François Conrad SCHLUMBERGER (1878-1936)

Fils de Paul Schlumberger (1846-1926), industriel du textile à Mulhouse, et de Mme née Marguerite de Witt (1853-1924), directrice de la ligue internationale pour le vote des femmes, petite-fille du ministre Guizot (1787-1874).
Marié le 26/7/1904 à Louise Delpech. Enfants : Anne (1905-1993, mariée à Henri-Georges Doll puis en 1967 à Jean Gruner, neurologue né le 21/9/1909), Dominique (épouse le 9/5/1931 le baron Jean Menu de Menil), Sylvie (épouse de Eric Boissonnas). Arlette Schulz, filleule et nièce de Marcel Schlumberger a épousé Jacques Delacour.

Bref résumé de la carrière de Conrad Schlumberger

Né le 2/10/1878 à Guebwiller (Haut-Rhin, à l'époque allemand)
Décédé le 9/5/1936 à Stockholm, d'une hémorragie cérébrale
Ecole polytechnique (promo 1898)
Sorti dans le corps des mines ; promo 1900 de l'Ecole des Mines de Paris : voir son bulletin de notes à la sortie de l'Ecole.
1903 : tour du monde
Professeur de physique à l'Ecole des mines de Saint-Etienne (1906-1907)
Professeur de physique à l'Ecole des mines de Paris (1907-1914 puis, en raison de la guerre et de la réindustrialisation de l'Alsace, 1919-1922). Officiellement, il occupe la chaire de physique de l'Ecole du 1/11/1907 au 1/6/1922 (démission). Toutefois, à sa demande il est mis en disponibilité temporaire sans traitement le 1/5/1921.
Cité à l'ordre de l'armée le 15 juin 1915 lorsque, comme capitaine de réserve, il commande une batterie d'artillerie : "Joignant à des qualités éminentes d'organisateur, aux connaissances techniques les plus étendues, une facilité d'adaptation professionnelle remarquable, commande le groupement d'artillerie lourde dont il est chargé avec une autorité et une rare compétence. A fait de son secteur un modèle du genre ... Officier très distingué, hors pair, inlassable, plein d'un entrain, d'une activité et d'un dévouement de tous les instants".
Officier de la Légion d'honneur (1916)
Chargé brièvement de la réindustrialisation de l'Alsace (1918).
Il participe au bureau de l'Association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris de 1919 à 1922, et est chargé brièvement en 1919 d'organiser un service d'offres et de demandes d'emplois au sein de l'association.
1919 : signature du contrat de 500.000 F entre le père (Paul Schlumberger) et les fils (Conrad et Marcel) pour le développement des recherches sur la prospection du sous-sol par le courant électrique.
Créateur d'un bureau d'études avec Marcel Schlumberger, Henri Doll et Eugène Léonardon (1920), de la Société de Prospection Electrique (1926), de la Compagnie Générale de Géophysique (1931) et de la Schlumberger Well Surveying Co (1934)


Extrait d'Annales des Mines, série Réalités Industrielles, juillet-août 1989

En une vingtaine d'années, C. Schlumberger, aidé par son frère, conduit une invention au stade de l'application industrielle hautement rentable. Les deux hommes exposent l'idée et sa mise en oeuvre, dans le style des mémoires de la revue: souci de l'application pratique, précision parfois fastidieuse mais voulue, ton à mi-chemin entre la publication scientifique et l'ouvrage de vulgarisation.

Conrad Schlumberger (1878-1936) commence en 1911 ses expériences de prospection minière au moyen de mesures électriques à la surface du sol. Il s'associe avec son frère Marcel (1884-1953) pour procéder au développement industriel de ses inventions. En 1927, des mesures effectuées dans un sondage pétrolier à Pechelbronn révèlent qu'il est possible d'identifier les formations géologiques traversées par le sondage, et notamment les formations productrices d'hydrocarbures, par leur résistance électrique. Dès 1929, cette technique est mise en oeuvre pour le compte des compagnies pétrolières par des ingénieurs de la société des services pétroliers fondée par les deux frères. Pour illustrer cette importante innovation, nous avons choisi de reproduire quelques extraits de l'article que Conrad Schlumberger et son frère consacrèrent dans les Annales des Mines de l'année 1930, à l'exposé de sa méthode dite de «la carte des résistivités». Cet article est représentatif des mémoires scientifiques et techniques alors publiés par la revue : il fait le point sur une méthode qui commence à se répandre à l'usage d'un public d'ingénieurs qui ne souhaite pas vraiment entrer dans les détails techniques mais qui est prêt à consentir un effort pour assimiler les méthodes nouvelles.

Epure d'un procédé nouveau
La méthode de la carte des résistivités et ses applications pratiques présentée par ses auteurs (Conrad et Marcel Schlumberger, 1930)

La carte des résistivités du sol donne en chaque point de mesure la valeur de la résistivité électrique spécifique de la roche sous-jacente. Elle constitue un document analogue à une carte géologique habituelle, sauf qu'aux caractères lithologiques ou paléontologiques servant normalement à définir les terrains, se trouve substituée la valeur d'un paramètre physique. Ce paramètre est encore peu familier aux géologues, mais ce qu'il a d'incertain est contrebalancé par son immense avantage d'être mesurable jusqu'à une certaine profondeur et sous des recouvrements assez épais. Les géologues doivent donc s'habituer progressivement à analyser eux-mêmes les cartes de résistivité du sol (...).

