimensions doubles. Après quelques jours de travail de tous les hommes disponibles de l'équipage, plusieurs tonnelets de matériaux de premier choix furent recueillis et Des Cloizeaux jugea dans son rapport, ce qui a été confirmé depuis par l'expérience, que, pour de longues années encore, ce gisement serait fructueusement exploitable.

Le voyage se continua par l'exploration des côtes orientale, méridionale et occidentale de l'île, navigation à la voile, pénible, en raison du brouillard, de la fréquence des gros temps, suivis de calmes plats, mais alors les débarquements étaient possibles; bien souvent, au cours de sa carrière, les noms du Berufjord, du Djrefjord, de l'Onundarfjord reviendront sous la plume de Des Cloizeaux, à l'occasion des beaux cristaux de zéolites variées qu'il récolta dans les basaltes amygdalaires et au nombre desquelles se trouvait le minéral appelé par lui christianite.

Plus long fut son séjour à Reykjavik. La capitale de l'Islande n'était pas alors la ville qui vient de fêter un millénaire, c'était un gros bourg. Des Cloizeaux en partit pour l'intérieur, alin de visiter le Grand Geyser. Véritable expédition, voyage fort dur, sous la pluie, la brume, au milieu d'un pays pauvre à tous égards, souvent marécageux, dépourvu de routes et bien entendu d'auberges. Quand on ne couche pas sous la tente, le gîte est fourni par le pasteur. Le latin permet de s'entendre. L'accueil est toujours cordial, la propreté l'est moins et le jeune voyageur, assez délicat de goûts, préfère d'ordinaire à un lit douteux sa peau de mouton étendue sur le sol ou sur les dalles froides de l'église. Il étudie les geysers, voit de loin la haute silhouette neigeuse de l'Hekla sans pouvoir l'atteindre ; il recueille d'amples collections minéralogiques, prend de nombreux daguerréotypes de paysages, puis, le 16 août, il s'embarque à nouveau sur la Prévoyante, pour rentrer en France, non sans faire de longues et instructives stations aux Feroë, aux Shetland, aux Orcades. L'Ecosse le tente, aussi quitte-t-il son bateau à Leith pour entreprendre une randonnée à travers les plus célèbres gisements minéralogiques de ce beau pays. A Edinburgh et à Glascow, les lettres d'introduction de ses maîtres de Paris lui ouvrent les portes de deux minéralogistes célèbres, R. Jameson et T. Thomson; ils lui font bon accueil et lui permettent d'examiner en détail leurs collections renommées.

Il se rend ensuite par mer à Liverpool, où il étudie la collection de Phillips, puis à Norcliffe Hall, près de Manchester, où la collection de Thomas Allan est possédée par un filateur de coton, Robert Hyde Greg. Cette collection, réunie antérieurement par un opulent banquier, était particulièrement remarquable; elle était accompagnée d'un volumineux catalogue, illustré de nombreuses figures de cristaux dessinées par Haidinger. Pendant plusieurs jours, Des Cloizeaux eut l'autorisation de copier beaucoup de ces dessins inédits, de les comparer aux minéraux originaux et d'accumuler ainsi une précieuse documentation. Il se lie d'amitié avec Robert Philips Greg, le futur auteur de la Minéralogie de la Grande-Bretagne, publiée en collaboration avec W. G. Lettsom, fils de son hôte, qui le conduit dans les manufactures de coton, les usines de construction de locomotives. Enfin, un rapide passage à Londres lui permet d'étudier les richesses minéralogiques du British Muséum sous la direction de Greenough et de Sowerby.

Le 17 octobre, le jeune voyageur débarquait à Boulogne, où il retrouvait, non plus ces chemins de fer dont la vitesse attirait son admiration en Angleterre, mais les voitures Lafitte, moins rapides, qui le ramenèrent à Beauvais.

Son voyage avait duré six mois; il lui avait fourni l'occasion de voir les collections minéralogiques les plus réputées de la Grande-Bretagne de converser intimement avec les plus illustres de ses minéralogistes; d'Islande, il rapportait pour lui, un monceau d'observations et de documents; pour ses patrons, ce qu'ils attendaient, et au delà de leurs espérances. Aussi leur satisfaction fut-elle grande et, sur l'heure, une nouvelle mission fut décidée pour l'année suivante.

Le 10 mai 1846, Des Cloizeaux repart donc sur le cutter, le Favori, frêle voilier comparé à la Prévoyante qui cependant n'était pas de haut bord. Aussi cette navigation vers l'Islande fut-elle fort accidentée. Un mois fut consacré au gîte de spath et à une nouvelle exploration minéralogique de la côte méridionale de l'île.

En arrivant à Reykjawik, Des Cloizeaux y trouva, immobilisée par une grave épidémie de rougeole qui lui avait déjà causé quelque embarras, une expédition scientifique germano-danoise, composée de Robert Bunsen, alors professeur à l'Université de Marburg,du baron Sartorius de Waltershausen venant de consacrer sept années à l'étude de l'Etna, du zoologiste Bergmann de l'Université de Göttingen et du lieutenant danois Mathiesen, géologue amateur, le cornac de l'expédition. Tous ces jeunes gens, animés par le même enthousiasme scientifique, décidèrent de mettre en commun leurs ressources et leurs efforts; il les consacrèrent à une longue et minutieuse étude des geysers, à l'exploration de l'Hekla, à la visite des gisements d'obsidienne et de ces tufs basaltiques, à éléments vitreux, dans quoi Waltershausen reconnut l'équivalent de ce qu'il venait d'appeler, en Sicile, les tufs palagonitiques. Ce long programme ne fut pas exécuté sans peine, l'état sanitaire du pays venant singulièrement compliquer les difficultés dues à un temps maussade.

Le carnet de notes de Des Cloizeaux est interrompu au 16 août, à la suite d'une excursion à Thyrrill, dans les environs de la capitale; je sais seulement que, le 27 septembre, il quittait Copenhague pour rentrer en France.

Une sérieuse déconvenue l'y attendait. Avant son départ, il avait déposé à l'Ecole des mines, comme en lieu sûr, une partie de ses récoltes de 1845. On y achevait alors les travaux d'aménagement auxquels l'ancien Hôtel Vendôme doit sa physionomie actuelle. Un vieux puits devait être comblé; profitant d'un manque de surveillance, les terrassiers ne trouvèrent rien de mieux que d'y précipiter tous les matériaux volumineux et lourds trouvés dans les caves et les cours de l'Ecole. Les beaux minéraux d'Islande allèrent y rejoindre de nombreuses caisses de minerais analysés par Berthier. Je n'ai jamais entendu sortir de la bouche de Des Cloizeaux d'appréciations un peu vives sur personne, hormis sur les remblayeurs du puits de l'Ecole des mines, et celles-là étaient fort sévères.

Du pays des geysers, Des Cloizeaux avait rapporté non seulement du spath et des zéolites, mais aussi l'accentuation de son goût des voyages et de la recherche des minéraux dans la nature. Il l'a largement satisfait par de nombreuses missions ou explorations, non seulement en France (Alpes, Pyrénées, Auvergne, etc.), mais dans toute l'Europe, visitant, le marteau à la main, la Suisse, l'Italie, l'Allemagne, l'Autriche, l'Angleterre, la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie. Il ne s'est pas contenté d'en explorer les gisements minéralogiques les plus réputés, d'y recueillir des échantillons, il a étudié aussi, et à fond, comme il l'avait déjà fait en Ecosse et en Angleterre, les musées, les collections particulières, accumulant une masse énorme d'observations et une érudition visuelle remarquable, très précieuses pour ses travaux. Il noua enfin des relations d'amitié avec la plupart des minéralogistes en vue de son temps.

Une notoriété rapidement acquise, et affirmée par l'insertion de mémoires dans le recueil des Savants étrangers à l'Académie, lui ouvrit les portes de l'enseignement de la Minéralogie. Sa carrière officielle n'a connu ni heurt ni histoires : répétiteur à l'Ecole centrale, en 1843 ; maître de conférences à l'École normale supérieure, en 1857. Suppléant de Delafosse à la Sorbonne, de 1878 à 1876, il remplaça ce dernier, en 1876, au Muséum d'histoire naturelle, dans la chaire d'Haüy. Il y professa jusqu'en 1892, époque à laquelle il devint professeur honoraire. Mais, à la fin de sa vie seulement, il eut un laboratoire et combien pauvre à tous égards! Aussi ne travailla-t-il jamais que chez lui, dans des conditions matérielles précaires, avec ses seules ressources. C'est vraiment merveille qu'il ait pu, sans aucun aide, grâce à une habileté manuelle peu ordinaire, tailler lui-même dans un étroit et sombre cabinet de toilette, transformé en atelier d'opticien, les innombrables lames rigoureusement orientées et les prismes de cristaux nécessaires à ses observations d'optique.

Sa carrière académique fut plus accidentée. En 1862, le fauteuil de Beudant occupé, dans la section de Minéralogie, par H. de Senarmont étant devenu vacant, Des Cloizeaux avait pensé l'obtenir aisément, mais, à la dernière heure, avait surgi une candidature imprévue, celle de Louis Pasteur. Déjà celui-ci avait abandonné les études de Cristallographie et de Physique moléculaire, pour ses brillantes recherches biologiques, mais pas plus que les chimistes, les botanistes n'avaient encore compris l'importance de ses premiers travaux. Aussi, avaient-ils repoussé sa candidature de correspondant pour leurs sections respectives, alors qu'il professait à Lille; mais, par contre, ils unirent leurs efforts à ceux des physiciens, pour lui faire donner une place de titulaire à l'Académie, non point parmi eux, mais chez les minéralogistes, ne se doutant pas de la valeur du présent qu'ils allaient faire à ceux-ci. Pasteur fut classé en première ligne, ex œquo avec Des Cloizeaux, et il fut élu.

Cet échec fut pour Des Cloizeaux une cruelle déception; il n'y a jamais fait allusion devant moi, mais, un jour, où je lui avais consacré l'après-midi, au moment du départ, je trouvais dans mon chapeau un volumineux paquet. Comme je faisais le geste de le déposer sur sa table, mon vieux maître arrêta mon bras et me dit: «Non, non, ceci est à vous. Vous serez mon successeur au Jardin des Plantes et peut-être ailleurs ; tôt ou tard vous aurez à faire ma Notice, vous apprendrez dans ces papiers des choses que vous ignorez ».

En effet, j'y trouvai, avec bien d'autres documents, la minute de ses notes sur l'Islande, un cahier d'interminables calculs cristallographiques sur le gypse faits sous la direction de Biot et corrigés de sa main et surtout une analyse très serrée de toute l'œuvre cristallographique de Pasteur, avec remarques et critiques, souvent vives, à l'encre rouge. Ce long travail avait été exécuté à l'intention de Delafosse, le seul cristallographe de la section de Minéralogie, en 1862, et le grand électeur dont les deux concurrents et leurs amis faisaient ardemment le siège.

Il ne se produisit de nouvelle vacance que six ans plus tard et ce fut encore pour Des Cloizeaux une cause de mésaventure. Le 24 décembre 1868, le vicomte A. d'Archiac, géologue et paléontologiste renommé, disparaissait après avoir adressé sa démission de membre de l'Institut au président de l'Académie. Son confrère, E. de Verneuil, avait reçu, le même jour, un précieux ouvrage de Paléontologie donné par lui à son ami, à la condition que ce livre resterait la propriété du dernier survivant. La mort violente de d'Archiac n'était pas douteuse, mais toutes les recherches effectuées pour le retrouver étaient restées vaines. Le secrétaire perpétuel, Elie de Beaumont, exerçant alors sur les sciences géologiques en France une impérieuse souveraineté, déclara qu'il n'admettrait de déclaration de vacance que lorsqu'on lui aurait montré le corps de son infortuné confrère. Cette condition ne fut réalisée que cinq mois plus tard; le cadavre de d'Archiac fut repêché dans la Seine, à Meulan, le 30 mai 1869. Le 15 novembre, Des Cloizeaux était élu presque à l'unanimité.