L'auteur expose ensuite le principe de la méthode

Les roches ne conduisent le courant électrique que par l'eau d'imbibition qu'elles contiennent. Elles sont d'autant plus conductrices qu'elles contiennent plus d'eau et que cette eau est elle-même plus riche en sel. Nous exprimons la résistivité des roches en ohms-mètre-mètre-carré, cette unité convenant particulièrement bien comme ordre de grandeur. Les chiffres pratiques s'étagent en effet entre une unité et quelques milliers. D'autres géophysiciens ont souvent adopté l'ohm-centimètre centimètre-carré qui est une unité cent fois plus petite, donnant donc des résultats de mesure cent fois grands.

Les roches les plus conductrices sont les sables et marnes imbibés d'eau salée. Elles ont des résistivités de 0,5 à 10 ohms. Puis viennent les argiles non salées entre 10 et 30 ohms, les marnes entre 20 et 100, les calcaires entre 60 et 200, les schistes entre 70 et 300 suivant leur compacité et leur métamorphisme, les grès entre 100 et 1 000, les roches éruptives entre 100 et 2 000, etc. Ces chiffres extrêmement différenciés montrent dans quelle larges limites varie le paramètre.

Jusqu'à quel point la résistivité est-elle un coefficient caractéristique d'une roche donnée? c'est là une première question. Il y a d'abord l'action de la température, dont l'élévation abaisse la résistivité. En pratique cette action reste trop faible pour apporter un trouble appréciable. On ne saurait par contre négliger le facteur porosité, qui est lui beaucoup plus important. Les roches compactes ou argileuses ont dans toutes leurs parties sensiblement la même teneur en eau et celle-ci, maintenue fixement en place, conserve partout a peu près la même composition chimique. La résistivité, qui est conditionnée par cette eau d'imbibition, a donc une valeur constante dans les divers points, et a bien le caractère d'un coefficient spécifique de la roche. S'il s'agit par contre d'une roche très poreuse, comme l'est un sable par exemple, sa teneur en eau dépendra de sa position par rapport au niveau hydrostatique. Cette eau pourra elle-même être de composition variable, eau pure de pluie en certains points, plus ou moins chargée en sels en d'autres points. La résistivité n'est plus alors pour la roche un paramètre fidèle; par contre, elle peut servir à l'étude du liquide d'imbibition (eau liée, pétrole, etc.) et permettre ainsi des applications pratiques intéressantes.

Notons d'autre part que les mesures de résistivité dont nous parlons portent toujours sur de larges volumes de roche et ont donc essentiellement le caractère d'une moyenne. Ce n'est d'ailleurs qu'à cette condition qu'on obtient des chiffres réguliers ayant une signification géoclogique, car il importe de sortir des singularités locales. Notons aussi que, vues, ainsi en gros, les roches sédimentaires sont plus conductrices parallèlement à leurs strates que perpendiculairement à celles-ci et que cette anisotropie constitue souvent une complication sérieuse dont on peut d'ailleurs tirer parti pour l'étude électrique du pendage de ces roches.

Comment mesure-t-on sur le terrain la résistivité des roches? Des techniques diverses peuvent être utilisées. Voici celle que nous appliquons couramment depuis une dizaine d'années et qui a aujourd'hui la sanction d'une très large pratique. On fait passer entre deux points A et B à la surface du sol, un courant d'intensité i et on mesure la différence de potentiel DELTA V qui en résulte par effet ohmique entre deux autres points M et N du sol. Le mesure de i et de DELTA V permet par une formule simple de calculer la résistivité du sol, celui-ci étant supposé plan et homogène dans le «domaine» intéressé par la mesure. Comme le sol ne remplit en général pas ces conditions, et est plus ou moins hétérogène, la valeur donnée par la formule ne correspond pas à la résistivité vraie d'une roche déterminée, mais à une moyenne des résistivités des diverses roches intéressées par la mesure. Nous appelons cette moyenne la «résistivité apparente» du sol entre M et N. Avant d'aller plus loin, précisons la notion du «domaine» intéressé par la mesure et pour cela supposons que le «dispositif de mesure» soit tel que les points M et N se trouvent sur la ligne AB et de part et d'autre du centre O de celle-ci. Comme le montre la fig. 1, tout se passe approximativement comme si la totalité des filets de courant allant de A en B était canalisée à l'intérieur d'un parallélipipède ayant une largeur égale à AB/2 , une profondeur égale à AB/4 et une longueur égale 3/2 AB. Au centre, entre MN où se mesure le chute ohmique DELTA V, les filets de courant sont sensiblement parallèles à AB. Le «domaine» intéressé par la mesure est le parallélipipède. Ce qui est extérieur à ce volume n 'intervient pas. Bien que cette image ne représente que très grossièrement la réalité, elle permet néanmoins d'expliquer les quelques notions essentielles suivantes.