Il devint président de l'Académie et de l'Institut, en 1889, et, en cette année d'Exposition universelle, lui qui, pendant toute sa vie, avait fui les réceptions officielles, dut, en maintes circonstances, promener dans des cérémonies d'apparat son habit vert et sa timidité effarouchée, mais, il faut le reconnaître, fort amusée.

Notre confrère jouissait parmi les minéralogistes français d'une autorité non recherchée, mais sans conteste; c'est autour de lui qu'à son appel ils se groupèrent, en 1878, pour constituer la Société minéralogique de France dont il fut le premier président. Cette haute estime, il la retrouvait partout au delà de nos frontières; il avait reçu deux distinctions hautement appréciées, la médaille Davy de la Société royale et la médaille Wollaston de la Société géologique de Londres. De longue date, il était membre des principales Académies étrangères : Société royale de Londres, Académie dei Lincei, Académies de Berlin, Saint-Pétersbourg, Vienne et bien d'autres.

Il s'est éteint doucement, le 6 mai 1897.


Dans l'œuvre de A. Des Cloizeaux, deux ordres de recherches occupent une place prépondérante, les études sur les formes des corps cristallisés naturels ou artificiels, et celles consacrées à leurs propriétés optiques. Mais bien qu'il fut surtout physicien, il était aussi naturaliste; dans un minéral, il ne voyait pas seulement matière à observations physiques et chimiques, toutes les questions se rattachant à son gisement, à son origine, à son rôle géologique l'intéressaient plus que ne pourrait le faire supposer le petit nombre des notes publiées par lui sur ces questions. Par son mariage avec Mlle Alix Pâris d'Illins, il était entré dans une famille, où la géologie était en honneur; le grand-père de sa femme, M. de Roissy, paléontologiste et collectionneur de minéraux et de coquilles, fut le premier président de la Société géologique de France.

Je ne saurais entrer ici dans le détail de ses très nombreux travaux de Cristallographie se rapportant à tant de minéraux différents; je n'en prendrai, comme exemple, qu'un seul, le plus important de tous et un modèle du genre, le Mémoire sur la cristallisation et la structure intérieure du quartz, publié en 1858 dans les Mémoires des savants étrangers. Sur un sujet qui paraissait épuisé par la belle monographie de Gustave Rosé, Des Cloizeaux a su apporter un véritable trésor, de faits nouveaux et de conclusions intéressantes.

Le quartz est de beaucoup le minéral le plus abondant dans la nature; il se présente en cristaux magnifiques, remarquables par leur limpidité, la beauté de leurs faces, les énormes dimensions qu'ils peuvent atteindre. Qui ne connaît le cristal de roche et ses usages dans l'art et dans l'industrie? Son intérêt cristallographique est très grand et non moins importantes sont certaines de ses propriétés physiques, telles que son pouvoir rotatoire et sa piézo-électricité, conséquences de la nature spéciale de son hémiédrie.

L'interprétation de ses formes cristallines est souvent rendue particulièrement ardue par l'extraordinaire complexité de la structure de ses cristaux. Les plus beaux, les plus transparents d'entre eux sont rarement homogènes, rarement simples; ce sont, le plus souvent, des édifices complexes, des groupements d'un grand nombre d'individus, groupements parfois discernables à l'œil nu, mais plus souvent dissimulés. Ils peuvent être constitués, ces individus élémentaires, dans un même assemblage par des cristaux appartenant à l'un ou l'autre des polyèdres hémièdres, mais plus souvent les polyèdres droit et gauche sont réunis et de façons diverses ; lorsqu'il est possible de les distinguer, à l'œil nu, l'un de l'autre, on constate que les individus constituants n'ont pas nécessairement les mêmes faces secondaires. Des Cloizeaux s'est proposé de démêler cet imbroglio et de trouver des règles pouvant servir de guide dans son étude.

Par des mesures goniométriques fort nombreuses, il a montré que les macles à axes parallèles, étudiées déjà par G. Rose, ne s'effectuent que rarement avec la précision théorique, qu'il existe souvent des oscillations atteignant jusqu'à 2° autour des nombres fournis par le calcul, exemple de cette tolérance si fréquente dans certains phénomènes naturels et, en particulier, dans les groupements cristallins. Il a précisé, en outre, la très rare macle à axes inclinés, dite de la Gardette, surtout connue alors dans les cristallières de la mine d'or du Dauphiné qui a fourni de si beaux échantillons d'or natif aux collectionneurs et appauvri tant d'actionnaires, à commencer par Monsieur, frère du roi Louis XVI.

Des Cloizeaux a voulu déterminer toutes les formes du quartz, décrire les particularités, les aspects des faces de chacune d'entre elles; il a voulu aussi les interpréter, les discuter, les classer systématiquement, je veux dire les formes connues avant lui, au nombre de 35, et les 134 nouvelles, aux symboles parfois très compliqués, qu'il a découvertes dans les cristaux des gisements les plus divers et cette recherche n'était pas toujours facile, car souvent les cristaux de quartz se prêtent mal aux mesures goniométriques, à cause de leurs trop grandes dimensions; leurs faces sont fréquemment ternes, naturellement ou par usure, quand, comme ceux du Brésil, ils ont été recueillis dans des rivières. Pour toutes ces formes, il a donné de copieux tableaux d'angles calculés et d'angles observés. Enfin dans de belles planches ont été représentées par le dessin leurs principales combinaisons.

Mais ce n'est pas tout, l'étude géométrique est insuffisante pour pénétrer la structure intime du quartz. Des Cloizeaux a fait appel à ses propriétés optiques. Il a examiné, en lumière polarisée parallèle ou convergente, des plaques épaisses, taillées perpendiculairement à l'axe optique, dans beaucoup des cristaux étudiés cristallographiquement. Il a pu ainsi scruter plus profondément la complexité des groupements, montrer que certains d'entre eux sont de simples associations à axes parallèles d'individus de même signe optique ou de signe contraire, alors que d'autres, tels ceux de l'améthyste du Brésil, constituent de véritables macles, régies par des lois déjà définies par G. Rosé. Elles avaient été aussi mises en évidence par Leydolt, à l'aide d'une attaque à l'acide fluorhydrique, procédé dont Des Cloizeaux s'est servi comme moyen de contrôle. Enfin il a discuté la relation constante existant entre le sens du pouvoir rotatoire et celui des faces hémièdres.

Cette structure intérieure si complexe, il l'a fixée par la photographie et l'a fait reproduire en héliogravure ; ce fut alors une innovation. Ce Mémoire eut un grand retentissement, aussi bien chez les physiciens que parmi les minéralogistes.

Cette façon exhaustive de traiter la Cristallographie du quartz était un prélude à la grande entreprise qu'a été la confection de l'ouvrage modestement appelé « Manuel de Minéralogie » et qui, pendant plus de 35 ans, a été pour Des Cloizeaux une préoccupation de tous les instants.

A l'origine, il avait eu seulement l'intention de traduire et d'adapter l'excellent manuel (An elementary Introduction to Mineralogy) de Phillips, complété par Brooke et Miller ; il avait toujours sur sa table de travail un exemplaire de ce livre annoté par lui. Il y avait inscrit l'interprétation, en notation de Lévy, de toutes les formes signalées par Miller et, de sa fine écriture, il y ajoutait, au fur et à mesure de leur rencontre, des formes nouvelles, mais bientôt l'accessoire l'emportant sur le principal, il résolut d'écrire une œuvre personnelle.

Son effort principal a porté sur le point de vue cristallographique. Après avoir fait, pour chaque espèce minérale, l'inventaire de toutes les formes connues, donné les paramètres, il les a toutes portées sur une projection stéréographique, mode de représentation introduit en Cristallographie par Miller, puis, au lieu de se contenter de donner un ou deux angles caractéristiques pour les principales, il a entrepris l'établissement de tables angulaires de chacunes d'elles, méthodiquement classées par zones ; celles-ci étant énumérées dans un ordre constant. Chaque forme cristalline est ainsi caractérisée par des incidences d'autant plus nombreuses qu'elle appartient à un plus grand nombre de zones. Ces tables numériques, jointes aux projections, sont d'une utilité extrême pour l'étude cristallographique des minéraux. Des Cloizeaux a eu soin de mettre, en regard des angles calculés, ceux mesurés par ses prédécesseurs et par lui-même. Il attachait une grande importance à la comparaison du résultat des observations et du calcul pour mettre en évidence les variations angulaires que peut présenter une même espèce minérale, suivant ses gisements, par suite de variations dans sa composition chimique. Dans cette œuvre, il a si a bien effacé sa personnalité qu'un examen superficiel pourrait la faire prendre pour une vaste compilation statistique, alors qu'il y a enfoui une somme prodigieuse de travail personnel dont on ne peut se faire une idée, si l'on n'a pas eu en mains les éléments ayant servi à établir ses listes d'angles.

Ses projections stéréographiques constituent un modèle achevé du genre; celles consacrées au quartz, à la calcite, au système cubique, avec leurs multiples zones, noires de symboles, sont de véritables chefs-d'œuvre d'exécution; je conserve précieusement les originaux de ces épures, sur quoi la finesse du trait peut rivaliser avec celle de la gravure sur cuivre, elle-même supérieurement réalisée.

Le Manuel de A. Des Cloizeaux a profité de ses travaux sur l'optique des minéraux qui, pour la première fois, dans un livre de ce genre prenait la place de choix qui lui est due et qu'elle a conservée depuis.

Ma modeste collaboration à l'achèvement du dernier volume paru me permet de témoigner de la probité exceptionnelle de cet ouvrage; une fois son manuscrit livré à l'imprimerie, jusqu'à la dernière minute, Des Cloizeaux faisait des sondages pour vérifier ses calculs, multipliait les mesures, afin de les contrôler. Au grand dam de son éditeur, il réclamait d'innombrables épreuves et ne se laissait arracher un bon à tirer qu'avec une véritable anxiété.

Contrairement à bien des hommes de science acharnés au travail personnel, il avait une très vaste érudition, il dévorait avec avidité toutes les productions de la science qui lui était chère. On peut dire que la Minéralogie tout entière était enregistrée et méthodiquement classée dans son cerveau et qu'en particulier aucun détail de ce qu'il avait vu lui-même n'était oublié.

La lecture de la moindre note sur un minéral déjà traité dans son Manuel ou restant à publier, le poussait à en comparer les résultats avec les siens, que ce soit au point de vue de la Cristallographie ou de l'Optique, et si l'apparition de quelque donnée nouvelle ou contradictoire résultait de cet examen, toute affaire cessante, il reprenait lui-même la question. Il était comme l'esclave de tous les sujets une fois touchés par lui et bien peu, en Minéralogie, ont échappé à ses investigations.

Cette conscience toujours en éveil, cette curiosité jamais lassée expliquent le long intervalle, constamment accru, écoulé entre l'apparition de ses volumes, 1862 pour le premier, 1874 pour le second, 1892 pour le troisième et font comprendre pourquoi l'ouvrage est resté inachevé. Plus que la vie d'un homme eut été nécessaire pour venir à bout d'une telle tâche, avec une semblable méthode. Voilà la seule critique que je serais tenté de faire à mon vieux maître, si mon respect pour lui me le permettait. Encore que resté incomplet, le Manuel de Minéralogie, comprenant, d'ailleurs les plus importantes des familles de minéraux et notamment les silicates, est resté le livre de chevet de tous ceux qu'intéresse la Minéralogie descriptive et nul n'a songé à entreprendre depuis lors un nouveau traité sur un tel plan.