La résistivité que l'on obtient avec un dispositif de mesure déterminé correspond à la résistivité moyenne, prise dans le sens horizontal, d'une tranche de sol dont l'épaisseur est approximativement égale à AB/4. Si donc on procède à une série de mesure, en conservant toujours la même longueur de ligne AB, on explore ainsi une tranche de sol d'épaisseur constante égale à AB/4 . C'est ce que nous appelons une « exploration électrique horizontale ».

Inversement si restant en une même station O, on procède à une série de mesures en augmentant chaque fois la longueur de la ligne AB, les chiffres obtenus correspondent à des tranches de sol de plus en plus épaisses. C'est ce que nous appelons «un sondage électrique vertical».

A côté de ces notions très élémentaires, on a recours à une série de procédés mathématiques qui permettent de déterminer, à partir des résistivités apparentes mesurées à la surface du sol avec des dispositifs variés, la valeur de la résistivité vraie des roches contenues à l'intérieur au sol. Mais les problèmes ainsi posés ne sont effectivement résolus jusqu'à présent que dans un nombre restreint de cas très simples. Les deux cas les plus importants que l'on sait traiter complètement sont celui des couches planes homogènes, soit verticales, soit horizontales, ce qui correspond aux terrains sédimentaires soit redressés, soit horizontaux. Encore dans ce dernier cas, qui est le plus important en pratique, les calculs théoriques ne donnent-ils des résultats sûrs que s'il s'agit d'un petit nombre de couches suffisamment épaisses.

Pour établir une «carte des résistivités», nous mesurons avec un dispositif invariable, donc avec une «profondeur d'investigation» constante, la «résistivité apparente» du sol sous-jacent en une série de stations. Il s'agit donc de l'exploration horizontale d'une tranche de terrain d'épaisseur régulière. Les mesures sont reportées sur une carte topographique. Des courbes d'équi-résistivité sont tracées par interpolation. Il est souvent commode d'envisager des «profils de résistivité» mesurés le long d'alignements et qui s'interprètent comme une coupe des terrains. Presque toujours il y a intérêt à établir pour la même région deux cartes de résistivité avec deux profondeurs d'investigation différentes, l'une petite faisant ressortir l'action des terrains superficiels, l'autre plus grande pour explorer le sous-sol plus profond. La carte doit couvrir sans lacune toute l'aire à étudier, afin de donner une idée d'ensemble affranchie de toute idée préconçue. Elle constitue donc un travail systématique et massif comportant souvent beaucoup de milliers de mesures.

La carte est complétée par des études de détail faites en un certain nombre de points particuliers. Ce sont par exemple des sondages électriques verticaux, des déterminations électro-magnétiques de pendage, des recherches de contacts, etc. Ces opérations spéciales permettent de calculer la résistivité vraie des roches à diverses profondeurs et d'élucider localement certaines questions précises, que la carte de résistivité permet ensuite d'extrapoler sur de larges zones (...).

Après avoir donné plusieurs exemples d'applications, l'auteur conclut:

Comme le montrent les divers exemples décrits, la carte des résistivités du sol est l'analogue d'une véritable carte géologique, où les divers terrains sont caractérisés par leur résistivité électrique. On peut établir ce document pour une tranche de sol d'épaisseur donnée, choisie à volonté. Un tel travail pour une grande épaisseur (plus de 100 mètres) est d'une utilisation délicate et exige l'intervention de spécialistes bien entraînés. Les études à faibles profondeurs, dont l'exposé constitue l'essentiel du présent mémoire, sont au contraire d'une exécution beaucoup plus facile avec des appareils et une technique bien mis au point. Malgré leur caractère superficiel, elles peuvent rendre de grands services pratiques dans tous les cas où des recouvrements peu épais cachent les affleurement, ce qui est de règle dans les pays de plaine. La méthode de la carte des résistivités apparaît alors, non comme une science abstraite, mais comme un procédé géologique simple et direct.

Les renseignements électriques sont souvent d'une interprétation délicate, car des roches différentes peuvent avoir la même résistivité. Aussi des vérifications par puits ou sondages sont-elles toujours indispensables, soit pour lever des indéterminations, soit pour donner des précisions sur la qualité des gisements. Par contre, la possibilité pratique de couvrir le sol de mesures, sans dépenses excessives et de réaliser une exploration continue, apporte au géologue une grande sécurité dans ses conclusions. Ayant ainsi une vue d'ensemble, il peut correctement extrapoler les observations locales faites sur les affleurements ou dans les travaux miniers.



Conrad Schlumberger dans les sous-sols de l'Ecole des mines en 1912
Extrait du livre "The Schlumberger Adventure" de Anne Gruner Schlumberger


Brèves notes sur Conrad Schlumberger, par André Thépot (reproduites avec l'autorisation de l'auteur)

Conrad Schlumberger, né le 2 octobre 1978, étudie au lycée Condorcet, prépare l'X au lycée Saint-Louis, entré en 1898 à Polytechnique et en 1902 à l'Ecole des Mines. Décède en 1936.

Il devient en 1906 professeur de physique à l'Ecole des mines de Paris. Il a aussi enseigné à l'Ecole des Mines de Saint-Etienne.