Grâce à l'exemple donné dans ses mémoires et dans son livre, la notation cristallographique de Lévy, perfectionnement de celle d'Haüy, est devenue le système universellement adopté chez nous. Des Cloizeaux se plaisait à faire valoir sa grande commodité, ses avantages au point de vue descriptif, au point de vue du langage parlé et de l'inscription sur les figures des cristaux, non plus de signes conventionnels, mais de symboles simples ayant une signification analytique bien définie et se suffisant à eux-mêmes. Il employait aussi le système d'axes cristallographiques de Lévy, car il lui reconnaissait le grand avantage de donner une représentation objective de la forme primitive du cristal, en permettant de choisir pour celle-ci des faces fréquemment réalisées dans la nature ou possédant quelque propriété physique importante, des clivages, par exemple. Il était, par ailleurs, grand admirateur de Miller et de son système.

Je voudrais signaler enfin, que notre confrère ne s'est pas intéressé seulement aux formes cristallines des minéraux; toute matière cristallisée avait de l'importance à ses yeux et il a publié de nombreuses études sur des sels de la Chimie, notamment sur des tartrates, sur le silicium et le magnésium. Lorsque Lamy eut découvert le thallium, ce fut Des Cloizeaux qui entreprit, et mena à bien, la description cristallographique de tous les sels du nouveau métal obtenus par le chimiste lillois.


Les travaux cristallographiques de A. Des Cloizeaux, quelle que soit leur importance, ne constituent pas la partie cardinale de son œuvre; celle-ci est consacrée aux propriétés optiques des corps cristallisés.

Pour apprécier avec équité son importance, il faut se reporter au point où en était la science lorsqu'il aborda cette question. Son premier mémoire spécial date de 1855 et, à partir de cette époque, il ne toucha plus à un minéral transparent ou translucide sans se préoccuper de son optique.

A la fin de la première moitié du siècle dernier, l'étude des phénomènes optiques des corps cristallisés sortait à peine des laboratoires de physique, où, d'ailleurs, elle était encore embryonnaire; nous avons vu, il y a un instant, que, dans son Traité de Minéralogie, Beudant ne la considérait encore que d'un point de vue qualitatif. Des Cloizeaux m'a raconté bien souvent ses premières expériences, effectuées sous la direction de Biot, pour la mesure des angles d'extinction des clivages du gypse, sans microscope, par rotation d'une large lame entre deux nicols placés aux extrémités d'un tube incliné. Les microscopes d'Amici et de Nôrremberg firent ensuite leur apparition; le premier instrument utilisé par Des Cloizeaux, construit à l'aide de lentilles taillées par Amici lui-même, est conservé au Muséum comme une précieuse relique. Combien sont loin de cette pesante machine les élégants et délicats instruments dont se servent aujourd'hui les débutants de nos laboratoires!

Nul alors parmi les minéralogistes, sauf de Senarmont, trop tôt enlevé à la science, ne se doutait de l'importance qu'allaient prendre les propriétés optiques dans l'étude des minéraux et Marignac, ami de jeunesse de A. Des Cloizeaux, lui écrivait dans la période de tâtonnements préliminaires de ses premiers mémoires, des lettres, où le célèbre chimiste et cristallographe genevois le raillait affectueusement de son entêtement dans une semblable voie.

Aux prises avec de multiples difficultés, mais animé de cette foi, de cette persévérance qui étaient parmi ses qualités maîtresses, Des Cloizeaux sut trouver de grandes ressources dans son esprit ingénieux et inventif. Entre ses mains, le microscope de Nörremberg, construit sur ses indications par Soleil, prend une forme nouvelle; son champ augmente, permettant ainsi d'observer les phénomènes optiques avec des plaques de dimensions relativement faibles; les limites d'observation, jusqu'à ce moment très restreintes, s'élargissent. Des Cloizeaux voit nettement devant lui une source presque illimitée de recherches, et c'est alors qu'il fait le rêve enthousiaste de déterminer les propriétés optiques de tous les corps transparents, en étendant ses investigations au delà des limites habituelles à la plupart des minéralogistes de son temps, effaçant les factices barrières limitant leurs observations aux seuls corps naturels et il annexe à la Minéralogie tous les sels de la Chimie. Il se met a l'œuvre avec cette belle ardeur qui ne devait s'éteindre qu'avec la vie.

A l'ancien procédé de mesure de l'écartement des axes optiques par rotation, autour de l'axe d'un goniomètre de Wollaston, de lames taillées normalement aux bissectrices, il substitue son microscope horizontal, encore en usage aujourd'hui, le disposant pour les mesures dans l'air ou bien dans un liquide approprié, quand l'écartement des axes est très grand ; enfin il l'adapte pour des mesures à températures relativement élevées.

Jusqu'alors la recherche de la dispersion était faite uniquement par la mesure directe de l'écartement des axes optiques pour diverses lumières monochromatiques. Plusieurs physiciens, Nörremberg, Neumann, Herschel et plus récemment de Senarmont avaient constaté des variétés dans la disposition des couleurs des anneaux présentés par les cristaux biaxes taillés perpendiculairement aux bissectrices. Des Cloizeaux s'empara de ces remarques, montra leur généralité, les systématisa et mit en lumière leur importance pour la détermination du système cristallin.

Il étudia la distribution des couleurs dans les lemniscates et, les anneaux des lames des cristaux orthorhombiques, suivant le sens de la dispersion de leurs axes optiques. Dans les substances monocliniques, il définit, en outre, les dispersions inclinée, tournante, ou croisée des bissectrices, en relation avec la position de ces dernières par rapport au plan de symétrie. Enfin, dans les substances tricliniques, il chercha les mélanges de ces diverses dispersions.