Entre 1911 et 1914, Schlumberger avait entrepris des recherches. En avril 1913 il étudie le gisement pyriteux de Saint Bel ; début 1914 il découvre un riche gisement de pyrites de cuivre. Ses travaux sont interrompus par la guerre. Après la guerre, il envisagea un moment de les abandonner pour se vouer à une activité sociale et pacifiste. En 1918, il est chargé de la réorganisation des mines d'Alsace-Lorraine et de la Sarre.

Son père Paul Schlumberger intervint dans le souci de voir travailler ensemble ses deux fils Marcel (ingénieur de Centrale) et Conrad. Une convention du 12 novembre 1919 garantit à ses fils de soutenir leurs recherches jusqu'à hauteur de 500.000 F. Conrad peut ainsi reprendre ses expériences parallèlement à ses cours à l'Ecole des Mines.

Février 1920 : parution de l'Etude sur la Prospection électrique du Sous-sol.

Septembre 1920 : étude du synclinal de May Saint-André.

Création d'un bureau d'études en 1920, avec H.G. Doll (son gendre) et E.G. Leonardon.

Expériences menées :

En 1923, il abandonne son cours à l'Ecole des mines de Paris, pour se consacrer à la prospection.

En 1923, application de la méthode de résistivité à la prospection pétrolière.

Rôle du président de la Steaua Romana qui lui demande si la résistivité s'applique au pétrole ; d'où des expériences, un contrat expérimental puis permanent de recherche systématique. Cela permet de déceler près d'Aricesti la présence d'un dôme à haut de degré de salinité, d'où la découverte d'un gisement de gaz. Les travaux en Roumanie se poursuivent jusqu'en 1940.

Printemps 1925 : premiers contacts avec la Shell : démonstration à Pechelbronn devant le directeur Meckell chef du Service de géophysique de la Shell. Signature du premier accord de prospection aux USA pour une filiale de la Shell : la Roccana Petroleum Corp. au Texas. Mais le contrat est résilié en septembre 1926 après des résultats médiocres de prospection au Texas. Création en 1925 à New York de la Schlumberger Prospecting Methods, avec Leonardon et Henri Doll.

Printemps 1926 : prospection en Alsace. Découverte de l'anticlinal de Mayenheim et du dôme de Hettenschlag à 150 m de profondeur alors que la géologie classique n'avait rien constaté ni l'un ni l'autre.

1926 : création de la Société de Prospection Electrique, bénéficiaire pour la première fois en 1929, mais difficultés : Conrad et Marcel ne touchent un salaire qu'en 1935.

Cependant, dès 1927, une quarantaine de brevets sont pris dans le Monde.

En août 1927, les expériences de carottage électrique sont couronnées de succès, démontrant que la résistivité des roches remplies d'huile ou de gaz était plus grande que celle des roches remplies d'eau. Les résultats seront publiés en 1929.

13 février 1928 : Communication à l'Académie des Sciences.

En 1929, le bureau d'étude compte déja une cinquantaine d'ingénieurs.

Mars 1929 : le carottage électrique est introduit au Venezuela, en juin 1929 aux USA, en août 1929 en URSS.

En 1928, l'entreprise a 58 salariés, en 1929 : 95 salariés, mais en 1931 elle n'en a plus que 24 (dont 15 travaillent en Russie) car la crise est passée par là. En même temps les avances des actionnaires dépassent 3 millions de F. Heureusement, une reprise économique en 1933 aux USA sauve la société.

1932-1934 : création de la Schlumberger Well Surveying Corp. pour exploiter le carottage aux USA, et de la Cie Générale de Géophysique.


Jean Schlumberger avec Anne (fille de Conrad) à Deauville
Extrait du livre "The Schlumberger Adventure" de Anne Gruner Schlumberger



Conrad "de" Schlumberger, élève de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique

Note de R. Mahl : je n'ai trouvé dans aucune biographie de Conrad Schlumberger mention de son rôle bénévole dans la gestion des offres et demandes d'emploi de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris. C'est pourtant lui qui organisa ce service et passa un temps considérable à remplir des registres avec les offres et les demandes, en 1919 et au moins jusqu'à fin 1920. [D'après le Bulletin de l'association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris].

Conrad Schlumberger était toujours membre du conseil de l'Amicale des anciens élèves en octobre 1922, lorsqu'il propose, pour éviter que la caisse de l'Amicale soit dévaluée, de placer une partie des fonds en immobilier ou en actions de propriétés foncières. Quelle clairvoyance ! Le 13 décembre 1922, le Comité décide de ne pas suivre sa proposition.


Conrad Schlumberger caricaturé par un élève des Mines de Paris (Petite Revue des élèves, 1911, page 30)
(C) Photo collections ENSMP


Affiche éditée vraisemblablement en 1944.
Le premier log date du 5 septembre 1927. Le premier log en Amérique date du 5 mars 1929.

Nous reproduisons ci-dessous en partie une plaquette non datée, sans origine précise, préfacée par W.J. Gillingham.

Le 5 Septembre 1927, les premières mesures électriques étaient faites dans un sondage pétrolier à Pechelbronn. Cet événement devait ouvrir une nouvelle voie pour Schlumberger et doter l'industrie pétrolière d'un puissant outil d'exploration.

Ce premier log ne fut pas le résultat d'une inspiration soudaine. Quinze ans auparavant Conrad Schlumberger a l'idée qu'il est possible de déterminer la structure des sous-sols par des mesures électriques. Son frère Marcel se joint à lui en 1919 et tous deux, associant leur volonté et leur talent, conçoivent des techniques et des instruments pour mettre en oeuvre cette idée.

Les premiers temps sont durs. Chaque expérience fait apparaître de nouvelles difficultés; Conrad et Marcel trouvent des solutions. La prospection électrique apparaît alors comme un moyen d'investigation utilisable. Le premier log, en 1927, est une étape décisive. Mais il faudra des années encore avant que cette technique révolutionnaire ne soit acceptée par l'industrie pétrolière.

Cette brochure offre un aperçu des premières années de Schlumberger.


W.J. Gillingham


Au Val Richer, propriété de famille en Normandie, Paul Schlumberger est photographié avec son fils Conrad, sa belle-fille et plusieurs de ses petits-enfants. La voiture, une Chenard et Walker, fut le premier "camion laboratoire".
Photo Marcel Schlumberger


Extrait d'une lettre de Paul Schlumberger à son fils Marcel



SCHLUMBERGER ET LES ORIGINES DU "LOGGING" (mesures électriques dans les sondages).

PREMIÈRES MESURES DE SURFACE (1911-1926)

Les origines du logging remontent à 1911, époque où la géophysique, discipline nouvelle, commençait à peine à employer les méthodes magnétiques et gravimétriques pour explorer la structure du sous-sol. Conrad Schlumberger alors professeur de physique à l'École des Mines de Paris, eut l'idée que les mesures électriques devaient offrir aussi de grandes possibilités dans ce domaine.

Conrad et son frère Marcel Schlumberger étaient originaires de Guebwiller, en Alsace, où leur père Paul possédait plusieurs usines de textile. Conrad, né en 1878, était de six ans l'aîné de Marcel. Polytechnicien et ingénieur du Corps des Mines, il fut nommé professeur à l'École des Mines en 1907. Marcel Schlumberger, diplômé de l'École Centrale, devait travailler pour une compagnie minière.

A l'École des Mines, Conrad entreprit d'examiner si la résistivité électrique des roches pouvait servir de base à une méthode géophysique. La large gamme de résistivités qu'il mesura en laboratoire l'encouragea à persévérer dans cette recherche.


Dans le parc du Val Richer, Conrad Schlumberger, alors professeur de physique à l'Ecole des Mines de Paris, emploie ses vacances de l'été 1912 à essayer sur le terrain la méthode de prospection du sous-sol. Il reporte de sa main sur une feuille de papier à dessin ses premières mesures, accompagnées de commentaires précis et détaillés.


Pendant l'été 1912, Conrad Schlumberger poursuit ses expériences sur les gisements de fer sédimentaire de Normandie, un casque téléphonique sur la tête.

C'est dans le parc du Val Richer, propriété de famille en Normandie, qu'il fit ses premières mesures électriques de surface pendant l'été 1912. L'exécution de mesures aussi délicates "sur le terrain" était naturellement plus difficile qu'en laboratoire. Conrad trouva cependant les moyens de surmonter tous les obstacles. Plus tard la même année, dans une région où les formations géologiques d'âges largement différents étaient bien connues, il mit en lumière la corrélation entre les mesures électriques et la géologie du sous-sol. En 1913, à Soumont (Normandie), les mesures électriques permirent de déterminer le prolongement d'un banc de minerai qui avait été décalé par une faille. Ce premier succès géologique demanda plusieurs journées de travail à une équipe de cinq personnes. Grâce à ce succès, suivi de plusieurs autres, la prospection électrique devenait une technique éprouvée.

En 1913 aussi, ayant découvert le phénomène de polarisation spontanée au cours d'essais sur une mine de pyrite à Sain-Bel (Rhône), Conrad en fit la base d'une nouvelle technique de prospection de certains gisements métalliques. C'est ainsi que fut découverte l'extension d'une lentille de minerai de cuivre à Tilva Roche, près de Bor (Yougoslavie) : pour la première fois, un minerai non magnétique était découvert par méthode géophysique. Pour Conrad, c'était aussi le premier travail commercial.


En 1914, les expériences sont poursuivies sur le terrain avec la Chenard et Walker. L'appareil de mesure a été fabriqué par Conrad; tout le reste: câble, bobine, groupe électrogène, goniomètre-boussole... a été acheté à l'armée. Un assistant manœuvre les instruments pendant que Conrad Schlumberger, hors de la photo, fait des mesures.

Mobilisé pendant la guerre, Conrad Schlumberger reprit ses expériences en 1919 et, en association avec son frère Marcel, créa une entreprise pour l'application commerciale de ses méthodes.

Aidés financièrement par leur père, les deux frères s'installèrent au 30 de la rue Fabert à Paris, dans un local de cinq pièces converti en bureaux, atelier et laboratoire. ... En 1923, Conrad se démit de ses fonctions à l'École des Mines pour se consacrer à plein temps à cette nouvelle affaire.