Ce nouveau procédé d'investigation prit entre ses mains une grande importance; il le maniait, du reste, avec une habileté incomparable; son œil percevait dans une figure donnée par la lumière convergente des nuances surprenant un observateur moins exercé. Les déductions qu'il en tirait pour la détermination du système cristallin des corps, et qu'il cherchait, d'ailleurs, toujours à vérifier par d'autres propriétés, était rarement en défaut; il s'en est servi, en particulier, pour démontrer l'existence de termes orthorhombiques dans les familles des épidotes, des pyroxènes, des amphiboles, des humites.

Enfin, pour terminer l'émunération des méthodes que la science minéralogique doit à Des Cloizeaux, il me reste à rappeler ses formules permettant de calculer l'indice moyen de réfraction et l'écartement réel des axes optiques des substances biaxes, en fonction de leur angle apparent, mesuré autour de chacune des bissectrices.

L'âge n'avait affaibli en rien son enthousiasme pour les recherches d'un genre nouveau; lorsque les perfectionnements apportés par les pétrographes aux anciens appareils vinrent transformer les procédés d'investigation utilisant uniquement des lames épaisses, jusqu'alors pratiqués par lui, lorsque surtout Emile Bertrand eut construit un microscope destiné à l'examen des lames minces des cristaux, l'on vit Des Cloizeaux abandonner l'instrument de ses anciennes et fructueuses recherches, et se remettre au travail avec une ardeur juvénile, reprenant son tour d'opticien, pour amincir les préparations de cristaux étudiés depuis 25 ans, les examinant à nouveau, en quelques années, avec le nouveau microscope, complétant ses premières descriptions, s'acharnant sur les substances non interprétées. Ainsi a été donné à son entourage un entraînant et vivifiant exemple.

Là encore il m'est impossible de passer en revue, même brièvement, tous les sujets particuliers traités par lui, je me contenterai de donner une idée de trois grands mémoires publiés en 1857, 1858 et 1867 dans les Annales des Mines et dans le Recueil des Savants étrangers, car ils renferment le résultat de ses recherches principales et permettent de suivre le progrès de ses méthodes. Il y passe en revue d'une façon plus ou moins complète les propriétés optiques de près de 500 minéraux ou sels, bilan complet de ce qu'il avait pu étudier à ce point de vue au moment de leur publication.

Dans le mémoire de 1857 (thèse de doctorat es sciences physiques), est particulièrement étudié le signe optique des substances biréfringentes, et démontrée son importance pour leur distinction. Sous l'influence d'un récent travail de H. de Senarmont consacré aux propriétés optiques des corps isomorphes, Des Cloizeaux insiste sur ce que les termes d'une même série peuvent avoir des signes optiques difFérents. D'autre part, frappé par la découverte de types optiquement positifs et d'autres négatifs dans l'apophyllite, la pennine, le clinochlore, l'eudialyte (eucolite), il définit l'espèce minérale, telle qu'il la comprendra désormais, c'est-à-dire comme la réunion des individus dont tous les caractères chimiques et optiques sont semblables, alors que le groupe ou la famille se compose de la réunion des individus ayant la même forme cristalline, mais dont la composition chimique offre des variations soumises aux lois de l'isomorphisme et dont les propriétés optiques peuvent se manifester par des signes contraires.

Le mémoire de 1858 apporte un grand progrès dans les méthodes, il inaugure l'utilisation des caractères tirés de la dispersion. Dans un travail, publié en 1864, notre confrère est revenu avec plus de détails sur ce dernier sujet et a donné la description circonstanciée de l'ensemble de méthodes employées par lui en optique.

Enfin la publication de 1867 est consacrée non seulement à la suite des recherches précédentes, mais encore à un travail poursuivi pendant plusieurs années sur les variations de l'écartement des axes optiques sous l'influence de la chaleur.

Des modifications temporaires de leur écartement et de leur position étaient connues dans deux minéraux hydratés, le gypse et la glaubérite. Des Cloizeaux découvrit que l'orthose, minéral anhydre, possède cette même propriété. En chauffant une lame taillée perpendiculairement à la bissectrice de l'angle aigu de ses axes optiques, il vit ceux-ci, disposés tout d'abord normalement au plan de symétrie, se resserrer, se réunir, puis s'ouvrir dans un plan perpendiculaire au premier. Tant que réchauffement ne dépasse pas 400° C, le phénomène est réversible, mais si la température a été poussée jusqu'à 7 ou 800°C, la modification devient permanente. Cette observation présentait d'autant plus d'intérêt que, dans certains gisements volcaniques, l'orthose possède le second mode de disposition du plan des axes optiques (orthose déformée) et que l'on peut, par suite, tirer de cette propriété des conclusions sur la température déformation des roches, ou sur la température à laquelle elles ont pu être portées postérieurement.

En possession de ces résultats, Des Cloizeaux se hâta d'essayer l'action de la chaleur sur tous les corps précédemment étudiés. Il ne retrouva des phénomènes identiques à ceux présentés par l'orthose que dans trois minéraux, la brookite, la cymophane et la zoïsite, mais dans un très grand nombre de cristaux biaxes, il rencontra des variations réversibles; l'angle des axes optiques de beaucoup de substances orthorhombiques varie sous l'influence de la chaleur dans des proportions plus ou moins grandes qu'il détermina. Dans les minéraux monocliniques, il constata, en outre, pour quelques-uns d'entre eux, des variations dans la position des deux indices compris dans le plan de symétrie. Quant aux minéraux tricliniques, ils ne lui fournirent aucune modification appréciable.

L'étude de la polarisation rotatoire, abordée du point de vue expérimental, fut pour Des Cloizeaux une source de découvertes de valeur. C'est ainsi que, le premier, il constata le pouvoir rotatoire du cinabre, dix-sept fois plus considérable que celui du quartz ; il fit voir que le sulfate de strychnine possède le pouvoir rotatoire, à la fois dans ses cristaux et dans ses dissolutions, ce fut le premier exemple de cette propriété; il montra encore que, par contre, le benzyle n'est doué du pouvoir rotatoire que dans ses cristaux et les camphres seulement dans leur dissolution.