L'année 1923 a été une date importante pour Schlumberger. La carte des résistivités permit de tracer le contour du dôme de sel d'Aricesti en Roumanie. Ce n'était pas seulement le premier dôme de sel déterminé par la prospection électrique de surface, mais aussi le premier dôme de sel productif de pétrole déterminé par géophysique. Pour Schlumberger, cette première étude importante réussie pour le compte d'une compagnie de pétrole marqua son entrée dans le domaine des activités pétrolières.


Dans la région du Golfe du Mexique, en 1925, une équipe se prépare à faire des mesures de surface destinées à repérer les formations pétrolifères.

Dès lors, les études - projets de barrage, recherches de minerais, tracés de structures géologiques - se multiplièrent rapidement en France, Afrique du Nord, Espagne, Italie, Yougoslavie, Bulgarie, Pologne, États-Unis, Canada et même Japon. En 1926 les opérations furent prises en main par une compagnie nouvellement formée, la Société de Prospection Électrique, qui existe encore aujourd'hui.

Jusqu'alors cependant, la prospection électrique, quoique scientifiquement fondée, n'était pas une grande réussite commerciale.


Dans le canyon d'Abitibi au Canada, pendant l'hiver 1927. Brown attend le signal de son aide protégé par un vaste parapluie-parasol, accessoire indispensable du prospecteur.

DÉBUTS DU LOGGING (1927-1934)

Le 5 Septembre 1927, le premier log électrique fut effectué dans un sondage par une équipe Schlumberger. Le cours de l'affaire s'en trouva changé.

La Société Pétrolière de Pechelbronn, en Alsace, avait demandé à Conrad Schlumberger si sa méthode pouvait l'aider à obtenir des informations plus précises et détaillées sur les couches traversées par des puits d'exploration. Conrad Schlumberger était convaincu que les techniques de prospection électrique pouvaient être adaptées à l'exécution de mesures dans les sondages.

Il confia la tâche de construire le matériel approprié à son gendre, Henri Doll, un jeune Polytechnicien ingénieur des Mines récemment engagé. Doll et ses assistants, Charles Scheibli et Roger Jost, constituèrent l'équipe qui effectua le premier log.

La technique était rudimentaire et lente: mesures faites point par point, instruments descendus et remontés au moyen d'un treuil manœuvré à la main. La signification de la méthode apparut immédiatement dès qu'on put comparer plusieurs logs provenant de divers sondages à quelque distance les uns des autres: la corrélation entre les formes caractéristiques des diagrammes de résistivité était facile et fournissait une image claire des structures géologiques dans la région. Ce résultat, aisément obtenu et peu coûteux, permit de supprimer en grande partie le carottage mécanique, beaucoup plus onéreux, qui consistait à prélever des échantillons de roches dans les sondages. Il fallut toutefois quelque temps avant qu'une méthode aussi radicalement différente soit acceptée par l'industrie pétrolière.


1928. Dans la vallée de San Joaqim (Californie), Henri Doll (écouteurs en tête), Allégret et Gallois expérimentent le cerceau, un appareil circulaire à induction électro-magnétique destiné à déterminer le pendage de couches anciennes masquées par un recouvrement récent et discordant.


Dessin extrait des carnets de Marcel Schlumberger

En 1929, des équipes de logging furent envoyées au Venezuela, aux Etats-Unis et en URSS. Aux Etats-Unis ce fut l'échec. Des logs électriques effectués en Californie, en Oklahoma, au Texas et en Louisiane n'intéressèrent pas beaucoup les compagnies qui, la récession étant commencée et le pétrole abondant, limitaient leurs travaux d'exploration. Quand les contrats de prospection de surface prirent fin en 1930, les opérations de logging électrique s'arrêtèrent aussi. La situation était différente en URSS et au Venezuela où, employé intensivement, le logging électrique prouva rapidement toute sa valeur.

Alors que les équipes se dépensaient sur le terrain pour faire reconnaître les mérites du nouveau service, Schlumberger fit en 1931 une très importante découverte, qui devait augmenter fortement l'efficacité du logging. On remarqua que des voltages prenaient naissance naturellement dans un sondage rempli de boues de forage au niveau des couches perméables. Des expériences en France, URSS et Venezuela montrèrent la valeur immédiate de la mesure de ce phénomène : les couches perméables et imperméables telles que sable et argile, ou calcaire et argile purent être clairement différenciées. Ainsi la combinaison des courbes de potentiel spontané et de résistivité eut une valeur pratique bien supérieure à celle du log de résistivité pour situer les horizons pétrolifères et estimer leur production possible. Cette innovation aida considérablement Schlumberger à faire accepter la technique du logging en pleine période de récession économique.

A partir de Mars 1929, Schlumberger avait poursuivi, sans interruption, ses activités au Venezuela, mais à une échelle réduite étant donné le ralentissement du forage. Les excellents résultats obtenus au Venezuela incitèrent le groupe Royal-Dutch Shell et d'autres compagnies à essayer ailleurs le procédé Schlumberger. En 1931, les opérations commencèrent en Roumanie et au sud de Sumatra, en 1932 à Trinidad. Des équipes revinrent en Californie en 1932 et en Gulf Coast en 1933. Jusqu'alors les formations géologiques de ces deux régions avaient été difficiles à analyser, mais les logs combinés de résistivité et de potentiel spontané se montrèrent remarquables pour situer les sables pétrolifères et efficaces pour établir les corrélations. Pendant l'année 1933, l'activité augmentant rapidement, on compta 243 opérations de logging aux Etats-Unis. En Septembre 1934, Schlumberger disposait de 12 ingénieurs, un total de 40 employés et 11 camions travaillant aux Etats-Unis. Une compagnie de droit américain, Schlumberger Well Surveying Corporation, fut fondée à Houston, Texas. Après cela, l'expansion fut rapide; Schlumberger devait maintenir sa supériorité technique dans un domaine dont l'importance pour l'industrie pétrolière ne cessait de grandir.

L'importance de l'oeuvre des frères Schlumberger fut reconnue par l'Institut Américain des Ingénieurs des Mines et par l'Association Américaine des Géologues Pétroliers qui, respectivement, décernèrent à Conrad et Marcel Schlumberger, la Lucas Gold Medal et un Prix Spécial.


A Vitré, en Bretagne, en 1928. Il s'agit d'explorer l'écorce terrestre dans son ensemble jusqu'à une cinquantaine de kilomètres de profondeur. A droite, Marcel Schlumberger; au centre, Deschâtre; à gauche, Mailly.


Dans la plaine d'Alsace, pendant l'hiver 1928-1929, Bayle et Sauvage manient le potentiomètre à la recherche de gisements de potasse.

Septembre 1927, le premier log


La pièce de bois portant la molette qui est une poulie de renvoi du câble hors du puits, vers le treuil. Le grand bras du levier faisant contre-poids, permettait d'estimer les variations de tension du câble et d'avertir en cas de coincement.


Quelque temps après, le treuil, toujours manœuvré à la manivelle, mais légèrement perfectionné par rapport à celui décrit par Henri Doll, comporte sur la joue un collecteur branché aux extrémités d'un tricâble.


Le sondage où fut exécutée la première opération de logging. Le derrick est en bois, adossé à une cabane abritant une machine à vapeur pour les manœuvres du forage qui, à Pechelbronn, se faisaient suivant le vieux procédé de la percussion.


L'hiver, en Alsace. Les chemins desservant les sondages n'étaient que des pistes boueuses où la camionnette du logging s'enlisait en dépit des chaînes. Il ne restait plus qu'à faire appel à la traction animale.


Une opération de logging dans le bassin de Maracaïbo. Sous la large ombrelle à franges, l'ingénieur surveille l'enregistreur modèle 1929. Grâce à un bâti enfermant le potentiomètre et un système à manivelle assez sophistiqué, il est possible de tracer d'une façon continue le diagramme des mesures sur une bande de papier qui se déroule avec la remontée du câble.


Pendant l'hiver 1929-1930, au Texas. Un camion en difficulté. Le personnage couché sous l'avant du véhicule, relevé sur cric, est vraisemblablement un ingénieur français, si l'on en juge par ses bottes lacées.
Peu après, la crise commençant, Schlumberger renonçait à travailler aux Etats-Unis.


Fin 1929. Une opération de logging en Oklahoma. On y retrouve le même enregistreur sur socle et cantine et l'inévitable parasol. La courbure molle du câble montre qu'il n'y avait pas d'opération en cours. En fait, le défaut du système était que, lorsque le câble se trouvait soumis brusquement à une forte tension, l'enregistreur bondissait en l'air devant l'opérateur ébahi.


Rantau, Indes Néerlandaises, en 1930. La technique était mal adaptée aux problèmes locaux et le contrat prit fin peu après. Une équipe Schlumberger reviendra à Sumatra cinq ans plus tard, beaucoup mieux pourvue techniquement; elle y demeurera et sera suivie de beaucoup d'autres.


URSS. Hiver 1929-30.
Une camionnette Ford, en station devant un derrick dans la région de Groznyi (Caucase du Nord).
Le treuil est encore à commande manuelle.


Pechelbronn, 1931. Jost et Gallois surveillent deux enregistreurs (le second est aux trois-quarts caché par le premier), installés sur des trépieds.


A Bakou, en 1932. Le long mandrin fixé au câble est le premier modèle de téléclinomètre, l'appareil pour la mesure de l'azimut et de l'angle de déviation des sondages. Henri Doll, qui a conçu et construit l'appareil, est en train de l'étalonner.


Gura-Ocnitei, Roumanie, en 1935.
La mesure de la résistivité et du potentiel spontané nécessitait deux enregistreurs que l'on voit ici, avec un pulseur, à l'intérieur du derrick.


Californie, 1932. Schlumberger est de retour aux Etats-Unis, pour y rester. L'enregistrement des deux mesures contribuera à trouver des solutions aux difficultés qui se posaient aux compagnies pétrolières en Californie et au Texas.


Marcel Schlumberger et "son" préleveur d'échantillons.


Gillingham et Claudet au travail dans un champ pétrolier près de Houston, en 1934. Plus tard, cette même année, une nouvelle société Schlumberger Well Surveying Corporation sera créée au Texas.