J'arrive enfin à une longue série de recherches, dont s'est occupé Des Cloizeaux pendant plus de vingt ans ; je veux parler de celles consacrées aux feldspaths. Ces minéraux ont une capitale importance, en raison de leur rôle dans la constitution de la plupart des roches éruptives et métamorphiques ; leur connaissance est à la base de tous les systèmes de classification pétrographique, ainsi peut s'expliquer l'intérêt passionné que leur a porté Des Cloizeaux.

Je viens de rappeler à quelle découverte l'avait conduit l'étude de l'orthose. Poursuivant l'examen microscopique de ce minéral en lumière polarisée parallèle, il vit qu'un grand nombre de cristaux de feldspaths potassiques n'étaient pas monocliniques, mais tricliniques, avec forme limite monoclinique; il démêla les macles polysynthétiques caractéristiques et les constantes optiques de ce feldspath qu'il appela microcline; à l'inverse de celles de l'orthose, ses propriétés optiques présentent une remarquable stabilité à toutes températures. Ce fut un véritable triomphe pour ses délicates méthodes que la découverte d'une espèce nouvelle dans un groupe de minéraux aussi connu et aussi abondant que celui des feldspaths potassiques, sur quoi le dernier mot semblait dit depuis longtemps.

C'est encore à Des Cloizeaux que sont dues les premières notions sur les propriétés optiques des feldspaths tricliniques : la détermination de celles des types calcosodiques, des plagioclases, présentait de nombreuses difficultés, non seulement à cause de leur système cristallin, mais encore, en raison de la rareté des cristaux de plusieurs d'entre eux, et de leurs faibles dimensions habituelles. Après avoir établi les propriétés optiques de tous les plagioclases aussi exactement que le permettaient les méthodes employées et l'état des échantillons connus de son temps, il s'est surtout attaché aux types les plus riches en silice, de l'albite à l'andésine; il a eu la satisfaction de voir un de ses confrères, F. Fouqué, continuer son œuvre pour les plagioclases basiques.

Les données de A. Des Cloizeaux ont permis à A. Michel-Lévy de construire, en 1875, les courbes des extinctions en zones des plagioclases; elles ont fourni à Mallard les bases de son mémoire sur la loi de Tschermak. Aimant peu les théories, ainsi que je l'ai fait remarquer déjà, et moins encore les controverses, Des Cloizeaux s'est tenu presque à l'écart des discussions soulevées par cette loi célèbre, s'applaudissant toutefois des progrès qu'elle faisait faire à la connaissance des feldspaths et de la part prise par ses disciples dans ce long débat.


Bien qu'il ait déterminé les propriétés optiques de la plupart des minéraux constitutifs des roches, Des Cloizeaux a laissé aux pétrographes le soin d'appliquer ses données à l'étude des roches elles-mêmes. Il a fait seulement une exception en faveur des roches désignées sous les noms d'euphotide, de gabbro et d'hypérite. En passant en revue des échantillons provenant de tous les gisements connus de son temps, il a montré que l'examen des propriétés de leurs pyroxènes permettait de les diviser en deux types caractérisés, l'un par le diallage — il l'a désigné sous le nom de diallagite, — l'autre, par l'hypersthène, — il lui a réservé le nom d'hypérite. Ce sont respectivement les gabbros et les norites des nomenclatures actuelles.

Il a constaté aussi l'existence d'un pyroxène dans les roches péridotiques de l'Oural, au milieu de quoi Daubrée venait de signaler le platine natif.

A ce même ordre de recherches, je rapporterai un travail sur les météorites d'Orgueil. Le 14 mai 1861, les environs de cette localité, située dans le Tarn-et-Garonne, ont été le théâtre d'un phénomène fort rare, la chute d'un essaim de météorites. Celles-ci étaient d'une nature spéciale, comparable à celle de la pierre tombée le 15 mars 1806, aux environs d'Alais, dans le Gard.

Les aérolithes d'Orgueil sont noirs, extraordinairement friables. Comme la plupart des météorites pierreuses, ils sont riches en péridot, et contiennent du fer nickelé métallique et un sulfure de fer (pyrrhotite), mais ils renferment en outre, et c'est là leur caractéristique, près de 13 pour 100 d'une matière carbonée. Cette matière a fait l'objet d'études chimiques de M. Berthelot et de S. Cloëz ; son analogie avec les matières humiques est incontestable, mais l'absence de toute trace d'organismes et son cortège de minéraux, ne permettent pas d'admettre pour elle une origine organique.

La difficulté d'interprétation de la genèse d'une telle roche est encore augmentée par la découverte faite par Des Cloizeaux de minuscules cristaux d'un carbonate de magnésium et de fer, semblable à la breunnérite terrestre. On ne connaît pas d'autre cas d'existence d'un carbonate dans une météorite.

La seule incursion faite par Des Cloizeaux sur les frontières de la Minéralogie, proprement dite, date de sa jeunesse. Ses voyages en Islande lui ont fourni l'occasion d'intéressantes observations de Physique du globe.

Dans sa première expédition, il avait étudié les geysers, surtout en minéralogiste, examinant avec soin les formations de silice colloïdale, variété d'opale, désignée sous le nom de geysérite, aux formes concrétionnées des plus compliquées. Il avait étudié encore la silicification de végétaux au voisinage des geysers, effectué quelques mesures de température de l'eau de ceux-ci, mais c'est en 1846 que, muni de thermomètres à renversement de précision, à lui confiés par Regnault, il fit, en collaboration avec R. Bunsen, une série de déterminations précises de la température des eaux du Grand Geyser et du Strokkur, déterminations effectuées avant, pendant et après les éruptions et à différentes profondeurs dans la cheminée de ces geysers. Une description détaillée de ceux-ci a été donnée, qui permet aujourd'hui d'apprécier les variations dans le temps de ces curieux appareils post-volcaniques.