En 1936, au Texas, Hicks manœuvre le treuil. Pour la première fois les instruments de logging sont dans le camion. Dès lors, Schlumberger est solidement installé au Texas et l'activité augmente...

Le 5 septembre 1927...

La société de Pechelbronn qui employait Schlumberger depuis des années à des études de surface demanda à Conrad Schlumberger s'il lui était possible de fournir des indications plus détaillées au sujet des formations traversées par les forages. Conrad demanda à Henri Doll de procéder à des expériences pour déterminer si des mesures électriques pouvaient être menées à bien dans un sondage. Henri Doll expliqua qu'il espérait en outre obtenir des renseignements sur les résistivités des terrains profonds, dont la connaissance éclairerait les travaux de surface.

Le 5 Septembre 1927 la première opération de logging (on disait alors carottage électrique) était faite au puits Dieffenbach 2905, tour No. 7, par Henri Doll, assisté de Roger Jost et de Charles Scheibli, en présence de Conrad Schlumberger et E. M. Poldini. Voici le récit qu'Henri Doll a fait de cette "première":

"AM3 avait trois mètres et NM1 un mètre de long. Nous avons fait une sonde en aboutant quatre tubes en bakélite d'un mètre au moyen de colliers et de vis en laiton. Les électrodes étaient faites de fil enroulé autour des tubes. Nous avons bricolé un lest au bas de la sonde avec un mètre de tube en laiton de quatre cm de diamètre, rempli de petits plombs à tirer les canards, bouché à chaque extrémité et pesant environ douze kilos. Tout cet assemblage ressemblait à un long serpent à cinq jointures.

"Le câble, si l'on peut l'appeler ainsi, était composé de trois longueurs de fil de cuivre isolé au caoutchouc, du genre utilisé pour les bougies de voitures. Sa résistance à la rupture était à peu près de quarante kilos par fil. N'étant pas ligaturés, comme ce sera le cas par la suite, les trois fils s'enroulaient sur le treuil comme ils le pouvaient.

"Le chassis en X du treuil et les flasques de la bobine étaient en bois, un gros tube de bakélite formait le noyau, le tout étant assemblé par de longues tiges de laiton boulonnées. Pour tourner la bobine, une chaîne de motocyclette reliait un grand pignon à un plus petit. L'axe d'entraînement était en acier avec, montée à chaque bout, une pédale de bicyclette que deux d'entre nous faisaient tourner. Un cliquet de retenue empêchait la bobine de se dérouler.

"En guise de collecteur nous avions une prise ordinaire du type mural sur le côté du flasque du treuil. Pour tourner la bobine, on déconnectait le fil qui allait au potentiomètre.

"La pièce portant la molette était en bois, avec un axe excentrique, et un long bras servant de contrepoids jouait le rôle d'un dynamomètre. Nous avions peur que les fils ne cassent, et en surveillant le balancement du bras nous pouvions dire la sorte de traction exercée sur les fils. Sur la molette un compteur genre indicateur kilométrique indiquait les profondeurs. Nous avions prévu de prendre des lectures à un mètre d'intervalle.

"Nous faisions nos mesures avec un potentiomètre monté sur un trépied, comme ceux que nous employions pour nos travaux de surface.

"C'était un bel automne et il faisait bon. Nous sommes allés au sondage dans une vieille camionnette délabrée qui avait servi pour la prospection de surface. Le puits avait à peu près 500 mètres. Avec 600 mètres de câble seulement nous n'aurions pu aller beaucoup plus bas.

" Les mesures commencées, l'un de nous devait débrancher la connection, l'autre tourner le treuil, le troisième sauter sur le plancher de la tour pour lire le compteur de la molette... C'était un va-et-vient continuel. J'inscrivais les mesures sur un carnet, en regard des lectures de profondeurs. Ensuite on débranchait, enroulait un mètre jusqu'à la station suivante, rebranchait, faisait la lecture suivante, et ainsi de suite, mètre après mètre.

"D'abord nous courions pas mal en rond, mais nous eûmes vite fait de prendre le coup et avant peu nous abattions une cinquantaine de stations en une heure.

"L'ensemble du dispositif a bien marché. Tout s'est passé comme prévu, à un incident près. En détachant le lest de dessous la sonde alors que, sortie du trou, elle pendait encore dans le derrick, nous avions oublié que le tube de dessus était rempli de boue. Douchés de la tête aux pieds et mis dans un piteux état, nous avons fini notre journée par un bain au village d'à côté".

Rentré à Paris, Henri Doll reporta ses mesures sur une bande de papier graphique, traçant le premier log qui deviendrait familier dans l'industrie pétrolière.


Reproduction du premier log (extrait concernant la portion entre 220 et 270 m de profondeur) Agrandir
Le premier log, un simple graphique comportant des mesures faites point par point à la main, montra qu'il était possible, par des mesures électriques, d'identifier les formations géologiques traversées par les sondages. Le log électrique, en fait, donnait des yeux aux pétroliers qui jusqu'alors ne disposaient pour les renseigner que des carottes, échantillons prélevés sur les formations. Ces prélèvements étaient difficiles à faire et peu fiables.