Il fit aussi quelques dosages chimiques sur place, mais surtout une ample récolte d'eau des geysers; son ami Damour a pu ainsi en donner des analyses détaillées, plus complètes que celles effectuées jusqu'alors.

Sans doute en souvenir de ces recherches de jeunesse, bien plus lard, Des Cloizeaux a étudié les dépôts siliceux de Saint-Nectaire dans le Puy-de-Dôme, où, à côté des sources thermales incrustantes calcaires bien connues, en sourdent d'autres ayant, les unes, construit un amas d'opale reposant sur des sables et épigénisant complètement des roseaux, les autres, rempli dans le granite des filonnets d'opale forchérite, colorée en jaune très éclatant par une petite quantité de sulfure d'arsenic (orpiment); ces différentes variétés de silice colloïdale renferment des Diatomées.

Des Cloizeaux a donné enfin une intéressante description des coulées de l'Hekla. Sa visite à ce volcan a été faite à une époque privilégiée. Depuis 1767, le grand volcan islandais était assoupi et recouvert par une calotte de neige et de glace. Le 2 septembre 1845, se produisit soudain une violente éruption explosive. Toute l'ile fut saupoudrée de cendres; elles furent transportées jusqu'aux Shetland et aux Orcades où, pendant son voyage de retour, notre confrère constata leur existence, sans se douter de leur origine, puis les phénomènes explosifs cessèrent bientôt pour faire place à un violent épanchement de lave et celui-ci se prolongea jusqu'au milieu de décembre; après un arrêt assez court, il reprit en janvier 1846, pour s'arrêter définitivement au mois de mars. La montagne étant inaccessible pendant l'hiver, cette éruption n'avait pas eu de témoin direct.

Lorsque, le 18 juillet 1846, Des Cloizeaux, Bunsen et Sartorius de Waltershausen arrivèrent à son pied, les laves étaient refroidies, ils durent donc se contenter d'étudier les résultats de l'éruption et ses dernières fumerolles. L'ascension du sommet de l'Hekla et la mesure de son altitude permirent tout d'abord de constater que les explosions lui avaient fait perdre au moins 100 m de hauteur par rapport à la valeur fournie par une triangulation danoise datant de peu d'années.

L'éruption s'était faite par quatre cratères distribués le long d'une fente radiale, le plus élevé se trouvant au sommet de la montagne, le plus bas à environ 200 m plus bas. Du cratère inférieur, supportant un amas de blocs, était partie une coulée de lave descendue sur les pentes de la montagne, à la surface de la neige, sur une longueur de 15 à 16 km, avec une largeur moyenne d'environ 2 km et une épaisseur de 15 à 20 m. Cette vaste surface lavique n'était nulle part continue, sa surface consistait en blocs entassés; elle était bordée par des moraines latérales et creusée, dans sa partie médiane, de sillons parallèles, profonds de 5 à 6 m.

Cette lave en blocs, à faciès basaltique, n'avait pas la texture scoriacée habituelle à ce genre de coulée; elle était compacte, passablement vitreuse. Quelques portions scoriacées s'observaient seulement sur les moraines ou à la surface de quelques blocs. Cette description rappelle celle des coulées andésitiques plutôt que celles des basaltiques, et sans doute il faut en chercher les causes dans le rapide refroidissement du magma sous l'influence des conditions particulières de l'épanchement à la surface de la neige pendant le dur hiver islandais.

De ces cratères, se dégageaient encore des vapeurs d'anhydride sulfureux, avec dépôt de soufre, fondu ou cristallisé, suivant la température des fumerolles considérées. Dans les sillons de la coulée, la température était moins élevée et différente, la composition des émanations; elles fournissaient surtout de la vapeur d'eau et des sublimations de sel ammoniac (salmiac), généralement très pur. Des Cloizeaux déclare que leur abondance était telle qu'il eut été possible de les exploiter industriellement, si elles ne s'étaient trouvées en un tel désert.


Arrivé au terme de cette étude, il me reste à conclure. Des Cloizeaux a été essentiellement un cristallograpbe, à la fois physicien et naturaliste.

Dès sa jeunesse, il s'était proposé de dénombrer tontes les formes cristallines de tous les minéraux connus de son temps, et plus tard d'établir les propriétés optiques de tous les minéraux transparents. Rien ne l'a rebuté dans le défrichement de ce champ immense, parsemé d'épines, et dont certaines parties étaient inexplorées. Il a atteint son but. Il a édifié une œuvre volontairement circonscrite, mais cependant vaste, solide, durable, parce qu'elle n'est faite que de science et de conscience.

Il était dédaigneux de la popularité, aussi celle-ci n'est-elle pas venue le trouver. La vulgarisation de ses travaux lui importait peu. Modeste et dépourvu d'ambition, il a travaillé uniquement pour l'amour de la science, sans rien souhaiter de plus.

Il a été l'un de ceux, on pourrait presque dire il a été celui, aux efforts duquel est dû l'octroi définitif du droit de cité à l'Optique des cristaux dans la science minéralogique, dont elle constitue aujourd'hui l'une des branches les plus brillantes et les plus fécondes. Pour ce genre de recherches, il a fourni quelques-unes des premières méthodes, quelques-uns des premiers instruments, la plus grande partie des premières données précises. Sans doute, tout cela a été complèté, perfectionné, depuis lors, mais on ne doit pas oublier que son œuvre reste l'une des pierres angulaires d'un bel édifice. C'est ainsi que lorsque fut instaurée l'étude des roches en lames minces, les initiateurs de la pétrographie microscopique trouvèrent à point, dans les travaux de Des Cloizeaux, les constantes optiques qui leur ont servi de point de départ et ont rendu possible l'épanouissement si rapide de la science nouvelle.

Les Académies se doivent de garder pieusement le souvenir des hommes qui les ont honorées, elles et la science, d'une façon aussi parfaite et aussi complètement désintéressée.